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Oliver Twist

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Oliver Twist
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Olivier se demandait avec étonnement quel rapport il y avait entre escamoter, par plaisanterie, le mouchoir du vieillard, et la chance de devenir un grand homme: mais il pensa que le juif, vu son âge, devait le savoir mieux que lui; il s'approcha de la table, et se livra avec ardeur à sa nouvelle étude.

CHAPITRE X. Olivier fait plus ample connaissance avec ses nouveaux compagnons, et acquiert de l'expérience à ses dépens. La brièveté de ce chapitre n'empêche pas que ce ne soit un chapitre important de l'histoire de notre héros

Olivier resta plusieurs jours dans la chambre du juif, occupé à démarquer les mouchoirs qui arrivaient en quantité au logis, et à prendre part quelquefois au jeu que nous avons décrit, et qui se renouvelait régulièrement chaque matin entre le juif et les deux jeunes garçons. Au bout de quelque temps, il commença à soupirer après le grand air, et demanda plusieurs fois avec instance au vieux monsieur de lui permettre d'aller travailler dehors avec ses deux compagnons.

Olivier était d'autant plus désireux de travailler activement, qu'il avait pu juger de l'inflexible sévérité du vieux juif. Chaque fois que le Matois ou Charlot Bates rentraient le soir les mains vides, il leur adressait une longue et énergique mercuriale, sur les inconvénients de la paresse et de l'oisiveté, et, pour mieux graver dans leur mémoire la nécessité d'être actifs et laborieux, il les envoyait coucher sans souper. Il alla même une fois jusqu'à les précipiter du haut de l'escalier; mais il était rare qu'il poussât jusqu'à cette extrémité la ferveur de ses recommandations vertueuses.

Enfin, un beau matin, Olivier obtint la permission qu'il avait si vivement sollicitée; depuis deux ou trois jours il n'y avait pas eu de mouchoirs à démarquer, et les dîners avaient été chétifs: ces motifs influèrent peut-être sur la décision du vieux juif; quoi qu'il en soit, il dit à Olivier qu'il pouvait sortir, et il le plaça sous la garde de Charlot Bates et de son ami le Matois.

Ils partirent tous trois; le Matois, les manches retroussées et le chapeau sur l'oreille, comme d'habitude; maître Bates flânant les mains dans les poches, et Olivier entre eux deux, se demandant où ils allaient, et quelle branche d'industrie il allait d'abord apprendre.

Ils marchaient d'un pas si nonchalant, et avec une allure de badauds si désoeuvrés, qu'Olivier commençait à croire qu'ils étaient sortis pour tromper le vieux monsieur, et point du tout pour aller à l'ouvrage. Le Matois avait la mauvaise habitude de s'emparer de la casquette des enfants qu'il rencontrait et de la lancer dans la première cour venue; Charlot Bates, de son côté, semblait n'avoir qu'une notion très imparfaite du droit de propriété; il escamotait, aux étalages des marchands, des pommes ou des oignons et les entassait dans ses poches, qui étaient d'une si vaste dimension qu'elles semblaient envahir tous ses vêtements. Olivier trouvait ces procédés si coupables qu'il était sur le point de déclarer son intention de s'en retourner comme il pourrait à la maison, quand son attention fut tout à coup attirée d'un autre côté par un changement d'allure très singulier de la part du Matois.

Ils venaient de sortir d'un passage étroit à peu de distance de Clarkenwell, qu'on appelle encore, par un étrange abus de mots, la place Verte, quand le Matois s'arrêta court, mit un doigt sur ses lèvres et fit reculer ses compagnons avec la plus grande circonspection.

«Qu'y a-t-il? demanda Olivier.

– Chut! fit le Matois; vois-tu ce vieux pigeon à l'étalage du libraire?

– Ce vieux monsieur, de l'autre côté de la rue? dit Olivier.

Certainement je le vois.

– On va lui faire son affaire, dit le Matois.

– Fameuse trouvaille!» ajouta Charlot Bates.

Olivier les considérait l'un après l'autre avec surprise, mais il n'eut pas le temps de les questionner, car ils traversèrent la rue à pas de loup, et allèrent se planter derrière le vieux monsieur qui faisait l'objet de son attention. Olivier les suivit à quelques pas de distance, et, ne sachant s'il devait avancer ou reculer, il resta immobile et ouvrit de grands yeux.

Le vieux monsieur avait l'extérieur le plus respectable, la tête poudrée et des lunettes d'or. Il portait un habit vert bouteille avec un collet de velours noir, un pantalon blanc, et sous le bras une canne de bambou. Il avait pris un livre à l'étalage et le parcourait debout avec autant d'attention que s'il eût été dans son cabinet, assis dans un fauteuil. Il est même probable qu'il s'imaginait y être; car il était évident, tant il était absorbé, qu'il ne voyait plus ni l'étalage du libraire, ni la rue, ni les jeunes garçons, ni quoi que ce fût sauf son livre qu'il lisait en conscience, tournant le feuillet quand il arrivait au bas d'une page, recommençant sa lecture à la première ligne de la page suivante et continuant ainsi de page en page avec le plus vif intérêt.

Quels ne furent pas l'horreur et l'effroi d'Olivier, placé à quelques pas en arrière, et regardant de tous ses yeux, quand il vit le Matois plonger sa main dans la poche du vieux monsieur, en tirer un mouchoir qu'il passa à Charlot Bates, puis gagner le coin de la rue avec son camarade en fuyant à toutes jambes!

En un instant, tout le mystère des mouchoirs, des montres, des bijoux, et de l'existence même du juif, se dévoila à l'esprit de l'enfant. Il resta un instant immobile, et la terreur faisait bouillonner son sang si fort qu'il se crut dans un brasier; puis, épouvanté et confus, il prit ses jambes à son cou, et, ne sachant plus ce qu'il faisait, il s'enfuit au plus vite.

Tout cela fut l'affaire d'une minute, et, au moment même où Olivier prenait sa course, le vieux monsieur, cherchant son mouchoir dans sa poche, et ne l'y trouvant plus, se retourna brusquement. Quand il vit l'enfant s'enfuir si vite, il pensa naturellement qu'il était le voleur; il se mit à courir après Olivier, sans quitter son livre, et à crier de toutes ses forces: «Au voleur! au voleur!»

Le vieux monsieur ne fut pas longtemps seul à crier ainsi. Le Matois et maître Bates, pour ne pas attirer sur eux l'attention en courant à toutes jambes, s'étaient mis à l'abri dans la première allée venue, après avoir tourné le coin de la rue. Dès qu'ils entendirent crier au voleur! et qu'ils virent Olivier s'enfuir, ils devinèrent parfaitement ce qui se passait, sortirent vivement dans la rue, et, en bons citoyens, se joignirent à la poursuite en criant au voleur!

Bien qu'Olivier eût été élevé par des philosophes, il ne connaissait pas leur admirable axiome, que la conservation de soi- même est la première loi de la nature; s'il l'eût connu, peut-être eût-il été préparé à ce qui arrivait; mais, dans son ignorance, il fut encore plus effrayé; aussi courait-il comme le vent, avec le vieux monsieur et les deux garçons à ses trousses.

«Au voleur! au voleur!» il y a quelque chose de magique dans ce cri; le marchand quitte son comptoir et le charretier sa charrette; le boucher laisse là son panier, le boulanger sa corbeille, le laitier son seau, le commissionnaire ses paquets, l'écolier ses billes, le paveur sa pioche, et l'enfant sa raquette. Tous s'élancent pêle-mêle, en désordre, tout d'un trait, criant, hurlant, culbutant les passants au détour des rues, excitant les chiens et effarouchant les poules. Rues, places, passages, tout retentit bientôt du même cri: «Au voleur! au voleur!» cent voix répètent ce cri, et la foule augmente à chaque coin de rue. Elle continue sa course, patauge dans la boue ou fait résonner les trottoirs du bruit de ses pas; les fenêtres s'ouvrent, on sort des maisons, on se précipite en avant. Tout l'auditoire abandonne Polichinelle au beau milieu de l'action, et se joint à la foule en donnant une nouvelle force à ce cri: «Au voleur! au voleur!»

«Au voleur! au voleur!» L'homme a dans le coeur la passion enracinée de poursuivre quelque chose. Un malheureux enfant hors d'haleine, haletant de fatigue, à demi mort de frayeur, le visage ruisselant de sueur, redouble d'efforts pour garder l'avance sur ceux qui le poursuivent; on le suit à la piste, on gagne à chaque instant du terrain sur lui, et, à mesure que ses forces décroissent, les cris redoublent, les huées augmentent; «Au voleur! arrêtez-le!» s'écrie-t-on avec joie; ah! sans doute, arrêtez-le pour l'amour de Dieu, ne fût-ce que par pitié!

On l'arrête enfin. Bel exploit, en vérité! Il est étendu sur le pavé et la foule se presse avec ardeur autour de lui, on se pousse, on lutte les uns contre les autres, pour l'entrevoir:

«Écartez-vous!

– Donnez-lui un peu d'air!

– Sottise! il n'en vaut pas la peine!

– Où est le monsieur?

– Le voici.

– Faites place au monsieur.

– Est-ce là le garçon, monsieur?

– Oui.»

Olivier était étendu à terre, couvert de boue et de poussière, rendant le sang par la bouche, regardant avec des yeux égarés la foule qui l'entourait, quand le vieux monsieur fut introduit au milieu du cercle, et répondit aux questions qu'on lui adressait avec anxiété:

«Oui, dit-il d'un ton bienveillant, je crains bien que ce ne soit lui!

– Il le craint! murmura la foule; le brave homme!

– Pauvre garçon! dit le monsieur, il s'est blessé.

– Non, monsieur, dit un gros lourdaud en s'avançant, c'est moi qui lui ai appliqué un coup de poing, et je me suis joliment coupé la main contre ses dents; c'est moi qui l'ai arrêté, monsieur.»

En même temps il portait la main à son chapeau, et souriait niaisement, s'attendant à recevoir quelque chose pour sa peine; mais le vieux monsieur le toisa avec dégoût, et jeta autour de lui des regards inquiets, comme s'il cherchait lui-même un moyen de s'évader: il eût probablement essayé de le faire, et occasionné par là une nouvelle poursuite, si un officier de police, la dernière personne d'ordinaire à arriver en pareil cas, n'eût fendu la foule en ce moment et pris Olivier au collet.

 

«Allons, debout, lui dit-il rudement.

– Ce n'est pas moi, monsieur; non, bien vrai, bien vrai, ce sont deux autres garçons, disait Olivier en se tordant les mains avec désespoir; ils sont quelque part par ici.

– Oh non, ils sont bien loin, dit l'agent qui, en croyant se moquer, disait la vérité; car le Matois et Charlot Bates avaient enfilé la première cour qu'ils avaient rencontrée. Allons, debout!

– Ne lui faites pas de mal, dit le vieux monsieur avec compassion.

– Oh non, on ne lui en fait pas, répondit l'agent; et comme preuve il déchira jusqu'au milieu du dos le vêtement d'Olivier. Arrive, je te connais; ce n'est pas à moi qu'on en fait accroire; veux-tu bien te mettre sur tes jambes, petit scélérat!

Olivier, qui pouvait à peine se soutenir, fit un effort pour se relever, et l'agent, d'un pas rapide, l'entraîna par le collet le long des rues: le monsieur les accompagnait et marchait à côté de l'officier de police; bien des gens dans la foule tâchaient de les dépasser et se retournaient pour regarder Olivier; les gamins poussaient des cris de joie, et suivaient le cortège.

CHAPITRE XI. Où il est question de M. Fang, commissaire de police, et où l'on trouvera un petit échantillon de sa manière de rendre la justice

Le délit avait été commis dans la circonscription et même dans le voisinage immédiat d'un bureau central de police bien connu. La foule n'eut donc pas le plaisir d'escorter longtemps Olivier. À Mutton-Hill, on le fit passer sous une voûte basse, et de là dans une cour malpropre située derrière le sanctuaire de la justice sommaire; là ils rencontrèrent un homme de haute taille avec une grosse paire de favoris sur la figure et un trousseau de clefs à la main.

«Quoi de nouveau? demanda celui-ci avec insouciance.

– C'est un jeune filou, répondit l'agent de police qui conduisait Olivier.

– C'est vous qu'on a volé, monsieur? demanda l'homme aux clefs.

– Oui, répondit le vieux monsieur, mais je ne suis pas sûr que ce soit l'enfant que voici qui m'ait pris mon mouchoir. Je… j'aimerais mieux que l'affaire en restât là.

– Il faut aller devant le magistrat, à cette heure, monsieur, répondit l'homme; Son Honneur va être libre dans un instant. Par ici, petit gibier de potence.»

Il invitait par là Olivier à entrer dans une petite cellule dont tout en parlant il ouvrait la porte. Olivier fut fouillé, et, après qu'on n'eut rien trouvé sur lui; on le mit sous les verrous.

Cette cellule ressemblait assez à une cave; elle était fort obscure et d'une saleté repoussante: car c'était un lundi matin et elle avait été occupée par six ivrognes qui y étaient restés sous clef depuis le samedi soir; mais ce n'est là qu'un détail. Dans nos postes de police, hommes et femmes sont entassés chaque soir, sous les prétextes les plus frivoles, dans des cachots auprès desquels la prison de Newgate, séjour des plus grands criminels, condamnés comme tels et jugés dignes de mort, est un véritable palais. Si l'on en doute, on n'a qu'à s'y faire mettre pour vérifier la justesse de la comparaison.

Le vieux monsieur parut presque aussi consterné qu'Olivier quand la clef du geôlier tourna dans la serrure, et il jeta les yeux en soupirant sur le livre, cause innocente de tout ce bruit.

«Il y a dans la figure de cet enfant quelque chose qui me touche et m'intéresse, se disait le vieux monsieur en faisant quelques pas à l'écart et en se caressant le menton d'un air pensif avec la couverture du livre. Serait-il innocent? Il ressemble… voyons donc, dit-il en s'arrêtant brusquement et en regardant en l'air; mon Dieu! où ai-je vu une figure comme celle-là?»

Après quelques minutes de réflexion, le vieux monsieur, toujours pensif, entra dans une petite antichambre qui donnait sur la cour; il s'assit dans un coin et passa en revue une foule de figures auxquelles il n'avait pas songé depuis bien des années. «Non, se dit-il en hochant la tête; il faut que ce soit un rêve de mon imagination.»

Il se plongea de nouveau dans ses souvenirs. Toutes ces figures qu'il avait évoquées; il n'était pas facile de les congédier si vite; il revoyait des visages amis et ennemis, d'autres qui lui étaient presque inconnus, des visages de fraîches jeunes filles, maintenant vieilles et fanées; d'autres qui étaient devenus la proie de la mort, mais que le souvenir, qui triomphe de la mort, lui retraçait dans tout l'éclat de leur beauté d'autrefois; il les revoyait avec ces yeux si brillants, ces sourires charmants qui font pour ainsi dire rayonner l'âme hors de son enveloppe d'argile; souvenirs qui nous font rêver à cette beauté qui survit à la mort, plus éclatante que la beauté terrestre; visages charmants qui nous sont ravis pour aller éclairer d'une douce lumière la route qui mène au ciel.

Mais le vieux monsieur ne put retrouver sur aucune de ces figures les traits d'Olivier. Les souvenirs qu'il avait évoqués lui firent pousser un profond soupir; mais comme, heureusement pour lui, il était fort distrait, il reprit sa lecture et oublia tout le reste.

Il fut tiré de sa rêverie par le geôlier, qui lui donna un petit coup sur l'épaule et le pria de le suivre. Il ferma aussitôt son livre, et fut introduit dans la salle où siégeait l'imposant et célèbre M. Fang.

Cette salle d'audience donnait sur la rue; au fond était assis M. Fang derrière une petite balustrade, et près de la porte, sur une petite sellette de bois, se trouvait déjà le pauvre Olivier, tout effrayé de la gravité de cette scène.

M. Fang était de taille moyenne et presque chauve; le peu de cheveux qui lui restaient lui couvraient le derrière et les côtés de la tête; l'expression de ses traits était dure, et son teint très coloré. Si en réalité il ne sortait jamais des bornes de la sobriété, il eût pu intenter à sa figure un procès en diffamation et obtenir des dommages-intérêts considérables.

Le vieux monsieur lui fit un salut respectueux, et, s'avançant vers le bureau du magistrat, dit en lui remettant sa carte: «Voici mon nom et mon adresse, monsieur;» puis il fit deux ou trois pas en arrière en saluant de nouveau, et attendit qu'on lui adressât la parole.

Or il advint que M. Fang se trouvait justement occupé en ce moment à lire un journal du matin, où l'on rendait compte d'un jugement qu'il avait récemment prononcé et où on le recommandait pour la centième fois à l'attention et à la surveillance particulière du secrétaire d'État de l'intérieur. Cette lecture le mit hors de lui et il leva les yeux avec humeur.

«Qui êtes-vous?» demanda-t-il.

Le vieux monsieur, surpris de cette question, montra du doigt sa carte.

«Officier de police! quel est cet individu? dit M. Fang en jetant dédaigneusement de côté la carte et le journal.

– Mon nom, dit le vieux monsieur en s'exprimant avec convenance, mon nom, monsieur, est Brownlow; permettez-moi à mon tour de demander le nom du magistrat, qui, protégé par la loi, insulte gratuitement et sans aucune provocation un homme respectable.»

En même temps M. Brownlow semblait chercher des yeux dans la salle quelqu'un qui répondit à sa question.

«Officier de police! dit M. Fang; de quoi cet individu est-il accusé?

– Il n'est pas accusé du tout, monsieur le magistrat, répondit l'officier; il comparait comme plaignant contre ce garçon, monsieur le magistrat.»

Celui-ci le savait parfaitement; mais c'était un bon moyen de tracasser les gens impunément.

«Il comparaît contre ce garçon, n'est-ce pas? dit Fang en toisant dédaigneusement M. Brownlow de la tête aux pieds. Faites-lui prêter serment.

– Avant de prêter serment, je demande à dire un mot, dit M. Brownlow; c'est que, si je n'en étais témoin, je n'aurais jamais pu croire…

– Taisez-vous, monsieur, dit M. Fang d'un ton péremptoire.

– Non, monsieur, répondit M. Brownlow.

– Taisez-vous à l'instant, ou je vous fais chasser de l'audience, dit M. Fang. Vous êtes un insolent, un impertinent, d'oser braver un magistrat.

– Comment! s'écria le vieux monsieur rougissant de colère.

– Faites prêter serment à cet homme! dit Fang au greffier. Je n'entendrai pas un mot de plus. Faites-lui prêter serment.»

L'indignation de M. Brownlow était à son comble; mais il réfléchit qu'en s'emportant il pouvait faire du tort à Olivier; il se contint et consentit à prêter serment sur-le-champ.

«Maintenant, dit M. Fang, de quoi cet enfant est-il accusé?

Qu'avez-vous à dire, monsieur?

– J'étais à l'étalage d'un libraire… commença M. Brownlow.

– Taisez-vous, monsieur! dit M. Fang. Agent de police! où est l'agent de police? voyons, qu'il prête serment. De quoi s'agit-il, agent?»

Celui-ci déclara d'un ton humble et soumis, qu'il avait arrêté l'enfant, qu'il l'avait fouillé et n'avait rien trouvé sur lui, et qu'il n'en savait pas davantage.

«Y a-t-il des témoins? demanda M. Fang.

– Non, monsieur le magistrat,» répondit l'agent de police.

M. Fang garda le silence pendant quelques minutes; puis, se tournant vers M. Brownlow, dit d'une voix courroucée:

«Voulez-vous, oui ou non, formuler votre plainte contre ce garçon? Vous avez prêté serment; si maintenant vous refusez de donner des preuves, je vous punirai pour manque de respect à la magistrature; je vous punirai, nom de…»

Nom de qui, ou nom de quoi, on l'ignore: car le greffier et le geôlier toussèrent fort en ce moment, et le premier laissa tomber par terre un gros livre; simple effet de hasard, pour empêcher qu'on n'entendit la fin de la phrase.

Malgré bien des interruptions et des insultes de la part de M. Fang, M. Brownlow essaya de raconter le fait; il fit observer que, dans la surprise du moment, il n'avait couru après l'enfant que parce qu'il l'avait vu s'enfuir en courant; il ajouta qu'il espérait que, dans le cas où le magistrat regarderait Olivier non comme voleur, mais comme complice de voleurs, il le traiterait avec autant de douceur que la justice le permettrait.

«D'ailleurs cet entant est blessé, dit-il en terminant; et je crains bien, ajouta-t-il avec force en regardant Olivier, je crains réellement qu'il ne soit tout à fait malade.

– Oh! sans doute; cela va sans dire, dit M. Fang d'un ton railleur. Allons, petit vagabond, pas de malices avec moi; elles ne prendraient pas. Ton nom?»

Olivier essaya de répondre, mais la voix lui manqua; il était pâle comme la mort, et il lui semblait que la salle tournait autour de lui.

«Ton nom, petit vaurien? dit Fang d'une voix de tonnerre.

Officier! quel est son nom?»

Ces paroles s'adressaient à un gros bonhomme à gilet rayé, qui se tenait près de la barre; il se pencha vers Olivier et répéta la question, mais voyant que l'enfant était hors d'état de répondre et sentant que ce silence ne ferait qu'exaspérer le magistrat et rendre la sentence plus sévère, il répondit au hasard:

«Il dit qu'il s'appelle Tom White, monsieur le magistrat.

– Il refuse de parler, n'est-ce pas? dit Fang; très bien, très bien. Où demeure-t-il?

– Où il peut, monsieur le magistrat, répondit encore l'officier de police, comme s'il transmettait la réponse d'Olivier.

– A-t'il des parents? demanda M. Fang.

– Il dit qu'il les a perdus dès son enfance, monsieur le magistrat,» continua l'officier de la même manière.

L'interrogatoire en était là quand Olivier leva la tête et, jetant autour de lui des regards suppliants, demanda d'une voix éteinte un verre d'eau.

«Sottise et grimaces que tout cela, dit M. Fang; n'essaye pas de me prendre pour dupe.

– Je crois qu'il est sérieusement malade, monsieur le magistrat, objecta l'officier de police.

– Je sais à quoi m'en tenir là-dessus, dit M. Fang.

– Prenez garde, dit le vieux monsieur à l'agent en levant les mains instinctivement; il va tomber.

– Écartez-vous, officier de police, s'écria Fang avec brutalité; qu'il tombe si cela lui fait plaisir.»

Olivier profita de cette obligeante permission et tomba lourdement sur le plancher. Il était sans connaissance. Les gens de service se regardaient l'un l'autre, et pas un n'osa aller au secours de l'enfant.

«Je savais bien qu'il jouait la comédie, dit M. Fang, comme si cet accident en était la preuve; laissez-le à terre, il en aura bientôt assez.

– Quelle décision allez-vous prendre, monsieur? demanda le greffier à voix basse.

– Le condamner sommairement à trois mois de prison, répondit M. Fang; avec travail forcé, bien entendu. Faites évacuer la salle.»

On ouvrait déjà la porte et deux hommes se préparaient à porter dans la cellule Olivier évanoui, quand un individu d'un certain âge, d'un extérieur convenable, quoique pauvre, à voir son habit noir un peu râpé, s'élança dans la salle et s'approcha de la barre.

 

«Arrêtez! arrêtez! ne l'emmenez pas, s'écria le nouveau venu tout hors d'haleine; pour l'amour de Bleu, attendez un instant!»

Quoique les hommes de génie qui président aux tribunaux de ce genre exercent une autorité arbitraire et immédiate sur la liberté, la réputation, le caractère et même la vie des sujets de Sa Majesté; quoique dans cette enceinte il se passe quotidiennement des scènes à arracher des larmes aux anges, le public en est exclu et n'est initié à ces détails que par les journaux. M. Fang ne fut pas peu irrité de voir entrer quelqu'un sans permission et d'une manière si peu respectueuse.

«Qu'est-ce? quel est cet homme? mettez-le à la porte, s'écria-t- il. Faites évacuer la salle.

– Je veux parler, disait le nouveau venu; je ne veux pas sortir.

J'ai tout vu. Je suis le libraire. Je demande à prêter serment. On ne peut pas me renvoyer. Il faut que vous m'écoutiez, monsieur Fang. Vous n'oseriez me refuser.»

Cet homme était dans son droit; il avait l'air résolu et déterminé, et la chose devenait trop sérieuse pour être traitée légèrement.

«Faites prêter serment à cet individu, grommela Fang de mauvaise grâce. Allons, qu'avez-vous à dire?

– Voici, dit le libraire. J'ai vu trois garçons, celui qui est arrêté et deux autres, qui flânaient de l'autre côté de la rue tandis que monsieur lisait. C'est un des deux autres qui a commis le vol; je l'ai vu de mes yeux et j'ai vu aussi l'étonnement et la stupéfaction de celui qui est devant vous.»

Tout en parlant, l'honnête libraire reprenait haleine, et il put raconter en détail toutes les circonstances du larcin.

– Pourquoi ne pas être venu plus tôt? demanda M. Fang près un moment de silence.

– Je n'avais personne pour garder la boutique, répondit le libraire; tout le monde s'était mis à la poursuite du voleur; il n'y a que cinq minutes que j'ai trouvé quelqu'un, et je suis venu tout courant.

– La partie civile était en train de lire, n'est-ce pas? demanda Fang après un autre silence.

– Oui, répondit le témoin, le livre qu'il tient encore à la main.

– Ah! ah! ce livre? dit Fang, l'a t'il payé?

– Non, pas encore, répondit le libraire en souriant.

– Je n'y ai pas songé, en effet, mon brave homme! s'écria ingénument le vieux monsieur distrait.

– Voilà un bel accusateur pour venir poursuivre en justice un pauvre enfant, dit Fang en faisant des efforts comiques pour avoir l'air compatissant. Je trouve, monsieur, que vous vous êtes emparé de ce livre d'une manière blâmable, pour ne pas dire plus, et il est fort heureux pour vous que le libraire ne vous poursuive pas pour ce fait: que ceci vous serve de leçon, monsieur, ou vous tomberiez sous le coup de la loi. Je lève la condamnation prononcée contre l'enfant. Évacuez la salle.

– Morbleu! s'écria le vieux monsieur donnant cours à sa colère qu'il contenait depuis longtemps. Morbleu! je veux…

– Évacuez la salle! cria le magistrat. Officiers de police, m'entendez-vous? faites évacuer la salle.»

L'ordre fut exécuté et M. Brownlow conduit dehors, tenant son livre d'une main, sa canne de l'autre, et en proie à une colère inexprimable.

Il gagna la cour, et se calma tout à coup. Le petit Olivier Twist était étendu sur le pavé, la chemise ouverte, les tempes baignées d'eau fraîche; il était pâle comme la mort, et un tremblement convulsif agitait tous ses membres.

«Pauvre enfant! pauvre enfant! dit M. Brownlow en s'abaissant vers Olivier; qu'on aille chercher une voiture bien vite!»

On fit avancer une voiture; Olivier fut étendu avec soin sur un des coussins, et le vieux monsieur prit place sur l'autre.

«Voulez-vous que je vous accompagne? demanda le libraire.

– Mais certainement, mon ami, dit M. Brownlow. J'allais encore vous oublier. J'ai toujours à vous ce malheureux livre. Montez. Pauvre enfant! il n'y a pas une minute à perdre.»

Le libraire monta dans la voiture, et on se mit en route.