Za darmo

Faust

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Faust
Audio
Faust
Audiobook
Czyta Luana Maranz
4,28 
Szczegóły
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa
MÉPHISTOPHÉLÈS

Et cependant, la mort n'est jamais un hôte très-bien venu.

FAUST

O heureux celui dont, au milieu de l'éclat d'une victoire, elle vient ceindre les tempes d'un laurier sanglant! Heureux celui qu'après l'ivresse d'une danse fougueuse, elle endort dans les bras d'une jeune fille! Oh! que ne suis-je embrasé, consumé, par la flamme du grand Esprit! Que ne suis-je abîmé dans ses profondeurs!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Et cependant, cette nuit même, quelqu'un n'a pas avalé certaine liqueur brune…

FAUST

Il paraît que l'espionnage est ton occupation favorite.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je n'ai pas la toute-science, mais j'en sais passablement long.

FAUST

Hé bien! puisque les sons trop connus d'une pieuse mélodie m'ont tiré de l'obscur dédale où j'errais, et, réveillant en moi les sentiments éteints de mes jeunes années, ont offert à mes yeux abusés l'image de temps heureux qui ne sont plus; je maudis tout ce que l'âme environne de prestiges enivrants, et tout ce que, dans nos demeures d'exil, elle nous dérobe sous les voiles brillants du mensonge! Soit maudite, d'avance, la haute opinion que l'esprit se fait de lui-même! Maudites soient encore les visions chimériques, par qui nos sens sont assiégés sans relâche! Maudit soit ce que nos rêves nous montrent de plus séduisant, fantôme de gloire, fantôme de renommée! Maudites soient toutes les choses dont la possession nous flatte, femme ou enfant, esclave ou charrue Maudit soit Mammon, quand, nous éblouissant de ses trésors, il nous pousse à des entreprises hardies, ou quand, pour d'oisives jouissances, il enfle nos oreillers d'une plume voluptueuse! Maudit soit le jus balsamique de la treille! Maudit soit l'amour et ses plus doux épanchements! Maudite soit l'espérance, maudite la foi, et maudite avant tout la patience!

CHŒUR D'ESPRITS INVISIBLES
 
Ah! ah!
Tu l'as renversé,
Le beau, l'heureux monde!
Par ton souffle immonde
Il est effacé;
Il s'est éclipsé.
Le beau, l'heureux monde,
Un demi-Dieu l'a renversé!
Tous les débris de sa beauté passée
Dans le néant nous les précipitons,
Et nous pleurons
Cette beauté pour jamais effacée
Nous la pleurons!
 
 
O le plus grand des enfants de la terre,
Ce monde heureux construis-le de nouveau;
Relève-le de sa poussière,
Plus heureux encore et plus beau.
Oui, dans ton cœur bâtis un nouveau monde,
Recommence de nouveaux jours:
Que sur nous ton espoir se fonde,
Nous t'accorderons nos secours;
Sur toi, sur tes travaux, sans cesse
Nous veillerons,
Et chanterons,
Pour alléger le poids de ta tristesse.
 
MÉPHISTOPHÉLÈS

Ce sont là les petits d'entre les miens. Entends-tu comme, avec une sagesse profonde, ils te conseillent de chercher les plaisirs et de te jeter dans le tourbillon de la vie? Ils voudraient te replonger dans le monde, t'arracher à cette solitude où les sens s'émoussent, où se figent les sucs dont l'âme se nourrit. Cesse donc de jouer avec cette tristesse maudite, qui s'acharne sur toi comme un vautour, et dévore ton existence. Il n'est si mauvaise compagnie, qui ne te fît sentir au moins que tu es un homme parmi des hommes; et l'on n'est point dans l'intention de te mêler à la canaille. Ce n'est pas non plus que je sois un seigneur des plus huppés: mais si tu veux prendre avec moi ta course à travers la vie, je consens à t'appartenir sur-le-champ, je suis ton compagnon; et, pour peu que cela te convienne, je me fais même ton valet, je me fais ton esclave.

FAUST

Mais que dois-je te promettre en retour?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Oh! tu auras le temps d'y penser.

FAUST

Non, non, le Diable est un égoïste, et ce n'est pas ordinairement pour l'amour de Dieu qu'il fait le bien d'autrui. Énonce la condition nettement il y a péril à loger un tel serviteur.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je me dévouerai ici à ton service, et courrai sans fin ni cesse au moindre signe de ta volonté; mais, quand nous nous retrouverons là-bas, tu me rendras la pareille.

FAUST

Je m'embarrasse peu de ce qui se fait là-bas. Commence par mettre en pièces ce monde-ci l'autre n'aura qu'à venir ensuite. De cette terre naissent mes plaisirs, et ce soleil éclaire mes souffrances: si je puis une fois m'en affranchir, alors advienne que pourra. Je n'en veux plus entendre parler peu m'importe que dans la vie à venir l'on aime et l'on haïsse, et qu'il y ait aussi dans ces sphères un dessus et un dessous.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Avec ces disposions, tu peux le hasarder. Engage-toi, et mon art te fait passer dans l'ivresse du plaisir des jours délicieux, je te donne ce qu'aucun homme n'a entrevu jusqu'à présent.

FAUST

Et que veux-tu me donner, pauvre Diable? L'esprit d'un homme, en ses élans sublimes, fût-il jamais à la portée d'un de tes pareils?.. Dis, qu'as-tu à m'offrir? des aliments, qui ne rassasient pas; de l'or, qui s'écoule des mains comme le vif argent; des jeux, où l'on ne gagne jamais; de jeunes filles qui, jusque dans les bras de leur amant, en appellent un autre de l'œil; l'honneur, déité brillante, qui s'évanouit comme un météore. Montre-moi un fruit qui ne tombe pas avant d'être mûr, et des arbres qui reverdissent tous les jours!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Une semblable commission ne m'effraie pas; j'ai de tels trésors à ton service. Certes, mon bon ami, le temps approche où nous pourrons faire la vie en toute sécurité.

FAUST

Si jamais il m'arrive de goûter le repos, en me couchant sur un lit de plume; que je sois anéanti! Si tu peux me séduire à ce point, que je me plaise à moi-même; si tu peux m'endormir au sein des jouissances que ce soit pour moi le dernier jour! Je t'offre la gageure.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Top!

FAUST

Et troc pour troc! Oui, si dès ce jour je m'écrie «Reste, reste, que tu es beau!» tu peux alors me charger de liens, alors je consens à m'engloutir, alors la cloche des morts peut se faire entendre, alors tu es affranchi de ton service… Que mon heure sonne, que le cadran tombe en poussière, qu'il n'y ait plus de temps pour moi!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Penses-y bien, nous ne l'oublierons pas.

FAUST

Tu en as le droit incontestable, je ne me suis pas engagé témérairement. Aussi bien, puisque je dois être esclave, que m'importe le nom de mon maître? Joug pour joug, autant vaut le tien.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je remplirai donc dès aujourd'hui mes fonctions de valet, à la table de mon Docteur. Un mot seulement: c'est à la vie et à la mort, pourvu qu'on me remette une couple de lignes.

FAUST

Quoi! pédant, tu demandes un écrit! Ne connais-tu donc pas l'homme encore? Ne connais-tu pas le prix de sa parole? N'est-ce point assez, que la mienne ait irrévocablement disposé de mes jours? Le monde n'est-il pas dans un flux perpétuel? Et quelques mots d'écrit m'obligeraient davantage!.. C'est pourtant à une pareille chimère que notre âme se laisse entraîner qui oserait s'en affranchir? Heureux celui qui garde fidèlement sa parole en son cœur! nul sacrifice ne lui coûte. Mais un parchemin écrit et scellé est un fantôme, qui épouvante tout le monde; un serment n'a de valeur qu'autant que la plume l'a tracé, et l'on mène la foule avec un peu de cire et quatre doigts de peau… Que veux-tu de moi, malin Esprit? marbre, airain, parchemin, papier? Dois-je écrire avec un style, un burin, une plume? Je t'en laisse le choix.

MÉPHISTOPHÉLÈS

À quel propos cet emportement ce torrent d'éloquence? Il suffit d'une petite feuille de quoi que ce soit. Et tu auras soin, pour signer ton nom, de te tirer une goutte de sang12.

FAUST

Si cela te fait grand plaisir, on peut jouer cette comédie.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Le sang est un suc tout particulier.

FAUST

N'aie pas peur que je viole ce traité! L'accomplissement de ce que je promettrai, t'est garanti par les efforts de ma vie entière. Je me suis trop enflé; force est maintenant que je crève ou que je t'appartienne. Le grand Esprit m'a repoussé avec dédain, la nature s'est fermée devant moi, le fil de ma pensée a été rompu, je suis dégoûté de toute science… Ouvre donc les abîmes de ma sensualité; et que les ardentes passions, qui y fermentent, s'apaisent! Que tes enchantements jettent sur le monde un voile impénétrable, et préparent leurs miracles! Que je me précipite en aveugle, à travers le murmure des siècles, sur les vagues tremblantes du destin; et qu'en moi la douleur et le plaisir, le bonheur et l'infortune, se succèdent l'un à l'autre comme il plaira au hasard. Il n'est qu'une loi fixe, celle qui contraint l'homme à s'occuper sans relâche.

MÉPHISTOPHÉLÈS

On ne vous assigne aucune limite, aucun but ne vous est proposé. Goûtez un peu de tout, attrapez au vol ce que vous pourrez, arrangez-vous de ce qui vous amusera. Allons, point de faiblesse attachez-vous à moi.

 
FAUST

Tu sais trop bien qu'il ne s'agit pas ici d'amusement. Je me livre au tourbillon qui produit le vertige, je cherche la jouissance au sein de la douleur, l'amour dans la haine, la paix dans le chagrin. Mon cœur, guéri de la manie du savoir, ne doit plus désormais se fermer à aucune souffrance; tout ce qui est départi à l'humanité, je veux l'éprouver dans le plus intime de mon être; je veux, avec le secours de mon esprit, atteindre à ce qu'il y a en elle de plus hauts de plus profond; je veux accumuler dans mon sein tout ce qu'elle enferme de bien et de mal; m'élargissant ainsi par degrés, je veux confondre ma propre existence dans la sienne, et, me perdant enfin comme elle, échouer au même écueil.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je te proteste (et tu peux m'en croire, moi qui ai passé plusieurs milliers d'années à mâcher un aliment si dur), je te proteste que, depuis le berceau jusqu'à la bière, l'homme ne saurait digérer ce vieux levain. Crois-en l'un de nous, l'univers n'est fait que pour un Dieu. Il s'y contemple dans l'éclat d'une éternelle lumière: nous, il nous a créés pour les ténèbres; et pour vous le jour vaut la nuit, la nuit vaut le jour.

FAUST

Mais je le veux!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Voilà parler, cela s'entend. Néanmoins, je l'avoue, un point m'embarrasse: le temps est court, l'art est long et j'imagine que vous feriez bien mieux de m'écouter. Associez-vous avec un poète; laissez-le se livrer aux écarts de son imagination, et entasser sur votre tête tout ce qu'il y a de nobles qualités et de sentiments honorables, le courage du lion et la vitesse du cerf, le sang bouillant de l'Italien et la persévérance de l'homme du Nord; qu'il trouve le secret d'allier en vous la grandeur d'âme à l'astuce et de vous douer au déclin de l'âge des passions brûlantes de la jeunesse: j'aurais plaisir à connaître un pareil original, je l'appellerais monsieur Microcosme13.

FAUST

Et que suis-je donc, s'il ne m'est pas possible d'atteindre à cette couronne de l'humanité, objet continuel de tous mes désirs?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Tu es, après tout… ce que tu es. Mets sur ta tête une perruque où les boucles flottent par millions, chausse tes pieds de brodequins hauts d'une coudée; tu n'en resteras pas moins ce que tu es.

FAUST

Je le sens bien, vainement me suis-je approprié tous les trésors de l'esprit humain; au bout de mes longs travaux, nulle énergie nouvelle ne s'est manifestée au-dedans de moi, je n'ai pas grandi de l'épaisseur d'un cheveu, je ne suis pas plus près de l'infini.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Mon bon monsieur, vous voyez les choses précisément comme tout le monde les voit. Il faut vous y prendre un peu mieux, avant que la vie vous échappe. Que diantre! tes mains et tes pieds, ta tête et ton c… sont bien à toi; mais ce dont je me sers pour la première fois, en est-ce pour cela moins à moi? Si l'on met dans mon écurie six chevaux, leurs forces ne seront-elles pas les miennes? Je les monte, et me voilà comme si j'avais vingt-quatre jambes. Courage donc, plus de vaines rêveries, et en route avec moi dans ce monde! En vérité, je te le dis, un homme qui spécule est comme un animal qu'un Esprit malin ferait tournoyer sur d'arides bruyères, tandis qu'à quelques pas de lui s'étendraient de beaux pâturages verdoyants.

FAUST

Par où commençons-nous?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Nous partons à l'instant même. Qu'est-ce que ce cabinet, sinon un lieu de torture? Et appellerait-on vivre, s'ennuyer soi et les marmots qu'on instruit? Laisse un pareil métier à ton voisin Richepanse! Pourquoi te tourmenter à battre cette paille vide? Le meilleur de ce que tu peux savoir, tu n'oserais le dire à tes élèves… Ah! j'en entends un marcher dans l'avenue.

FAUST

Il ne m'est pas possible de le voir.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Le pauvre garçon attend depuis long-temps, on ne saurait en conscience le renvoyer comme il est venu. Donne-moi ta robe et ton bonnet, ce costume me siéra merveilleusement (il s'habille). Tu peux t'en fier à mon savoir; je ne demande qu'un petit quart-d'heure. Pendant ce temps-là, fais tes apprêts pour notre agréable voyage.

(Faust sort.)

MÉPHISTOPHÉLÈS dans les longs habits de Faust

Oui, oui, méprise bien la raison et la science, dédaigne l'énergie suprême de l'homme, laisse-toi prendre aux séductions enchanteresses de l'Esprit de mensonge; tu es à moi sans conditions. Le sort l'a livré à un Génie indomptable, qui ne recule jamais, et dont l'élan rapide a bientôt traversé les plaisirs de la terre. Une minute de plus, et je le traîne sans pitié dans les arides déserts de la vie, je ne lui fais pas grâce d'une seule misère: il se débattra, il me saisira, il se roidira contre moi; pour son supplice, il y aura des mets délicats et des boissons rafraîchissantes, qui se balanceront devant ses lèvres avides sans les toucher jamais; il implorera du soulagement, mais en vain. Et, quand même il ne se serait pas donné au Diable, son âme n'en périrait pas moins.

(Entre UN ÉCOLIER.)

L'ÉCOLIER

Je ne suis en ces lieux que depuis peu de temps; et, tout rempli de soumission, je m'empresse de venir parler et me recommander à un homme, dont le nom n'est prononcé qu'avec respect par tout le monde.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Votre civilité me rend confus! Vous voyez en moi un homme comme bien d'autres. Avez-vous déjà fait des études?

L'ÉCOLIER

Je vous en prie, chargez-vous de moi. J'arrive avec toute sorte de bonne volonté, quelqu'argent et un sang frais. C'est avec peine que ma mère a consenti à mon éloignement, et je voudrais au moins en profiter pour apprendre quelque chose d'utile.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Vous êtes justement au bon endroit.

L'ÉCOLIER

Eh bien, je voudrais déjà m'en retourner. Entre ces murs noircis, dans ces salles remplies de monde, je ne me plais pas le moindrement; c'est un espace si étranglé! On n'y voit rien de vert, pas un seul petit arbre… Au fond de ces salles, sur ces bancs, je perds la faculté d'entendre, de voir et de penser.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Tout dépend de l'habitude: c'est ainsi qu'un enfant répugne d'abord à prendre le sein de sa mère, puis finit par trouver excellent le lait qu'il contient. Il en sera de même du lait de la sagesse, vous mettrez tous les jours plus d'ardeur à vous en nourrir.

L'ÉCOLIER

Vous me rendez la vie. Mais, dites-moi comment il faut m'y prendre.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Expliquez-vous, avant d'aller plus loin, sur la Faculté que vous choisissez.

L'ÉCOLIER

Je voudrais devenir aussi savant que possible, et serais aise de comprendre tout ce qu'il y a sur la terre et dans le ciel, la science et la nature.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Vous êtes sur la bonne voie, mais prenez garde de vous laisser distraire.

L'ÉCOLIER

J'y suis corps et âme. Cependant, j'avoue que je voudrais me ménager un peu de liberté et de bon temps aux jours de fête durant l'été.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Employez le temps, il passe si vite! D'ailleurs, avec de l'ordre, vous en gagnerez beaucoup. Mon cher ami, je vous conseille d'abord pour cela le cours de logique. Là, on vous dressera l'esprit comme il faut, on vous le chaussera de bottes espagnoles bien lourdes, pour qu'il suive en esclave le droit chemin de la pensée, et n'aille point, comme un feu follet, se promener en zig zag dans les espaces imaginaires. Puis on passera des journées à vous apprendre que, pour les opérations les plus simples, pour des opérations qui ne vous ont jamais demandé qu'un clin-d'œil, comme de boire et de manger, un, deux, trois, est indispensable. Et effectivement, la fabrique des pensées ressemble tout-à-fait à un métier de tisserand, où une impulsion du pied suffit pour ébranler un millier de fils, où la navette va et revient sans cesse, où les fils s'entrelacent inaperçus, où mille liens se forment d'un seul coup. Le philosophe, lui, monte en chaire, et vous démontre que le premier doit être cela, le second cela, et, partant, le troisième et le quatrième cela; et que, sans le premier et le second, le troisième et le quatrième n'existeraient pas. Ce raisonnement est familier aux étudiants de tous les pays, mais pas un d'eux n'est devenu tisserand. Veut-on reconnaître et décrire quelque chose de vivant, on commence par chasser l'intelligence: alors on a bien entre les mains tous les matériaux, mais hélas! il ne manque que le lien intellectuel. La chimie l'appelle encheiresin naturæ, et, sans le savoir, se moque ainsi d'elle-même.

L'ÉCOLIER

Je ne vous comprends pas entièrement.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Vous serez bientôt au fait; cela ira beaucoup mieux, quand vous aurez appris à tout résumer et classer convenablement.

L'ÉCOLIER

Je suis si abasourdi de tout ce que vous venez de dire, qu'il me semble que j'ai une roue de moulin dans la tête.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Et puis il faut, sur toutes choses, vous adonner à la métaphysique. Mettez le plus grand soin à cette étude, scrutez profondément ce qui ne cadre point avec le cerveau de l'homme; et, que la chose s'y trouve ou ne s'y trouve pas, faites toujours en sorte d'avoir à votre service un mot pompeux. Mais commencez par vous prescrire, pour cette demi-année, une règle invariable. Vous avez cinq heures de leçons par jour: ne manquez pas de vous rendre à l'auditoire au coup de la cloche, et n'y allez jamais qu'après vous être bien préparé, après avoir bien étudié les paragraphes: afin d'être d'autant plus à même de voir qu'il ne s'y dit rien qui ne soit dans le livre. Et néanmoins, ne laissez pas d'écrire comme si le Saint-Esprit lui-même vous dictait.

L'ÉCOLIER

Vous n'aurez pas besoin de me le répéter deux fois! Je sais par expérience combien cette méthode est utile; car enfin, quand on rentre chez soi avec du noir sur du blanc, on tient déjà quelque chose.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Mais choisissez-moi donc une Faculté!

L'ÉCOLIER

La jurisprudence me répugne.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je ne puis trop vous en blâmer, lorsque je réfléchis à l'objet de cette science. On y voit se succéder les lois politiques et les droits civils, comme une éternelle maladie; ils passent de génération en génération, ils se traînent sourdement d'un lieu à un autre, et par eux la raison devient folie, le bienfait se change en tourment. Tu descends de tes aïeux? malheur à toi! Car, hélas des droits qui sont nés avec nous il n'en est jamais question.

L'ÉCOLIER

Vous avez encore augmenté ma répugnance. Oh! quel bonheur d'être instruit par vous! J'aurais presqu'envie d'étudier la théologie.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je désirerais ne point vous égarer; or, dans ce qui regarde cette science, il est si difficile d'éviter la fausse route le poison qui s'y cache est tellement subtil, et l'on a tant de peine à le distinguer du remède! Là encore, ce que vous avez de mieux à faire si vous suivez les leçons de quelqu'un c'est de jurer sur la parole du maître. Au total… tenez-vous en aux mots; vous êtes sûr alors d'entrer, par la grande porte, au temple de la vérité.

L'ÉCOLIER

Dans un mot, il doit pourtant toujours y avoir une idée.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Sans doute, mais il ne faut pas s'en trop tourmenter; car, lorsque l'idée manque, le mot vient à propos pour y suppléer. Avec des mots l'on discute fort bien, avec des mots l'on bâtit un système, on peut sur des mots fonder une croyance; rien de positif comme un mot, on n'en ôterait pas un iota.

L'ÉCOLIER

Pardon si je me rends importun mais il me reste une question à vous faire. Ne voulez-vous pas me dire aussi quelque chose de la médecine? Trois ans, c'est bien peu de temps; et, bon Dieu! le champ est si vaste! Il suffirait d'un léger signe de la main, pour me mettre ensuite en état de marcher seul.

 
MÉPHISTOPHÉLÈS à part

Je suis las du ton doctoral, reprenons notre rôle de Diable. (Haut.) Rien de plus facile à saisir que l'esprit de la médecine: vous étudiez la nature et l'homme, pour finir par les laisser aller comme il plaît à Dieu. Il est superflu de courir après la science, chacun n'apprenant que ce qu'il peut apprendre; mais celui qui sait mettre à profit l'occasion, c'est là l'habile homme. Vous êtes assez bien bâti, vous ne manquez pas non plus d'une certaine assurance; or, dès l'instant que vous avez une bonne dose de confiance en vous-même, vous en inspirez nécessairement aux autres. Surtout, sachez conduire les femmes: c'est leur mélancolie, leur éternel hélas, caché sous tant de simagrées, auquel il faut appliquer un traitement uniforme; et, pourvu que vous gardiez avec elles un décorum à demi décent, vous les aurez toutes dans votre manche. Deux mots suffisent pour les convaincre de la supériorité de votre art sur tous les autres arts: choisissez-les bien, et dès l'abord vous vous permettez avec elles mille choses, qu'un autre hasarderait à peine après plusieurs années d'assiduités. Ne manquez pas de leur tâter souvent le pouls; puis, en accompagnant votre geste d'un coup-d'œil vif et pénétrant, parcourez de la main leur taille svelte, comme pour voir si les hanches sont bien assises.

L'ÉCOLIER

Cela se voit d'ici, on voit bien où en venir.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Toute théorie est sèche, mon bon ami, et l'arbre de la vie est fleuri.

L'ÉCOLIER

Je vous jure que je crois rêver. Oserai-je venir vous importuner encore une fois, pour vous entendre, avec votre éminente sagesse, traiter à fond toutes ces matières.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Ne doutez pas que je ne fasse pour vous ce qui dépendra de moi.

L'ÉCOLIER

Je n'oserais cependant revenir, sans vous avoir présenté auparavant mon album. M'accorderez-vous l'insigne faveur…

MÉPHISTOPHÉLÈS

Très-volontiers.

(Il écrit, et lui rend l'album.)

L'ÉCOLIER lit

Eritis sicut Deus, scientes bonum et malum 14.

(Il s'incline respectueusement et se retire.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Suis cette vieille sentence de mon cousin le serpent. Va, tu ne tarderas pas à douter de ta ressemblance divine.

(Entre FAUST.)

FAUST

Hé bien, où allons-nous maintenant?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Où il te plaira. Nous avons devant nous le grand et le petit monde. Quel plaisir, quelle utilité, tu retireras de ta course!

FAUST

Mais, par ma longue barbe, le savoir-vivre me manque entièrement. Cet essai ne me réussira point, je n'ai jamais su me tirer d'affaire dans le monde; en présence des autres je me sens si petit!.. Je serai toujours embarrassé.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Mon cher ami, tout cela s'acquiert. Un peu d'amour-propre, et tu sais vivre.

FAUST

Mais comment sortir de la maison? Où prendre des chevaux, un carrosse, des domestiques?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Tu vois ce manteau: nous n'avons qu'à le jeter sur nous, il nous portera à travers les airs. Pour ce hardi voyage, tu ne prends pas un gros bagage avec toi. Un peu d'air inflammable, que je vais préparer nous enlèvera de terre; et comme nous ne sommes pas très-lourds, nous irons vite. Je te fais mon compliment de ton nouveau genre de vie.

CAVEAU D'AUERBACH À LEIPZIG
COMPAGNONS DE BOUTEILLE à table
FROSCH

Hé bien, personne ne rit, personne ne boit? Je vais vous apprendre, moi, à faire la moue! Vous qui êtes tout feu ordinairement, vous fumez aujourd'hui comme de la paille mouillée.

BRANDER

C'est ta faute, tu ne mets rien sur le tapis; pas une bêtise, pas une petite saleté.

FROSCH lui versant sur la tête un verre de vin

Tiens, les voici, l'une portant l'autre.

BRANDER

Double cochon!

FROSCH

Vous l'avez voulu!

SIEBEL

À la porte les grognons! Allons, qu'on chante la ronde à plein gosier, qu'on boive et qu'on crie. Ho! holà! ho!

ALTMAYER

Miséricorde, je suis perdu! Vite, du coton! Le maraud me perce les oreilles.

SIEBEL

Quand la voûte résonne, on juge mieux du volume de la basse.

FROSCH

C'est juste. Hors d'ici qui se fâche! A! tara lara da!

ALTMAYER

A! tara lara da!

FROSCH

Les gosiers sont d'accord.

(Il chante.)

 
Le saint empire des Romains,
Eh! d'où vient donc qu'il dure encore?
 
BRANDER

Fi, la vilaine chanson! une chanson politique! la misérable chanson! Rendez grâce à Dieu, tous les matins, de ce que vous n'avez point à vous occuper de l'empire romain. Pour moi, je m'estime souverainement heureux de n'être, ni empereur, ni chancelier. Cependant, comme il ne faut pas se laisser manquer de chef, nous allons élire un pape. Vous savez quelle qualité fait pencher la balance, et place un homme sur le trône pontifical?

FROSCH chante
 
Ça, levez-vous, madame Rossignol,
Et poliment saluez ma maîtresse.
 
SIEBEL

Pas de politesse à ta maîtresse! Je ne veux rien entendre de cela.

FROSCH

À ma maîtresse politesse et caresse! Tu ne m'en empêcheras pas.

(Il chante.)

 
Il est minuit. Dors-tu, ma belle?
Ouvre ta porte, il est minuit.
À ta porte ton amant gèle;
Il est tard, ouvre-la sans bruit.
 
SIEBEL

Oui, oui, chante, chante bien ses louanges! Tu ne seras pas le seul à rire; j'aurai aussi mon temps, moi: elle m'a trahi, elle te trahira de même. Qu'un lutin en devienne amoureux, il pourra s'amuser d'elle dans un carrefour; un bouc, en revenant du Blocksberg15, pourra galoper après elle, et lui souhaiter en bêlant une bonne nuit. Mais un brave garçon, un homme de la vraie pâte, comme nous, c'est trop bon pour une pareille créature. Toute la politesse que je veux qu'on lui fasse, c'est de lui casser ses vitres!

BRANDER frappant sur la table

Attention, attention! Écoutez-moi, et confessez, messieurs, que je sais vivre: il y a ici des gens amoureux; or, d'après les usages, je dois, pour la bonne nuit, les régaler d'un joli plat de mon métier. Prêtez l'oreille, c'est une chanson de nouvelle fabrique, et entonnez avec moi le refrain de toute la force de vos poumons.

(Il chante.)

 
Un rat vivait, non d'abstinence,
En une office, où le frater
De tant de lard emplit sa panse,
Qu'on l'eût pris pour le gros Luther.
Mais dans son trou la cuisinière
Mit du poison; tant que dehors.
On vit sauter le pauvre hère,
Comme s'il eût l'Amour au corps.
 
CHŒUR avec acclamation

Comme s'il eût l'Amour au corps.

BRANDER
 
Par monts, par vaux, courant en nage,
À tous les ruisseaux il buvait;
Il grattait, mordait faisait rage
La rage de rien ne servait.
Vingt fois il s'élança de terre,
Et vingt fois, épuisé d'efforts,
Il se roula dans la poussière,
Comme s'il eût l'Amour au corps.
 
CHŒUR
 
Comme s'il eût l'Amour au corps.
 
BRANDER
 
Pour dernier tour, à la cuisine
Hors de lui-même il se sauva,
Prit le feu pour de la farine,
Et piteusement y creva.
L'empoisonneuse à pleine gorge
Se prit à rire, et sans remords:
«Ah dit-elle, quel feu de forge!
«Il a parbleu l'Amour au corps.»
 
CHŒUR
 
«Il a parbleu l'Amour au corps.»
 
SIEBEL

Comme ils se réjouissent ces plats drôles! Voilà en vérité un beau chef-d'œuvre, l'empoisonnement d'un pauvre rat!

BRANDER

Ils te tiennent donc de bien près?

ALTMAYER

Oui, avec son gros ventre et sa tête pelée! Le malheur le rend compatissant, et dans ce rat crevé il voit son portrait au naturel.

(Entrent FAUST et MÉPHISTOPHÉLÈS.)

Il faut avant tout que je t'introduise au milieu d'une troupe de bons vivants, afin que tu voies comme aisément on s'étourdit. Pour ces gens-ci, pas un jour qui ne soit une fête avec peu d'esprit et beaucoup de laisser-aller, tous, dans le cercle étroit de leurs folies, pirouettent comme de jeunes chats qui jouent avec leur queue. Tant qu'ils n'ont pas mal à la tête et que l'aubergiste veut bien leur faire crédit, ils sont contents et libres de tout ennui.

BRANDER

Voici de frais débarqués, il est aisé de s'en apercevoir à leur mise extraordinaire. Je parierais qu'il n'y a pas une heure qu'ils sont en ville.

FROSCH

Effectivement, tu as raison. Ah! parlez-moi de Leipzig; c'est un petit Paris, et cela vous forme son monde.

SIEBEL

D'où penses-tu que viennent ces deux étrangers?

FROSCH

Laisse-moi faire; avec une rasade j'aurai satisfaction de ces drôles, et leur tirerai les vers du nez comme une dent de lait. Je les croirais de bonne maison, ils ont l'air triste et dédaigneux.

BRANDER

Moi, je parie que ce sont des charlatans.

ALTMAYER

Peut-être.

FROSCH

Tais-toi, tais-toi, que je m'amuse à leurs dépens.

MÉPHISTOPHÉLÈS à Faust

Les petites gens n'éventeraient pas le Diable, quand celui-ci les tiendrait à la gorge.

FAUST

Nous vous saluons, messieurs.

SIEBEL

Grand merci de la politesse. (Bas, regardant de travers Méphistophélès). Qu'a donc ce drôle-ci, pour marcher à cloche-pied?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Nous serait-il permis de nous asseoir à votre table? À défaut d'un verre de bon vin, que l'on ne peut se procurer ici, votre société sera une récréation pour nous.

ALTMAYER

Vous m'avez l'air d'un homme furieusement gâté.

FROSCH

Vous êtes parti tard de Rippach? Avez-vous soupé ce soir avec Monsieur Jean16?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Nous ne nous sommes point arrêtés chez lui aujourd'hui mais la dernière fois nous lui parlâmes, et il eut mille choses à nous raconter de ses cousins, nous chargea de mille amitiés pour chacun d'eux.

(Il s'incline vers Frosch.)

ALTMAYER bas

Te voilà pris. Il s'y entend.

SIEBEL

C'est un fin matois!

FROSCH

Attends, attends, voilà déjà que je le tiens!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Si je ne me trompe, nous venons d'entendre un chœur de voix exercées? En effet, le chant doit résonner admirablement sous ces voûtes.

FROSCH

Seriez-vous un virtuose, par hasard?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Oh non, mon talent est peu de chose mais j'ai bonne volonté.

ALTMAYER

Chantez-nous une chanson.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Mille, si vous voulez.

SIEBEL

Mais aussi, un morceau tout battant neuf.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Justement nous revenons d'Espagne, le pays du vin et des chansons.

(Il chante.)

Advint que chez un prince

 
Une puce logeait.
 
FROSCH

Écoutez bien! Une puce! Avez-vous compris cela? Une puce est, à mon sens, un hôte fort incommode.

MÉPHISTOPHÉLÈS chante
 
Advint que chez un prince
Une puce logeait.
D'une faveur peu mince
Le roi la protégeait.
Par son tailleur en titre,
Au gentil damoiseau,
Il fit faire une large mitre,
Une culotte, un habit, un manteau.
 
BRANDER

Mais n'oubliez pas d'enjoindre au tailleur qu'il prenne la mesure très-exactement; et que, pour peu qu'il tienne à sa tête, il se garde de laisser faire à la culotte le moindre pli.

MÉPHISTOPHÉLÈS
 
De velours et de soie
Le voilà donc couvert,
Qui tout fier se déploie
Dans son justaucorps vert.
La sainte croix y brille
Et, ministre du jour,
Tous ceux de sa noble famille,
En bon parent il les place à la cour.
 
 
Les seigneurs et les dames
S'irritent vainement.
Pour la reine et ses femmes,
Juste Dieu, quel tourment!
Être mordu sans cesse,
Ne se gratter jamais.
Nous, quand une puce nous blesse,
Nous l'écrasons sans forme de procès.
 
CHŒUR avec acclamation,
 
Nous, quand une puce nous blesse,
Nous l'écrasons sans forme de procès.
 
FROSCH

Bravo, bravo! C'était superbe.

12«Fauste prit un couteau pointu, se piqua une veine en la main gauche, reçut son sang sur une tuile, y mit des charbons tout chauds, et écrivit son pacte avec le Diable.» (Ibid., Part. I, Chap. 8 et 9.)
13Petit monde, ou mieux, abrégé du monde, monde en miniature.
14Vous serez comme Dieu, sachant le bien et le mal. (Genèse, Chap. III, Vers. 5.)
15Montagne aux environs de Goettingue, la plus haute de la chaîne du Harz.
16Il faut croire que Rippach et monsieur Jean sont deux noms en l'air, dont Frosch se sert pour dérouter Méphistophélès et se moquer de lui.