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Oliver Twist

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Oliver Twist
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CHAPITRE VIII. Olivier va à Londres, et rencontre en route un singulier jeune homme

Arrivé à la barrière, au bout du sentier, Olivier se retrouva sur la grande route. Il était huit heures; et, bien qu'il fût à peu près à cinq milles de la ville, il courut, et se cacha par moments derrière les haies, jusqu'à midi, dans la crainte d'être poursuivi et rattrapé; il s'assit alors près d'une borne pour se reposer, et se mit à songer pour la première fois à l'endroit qu'il devait choisir pour tâcher de gagner sa vie.

La borne au pied de laquelle il était assis indiquait en gros caractères qu'elle était posée à soixante-dix milles de Londres; ce nom fit naître dans l'esprit de l'enfant une nouvelle suite de pensées. S'il allait à Londres, dans l'immense ville, où personne, pas même M. Bumble, ne pourrait le découvrir! il avait souvent entendu dire aux vieux indigents du dépôt qu'un garçon d'esprit n'était jamais dans le dénuement à Londres, et qu'il y avait dans cette grande ville des moyens d'existence dont les gens élevés à la campagne ne se doutaient pas. C'était bien l'endroit qui convenait à un garçon sans asile, destiné à mourir dans la rue, si on ne venait à son aide. Tout en se laissant aller à ces pensées, il se leva et continua sa route.

Il diminua encore de quatre bons milles la distance qui le séparait de Londres, sans songer à tout ce qu'il devrait souffrir avant d'atteindre le but de son voyage: comme cette réflexion se faisait jour dans son esprit, il ralentit sa marche, et se mit à méditer sur les moyens d'arriver à Londres. Il avait dans son paquet un morceau de pain, une mauvaise chemise, deux paires de bas, et dans sa poche un penny que lui avait donné Sowerberry après un enterrement où il s'était distingué encore plus que de coutume. C'est fort bon d'avoir une chemise blanche, pensait Olivier, et deux méchantes paires de bas, et un penny; mais c'est une mince ressource pour faire soixante-cinq milles à pied pendant l'hiver. Olivier avait comme bien des gens, l'esprit prompt et ingénieux à découvrir les difficultés, mais lent et paresseux à découvrir le moyen de les surmonter; de sorte qu'après avoir bien réfléchi, sans trouver la solution qu'il cherchait, il mit son petit paquet sur l'autre épaule et doubla le pas.

Il fit vingt milles ce jour-là, sans prendre autre chose que son morceau de pain sec et quelques verres d'eau qu'il demanda sur la route, à la porte des chaumières. À la nuit, il entra dans une prairie, se blottit au pied d'une meule de foin et résolut d'y attendre le jour. Il éprouva d'abord un sentiment de crainte en entendant le vent siffler tristement sur la campagne déserte, Il avait froid et faim, et se trouvait plus seul que jamais; la fatigue de la marche lui procura pourtant un prompt sommeil, et il oublia ses peines.

Le matin, en se levant, il se sentit engourdi par le froid, et il avait si faim qu'il acheta du pain pour un penny au premier village qu'il traversa, il n'avait pas fait plus de douze milles quand la nuit le surprit de nouveau; ses pieds étaient enflés et ses jambes si faibles qu'elles tremblaient sous lui; une seconde nuit passée à la belle étoile, par un temps froid et humide, acheva d'épuiser ses forces; et quand il voulut le matin continuer son voyage, il pouvait à peine se traîner, il attendit au pied d'une côte assez roide qu'une diligence vînt à passer, et il demanda l'aumône aux voyageurs de l'impériale; il n'y eut presque personne qui fit attention à lui; ceux qui le remarquèrent, lui dirent d'attendre qu'on fût arrivé au haut de la côte, et de leur montrer ensuite combien de temps il pouvait courir pour un demi- penny. Le pauvre Olivier essaya de suivre la diligence; mais il ne le put, à cause de son épuisement et de ses pieds tout meurtris; alors les voyageurs de l'impériale remirent leur demi-penny dans leur poche, en disant que c'était un petit fainéant, qui ne méritait rien. La diligence s'éloigna, ne laissant derrière elle qu'un nuage de poussière.

Dans quelques villages, de grands poteaux étaient plantés sur la route, et portaient un écriteau annonçant que quiconque mendierait serait mis en prison; cet avis effrayait beaucoup Olivier, et il s'éloignait au plus vite. Ailleurs, il s'arrêtait devant les cours d'auberge et regardait piteusement ceux qui allaient et venaient, jusqu'à ce que l'hôtesse donnât l'ordre à un des postillons qui flânaient dans la cour de chasser cet étrange garçon qui restait là, sans aucun doute, dans l'intention de dérober quelque chose. S'il mendiait à la porte d'une ferme, il arrivait neuf fois sur dix qu'on le menaçait de lâcher le chien après lui; s'il mettait le nez dans une boutique, on lui parlait du bedeau de la paroisse, et, à ce nom, il ne savait où se cacher.

Il est certain que, sans le bon coeur, d'un garde-barrière et la charité d'une vieille dame, les souffrances d'Olivier eussent été abrégées comme celles de sa mère, c'est-à-dire qu'il serait mort sur la grande route. Mais le garde-barrière lui donna du pain et du fromage, et la vieille dame, dont le petit-fils avait fait naufrage et errait dans quelque lointaine partie du monde, eut pitié du pauvre orphelin et lui donna le peu qu'elle avait, avec des paroles si douces et si bonnes, et avec des larmes de compassion telles, qu'elles firent sur le coeur d'Olivier plus d'impressions que toutes ses souffrances.

Le matin du septième jour après son départ, il atteignit, clopin- clopant, la petite ville de Barnet. Les volets étaient partout fermés, les rues désertes, et personne ne se rendait encore aux travaux de la journée. Le soleil se levait radieux, mais son éclat ne servait qu'à faire voir au pauvre enfant toute l'horreur de sa misère et de son isolement; il s'assit, couvert de poussière et les pieds en sang, sur les marches froides d'un perron.

Peu à peu les volets s'ouvrirent, les stores des fenêtres se levèrent, et les passants commencèrent à circuler. Quelques-uns, en petit nombre, s'arrêtaient un instant pour considérer Olivier, ou se détournaient seulement en passant rapidement; mais personne ne le secourut, personne ne prit la peine de lui demander comment il était venu là: il n'avait pas le coeur de mendier, et il restait assis immobile et silencieux.

Il y avait déjà quelque temps qu'il était là; il s'étonnait de voir tant de tavernes, car la moitié des maisons de Barnet sont des tavernes grandes ou petites; il regardait avec insouciance les voitures publiques qui passaient, et trouvait surprenant qu'elles pussent faire aisément en quelques heures un trajet qu'il avait mis une longue semaine à parcourir avec un courage et une résolution au-dessus de son âge.

Il fut tiré de sa rêverie en remarquant qu'un jeune garçon, qui était passé devant lui quelques instants auparavant sans avoir l'air de le voir, était revenu sur ses pas et s'était placé de l'autre côté de la rue pour l'observer attentivement. Il y fit d'abord peu d'attention; mais ce garçon resta si longtemps devant lui dans la même attitude, qu'Olivier leva la tête et le considéra avec le même intérêt. Alors celui-ci traversa la rue, et se dirigeant vers Olivier lui dit:

«Eh bien! camarade, quoi qui se passe?

Le garçon qui adressait cette question à notre jeune voyageur était à peu près de même âge que lui; c'était l'individu le plus original qu'Olivier eût jamais vu: il avait le nez retroussé, le front bas, les traits communs, et l'extérieur le plus sale qu'on pût voir, ce qui ne l'empêchait pas de se donner des airs de monsieur. Il était de petite taille, avec des jambes arquées et de vilains petits yeux effrontés; son chapeau était posé si légèrement sur sa tête, qu'il semblait toujours près de tomber; et il serait tombé, en effet, sans une brusque secousse que le jeune homme imprimait de temps à autre à sa tête, pour le ramener à sa place primitive. Il portait un habit qui lui descendait jusqu'aux talons; il avait les manches relevées presque jusqu'au coude, probablement dans le but d'enfoncer ses mains, comme il faisait alors, dans les poches de son pantalon de velours. Enfin, il était aussi fringant, avec ses brodequins à la Blucher, que le fut jamais jeune homme de sa taille, c'est-à-dire de quatre pieds six pouces.

«Eh bien! camarade, quoi qui se passe? demanda à Olivier cet étrange interlocuteur.

– J'ai bien faim et je suis bien fatigué, répondit Olivier les larmes aux yeux. J'ai fait un long trajet. Voilà sept jours que je marche.

– Sept jours de marche! dit le jeune homme; ah! j'entends. C'est par ordre du bec, hein? Mais, ajouta-t-il en voyant l'air étonné d'Olivier, je suppose que tu ignores ce que c'est qu'un bec, mon camarade?»

Olivier répondit avec candeur qu'il avait toujours cru que ce mot signifiait la bouche d'un oiseau.

«En voilà un innocent! s'écria le jeune homme; un bec, c'est un magistrat; marcher par ordre du bec, c'est ne pas aller droit devant soi; c'est toujours grimper sans jamais redescendre. As-tu été au moulin?

– Quel moulin? demanda Olivier.

– Quel moulin! ma foi, au moulin qui va sans eau4; viens avec moi; tu as besoin d'une pitance, et tu l'auras. La bourse est maigre, mais tant que ça durera, ça durera. Allons, debout sur tes quilles! arrive.»

Le jeune homme aida Olivier à se lever, le mena dans une petite boutique de marchand de chandelles, où il acheta un peu de jambon et un pain de deux livres; il eut l'ingénieuse idée de faire un trou dans le pain et d'y mettre le jambon, pour qu'il fût à l'abri de la poussière, et plaçant le tout sous son bras, il entra dans une petite taverne et pénétra avec Olivier dans une salle de derrière. Là, le mystérieux jeune homme fit apporter un pot de bière; sur l'invitation de son nouvel ami, Olivier se jeta sur le festin et se mit à dévorer à belles dents, tandis que l'étranger le considérait de temps à autre bien attentivement.

 

«On va donc à Londres? dit l'étrange garçon quand Olivier eut fini.

– Oui.

– A-t-on un gîte?

– Non.

– De l'argent?

– Non.»

L'individu se mit à siffler et enfonça ses mains dans ses poches, autant que le permettaient les larges manches de son habit.

«Vous habitez Londres? demanda Olivier.

– Oui, quand je suis chez moi, répondit le garçon. Tu as besoin d'un gîte pour passer la nuit, n'est-ce pas?

– Oui, répondit Olivier; je n'ai pas dormi sous un toit depuis que j'ai quitté mon pays.

– Ne te chagrine pas pour si peu, dit le jeune monsieur; je dois être à Londres ce soir, et j'y connais un respectable vieillard qui te logera pour rien, à condition que tu lui sois présenté par une de ses connaissances; avec ça que je n'en suis pas de ses connaissances!» ajouta-t-il en souriant pour montrer que ces dernières paroles étaient dites par ironie; et en même temps il vida son verre.

Cette offre inespérée d'un gîte était trop séduisante pour être refusée, surtout lorsqu'elle fut suivie de l'assurance que le vieux monsieur procurerait sans aucun doute une bonne place à Olivier dans un bref délai. Ceci amena un entretien amical et confidentiel, dans lequel Olivier découvrit que son ami se nommait Jack Dawkins, et qu'il était le favori et le protégé du vieux monsieur en question.

L'extérieur de M. Dawkins ne parlait pas beaucoup en faveur des avantages que le crédit de son patron procurait à ceux qu'il prenait sous sa protection; mais comme sa conversation était légère et incohérente, et qu'il avouait que ses amis le connaissaient sons le sobriquet de rusé matois, Olivier en conclut que son compagnon étant d'un naturel dissipé et étourdi, les préceptes moraux de son bienfaiteur n'avaient pas eu d'influence sur lui. Dans cette pensée, il résolut de mériter aussi vite que possible l'estime du vieux monsieur et de renoncer à l'honneur de fréquenter le matois, si celui-ci, comme il avait lieu de le croire, était incorrigible.

Jack Dawkins ne voulut pas entrer à Londres avant la nuit, et il était près d'onze heures quand ils arrivèrent à la barrière d'Islington. Ils passèrent par la rue Saint-Jean, descendirent la petite rue qui aboutit au théâtre de Sadlerwell, longèrent Exmouth-Street et Coppice-Row, puis la petite cour pris du dépôt de mendicité; ils traversèrent ensuite le terrain classique qui se nommait jadis Hokley in the Hole; ils gagnèrent Little Saffron- Hill et Saffron-Hill the Great, que le rusé matois franchit d'un pas rapide, en recommandant à Olivier de le suivre de près.

Quoique Olivier eût assez à faire pour ne pas perdre de vue son guide, il ne put s'empêcher de jeter en passant quelques regards furtifs des deux côtés de la rue: c'était l'endroit le plus sale et le plus misérable qu'il eût jamais vu. La rue était étroite et humide, et l'air était chargé de miasmes fétides. Il y avait un assez grand nombre de petites boutiques, dont tout l'étalage consistait en un tas d'enfants qui criaient à qui mieux mieux, malgré l'heure avancée de la nuit. Les seuls endroits qui parussent prospérer au milieu de la misère générale, étaient les tavernes, où des Irlandais de la lie du peuple, c'est-à-dire la lie de l'espèce humaine, se querellaient de toutes leurs forces. De petites ruelles et des passages couverts, qui çà et là aboutissaient à la rue principale, laissaient voir quelques chétives maisons, devant lesquelles des hommes et des femmes ivres se vautraient dans la boue; et parfois on voyait sortir avec précaution de ces repaires des individus à figure sinistre, dont, selon toute apparence, les intentions n'étaient ni louables ni rassurantes.

Olivier se demandait s'il ne ferait pas mieux de se sauver, quand ils atteignirent le bout de la rue. Son guide le prît par le bras, poussa la porte d'une maison proche de Fieldlane, le fit entrer dons une allée et referma la porte derrière lui.

«Qui va là? cria une voix en réponse à un sifflet du matois.

– Plummy et Slam!» fut la réponse. C'était sans doute un signal ou un mot d'ordre pour indiquer que tout allait bien.

La faible lueur d'une chandelle éclaira le mur au fond de l'allée, et l'on vit paraître une tête au niveau du sol, derrière la rampe brisée d'un escalier qui menait jadis à une cuisine.

«Vous êtes deux, dit l'homme en haussant la chandelle et en mettent la main au-dessus de ses yeux pour mieux distinguer les objets; qui est l'autre?

– Une nouvelle recrue, répondit Jack Dawkins en faisant avancer Olivier.

– D'où vient-il?

– Du pays des innocents. Fagin est-il en haut?

– Oui, il assortit les mouchoirs. Montez.»

L'homme disparut, et ils restèrent dans les ténèbres.

Toujours entraîné par son compagnon qui lui serrait fortement la main, Olivier cherchait de l'autre sa route à tâtons. Il gravit difficilement, dans l'obscurité, les degrés en ruine que son guide enjambait avec une prestesse qui montrait qu'il connaissait parfaitement ce chemin; il poussa la porte d'une chambre de derrière et y introduisit Olivier. Les murs et le plafond étaient noircis par le temps et la malpropreté. Devant le feu, sur une table de sapin, se trouvaient une chandelle fixée dans le goulot d'une bouteille de grès, deux ou trois pots d'étain, un pain, du beurre et une assiette. Des saucisses cuisaient dans une poêle dont la queue était attachée avec une ficelle au manteau de la cheminée, et auprès se tenait un vieux juif, une fourchette à la main. Son visage était couvert de rides, et ses traits ignobles et repoussants étaient en partie cachés par une épaisse chevelure rousse; il portait une sale robe de chambre de flanelle, n'avait pas de cravate, et semblait partager son attention entre la poêle et une corde à laquelle pendaient un grand nombre de foulards. Plusieurs méchants lits, faits avec de vieux sacs, étaient disposés l'un près de l'autre sur le plancher. Autour de la table, quatre ou cinq enfants de l'âge du Matois fumaient leur pipe et buvaient des liqueurs en se donnant des airs de grands garçons; ils entourèrent leur camarade, qui dit au juif quelques mots à voix basse; puis ils se tournèrent en riant vers Olivier, ainsi que le juif qui tenait toujours sa fourchette.

«Je vous présente mon ami Olivier Twist,» dit Jack Dawkins.

Le juif rit en grimaçant. Il fit un profond salut à Olivier, le prit par la main et dit qu'il espérait avoir l'honneur de faire avec lui plus ample connaissance. Alors les petits fumeurs l'entourèrent, lui donnèrent de solides poignées de main, de manière à faire tomber son petit paquet; l'un d'eux s'empressa de le débarrasser de sa casquette; un autre eut l'obligeance de fouiller ses poches pour lui épargner, vu son état de fatigue, la peine de les vider avant de se coucher. Les politesses ne se seraient sans doute pas bornées là, sans les coups de fourchette que le juif prodigua généreusement sur la tête et les épaules de ces complaisants petits drôles.

«Nous sommes charmés de te voir, Olivier, dit le juif. Matois, tire du feu les saucisses et approche un baquet pour faire asseoir Olivier. Ah! tu regardes avec étonnement les mouchoirs! en voilà une belle collection, hein, mon ami? Nous venons justement de les préparer pour la lessive. Voilà tout, Olivier, voilà tout; ah! ah! ah!»

Les derniers mots du juif furent accueillis avec acclamation par ses jeunes élèves, puis on se mit à souper.

Olivier mangea sa part; ensuite le juif lui versa un verre de grog au genièvre, en lui recommandant de le boire d'un trait, parce qu'un autre convive avait besoin de son verre. Olivier obéit; bientôt il se sentit porté doucement sur un des sacs et s'endormit d'un profond sommeil.

CHAPITRE IX. Où l'on trouvera de nouveaux détails sur l'agréable vieillard et sur ses élèves, jeunes gens de haute espérance

Le lendemain, la matinée était déjà avancée quand Olivier se réveilla après un sommeil profond et prolongé. Il n'y avait dans la chambre que le vieux juif, qui faisait bouillir du café dans une casserole pour le déjeuner, et sifflait tout bas entre ses dents, en agitant le liquide avec une cuiller de fer. De temps à autre il s'arrêtait pour écouter, dès qu'il entendait en bas le moindre bruit; et, quand il s'était assuré que tout était tranquille, il continuait à siffler et à remuer le café.

Bien qu'Olivier ne dormît plus, il n'était pas tout à fait éveillé. Il y a un état d'assoupissement, entre le sommeil et la veille, où l'on rêve plus en cinq minutes, les yeux à demi ouverts et sans avoir bien conscience de ce qui se passe, que l'on ne ferait en cinq nuits, les yeux bien fermés et les sens complètement engourdis par un profond sommeil. Dans ces moments- là, l'homme se rend juste assez compte de ce qui se passe dans son esprit pour se faire une faible idée des puissantes facultés de cet esprit, lorsque, affranchi des entraves du corps, il s'élance loin de la terre et se joue du temps et de l'espace.

Olivier était précisément dans un de ces moments. Les yeux à demi fermés, il voyait le juif, il l'entendait siffler tout bas, il reconnaissait le bruit de la cuiller frottant contre le bord de la casserole; et pourtant, son esprit, pendant ce temps, voyageait dans le passé, et se reportait vers tous ceux qu'il avait connus.

Quand le café fut fait, le juif posa la casserole à terre, et resta quelques instants dans une attitude indécise, comme s'il ne savait à quel parti s'arrêter; puis il se retourna, regarda Olivier et l'appela par son nom; celui-ci ne répondit pas et parut complètement endormi. Le juif, rassuré à cet égard, se dirigea sans bruit vers la porte, la ferma, et tira d'une trappe pratiquée dans le plancher, autant que put le voir Olivier, une petite boîte qu'il posa soigneusement sur la table; ses yeux brillaient tandis qu'il soulevait le couvercle et jetait un coup d'oeil à l'intérieur; il approcha de la table une vieille chaise, s'assit et tira du coffret une magnifique montre d'or étincelante de diamants.

«Ah! les lurons! dit le juif en haussant les épaules, et le visage contracté par un affreux sourire; les braves lurons! fermes jusqu'au bout! Incapables de dire au vieux prêtre où était la cachette! Incapables de vendre le vieux Fagin! Au fait, dans quel intérêt? Cela n'eût pas desserré le noeud coulant, ni retardé la bascule d'une minute; non, non. Fameux gaillards, fameux gaillards!»

Tout en faisant à voix basse ces réflexions et d'autres semblables, le vieux juif remit la montre dans la boîte; il en tira encore une demi-douzaine, et les contempla avec le même ravissement, puis des bagues, des broches, des bracelets, des bijoux de toute sorte, si précieux et d'un travail si exquis, qu'Olivier ne connaissait pas même de nom toutes ces belles choses.

Le juif les remit dans le coffret et en tira un dernier bijou, si petit qu'il tenait dans le creux de sa main; une inscription très fine semblait y être gravée, car le juif le posa sur la table, l'abrita soigneusement avec sa main, et la considéra longtemps et attentivement; enfin, comme s'il désespérait de déchiffrer ces caractères, il remit le bijou dans la boîte, et se renversant sur sa chaise, il continua ses réflexions.

«Quelle belle chose que la peine capitale! disait-il à demi-voix, les morts ne se repentent jamais! les morts ne viennent jamais révéler de fâcheuses histoires! Ah! c'est une grande sécurité pour le commerce! Cinq à la file, accrochés à la même corde! et pas un lâche, pas un qui ait vendu le vieux Fagin!»

En disant ces paroles, le juif promenait au hasard autour de lui ses yeux noirs et brillants, qui rencontrèrent la figure d'Olivier. L'enfant le considérait avec une curiosité muette; en un clin d'oeil le vieillard comprit qu'il avait été observé; il ferma avec bruit le couvercle de la boîte, et saisissant un couteau sur la table, il se leva furieux; mais il tremblait au point qu'Olivier, malgré sa terreur, pouvait voir vaciller la lame du couteau.

«Qu'est-ce? dit le juif; pourquoi m'observer! Tu ne dormais pas?

Qu'as-tu vu? Parle vite! vite! il y va de ta vie!

– Je n'ai pas pu dormir davantage, monsieur, répondit Olivier avec douceur, et je suis bien fâché de vous avoir dérangé.

– Étais-tu éveillé depuis une heure? demanda le juif d'un air menaçant et terrible.

– Non, monsieur, non, bien sûr, répondit Olivier.

– En es-tu bien sûr? s'écria le juif en jetant sur l'enfant un regard sinistre.

 

– Je dormais, monsieur, répondit vivement Olivier, je dormais, sur ma parole.

– C'est bon! c'est bon! mon ami, dit le juif en reprenant brusquement ses manières ordinaires et en jouant avec le couteau avant de le remettre sur la table, comme pour faire croire qu'il ne l'avait pris que par badinage. J'en étais sûr, mon ami; je voulais seulement te faire peur. Tu es brave, oui, ma foi, tu es brave, Olivier.» Et le juif se frottait les mains en riant, mais jetait néanmoins sur la boîte un regard inquiet. «As-tu vu quelqu'une de ces jolies choses, mon ami? dit le juif après un court silence, en posant sa main sur la boîte.

– Oui, monsieur, répondit Olivier.

– Ah! dit le juif en pâlissant. C'est… c'est à moi, Olivier… c'est ma petite fortune… tout ce que j'aurai pour vivre dans mes vieux jours: on m'appelle avare, mon ami, seulement avare… rien de plus.»

Olivier pensa que le vieux monsieur devait être en effet d'une avarice sordide, pour vivre dans un endroit si sale, avec tant de montres; mais il réfléchit que sa tendresse pour le Matois et les autres garçons lui coûtait peut-être beaucoup d'argent; il regarda le juif d'un air respectueux et lui demanda s'il pouvait se lever.

«Certainement, mon ami, certainement, répondit le vieux monsieur; tiens, il y a une cruche d'eau dans le coin derrière la porte; va la chercher et je te donnerai une cuvette pour te laver, mon ami.»

Olivier se leva, traversa la chambra et se baissa pour prendre la cruche; quand il se retourna, la boîte avait disparu.

Il avait à peine fini de se laver et de remettre tout en ordre, en vidant, par ordre du juif, la cuvette par la fenêtre, lorsque le matois rentra, escorté d'un jeune ami qu'Olivier avait vu la veille au soir occupé à fumer, et qui lui fut présenté sous le nom de Charlot Bates. Puis on se mit à table; le déjeuner se composait de café et de petits pains chauds, avec du jambon que le Matois avait rapporté dans le fond de son chapeau.

«Eh bien! dit le juif en s'adressant au Matois et en regardant malicieusement Olivier; j'espère, mes amis, que vous êtes allés ce matin à l'ouvrage?

– Roide, répondit le matois.

– Oui, une rude besogne, ajoute Charlot Bates.

– Vous êtes de braves garçons, dit le juif; qu'est-ce que tu as rapporté, Matois?

– Deux portefeuilles, répondit le jeune homme.

– Garnis? demanda le juif avec anxiété.

– Pas mal, répondit le Matois en exhibant deux portefeuilles, l'un vert et l'autre rouge.

– Ils pourraient être plus lourds, dit le juif, après en avoir soigneusement visité l'intérieur, mais ils sont tout neufs et d'un bon travail; c'est d'un habile ouvrier, n'est-ce pas, Olivier?

– Certainement, monsieur,» dit Olivier.

Cette réponse fit rire M. Charlot Bates à se tenir les côtes, au grand étonnement d'Olivier, qui ne voyait là rien de risible.

«Et toi, mon ami, qu'est-ce que tu rapportes? dit Fagin à Charlot Bates.

– Des mouchoirs, répondit maître Bates, et il en tira quatre de sa poche.

– Bien, dit le juif, en les examinant minutieusement, ils sont bons, très bons; mais tu ne les as pas bien marqués, Charlot. Il faudra ôter les marques avec une aiguille; nous montrerons à Olivier comment il faut s'y prendre; n'est-ce pas, Olivier? Ha! ha!

– Comme vous voudrez, monsieur, dit Olivier.

– Tu aimerais à faire le mouchoir aussi bien que Charlot Bates, n'est-ce pas, mon ami? demanda le juif.

– De tout mon coeur, monsieur, si vous voulez m'instruire,» répondit Olivier.

Maître Bates trouva cette réponse si plaisante qu'il poussa un nouvel éclat de rire; mais comme il était en train d'avaler son café, il faillit suffoquer.

«Il est si innocent!» dit-il, dès qu'il put parler, comme pour s'excuser auprès de la compagnie de son impolitesse.

Le Matois ne dit rien; mais il passa la main dans les cheveux d'Olivier, et les lui fit tomber sur les yeux, en ajoutant qu'il serait bientôt au fait. Le vieux monsieur, qui vit le rouge monter au visage de l'enfant, changea la conversation et demanda si l'exécution qui avait eu lieu le matin avait attiré une grande foule. L'étonnement d'Olivier redoubla: car il était évident, d'après la réponse des jeunes garçons, qu'ils y avaient tous deux assisté, et il était étrange qu'ils eussent trouvé le temps de si bien travailler.

Après le déjeuner, le plaisant vieillard et les deux jeunes gens se livrèrent à un jeu curieux et bizarre; voici en quoi il consistait: le juif mit une tabatière dans une des poches de son pantalon, un carnet dans l'autre, dans son gousset une montre attachée à une chaîne de sûreté qu'il passa à son cou; il piqua une épingle de faux diamant dans sa chemise, boutonna son habit jusqu'en haut, et mettant dans ses poches son mouchoir et son étui à lunettes, il se promena de long en large dans la chambre, une canne à la main, tout comme nos vieux messieurs se promènent dans la rue; tantôt il s'arrêtait devant le feu, et tantôt à la porte, comme s'il contemplait attentivement l'étalage des boutiques. Parfois il jetait autour de lui des regards vigilants comme s'il craignait les voleurs, et tâtait toutes ses poches l'une après l'autre, pour voir s'il n'avait rien perdu, et tout cela d'un air si comique et si naturel qu'Olivier en riait jusqu'aux larmes. Les deux jeunes garçons le suivaient de près; et, chaque fois qu'il se retournait, ils se dérobaient à sa vue avec tant d'agilité, qu'il était impossible de suivre leurs mouvements. À la fin, le Matois lui marcha sur les pieds, tandis que Charlot le heurtait par derrière, et en un clin d'oeil, tabatière, portefeuille, montre, chaîne de sûreté, épingle, mouchoir de poche, tout, jusqu'à l'étui à lunettes, disparut avec une rapidité extraordinaire. Si le vieux monsieur avait senti une main dans une de ses poches, il disait dans laquelle, et alors c'était à recommencer.

Quand on eut joué bien des fois à ce jeu, deux jeunes dames vinrent voir les jeunes messieurs; l'une se nommait Betty et l'autre Nancy; elles avaient une chevelure épaisse, mais peu soignée, et des chaussures en mauvais état; elles n'étaient peut- être pas précisément belles; mais elles étaient hautes en couleur, et avaient le regard résolu et effronté. Comme leurs manières étaient agréables et d'une grande liberté, Olivier pensa qu'elles étaient fort aimables, et sans doute il ne se trompait pas.

La visite dura longtemps: une des jeunes dames se plaignant d'avoir l'estomac glacé, on apporta des liqueurs, et la conversation s'anima de plus en plus. À la fin, Charlot Bates déclara qu'il était temps de jouer du jarret, et Olivier crut que cela voulait dire sortir, en français; car le Matois, Charlot et les deux jeunes femmes partirent à l'instant, et le vieux juif eut la générosité de les munir d'argent de poche pour s'amuser dehors.

«C'est un genre de vie qui n'est pas désagréable, n'est-ce pas, mon ami? dit Fagin. Les voilà sortis pour toute la journée.

– Ont-ils achevé leur travail, monsieur? demanda Olivier.

– Oui, dit le juif; à moins qu'ils ne trouvent par hasard quelque chose à faire en route; alors ils n'y manquent pas, crois-le bien. Prends-les pour modèles, mon ami, prends-les pour modèles, ajouta le juif, en donnant un coup de la pelle au feu sur le foyer pour que ses paroles eussent plus de force; fais tout ce qu'ils te diront, obéis-leur en tout, et surtout au Matois: ce sera un grand homme, et il te formera si tu prends modèle sur lui. Est-ce que mon mouchoir ne sort pas de ma poche, mon ami? dit-il en s'arrêtant court.

– Si, monsieur, dit Olivier.

– Tâche de le prendre sans que je m'en aperçoive, comme ils faisaient quand nous jouions ce matin.»

Olivier souleva d'une main le fond de la poche, comme il avait vu faire au matois, et de l'autre tira légèrement le mouchoir.

«Est-ce fait? demanda le juif.

– Le voici, monsieur, dit Olivier en le lui montrant.

– Tu es un charmant garçon, mon ami, dit le plaisant vieillard en passant sa main sur la tête d'Olivier en signe d'approbation. Je n'ai jamais vu un garçon plus habile; tiens, voici un schelling pour la peine; si tu continues de la sorte, tu deviendras le plus grand homme de l'époque. Maintenant, viens que je t'apprenne à démarquer les mouchoirs.»

4Allusion au moulin que font tourner les condamnés.