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Faust

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Faust
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Czyta Luana Maranz
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PREMIER ÉCOLIER

Non, camarade, non; je n'aime point à être gêné. Vite! que nous ne perdions pas notre gibier. La main qui tient le balai samedi, c'est encore celle qui dimanche te caressera le mieux.

PREMIER BOURGEOIS

Non, vous dis-je, le nouveau bourgmestre ne me plaît nullement: à présent qu'il est en place, il devient tous les jours plus fier. Et que fait-il donc pour la ville? Cela ne va-t-il pas de mal en pis? Il faut obéir plus strictement que jamais, et payer plus qu'en aucun temps.

UN MENDIANT chante
 
Mes bons messieurs, mes belles dames,
Si brillants, si bien ajustés,
À ma détresse ouvrez vos âmes,
Soulagez mes infirmités.
Donner, rend l'âme satisfaite.
Ah! répondez à ma chanson!
Que, pour le pauvre, cette fête
Soit un jour de riche moisson.
 
SECOND BOURGEOIS

Je ne connais pas de plus grand plaisir, les dimanches et les jours de fêtes, que de parler guerre et batailles. Pendant que loin de vous, dans la Turquie, les peuples en viennent aux mains et s'échinent d'importance, vous êtes tranquillement à votre fenêtre, à boire votre petit verre et à regarder le long de la rivière filer les bateaux; puis vous rentrez le soir chez vous, gai comme pinson et bénissant le ciel des temps de paix qu'il vous accorde.

TROISIÈME BOURGEOIS

Mon cher voisin, je vous en offre autant. Qu'ils se fendent le crâne, et que tout aille sens dessus dessous chez eux je m'en moque, pourvu qu'à la maison les choses demeurent comme ci-devant.

UNE VIEILLE aux demoiselles

Voyez donc un peu, quelle toilette! Ce jeune sang pétille de gentillesse. Qui est-ce qui ne deviendrait fou, en vous regardant?.. Pas de fierté, là, tout doux! Dites-moi ce que vous souhaitez, je saurai vous le procurer.

PREMIÈRE DEMOISELLE

Viens, viens, Agathe! Prenons garde qu'on ne nous aperçoive avec une pareille sorcière… Elle me fit pourtant voir, à la Saint-André, mon futur mari en personne.

SECONDE DEMOISELLE

Moi, elle me le fit voir à travers un cristal en uniforme, avec d'autres militaires. Eh bien, j'ai beau regarder autour de moi, j'ai beau chercher partout; il ne veut pas se montrer.

SOLDATS chantant
 
Bourgades munies
De créneaux, remparts!
Fillettes jolies, Aux malins regards!
Vers vous je m'élance,
Et monte à l'assaut.
La peine est immense,
Mais le prix la vaut.
 
 
D'une ardeur guerrière
On nous voit courir,
Pour jouir et plaire,
Comme pour mourir.
Chaudes escalades!
Moments courts et doux!
Filles et bourgades
Se rendent à nous.
La peine est immense,
Mais le prix la vaut;
Et qui porte lance
Le gagne bientôt.
 
FAUST et WAGNER
FAUST

Les glaçons ne retiennent plus captive l'eau des ruisseaux et des torrents; au léger souffle du printemps, la terre s'amollit, les vallées reverdissent, l'espérance renaît. Le vieil hiver s'en va cacher sa décrépitude sur les sommets escarpés des montagnes. Là, vainement il s'entoure de neiges et de frimats; le morne coup-d'œil, qu'il jette en fuyant sur le gazon des prairies, est une arme impuissante; le soleil ne souffre rien de blanc sous ses rayons. Partout le mouvement, partout la vie; il embellit, il colore toutes choses. On n'aperçoit pas encore de fleurs dans la campagne: prendrait-il pour des fleurs tous ces hommes chamarrés? Mais détournons nos regards de ces collines, et voyons ce qui se passe du côté de la ville. Hors des portes obscures et profondes se pousse une multitude de gens diversement vêtus. Avec quel empressement chacun court aujourd'hui se réchauffer aux rayons du soleil! Ils fêtent bien la résurrection du Seigneur, car ils sont eux-mêmes ressuscités: échappés aux sombres appartements de leurs maisons basses, aux liens de leurs habitudes vulgaires et de leurs vils trafics, aux toits et aux plafonds qui les écrasent, à leurs rues sales et étranglées, aux ténèbres mystérieuses de leurs églises; tous, ils renaissent à la lumière. Vois donc, avec quelle précipitation la foule se disperse dans les jardins et dans les campagnes. Vois, que de barques joyeuses descendent et remontent le fleuve en tous sens… et cette dernière qui suit le fil de l'eau, chargée à couler bas! Il n'est pas jusqu'aux sentiers lointains de la montagne, qui ne brillent de l'éclat des vêtements. Mon oreille distingue déjà le bruit tumultueux du village: voilà le vrai paradis du peuple; grands et petits, tous bondissent de joie ici je me sens homme, ici j'ose l'être.

WAGNER

Monsieur le docteur, il est sans doute honorable et avantageux de se promener avec vous; mais je désirerais ne pas me mêler à ces villageois, attendu que je suis l'ennemi juré de tout ce qui sent la grossièreté. Les violons, les cris, les plaisirs bruyants de ces gens-là, me font un mal!.. Ils hurlent comme des damnés, et ils appellent cela s'amuser, ils appellent cela chanter!

PAYSANS sous la feuillée, dansant et chantant
 
Le berger quitte ses brebis,
Et, mettant ses plus beaux habits,
À la danse il s'apprête.
Sous le bois ils sont déjà tous,
Et dansent là comme des fous.
Ha! ha! ha! ha!
Landerira!
Ainsi dit la musette.
 
 
Dans le cercle il entre à grands pas,
Et brusquement heurte du bras
Une jeune fillette.
La belle se tourne aussitôt,
Disant «Prenez-le un peu moins haut;
Ha! ha! ha! ha!
Landerira!
Voyez ce malhonnête!»
 
 
Cependant vingt couples dansaient:
À droite, à gauche ils se lançaient,
Robes volaient en tête,
Tous les fronts étaient enflammées,
L'un sur l'autre ils tombaient pâmés.
Ha! ha! ha! ha!
Landerira!
Quel chaos! Quelle fête
 
 
«Monsieur, point de ces privautés!
– Fi! point d'épouse à mes côtés!
Mieux vaut une grisette.»
Puis, à part la tirant un brin…
La danse allait toujours son train,
Ha! ha! ha! ha!
Landerira!
Les chants et la musette.
 
UN VIEUX PAYSAN

C'est beau de votre part, monsieur le docteur, de ne pas rougir de nous aujourd'hui, et de venir, savant comme vous l'êtes, vous mêler à la foule du peuple. Prenez cette jolie cruche, que nous avons emplie de boisson fraîche, et buvez un coup: je vous l'offre de grand cœur, et je souhaite, non seulement qu'elle vous ôte la soif, mais encore que toutes les gouttes qui y sont s'ajoutent à vos jours.

FAUST

J'accepte votre offre et vos vœux, en vous en remerciant mille fois, et je vous souhaite à tous une bonne santé.

(Le peuple se range en cercle autour d'eux.)

LE VIEUX PAYSAN

Assurément, vous faites bien de reparaître chez nous un jour de fête: dans quels mauvais jours vous nous avez visités autrefois! Il y en a ici plus d'un, que votre père arracha aux griffes de la fièvre chaude, dans le temps qu'il mit fin à la contagion6. Et vous, qui n'étiez qu'un jeune homme dans ce temps-là, vous alliez partout où il y avait des malades: on emportait maint cadavre hors des maisons; mais vous, vous en sortiez toujours sain et sauf. Vous avez été mis à de rudes épreuves. L'homme qui secourait ses semblables, Celui qui est là-haut l'a secouru à son tour.

TOUS

Vive l'homme courageux! Qu'il puisse faire du bien long-temps encore.

FAUST

Prosternez-vous devant Celui qui est là-haut: lui seul enseigne à faire du bien, lui seul est la source de tout bien.

(Il poursuit son chemin avec Wagner.)

WAGNER

O grand homme! quel plaisir ce doit être pour toi, de te voir ainsi honoré par tout ce peuple! Heureux qui peut retirer un pareil avantage de ses qualités naturelles! Le père te montre à son enfant, chacun interroge la foule, chacun court et se presse autour de toi les violons se taisent, la danse s'arrête. Fais-tu un pas en avant; ils forment une haie, les chapeaux volent en l'air, et peu s'en faut qu'ils ne s'agenouillent, comme si le Saint-Sacrement passait.

FAUST

Encore quelques pas jusqu'à cette pierre, et nous nous reposerons de notre longue promenade. Là, bien souvent je me suis assis, seul, absorbé dans la méditation, exténué de jeûnes et de prières. Riche d'espoir, ferme dans ma croyance, je pensais, à force de larmes, de soupirs, de convulsions, obtenir la fin de cette contagion du Maître des cieux… Et maintenant les suffrages de ce peuple sonnent à mon oreille, comme ferait l'ironie la plus amère. Ah! si tu pouvais lire dans mon cœur combien peu le père et le fils méritent une telle gloire! Mon père était un honnête homme borné, qui avait la manie de réfléchir sur la nature et ses forces cachées ce qu'il faisait de bien bonne foi, mais à sa manière. Dans la compagnie de quelques adeptes, il s'enfermait au fond d'un obscur laboratoire; et, d'après certaines recettes, il amalgamait les contraires. C'était un lion rouge, amant tant soit peu sauvage, qu'il mariait dans un bain tiède au lis sans tache; après quoi il les plaçait tous les deux dans un four chaud, puis les transvasait sans cesse d'une capsule dans l'autre. Alors paraissait dans un verre la jeune reine nuancée de mille couleurs7; on administrait la médecine, les patients mouraient, et nul ne demandait: «Qui a guéri?» C'est ainsi que, dans ces vallées et sur ces montagnes, distribuant nos élixirs infernaux, nous avons lutté de fureurs avec la contagion. J'ai moi-même présenté le poison à des milliers d'hommes: ils ont passé; et moi je survis, pour qu'on adresse éloge sur éloge à leur téméraire assassin.

 
WAGNER

Comment cela peut-il vous tourmenter? Un honnête homme n'a-t-il pas fait tout ce qu'on doit attendre de lui, quand il a exercé ponctuellement et consciencieusement l'art qui lui a été enseigné? Jeune homme, si tu honores ton père, tu te plairas à recevoir ses enseignements; homme, si tu fais faire à la science quelques pas, ton fils pourra aspirer à de plus hautes conceptions encore.

FAUST

Heureux qui peut conserver l'espérance de surnager sur cet océan d'erreurs! L'homme passe sa vie à user de ce qu'il ne sait point, et à ne pouvoir user de ce qu'il sait… Mais chassons ces tristes idées; qu'elles ne viennent pas troubler le calme heureux de si belles heures! Regarde, comme au loin sur la pelouse les cabanes étincellent aux lueurs ardentes du couchant. Le soleil penche et s'éteint, le jour expire; mais il se hâte d'aller éclairer d'autres contrées, et d'y porter une nouvelle vie. Oh! que n'ai-je des ailes, pour m'enlever dans les airs et suivre cet astre le long de sa carrière, que rien n'interrompt jamais! Je verrais, dans un éternel crépuscule, se balancer le monde à mes pieds; je verrais s'enflammer toutes les hauteurs, toutes les vallées s'obscurcir, et tous les torrents changer en vagues d'or leurs vagues argentées… En vain la montagne oppose à ma course ses défilés sauvages: déjà mes yeux étonnés plongent sur la mer, elle ouvre devant moi ses golfes brûlants. Le Dieu semble-t-il vouloir disparaître; un second élan, et je poursuis ma route; je continue de boire à longs traits sa lumière éternelle, devant moi le jour, et la nuit derrière moi, le ciel au-dessus de ma tête et sous mes pieds les flots de l'océan… Charmant rêve, tant qu'il dure! Mais l'esprit a beau déployer ses ailes, le corps, hélas n'en a point à y ajouter. Et pourtant, il n'est personne qui n'ait senti battre son cœur, quand au-dessus de nous, perdue dans les espaces azurés, l'alouette nous envoie les éclats de son chant matinal; quand, par delà la cime des rochers couverts de sapins, l'aigle plane les ailes étendues; et quand la grue traverse les plaines et les mers, pour regagner les lieux qui l'ont vu naître.

WAGNER

J'eus souvent aussi, moi, mes instants de folie; mais de pareils désirs, je n'en éprouvai jamais. On est bientôt las des forêts et des prairies: non, je n'ai jamais eu envie de voler comme un oiseau. Les plaisirs de l'esprit nous transportent bien autrement, de livre en livre, de feuillet en feuillet cela embellit et réchauffe les nuits d'hiver; vous sentez courir comme une douce flamme dans tous vos membres, et vous n'avez pas plutôt déroulé un parchemin, que le ciel tout entier descend sur vous.

FAUST

Tu ne connais qu'un désir, et puisse l'autre te rester toujours étranger! Deux âmes, hélas! habitent en mon sein, dont l'une tend continuellement à se séparer de l'autre. L'une, vive et passionnée, participe du monde et s'y tient attachée au moyen des organes du corps; l'autre, ennemie des ténèbres, aspire à s'envoler dans les demeures de nos aïeux… S'il y a dans l'air des Esprits souverains et dépendants, qui tiennent le milieu entre la terre et le ciel, oh! qu'ils quittent leurs nuages d'or, et qu'ils me conduisent vers une nouvelle vie! Seulement, si j'avais un manteau enchanté qui pût me transporter sur des plages lointaines, je ne m'en déferais pas en échange des vêtements les plus précieux, je ne le donnerais pas pour le manteau d'un roi.

WAGNER

Hélas! n'appelez point la troupe des Esprits. Il est bien connu qu'elle fait sa ronde dans l'atmosphère, et ne cesse de tendre à l'homme toute sorte de pièges. Du nord il en vient, qui vous enfoncent dans la chair des dents aigües et une langue à triple dard. De l'est ils soufflent un air qui dessèche tout, et ils se nourrissent de vos poumons. Quand c'est le midi qui les envoie du fond du désert, ils amassent sur votre tête flamme sur flamme; et l'ouest en vomit un essaim, qui d'abord vous ravive, puis finit par vous engloutir, vous, les plaines et les moissons. Enclins au mal, ils écoutent volontiers; ils obéissent volontiers aussi, parce qu'ils aiment à tromper; ils se disent envoyés du ciel, et prennent une voix angélique quand ils mentent… Mais retirons-nous; le ciel devient obscur, l'air fraîchit, le brouillard tombe. C'est le soir qu'on commence à apprécier son chez soi. D'où vient que vous restez là immobile? qu'avez-vous à considérer? qu'est-ce donc qui peut attirer votre attention dans ce crépuscule?

FAUST

Ne vois-tu pas un chien noir rôder à travers les blés et les jachères?

WAGNER

Il y a déjà long-temps que je le vois rien de moins étonnant, ce me semble.

FAUST

Regarde-le bien! Pour qui prends-tu cet animal?

WAGNER

Pour un barbet, qui cherche la trace de son maître.

FAUST

Ne remarques-tu pas comme il décrit de longs spirales, et s'approche de nous de plus en plus? Et je me trompe fort, ou un trait de feu marque son passage.

WAGNER

Je ne vois rien, moi, qu'un barbet noir: peut-être avez-vous des éblouissements.

FAUST

Il me semble qu'il traîne à nos pieds de petits lacets, pour nous attacher.

WAGNER

Moi, je le vois sauter autour de nous, l'air craintif et embarrassé, parce qu'au lieu de son maître il trouve deux inconnus.

FAUST

Le cercle se resserre, il nous touche déjà.

WAGNER

Voyez; c'est bien un chien, et non pas un fantôme. Il grogne et n'ose vous aborder, il se couche sur le ventre, il remue la queue: toutes choses que les chiens ont coutume de faire.

FAUST

Accompagne-nous, viens ici, viens!

WAGNER

C'est un drôle d'animal! Vous vous tenez tranquille, il fait le beau; vous lui parlez, il court à vous: perdez quelque chose, il vous le rapportera, il se jettera dans l'eau après votre canne.

FAUST

Tu as raison; je ne vois rien qui indique un Esprit, et tout montre qu'il a été seulement bien dressé.

WAGNER

Un chien, quand il est bien dressé, n'est pas indigne de l'affection d'un honnête homme. Oui, il mérite vos bontés; c'est le meilleur écolier de nos étudiants.

(Ils rentrent dans la ville.)

CABINET D'ÉTUDE
FAUST entre, accompagné d'un barbet noir
FAUST

J'ai quitté les champs et les prairies, qu'enveloppe une nuit profonde. De secrets pressentiments m'agitent, et une sainte horreur m'avertit qu'au-dedans de moi veille la meilleure de mes deux âmes; les penchants grossiers sommeillent, et avec eux tous les orages qu'ils enfantent; j'éprouve un ardent amour des hommes, l'amour de Dieu me pénètre et me ravit.

Tiens-toi donc en repos, barbet! Ne cours donc pas çà et là dans la chambre. Que flaires-tu autour de la porte? Allons, couche-toi derrière le poêle; je te cède mon meilleur coussin. Puisque tout-à-l'heure, sur le chemin de la montagne, tu nous as divertis par tes tours et par tes bonds, sois le bien-venu chez moi; mais conduis-toi en hôte paisible.

Ah! dès qu'au fond de notre cellule étroite notre lampe recommence à luire en amie, aussitôt la lumière se répand dans notre sein, dans notre cœur qui se connaît lui-même; la raison élève de nouveau sa voix, et l'espérance renaît; on aspire à se retremper aux sources du torrent, à ces sources d'où jaillit la vie.

Ne grogne donc pas ainsi, barbet! Les accords célestes, qui remplissent maintenant mon âme tout entière, ne peuvent s'accorder avec les hurlements d'un animal. Nous sommes habitués à ce que les hommes tournent en ridicule ce qu'ils n'entendent pas, à ce qu'ils murmurent à la vue du bien et du beau, qui les gênent souvent: le chien en grognera-t-il à leur exemple?.. Mais hélas! avec les meilleures dispositions, je me sens déjà moins pur et moins satisfait. Pourquoi donc faut-il que le fleuve tarisse si tôt, et nous laisse en proie à une soif dévorante?.. Que de fois j'en ai fait la triste expérience! Néanmoins cette misère a son terme, nous apprenons enfin à évaluer à son juste prix ce qui sort des limites resserrées de la terre, nous aspirons à une révélation; révélation qui ne brille nulle part d'un éclat plus pur et plus digne de la majesté de Dieu, que dans le livre du Nouveau-Testament. Il me prend envie d'ouvrir le texte grec, et, m'abandonnant une fois à toute la candeur de mes sentiments, de traduire le saint original dans ma chère langue maternelle.

(Il ouvre un volume et se prépare.)

Il est écrit: Au commencement était la Parole. Me voici déjà arrêté! Qui viendra à mon secours? Il m'est tellement impossible de connaître la valeur de ce mot, la parole! Je dois le traduire autrement, si l'Esprit daigne m'éclairer. Il est écrit: Au commencement était l'Intelligence. Voyons, pesons bien cette première ligne; que notre plume ne se hâte pas trop: est-ce bien l'intelligence qui crée et conserve tout? Il devrait y avoir: Au commencement était la Puissance. Cependant, même en écrivant ceci, quelque chose me dit que je n'y suis pas encore… L'Esprit m'éclaire! je vois maintenant ce qu'il faut, et j'écris avec confiance Au commencement était l'Activité.

Si je partage la chambre avec toi, barbet, au nom du ciel, cesse d'aboyer, cesse de hurler! Il n'est pas possible d'endurer auprès de soi un compagnon aussi bruyant; l'un de nous deux doit nécessairement quitter la chambre. C'est à regret, que je viole les lois de l'hospitalité: la porte est ouverte, tu as la clef des champs… Mais que vois-je? cela tient du prodige. Est-ce illusion? est-ce réalité? Comme mon barbet grandit et se gonfle! Il se soulève avec effort: ce n'est plus là la figure d'un chien. Quel spectre ai-je traîné chez moi? Le voici en hippopotame; ses yeux lancent des éclairs, il ouvre une gueule armée. Oh! tu ne m'échapperas pas! Pour une pareille engeance de Démons, la Clef de Salomon8 est ce qui convient.

ESPRITS sur l'avenue
 
Un de nous au piège est pris.
N'entrez point, restez, Esprits!
Vieux lynx de race infernale,
Il s'est pris dans cette salle,
Comme au piège une souris.
Restez, restez… Mais silence!
Sur nos brillants ailerons
Balançons-nous en cadence,
Formons, formons notre danse;
Et nous le dégagerons.
Voulez-vous qu'il sorte,
Au seuil de la porte
Ne le laissez point s'asseoir:
Formez-vous en essaim noir,
Volez autour de la porte.
Oui, volons à son secours,
Car il nous aima toujours.
 
FAUST

Premièrement, pour aborder le monstre, prononçons la conjuration des quatre Esprits «Que la Salamandre s'allume! que l'Ondin se replie! que le Sylphe s'évanouisse! que le Lutin travaille!»

Qui ne connaîtrait point les éléments, leur force et leurs propriétés, n'aurait aucun pouvoir sur les Esprits.

 

«Vole en flamme légère, Salamandre! coule en vagues bruyantes, Ondin! brille en météore éblouissant, Sylphe! assiste-moi dans ma demeure, Incube! Incube, avance à ton tour et ferme la marche!»

Le monstre ne recèle aucun de ces quatre Esprits. Il reste immobile et me grince les dents, je ne lui ai fait encore aucun mal. Patience je vais mettre en œuvre contre toi des charmes plus puissants.

Mon ami, es-tu un échappé de l'enfer? Regarde donc ce signe devant lui s'inclinent les noires phalanges.

Le voilà qui s'enfle! Ses crins se hérissent.

Être maudit, peux-tu l'envisager, l'incréé, l'inexprimable, celui que tous les cieux adorent, et que le crime a transpercé? Il se gonfle de plus en plus, le voici en éléphant; relégué derrière le poêle, il remplit tout l'espace à lui seul. Il veut s'écouler en nuage. Garde-toi de monter jusqu'au plafond! Viens te coucher aux pieds de ton maître. Tu vois que mes menaces ne sont pas vaines: obéis, ou je roussis ton poil avec le feu sacré! N'attends pas la Triple lumière, n'attends pas le plus puissant de mes charmes

(Pendant que le nuage tombe, MÉPHISTOPHÉLÈS s'avance de derrière le poêle, sous l'habit d'un étudiant ambulant.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Pourquoi tout ce vacarme? Que demande monsieur? Qu'y a-t-il pour son service?

FAUST

C'était donc là ce que cachait le barbet? Un étudiant ambulant? L'aventure est risible.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Salut au savant Docteur! Vous m'avez fait rudement suer.

FAUST

Comment te nommes-tu9?

MÉPHISTOPHÉLÈS

La question me paraît de peu d'importance pour quelqu'un qui méprise si fort les mots, qui ne s'arrête jamais à l'apparence, et qui regarde surtout au fond des êtres.

FAUST

C'est que vous autres messieurs, vous portez ordinairement des noms qui peignent assez bien votre nature; c'est, ou Beelzébuth, ou malin Esprit, ou menteur, qu'on vous appelle. Hé bien, qui donc es-tu?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Une partie de cette puissance, qui veut toujours le mal et fait toujours le bien.

FAUST

Que signifie cette énigme?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je suis l'Esprit qui toujours nie, et cela avec raison; car tout ce qui existe mérite d'être anéanti, et il vaudrait beaucoup mieux que rien n'existât. Ainsi, tout ce que vous appelez péché, destruction, en un mot le mal, c'est mon élément.

FAUST

Tu te dis une partie, et pourtant te voilà devant moi en entier.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je te dis l'humble vérité. Si l'homme, ce petit monde d'extravagances, s'imagine qu'il fait un tout à lui seul, moi je ne suis qu'une partie de cette partie, qui était tout au commencement, une partie des ténèbres qui enfantèrent la lumière, l'orgueilleuse lumière qui dispute maintenant le rang et l'espace à son antique mère, la nuit; sans y réussir toutefois, étant de partout repoussée et, malgré qu'elle en ait, contrainte de ramper à la surface des corps. Elle jaillit des corps, elle fait leur beauté: eh bien, un corps l'arrête invinciblement dans sa course. J'ai donc bonne espérance que cela ne durera pas long-temps, et qu'au moyen des corps elle finira par être anéantie.

FAUST

Je connais à présent tes dignes fonctions! Tu ne peux rien anéantir en masse, et te rejettes sur les détails.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Et il faut avouer que jusqu'ici il n'y a pas grand ouvrage de fait. Ce qui s'oppose au rien, le quelque chose, ce lourd monde, telles peines que je me sois données, je n'ai pu l'entamer d'aucun côté. Flots, tempêtes, bouleversements, incendies, rien n'y fait; la terre et la mer n'en sont que plus tranquilles! Sur cette damnée semence, principe des animaux et des hommes, il n'y a rien à gagner. Combien n'en ai-je pas détruit! et toujours circule un sang nouveau; c'est à en devenir fou! De l'air, de l'eau, ainsi que de la terre, s'élancent mille germes, dans le sec, dans l'humide, dans le froid, dans le chaud!.. Enfin, si je ne m'étais pas réservé la flamme, je n'aurais rien pour moi.

FAUST

Ainsi donc, à l'éternel mouvement des êtres, au pouvoir salutaire qui toujours crée, tu opposes la main glacée du Démon; et tu te roidis en vain contre lui dans ta malice. Cherche à entreprendre quelqu'autre chose, ô bizarre enfant du chaos!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Oui, mais nous en causerons plus à fond la prochaine fois. Oserais-je, pour cette fois, me retirer?

FAUST

Je ne vois pas trop pourquoi tu me le demandes. Maintenant que je sais qui tu es, entre et sors par où tu voudras: voici la fenêtre, voici la porte, ou même la cheminée, si tu l'aimes mieux.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je dois l'avouer, il y a un petit empêchement à ce que je ne sorte ce pied de sorcière, sur votre seuil…

FAUST

Le Pentagramme10 te tourmente? Puisque ce signe t'est contraire, explique-moi donc, fils de l'enfer, comment tu as pu entrer ici. Comment se fait-il qu'un Esprit tel que toi se soit abusé à ce point?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Remarque-le bien: il n'est pas posé comme il faut; l'angle qui regarde la rue est, tu le vois, un peu ouvert.

FAUST

Le cas est singulièrement heureux! De cette manière donc, tu te trouves mon prisonnier? Je suis bien servi par le hasard.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Le barbet ne remarqua rien, lorsqu'il sauta dans la chambre: du dehors l'apparence est tout autre. À présent le Diable ne peut plus sortir de la maison.

FAUST

Mais pourquoi ne passes-tu pas par la fenêtre?

MÉPHISTOPHÉLÈS

C'est une loi des Diables et des revenants, que par où ils sont entrés, par là ils doivent sortir. À cette condition nous avons notre liberté; autrement, nous sommes esclaves.

FAUST

L'enfer même a ses lois! Je suis bien aise de le savoir. Dans ce cas, messieurs, on pourrait donc en sécurité faire un pacte avec vous?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Ce qu'on te promettrait, tu en aurais la pleine jouissance, et l'on ne t'en retiendrait pas la moindre parcelle… Mais ce n'est pas une petite affaire; nous la conclurons à la première entrevue que nous aurons ensemble. Maintenant je te prie, je te supplie de me laisser partir.

FAUST

Reste encore un instant, pour me dire la bonne aventure!

MÉPHISTOPHÉLÈS

Délivre-moi, te dis-je, oh! délivre-moi! Je reviendrai bientôt, et alors tu pourras me demander tout ce que tu voudras.

FAUST

Je ne t'ai point tendu de piège, mais tu as donné de toi-même dans le panneau. Bien fou qui se dessaisit du Diable, quand il le tient! Il ne le ressaisira pas de sitôt.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Hé bien, si bon te semble, je suis prêt à te faire ici compagnie; mais à la charge d'employer toutes les ressources de mon art, pour te rendre agréable le temps que nous passerons ensemble.

FAUST

Volontiers! Libre à toi d'exercer ton art, pourvu qu'il soit divertissant.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Tu vas, mon ami, dans ce peu d'heures, prendre plus de plaisir que durant les uniformes jours d'une année entière. Ce que chantent les tendres Esprits, les belles images qu'ils apportent avec eux, ne sont pas un vain prestige. Il y aura des plaisirs pour ton odorat, il y en aura pour ton palais, il y en aura même pour ton cœur. Pas n'est besoin de préparatifs, nous sommes réunis. Commencez!

ESPRITS
 
Arcs surbaissés,
Voûtes antiques,
Sombres portiques,
Disparaissez!
Laissez, laissez
Le soleil luire,
Et nous sourire
Avec amour!..
Devant le jour
La nuit s'écoule;
Brillant et pur,
Le ciel déroule
Ses plis d'azur;
Des feux sans nombre,
Sillonnent l'ombre;
De sa prison
La jeune Aurore,
Timide encore,
S'échappe, et dore
Le frais gazon;
Un doux frisson
Court dans les veines,
Et le réveil
Du lourd sommeil
Brise les chaînes;
Les vêtements
S'en vont flottants
Par les rivages,
Par les bocages,
Où les amants
À mille orages
Livrent leurs sens.
Bourgeons naissants!
Heureux bocages!
 
 
Aux pampres noirs
Les raisins pendent,
Puis seuls, se rendent
Sous les pressoirs
Qui les attendent;
En longs ruisseaux,
De leurs tonneaux
Les vins descendent;
Sur des tapis
De fins rubis
Leurs flots s'épandent,
Et, vagabonds,
Autour des monts
En lacs s'étendent
Lacs transparents,
Miroirs errants,
Où se répètent
Les monts lointains,
Où se reflètent
Les cieux sereins.
 
 
La vague humide
Chasse et poursuit,
Dans son réduit,
Le daim timide;
D'un vol rapide,
L'oiseau s'enfuit
Vers d'autres plages,
Vole aux nuages,
Vole aux îlots
Qui sur les flots
Tremblent, s'agitent.
Parés de fleurs,
Là mille chœurs
Aux chants s'excitent;
De leurs accents
Vifs et puissants
L'accord entraîne,
Ravit les sens;
De chœurs dansants
La rive est pleine:
Aux rocs déserts
Les uns s'avancent;
D'autres s'élancent
Au sein des mers,
Et se balancent
Sur leurs flots verts.
Tous pour la vie;
Tous pour jouir,
Dans la folie,
Du court plaisir
De cette vie.
 
MÉPHISTOPHÉLÈS

Il dort. C'est assez, jeunes Esprits; Esprits aériens et tendres, vous l'avez bien assoupi par vos enchantements: je vous suis obligé de ce concert… Non, tu n'es pas encore homme à retenir le Diable malgré lui!.. Maintenant faites voltiger autour de lui d'agréables songes, plongez-le dans une mer d'illusions. Moi, pour rompre le charme de ce seuil, j'ai besoin d'une dent de rat… Ha! je n'aurai pas long-temps à conjurer; en voici un qui trotte de ce côté, il m'entendra bientôt.

Le maître des rats et des souris, des mouches, des grenouilles, des punaises, des poux11, t'enjoint de mordre le seuil de cette porte, comme s'il était frotté d'huile. Bon, le voici déjà qui sautille vers la porte. Allons, allons, à l'ouvrage! La pointe qui m'a repoussé est du côté extérieur. Là, encore un coup de dent!.. Voici qui est fait. À présent, mon cher Faust, rêve tout ce que tu voudras: jusqu'au revoir!

FAUST s'éveillant

Suis-je encore une fois trompé? La foule des Esprits a-t-elle disparu? Quoi! cette visite du Diable serait un songe!.. Et ce barbet qui a sauté après moi?..

CABINET D'ÉTUDE
FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST

On frappe!.. Entrez… Qui vient m'importuner encore?

MÉPHISTOPHÉLÈS en dehors

C'est moi.

FAUST

Entrez.

MÉPHISTOPHÉLÈS de même

Il faut que tu le dises trois fois.

FAUST

Entrez donc!

MÉPHISTOPHÉLÈS ouvrant

Bien, je suis content de toi; nous allons, je l'espère, signer la paix. Pour dissiper tes vapeurs, me voici en jeune gentilhomme, dans des habits écarlates galonnés d'or, le petit manteau de satin sur les épaules, la plume de coq sur le chapeau, une longue épée affilée au côté; et, sans périphrases, je te conseille d'en faire autant, si tu veux secouer une bonne fois les chaînes qui t'accablent, et, libre enfin, éprouver ce que c'est que la vie.

FAUST

Sous quelque habit que ce soit, la vie sera toujours pénible pour moi, le monde toujours vide et sans charmes. Je suis trop vieux pour m'amuser, trop jeune pour être sans désirs. Que peut m'offrir ce monde?.. «L'impuissance est ton lot! ton lot, c'est l'impuissance!» Voilà l'éternel refrain, qui fatigue les oreilles de l'homme; voilà ce que, d'un bout de la vie à l'autre, un mauvais Génie lui répète à chaque heure d'une voix cassée. Ce n'est qu'avec effroi, que je contemple l'aurore à mon réveil je pleure avec amertume, en voyant poindre ce jour, qui dans sa carrière n'accomplira pas un de mes souhaits, pas un seul; ce jour, qui étouffe jusqu'au pressentiment de la plus mince de mes jouissances; ce jour, dont les contrariétés sans nombre doivent bientôt glacer l'inspiration qui m'échauffe et qui remue mes entrailles… Puis il faut, lorsque la nuit tombe, il faut m'étendre, solitaire et désolé, sur un lit où le repos ne me visitera point, où des rêves horribles viendront agiter mon sommeil. Le Dieu, qui habite en mon sein, peut bien ébranler mes fibres secrètes; mais celui qui règne sur toutes mes forces, ne saurait rien déplacer autour de moi. C'est pourquoi le jour me pèse; c'est pourquoi je souhaite la mort, et j'ai la vie en horreur.

6Il s'agit sans doute ici de l'une de ces épidémies, connues sous le nom de pestes noires, qui ravagèrent l'Europe à diverses reprises dans le moyen âge.
7Jargon d'alchimie.
8La Clef de Salomon est un livre de magie attribué à ce prince, qui était grand sorcier au dire des Orientaux. Ce livre est en effet la Clef de l'art magique; on y trouve, dans le plus grand détail, les formules et cérémonies les plus efficaces pour évoquer ou pour conjurer le Démon.
9«Le docteur Fauste demanda au Diable comme il s'appelait, quel était son nom. Le Diable lui répondit qu'il «s'appelait Méphostophilis.» (Histoire du Docteur Fauste, Part. I, Chap. 7.)
10Figure cabalistique.
11La création des insectes et de tous les animaux réputés impurs est attribuée au Diable, et ils lui sont entièrement assujettis, comme on peut le voir par le morceau suivant, extrait de l'Histoire du Docteur Fauste: «Les Diables dirent: Après la faute des hommes ont été créés les insectes, afin que ce fût pour la punition et honte des hommes; et nous autres, nous pouvons faire venir force insectes. Lors apparurent au Docteur Fauste toutes «sortes de tels insectes, comme des fourmis, lézards, mouches bovines, grillons, sauterelles et autres. Toute la maison se trouva pleine de cette vermine. Il était fort en colère contre tout cela, transporté et hors de son sens; car, entre autres tels reptiles et insectes, il y en avait qui le piquaient, comme fourmis, et le mordaient. Les bergails le piquaient, les mouches lui couraient sur le visage, les puces le mordaient, les taons ou bourdons lui volaient autour, tant qu'il en était tout étonné, les poux le tourmentaient en la tête et au col, les araignées lui filaient de haut en bas, les chenilles le rongeaient, les guêpes l'attaquaient. Enfin il fût partout blessé de cette vermine; tellement qu'on pouvait dire qu'il n'était encore qu'un jeune Diable, de ne se pouvoir défendre de ces bestions.» (Histoire du Docteur Fauste, Part. II, Chap. 7.)