Za darmo

Faust

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Faust
Audio
Faust
Audiobook
Czyta Luana Maranz
4,33 
Szczegóły
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa
FAUST

C'est un usage général, juifs et rois font de même.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Là-dessus il prit la parure, boucles, chaîne, bague et tout, comme si c'eût été une vétille, ne remercia ni plus ni moins qu'il n'eût fait pour un panier de noix, leur promit le ciel en récompense et… elles furent très édifiées.

FAUST

Et Marguerite?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Elle est assise, inquiète, agitée; elle ne sait ce qu'elle veut, ni ce qu'elle doit faire; elle pense jour et nuit aux bijoux, et plus encore à celui qui les lui apporta.

FAUST

Son chagrin m'afflige, va sur-le-champ lui chercher un nouvel écrin encore plus beau. Le premier d'ailleurs n'était pas merveilleux.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Oh! pour monsieur tout est badinage, jeu d'enfants.

FAUST

Allons, point de raisonnements, et fais ce que je t'ordonne! Tâche à t'insinuer près de la voisine de Marguerite; ne sois pas un Diable à l'eau tiède, et porte-lui une nouvelle parure.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Oui, très-honoré maître, de tout mon cœur.

(Faust s'en va.)

MÉPHISTOPHÉLÈS seul

Un pareil fou, amoureux, brûlerait en feux d'artifice le soleil et la lune avec toutes les étoiles, pour peu que sa belle s'en amusât.

(Il s'en va.)

MAISON DE LA VOISINE DE MARGUERITE
MARTHE seule
MARTHE

Mon cher mari (que Dieu le lui pardonne!) ne s'est guère bien conduit avec moi. S'en aller ainsi courir le monde, et me laisser toute seule sur la paille! Ce n'est pourtant pas que je lui aie donné du chagrin, ce n'est pas que j'aie été froide pour lui: je l'aimais, Dieu le sait, de toute mon âme. (Elle pleure.) Peut-être est-il mort. Malheureuse que je suis!.. Encore, si j'avais son extrait mortuaire!

(Entre MARGUERITE.)

MARGUERITE

Dame Marthe.

MARTHE

Hé bien, ma petite Marguerite, qu'y a-t-il?

MARGUERITE

Mes genoux manquent sous moi; ne viens-je pas de trouver encore une cassette dans mon armoire! Tenez, elle est d'ivoire et pleine de choses d'une magnificence… bien plus riches que la première fois.

MARTHE

Ne va pas la montrer à ta mère, elle la porterait encore à l'église.

MARGUERITE

Ah! regardez-la, regardez-la.

MARTHE lui ajuste la parure

Heureuse créature!

MARGUERITE

Quel dommage que je ne puisse pas aller, ainsi coiffée, dans la rue, à l'église!

MARTHE

Viens me voir souvent; tu pourras te parer ici sans que personne le sache, et te promener une petite heure devant le miroir: cela fait toujours plaisir. Et puis viendra une occasion, viendra une fête, où tu te feras un peu plus belle qu'à l'ordinaire; ce sera une petite chaîne d'abord, ensuite une perle à l'oreille: ta mère ne s'en apercevra pas, ou bien on lui fera quelque conte.

MARGUERITE

Qui donc peut avoir apporté ces deux cassettes? Il y a quelque diablerie là-dessous?

(On frappe.)

MARGUERITE

Grand Dieu, si c'était ma mère!

MARTHE regardant à travers le rideau

Non c'est un étranger. Entrez.

(Entre MÉPHISTOPHÉLÈS.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Il est bien hardi à moi de m'introduire aussi brusquement chez ces dames, je leur en demande un million de pardons. (Il se recule respectueusement devant Marguerite.) Je voudrais parler à la dame Marthe Schwerdlein.

MARTHE

C'est moi, monsieur. Que me voulez-vous?

MÉPHISTOPHÉLÈS bas à elle

Maintenant je vous connais, cela me suffit; vous avez une visite de distinction, pardonnez-moi la liberté que j'ai prise: je reviendrai dans l'après-midi.

MARTHE haut

Croirais-tu, mon enfant, que monsieur te prend pour une noble demoiselle?

MARGUERITE

Je ne suis qu'une pauvre fille; ah! mon Dieu! monsieur est beaucoup trop bon. Cette parure et ces bijoux ne m'appartiennent point.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Oh! ce n'est pas votre parure seulement; mais vous, avez des manières, un regard!.. Je suis charmé de pouvoir rester.

MARTHE

Que venez-vous m'annoncer? Il me tarde bien…

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je voudrais être porteur d'une nouvelle plus gaie; et toutefois j'espère que vous ne m'en voudrez pas à cause dé mon message. Votre mari est mort et vous fait saluer.

MARTHE

Il est mort?.. Le cher homme! Miséricorde, mon mari est mort! Ah! mon bon Dieu, ayez pitié de moi.

MARGUERITE

Eh! chère dame, ne vous désespérez pas.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Écoutez le triste récit que j'ai à vous faire…

MARGUERITE

Voilà pourquoi je ne voudrais prendre de l'amour pour personne; c'est qu'une telle perte me tuerait infailliblement.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Il n'y a ni plaisirs sans peines, ni peines sans plaisirs.

MARTHE

Racontez-moi la fin de sa vie.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Il gît à Padoue, enseveli près de Saint-Antoine en terre sainte: là est la froide couche, où il doit reposer éternellement.

MARTHE

Mais n'avez-vous rien à me remettre de sa part?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Si fait, une prière grave et importante, à savoir de faire chanter pour lui trois cents messes. Du reste, mes poches sont vides.

MARTHE

Comment, pas une pièce de monnaie, pas un bijou? Ce que le plus pauvre compagnon épargne au fond de son sac, et garde en souvenir de ceux qu'il a quittés, aimant mieux mourir de faim, aimant mieux mendier que de s'en défaire…

MÉPHISTOPHÉLÈS

Madame, j'en suis on ne peut plus désolé: mais, à vrai dire, il n'a pas jeté son argent par les fenêtres; puis il s'est amèrement repenti de ses fautes et s'est beaucoup lamenté sur son malheur.

MARGUERITE

Ah! que les hommes sont malheureux! Sûrement je ferai chanter pour lui plus d'un requiem.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Vous seriez digne de trouver un mari, vous êtes une aimable enfant:

MARGUERITE

Oh! non, cela ne se peut pas encore.

MÉPHISTOPHÉLÈS

En attendant un mari, vous pourriez prendre un amant. Ce serait un don rare du ciel, que la possession d'une aussi charmante personne.

MARGUERITE

Ce n'est pas l'usage du pays.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Que ce soit l'usage ou non, il y a moyen de s'arranger.

MARTHE

Faites-moi donc votre récit.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je me tins auprès de son lit de mort: c'était quelque chose de mieux que du fumier, de la paille à moitié pourrie. Mais il mourut en chrétien, et trouva qu'il avait encore au-delà de ses mérites. «Ah!» s'écria-t-il, «comme je dois me détester, là… à fond, pour avoir ainsi abandonné mon métier, ma femme! Ce souvenir m'achève. Encore si elle me pardonnait dans cette vie!..»

MARTHE pleurant

L'excellent homme! Il y a long-temps que je lui ai pardonné.

MÉPHISTOPHÉLÈS

«Mais, Dieu le sait, c'est plus sa faute que la mienne.»

MARTHE

Pour cela, il mentait. Quoi, mentir au bord de la fosse!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Il me fit des contes à sa dernière heure, autant que je m'y peux connaître. «Je n'avais pas,» disait-il, «un instant de loisir; obligé d'abord de lui faire des enfants, et après cela chargé de leur gagner du pain; et, quand je dis du pain, c'est dans toute la force du terme. Eh bien, je ne pouvais seulement pas manger mon morceau en paix.»

MARTHE

A-t-il donc oublié tant de fidélité, tant d'amour, les tourments que jour et nuit…

MÉPHISTOPHÉLÈS

Non, non, il y a bien pensé. «Quand je partis de Malte,» continua-t-il, «je priais ardemment pour ma femme et pour mes enfants aussi le ciel nous fût-il favorable; notre vaisseau prit un bâtiment turc, qui portait un trésor au grand sultan. Le courage reçut sa récompense; et moi, comme il était juste, j'en eus ma bonne part.»

MARTHE

Hé?.. comment?.. où?.. L'a-t-il peut-être enfoui?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Qui sait lequel des quatre vents l'a emporté? Une belle demoiselle s'intéressa à lui, lorsqu'il se promenait à Naples en sa qualité d'étranger: elle lui voulait beaucoup de bien, et lui en fit tant et tant, qu'il s'en est ressenti jusques à sa fin bienheureuse.

MARTHE

Le coquin, le voleur de ses enfants! Ainsi donc, il n'y a besoin, il n'y a misère, qui ait pu l'empêcher de continuer sa vie infâme!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Vous voyez, aussi est-il mort. Maintenant, si j'étais de vous, je donnerais strictement à sa mémoire l'année de deuil; et, pendant l'intervalle, je ferais visite à quelque nouveau trésor.

MARTHE

Ah! mon Dieu, comme était mon premier, je n'en trouverai pas si aisément dans ce monde; car après tout c'était un brave garçon… Il aimait seulement trop les voyages, et les femmes étrangères, et le vin étranger, et les maudits jeux de hasard.

 
MÉPHISTOPHÉLÈS

Bon, bon, cela pouvait aller, s'il vous en passait autant de votre côté. Je vous jure, moi, qu'à cette condition j'échangerais volontiers l'anneau avec vous.

MARTHE

Oh! monsieur veut plaisanter.

MÉPHISTOPHÉLÈS à part

Il est temps que je m'en aille; car elle est femme à prendre le Diable au mot. (À Marguerite.) Hé, comment va le cœur?

MARGUERITE

Que voulez-vous dire, monsieur?

MÉPHISTOPHÉLÈS à part

Aimable enfant, l'innocence même. (Haut.) Adieu, mesdames.

MARGUERITE

Adieu.

MARTHE

Un mot encore! Je voudrais bien savoir précisément où, quand et comment mon mari est mort et a été enterré, afin d'en pouvoir fournir la preuve: j'ai toujours aimé l'ordre, je voudrais lire sa mort dans les affiches publiques.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Hé bien, ma bonne dame, le témoignage de deux personnes suffit en tout pays pour prouver la vérité d'un fait: j'ai un ami, homme de poids, que je prierai de comparaître pour vous devant le juge. Je vais l'amener ici.

MARTHE

Oh! faites cela.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Et la jeune demoiselle y sera aussi?.. C'est un joli homme, qui a beaucoup voyagé, et qui est extrêmement galant auprès des femmes.

MARGUERITE

Je rougirai en sa présence,

MÉPHISTOPHÉLÈS

En présence d'aucun roi de la terre.

MARTHE

Là, dans mon jardin derrière la maison, nous attendrons ce soir ces messieurs.

UNE RUE
FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST

Hé bien qu'y a-t-il de nouveau? Les affaires s'avancent elles? En verrons nous bientôt la fin?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Ah! bravo! voilà donc que vous avez repris votre beau feu? Très-incessamment Marguerite sera à vous, et dès ce soir vous la verrez chez sa voisine Marthe: cette Marthe est une femme créée et mise au monde tout exprès pour le rôle d'entremetteuse, une vraie bohémienne.

FAUST

Bien! fort bien!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Mais aussi, l'on exige quelque chose de nous en retour.

FAUST

Rien de plus juste, service pour service.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Nous sommes appelés par elle en témoignage, à l'effet d'attester juridiquement que les membres de son époux reposent à Padoue, étendus tout de leur long en terre sainte.

FAUST

Voilà qui est merveilleux! Nous allons donc être obligés de faire le voyage?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Sancta simplicitas! Il n'est pas question de cela, témoignez sans en rien savoir.

FAUST

Si tu n'as pas d'autre moyen, le plan est manqué.

MÉPHISTOPHÉLÈS

O saint homme!.. Eh quoi, vous le seriez encore? Mais sera-ce bien la première fois de votre vie que vous porterez un faux témoignage? N'avez-vous pas donné jadis doctoralement mille définitions du monde et des éléments qui le composent, de l'homme et de ce qui se passe dans sa tête et dans son cœur? N'avez-vous pas défini Dieu lui-même, d'un ton positif, d'un esprit ferme? Or, descendez dans votre conscience, et vous serez forcé d'avouer que vous n'en saviez, là-dessus, ni plus ni moins que sur la mort de M. Schwerdlein.

FAUST

Tu es et tu seras toujours un menteur, un sophiste.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Oui, mais j'ai la vue plus longue que vous; car je vois que demain vous irez en tout honneur séduire la pauvre Marguerite, en lui jurant un amour…

FAUST

Qui est véritable.

MÉPHISTOPHÉLÈS

À merveille! Et ensuite, vous parlerez d'éternelle tendresse, de constance à toute épreuve, de penchant unique, irrésistible… Ce sera-t-il aussi véritable, cela?

FAUST

Assez sur ce sujet! Certes, lorsque je sens, et que pour mon sentiment, pour mon ardeur, je cherche des expressions sans en pouvoir trouver; quand je me jette alors en désespéré sur l'univers entier; quand je prends les mots les plus énergiques, et que cette flamme, dont je brûle, je l'appelle infinie, éternelle est-ce un diabolique mensonge?

MÉPHISTOPHÉLÈS

J'ai pourtant raison.

FAUST

Écoute, et retiens bien ceci (ce sera autant d'épargné pour mes poumons): qui veut l'emporter dans la discussion et a une langue, l'emporte indubitablement. Viens donc, je suis las de bavarder. Si tu as raison, c'est surtout parce que j'ai besoin de toi.

UN JARDIN
MARGUERITE au bras de FAUST; MARTHE, MÉPHISTOPHÉLÈS, se promenant en long et en large
MARGUERITE

Je le sens monsieur me ménage; il se rabaisse à mon niveau, pour me couvrir de confusion. Les voyageurs sont accoutumés à prendre tout en bonne part, et à se contenter de ce qu'ils trouvent; mais je sais trop bien qu'un homme de tant d'expérience, mon pauvre babil ne saurait l'intéresser.

FAUST

Un seul regard, un seul mot de toi a mille fois plus d'intérêt, que toute la sagesse de ce monde.

(Il lui baise la main.)

MARGUERITE

Que faites-vous là? Comment pouvez-vous baiser cette main? Elle est si sale, elle est si rude! À la maison, n'ai-je pas tout à faire? Ma mère est d'une telle exigence!

(Ils passent.)

MARTHE

Et vous, monsieur, vous voyagez donc comme cela toujours, toujours?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Ah! les devoirs de notre état nous y obligent. Quand on se plaît quelque part, il est pénible de s'en aller; mais il le faut.

MARTHE

Tant que dure la chaleur de l'âge, il y a plaisir à courir le monde, ici et là, où bon semble: mais vient ensuite la saison froide; et se traîner au tombeau, vieux garçon, seul, inutile, cela n'a encore réussi à personne.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je vois avec effroi cet avenir lointain.

MARTHE

Eh bien, tâchez, mon digne monsieur, de vous pourvoir à temps.

(Ils passent.)

MARGUERITE

Oui, autant en emporte le vent! La politesse est chez vous une habitude; mais vous avez beaucoup d'amis, et qui sont plus habiles que moi.

FAUST

Crois-moi, ma chère, ce que l'on nomme habile est souvent la bêtise et la vanité même.

MARGUERITE

Comment?

FAUST

Ah! faut-il que l'innocence et la simplicité de cœur ne se sentent jamais elles-mêmes, ne sentent jamais leur dignité sainte! Faut-il que l'humilité, que l'obscurité, les dons les plus rares de l'auguste et inépuisable nature…

MARGUERITE

Pensez à moi l'espace d'un moment; j'aurai, moi, tout le temps de penser à vous.

FAUST

Vous êtes donc seule?

MARGUERITE

Oui. Notre ménage est peu de chose, mais il faut pourtant s'en occuper. Nous n'avons point de servante: il me faut donc cuire, balayer, tricoter et coudre, et courir matin et soir; et ma mère est en tout si exacte, si près-regardante! Non pas précisément qu'elle soit forcée à l'économie; nous pourrions en prendre à notre aise, tout comme bien d'autres: mon père lui a laissé une jolie fortune, une petite maison et un petit jardin hors de la ville. Au reste, je ne puis pas trop me plaindre à présent, et je mène une vie très-supportable. Mon frère est soldat, ma petite sœur est morte la chère petite me donnait bien du mal en son vivant… Ce n'est pas que je n'en prisse soin bien volontiers; je l'aimais tant, cette pauvre enfant!

FAUST

C'était un ange, si elle te ressemblait.

MARGUERITE

Je l'élevais moi-même, et elle m'aimait de tout son cœur. Elle naquit après la mort de mon père. Nous pensâmes perdre ma mère, tant elle fût malade; et elle ne se remit que très-lentement, petit à petit, de sorte qu'elle ne put songer à nourrir ma sœur elle-même. J'en fus donc chargée seule, et je la nourris avec du lait et de l'eau. C'était comme mon enfant: toujours dans mes bras, sur mes genoux, elle prit pour moi une tendresse de fille. Elle commençait déjà à marcher, et grandissait à vue d'œil.

FAUST

Tu as goûté sans doute le bonheur le plus pur…

MARGUERITE

Mais aussi j'ai passé des heures bien pénibles. Comme le petit berceau était la nuit auprès de mon lit l'enfant ne faisait pas un mouvement, qu'aussitôt je ne m'éveillasse: il fallait, tantôt lui donner à boire, tantôt la mettre à côté de moi; tantôt, quand elle ne voulait point se taire, la sortir de son lit et danser autour de la chambre avec elle: et dès le point du jour je devais courir au lavoir, ensuite aller au marché, et puis m'occuper du dîner; et continuellement ainsi, le lendemain comme la veille. À cette vie-là, monsieur, on n'est pas toujours gaie; mais cela fait qu'on mange avec plus d'appétit, et qu'on dort d'un meilleur sommeil.

(Ils passent.)

MARTHE

Les pauvres femmes s'en trouvent fort mal, un célibataire est difficile à corriger.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Il n'y aurait qu'une femme comme vous, pour redresser mon caractère.

MARTHE

Dites-moi, monsieur, n'avez-vous encore trouvé personne? Votre cœur ne s'est-il engagé nulle part?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Le sage a dit: «Une maison qui vous appartienne et une femme honnête, sont choses plus précieuses que l'or et les perles.»

MARTHE

Je demande si vous n'avez jamais été accueilli favorablement?

MÉPHISTOPHÉLÈS

On m'a reçu partout avec beaucoup de politesse.

MARTHE

Je voulais dire, n'avez-vous jamais eu dans le cœur aucune inclination sérieuse?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Avec les femmes, on ne doit jamais plaisanter.

MARTHE

Ah! vous ne me comprenez pas.

MÉPHISTOPHÉLÈS

J'en suis désolé! Je comprends pourtant que… vous avez bien de la bonté.

(Ils passent.)

FAUST

Tu me reconnus donc, petit ange, dès que j'eus mis le pied dans le jardin?

MARGUERITE

Ne le vîtes-vous pas? Je baissai les yeux.

FAUST

Et tu me pardonnes la liberté que je pris, ce que j'eus la témérité de te dire l'autre jour, comme tu sortais de l'église.

MARGUERITE

Je fus atterrée, jamais cela ne m'était encore arrivé; car personne ne peut mal parler de moi.

Hélas! pensais-je en moi-même, a-t-il remarqué dans ma démarche quelque chose de hardi, d'inconvenant? Il m'a accostée sans façon, on eût dit qu'il me prenait pour une femme de mauvaise vie. Et pourtant, je l'avoue, un je ne sais quoi me parlait en votre faveur; mais cela n'empêche point que je me voulus du mal de ne vous avoir pas plus mal reçu.

FAUST

Douce amie!

MARGUERITE

Laissez.

(Elle cueille une marguerite, et en arrache les pétales l'un après l'autre.)

FAUST

Que veux-tu faire de cette fleur? un bouquet?

MARGUERITE

Non c'est un jeu…

FAUST

Comment?

MARGUERITE

Vous allez vous moquer de moi.

(Elle continue, et parle entre ses dents.)

FAUST

Que murmures-tu?

MARGUERITE à demi-voix

Il m'aime – il ne m'aime pas.

FAUST

Céleste figure!

MARGUERITE continue

Il m'aime – il ne m'aime pas – il m'aime – il ne m'aime pas – (Arrachant le dernier pétale, avec une douce joie.) il m'aime!

FAUST

Oui, mon enfant, que la réponse de cette fleur soit pour toi la voix des dieux. Il t'aime! Comprends-tu bien ce que c'est? Il t'aime!

 

(Il lui prend les mains.)

MARGUERITE

Je tremble…

FAUST

Oh! ne crains rien. Que ce regard, que ce serrement de main, te disent ce qui est inexprimable: s'abandonner l'un à l'autre dans une extase qui dure éternellement, éternellement!.. Son terme serait le désespoir. Non, aucun terme, aucun terme!

(Marguerite lui serre les mains, puis se débarrasse et s'enfuit. Il reste un moment absorbé, après quoi il la suit.)

MARTHE revenant

La nuit vient.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Oui, il est temps que nous sortions.

MARTHE

Je vous offrirais bien de rester ici plus long-temps. Mais le lieu est mal choisi: il semble qu'ici personne n'ait autre chose à faire qu'à épier les moindres démarches de son voisin; et l'on devient l'objet des propos, de quelque manière qu'on se conduise… Mais notre couple?

MÉPHISTOPHÉLÈS

À fui de ce côté, le long de l'allée. Légers papillons!

MARTHE

Il paraît qu'elle lui plaît.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Et lui à elle. Ainsi va le monde.

UN PAVILLON DU JARDIN
MARGUERITE y entre d'un saut, se blottit derrière la porte, tient le bout des doigts sur ses lèvres, et regarde à travers une fente
MARGUERITE

Il vient!

(FAUST entre.)

FAUST

Ah! friponne, c'est ainsi que tu te joues de moi! Je te tiens!

(Il l'embrasse.)

MARGUERITE

(Le saisissant et lui rendant son baiser.)

O le meilleur des hommes, je t'aime du fond du cœur!

(MÉPHISTOPHÉLÈS heurte à la porte.)

FAUST frappant du pied

Qui est là?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Un ami.

FAUST

Un animal!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Il est temps de se séparer.

MARTHE entrant

Oui, monsieur, il se fait tard.

FAUST

Ne me sera-t-il pas permis de vous accompagner?

MARGUERITE

Ma mère… Non, non, adieu!

FAUST

Le faut-il? Adieu donc.

MARTHE

Bonsoir.

MARGUERITE

À revoir, bientôt!

(Faust et Méphistophélès sortent.)

MARGUERITE

Bonté de Dieu! il n'y a rien qu'un pareil homme ne sache. Je suis toute honteuse devant lui, et je réponds oui à tout ce qu'il me dit. Pauvre ignorante fille que je suis, je ne peux comprendre ce qu'il trouve en moi de si amusant.

(Elle sort avec Marthe.)

BOIS, ROCHERS, CAVERNES
FAUST seul
FAUST

Esprit sublime, tu m'as accordé tout ce que je t'ai demandé. Tu n'as pas en vain tourné vers moi ton visage rayonnant de lumière: tu m'as donné la magnifique nature pour empire, et en même temps la force de la sentir, d'en jouir. Ce n'est pas seulement une froide, une stupide admiration que tu m'as permise; tu m'as fait lire dans ses profondeurs, comme dans le sein d'un ami. Tu déroules devant moi la longue chaîne des vivants, tu m'instruis à reconnaître mes frères sous le buisson tranquille, clans l'air et sur les eaux. Et quand l'orage gronde dans la forêt, quand il déracine ces pins énormes, qui heurtent si violemment leurs tiges entr'elles, et dont la chute réveille comme un coup de tonnerre l'écho des montagnes; alors tu me conduis dans l'asile des cavernes, tu me révèles alors le secret de mon être, alors se dévoilent les merveilles cachées de mon propre cœur. Puis je vois la lune, blanche et pure, monter lentement dans le ciel, et, le long des rochers, sur les haies humides, errer les ombres argentées des anciens jours, en m'adoucissant le plaisir austère de la méditation.

Oh! c'est maintenant que je sens que l'homme ne peut atteindre à rien de parfait. En compensation de ces délices, qui me rapprochent des Dieux de plus en plus, tu m'as donné ce compagnon, dont je ne peux déjà plus me passer; bien que, froid et hautain, il me ravale à mes propres yeux, et que d'un mot il réduise à rien tous les dons que tu m'as faits. Il a allumé dans mon sein un feu qui m'attire vers la beauté: je passe avec ivresse du désir à la jouissance; et, au sein de la jouissance, je regrette le désir.

(MÉPHISTOPHÉLÈS s'approche.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

En aurez-vous bientôt assez, de la vie que vous menez? Comment pouvez-vous vous plaire à cette lenteur? Il est bon d'essayer de ceci, mais pour passer aussitôt après à quelque chose de nouveau!

FAUST

Je souhaiterais que tu eusses mieux à faire, qu'à me venir tourmenter dans mes bons moments.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Hé mais, je ne demande pas mieux que de te laisser en repos. Comment oses tu me dire cela sérieusement? Avec un être aussi disgracieux, aussi rechigné, aussi fou que toi, toute peine est en vérité perdue. Continuellement on a les mains pleines; et, sur ce qui convient à monsieur, sur ce qu'on doit faire pour lui, on n'en saurait tirer une parole.

FAUST

Voilà bien de ses prétentions! Il veut encore un remerciement, pour m'avoir ennuyé.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Et comment donc, pauvre enfant de la terre, aurais-tu passé ta vie sans moi? C'est moi qui t'ai guéri des égarements de ton imagination, sans moi tu serais déjà parti pour l'autre monde. Qu'as-tu à te morfondre ici, niché comme un hibou dans les cavernes et dans les fentes des rochers? Qu'as-tu à sucer la mousse pourrie, à lécher les pierres humides, à te nourrir de fangecomme un crapaud? Joli passe-temps, occupation agréable!.. Le Docteur est toujours ancré dans ton corps.

FAUST

Comprends-tu seulement quelle force nouvelle m'a donnée cette course dans le désert?.. Oui, si tu pouvais en avoir l'idée, tu serais assez Diable pour me priver de mon bonheur.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Plaisir surhumain en vérité! Passer toute la nuit étendu sur cette montagne dans l'herbe trempée de rosée, embrasser mystiquement le ciel et la terre, s'enfler jusqu'à se croire un Dieu, pénétrer par la pensée dans la moelle de la terre, repasser en son âme les six jours de la création, se répandre avec délices au sein de la nature, dépouiller l'enveloppe mortelle, et conclure enfin toute cette belle contemplation… (Avec un geste.)… je n'ose dire comment.

FAUST

Fi, misérable!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Cela ne vous plaît point? Vous avez en ce cas le droit de prononcer l'honnête fi; car on ne doit pas dire, devant des oreilles chastes, ce dont un cœur chaste ne saurait se passer: bref, je ne te refuse pas le plaisir de te mentir encore à toi-même de temps en temps; mais tu en perdras bientôt l'habitude. Voilà donc que ta folie te reprend: si elle durait, tu retomberais dans les angoisses et dans le délire, d'où je t'ai tiré… Mais laissons cela! Ta bonne amie est dans la ville, et tout lui est à charge, tout lui serre le cœur; tu ne lui sors pas de la mémoire, elle t'aime de passion. Ton amour était d'abord une rage, qui débordait comme un ruisseau à la fonte des neiges; tu la lui as versée dans le cœur, et maintenant chez toi le ruisseau est à sec. Il m'est avis qu'au lieu de régner sur les forêts, le grand homme ferait mieux de récompenser l'amour de cette pauvre fille. Le temps lui semble d'une longueur insupportable; elle se tient près de sa fenêtre, et regarde passer les nuages au-dessus du vieux mur de la ville. «Si j'étais un oiseau!» voilà son unique refrain toute la journée et la moitié de la nuit. Gaie par moments, la plupart du temps elle est triste; quelquefois même elle pleure; puis elle reprend du calme en apparence, mais toujours elle aime.

FAUST

Serpent! Serpent!

MÉPHISTOPHÉLÈS à part

Il saura t'enlacer.

FAUST

Misérable, va-t'en! Va-t'en d'ici, et ne prononce pas le nom de cette aimable jeune fille! Ne jette plus sa beauté ravissante au-devant de mes sens à demi-séduits.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Qu'arrivera-t-il de là? C'est qu'elle croira que tu l'as oubliée; et peu s'en faut effectivement que tu ne l'aies oubliée déjà.

FAUST

Je suis près d'elle; mais en fussè-je à mille lieues, je ne pourrais jamais l'oublier, jamais la perdre. Oui, je porte envie au corps du Seigneur, quand ses lèvres le touchent.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Très-bien, mon ami! Je vous ai, moi, souvent envié ces deux jumeaux, qui paissent parmi les lys et les roses.

FAUST

Fuis, entremetteur!

MÉPHISTOPHÉLÈS

À merveille! Vous croyez m'insulter, mais j'en ris; car le Dieu, qui créa l'homme et la femme n'exerça-t-il pas alors lui-même ce métier, le plus noble de tous?.. Allons, partons. Il y a vraiment de quoi se désoler! Vous allez dans la chambre de votre maîtresse, et non à l'échafaud.

FAUST

Eh! qu'importent les plaisirs qui m'attendent dans ses bras? Qu'elle me presse contre son cœur, en sentirai-je moins sa misère? Moi-même en serai-je moins un fugitif, un rejeté, un monstre sans but, asile, ni repos, qui, comme le torrent mugissant de roc en roc, s'en va rouler avec furie dans un gouffre… Elle, simple, ignorante, qui eût été si facilement heureuse, dont la vie eût coulé si doucement au sein des occupations domestiques; elle, qui se fût contentée d'une humble cabane dans une vallée des Alpes!.. Et moi, l'ennemi de Dieu, il ne m'a point suffi de ruiner son bonheur présent; il faut encore que je détruise la paix de tout son avenir! Il faut que l'enfer ait cette victime!.. Hé bien, Démon, abrège les heures de l'angoisse; que ce qui doit se faire se fasse aujourd'hui même, que sa destinée s'écroule avec la mienne, qu'elle soit engloutie avec moi dans l'abîme!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Comme de nouveau tu bouillonnes, tu t'enflammes! Allons, viens la consoler, fou que tu es. Là où ta pauvre tête ne voit pas d'issue, elle rêve que tout finit. Vive celui qui ne perd point courage! Tu es déjà passablement endiablé; songe donc qu'il n'y a rien au monde de plus dégoûtant, qu'un Diable qui se désespère.

LA CHAMBRE DE MARGUERITE
MARGUERITE seule, assise près de sa quenouille
MARGUERITE
 
Que je me sens émue!
Cette tranquille paix
Que j'ai connue
Elle est perdue,
Perdue à jamais.
 
 
Sans lui l'existence
N'est qu'un lourd fardeau
Ce monde si beau
N'est qu'un tombeau
Dans son absence.
 
 
De mon pauvre esprit
Le ressort s'arrête,
Ma pauvre tête
S'appesantit.
 
 
Que je me sens émue!
Cette tranquille paix
Que j'ai connue,
Elle est perdue,
Perdue à jamais.
 
 
Dehors regardé-je,
C'est pour le revoir;
Au loin m'égaré-je,
C'est dans l'espoir
De le ravoir.
 
 
Sa taille admirable,
Son port gracieux,
Son sourire aimable,
L'ardeur de ses yeux;
 
 
Et de son langage
Le tour aisé,
Son beau visage,
Las! et son baiser…
 
 
Que je me sens émue!
Cette tranquille paix
Que j'ai connue,
Elle est perdue,
Perdue à jamais.
 
 
Mon cœur soupire,
Rongé d'ennui.
Si devant lui
J'osais le dire,
Et l'embrasser,
Et le presser
À mon envie!..
Entre ses bras
Puissé-je, hélas!
Perdre la vie!..
 
LE JARDIN DE MARTHE
MARGUERITE, FAUST
MARGUERITE

Promets-moi, Henri…

FAUST

Tout ce qui est en ma puissance!

MARGUERITE

Hé bien, dis, que penses-tu au sujet de la religion? Tu es un excellent homme, un homme de cœur; mais je crois que tu n'as guère de religion.

FAUST

Ne t'inquiète point de cela, mon enfant. Tu sais que je t'aime, et que pour mon amour je verserais tout mon sang, je donnerais ma vie. Je ne voudrais d'ailleurs troubler personne dans ses sentiments ni dans sa foi.

MARGUERITE

Ce n'est pas tout; il faut croire soi-même.

FAUST

Le faut-il?

MARGUERITE

Ah! si j'avais quelque pouvoir sur toi!.. Tu ne respectes pas les saints Sacrements.

FAUST

Je les respecte.

MARGUERITE

Mais sans les désirer. Il y a long-temps que tu n'es allé à la messe, que tu ne t'es confessé. Crois-tu en Dieu?

FAUST

Eh! ma chère, qui oserait affirmer qu'il croit en Dieu? Fais cette question aux prêtres ou aux philosophes; et, en écoutant leur réponse, il te semblera qu'ils veulent se moquer de toi.

MARGUERITE

Tu n'y crois donc pas?

FAUST

Ne te méprends pas sur le sens de mes paroles, charmante amie! Qui oserait le nommer, et faire cette profession «Je crois en lui?» qui pourrait sentir, et prendre sur soi de dire: «Je ne crois pas en lui?» Celui qui contient tout et qui soutient tout, ne contient-il et ne soutient-il pas, toi, moi, lui-même? La voûte du ciel ne s'arrondit-elle pas sur nos têtes; sous nos pieds, la terre ne s'étend-elle pas inébranlable, et les astres immortels ne roulent-ils pas dans l'espace, en nous regardant avec amour? Mon œil ne se réfléchit-il pas dans ton œil, et tout n'entraîne-t-il pas mon cœur vers ton cœur? N'est-ce pas un mystère éternel, invisible et visible, que le lien qui nous attache l'un à l'autre? Pénètres-en ton âme, tout incompréhensible qu'il soit; et, lorsqu'en rêvant à moi tu te sens heureuse, donne à ce sentiment le nom que tu voudras; nomme-le félicité, cœur, amour, dieu: je n'en ai point pour une telle chose. Le sentiment est tout, les noms ne sont qu'un vain bruit, qu'une vaine fumée qui obscurcit la clarté des cieux.

MARGUERITE

Tout cela est fort beau: le prêtre en dit bien à-peu-près autant, mais en d'autres termes.