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La petite roque

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L'enterrement eut lieu le lendemain; puis, après la cérémonie, le beau-père et la belle-fille se trouvèrent seuls dans la ferme, avec l'enfant.

C'était l'heure ordinaire du dîner. Elle alluma le feu, tailla la soupe, posa les assiettes sur la table, tandis que le vieux, assis sur une chaise, attendait, sans paraître la regarder.

Quand le repas fut prêt, elle lui cria dans l'oreille:

– Allons, mon pé, faut manger.

Il se leva, prit place au bout de la table, vida son pot, mâcha son pain verni de beurre, but ses deux verres de cidre, puis s'en alla.

C'était un de ces jours tièdes, un de ces jours bienfaisants où la vie fermente, palpite, fleurit sur toute la surface du sol.

Le père Amable suivait un petit sentier à travers les champs. Il regardait les jeunes blés et les jeunes avoines, en songeant que son éfant était sous terre à présent, son pauvre éfant. Il s'en allait de son pas usé, traînant la jambe et boitillant. Et comme il était tout seul dans la plaine, tout seul sous le ciel bleu, au milieu des récoltes grandissantes, tout seul avec les alouettes qu'il voyait planer sur sa tête, sans entendre leur chant léger, il se mit à pleurer en marchant.

Puis il s'assit auprès d'une mare et resta là jusqu'au soir à regarder les petits oiseaux qui venaient boire; puis, comme la nuit tombait, il rentra, soupa sans dire un mot et grimpa dans son grenier.

Et sa vie continua comme par le passé. Rien n'était changé, sauf que son fils Césaire dormait au cimetière.

Qu'aurait-il fait, le vieux? Il ne pouvait plus travailler, il n'était bon maintenant qu'à manger les soupes trempées par sa belle-fille. Et il les mangeait en silence, matin et soir, et guettant d'un œil furieux le petit qui mangeait aussi, en face de lui, de l'autre côté de la table. Puis il sortait, rôdait par le pays à la façon d'un vagabond, allait se cacher derrière les granges pour dormir une heure ou deux, comme s'il eût redouté d'être vu, puis il rentrait à l'approche du soir.

Mais de grosses préoccupations commençaient à hanter l'esprit de Céleste. Les terres avaient besoin d'un homme qui les surveillât et les travaillât. Il fallait que quelqu'un fût là, toujours, par les champs, non pas un simple salarié, mais un vrai cultivateur, un maître, qui connût le métier et eût souci de la ferme. Une femme seule ne pouvait gouverner la culture, suivre le prix des grains, diriger la vente et l'achat du bétail. Alors des idées entrèrent dans sa tête, des idées simples, pratiques, qu'elle ruminait toutes les nuits. Elle ne pouvait se remarier avant un an et il fallait, tout de suite, sauver des intérêts pressants, des intérêts immédiats.

Un seul homme la pouvait tirer d'embarras, Victor Lecoq, le père de son enfant. Il était vaillant, entendu aux choses de la terre; il aurait fait, avec un peu d'argent en poche, un excellent cultivateur. Elle le savait, l'ayant connu à l'œuvre chez ses parents.

Donc un matin, le voyant passer sur la route avec une voiture de fumier, elle sortit pour l'aller trouver. Quand il l'aperçut il arrêta ses chevaux et elle lui dit, comme si elle l'avait rencontré la veille:

– Bonjour Victor, ça va toujours?

Il répondit: – Ça va toujours et d'vot' part?

– Oh mé, ça irait n'était que j' sieus seule à la maison, c'qui m' donne du tracas, vu les terres.

Alors ils causèrent longtemps appuyés contre la roue de la lourde voiture. L'homme parfois se grattait le front sous sa casquette et réfléchissait, tandis qu'elle, les joues rouges, parlait avec ardeur, disait ses raisons, ses combinaisons, ses projets d'avenir; à la fin il murmura:

– Oui, ça se peut.

Elle ouvrit la main comme un paysan qui conclut un marché, et demanda:

– C'est dit?

Il serra cette main tendue.

– C'est dit.

– Ça va pour dimanche alors.

– Ça va pour dimanche.

– Allons, bonjour Victor.

– Bonjour Madame Houlbrèque.

III

Ce dimanche-là, c'était la fête du village, la fête annuelle et patronale qu'on nomme assemblée, en Normandie.

Depuis huit jours on voyait venir par les routes, au pas lent de rosses grises ou rougeâtres, les voitures foraines où gîtent les familles ambulantes des coureurs de foires, directeurs de loteries, de tirs, de jeux divers, ou montreurs de curiosités que les paysans appellent «Faiseux vé de quoi».

Les carioles sales, aux rideaux flottants, accompagnées d'un chien triste, allant, tête basse, entre les roues, s'étaient arrêtées l'une après l'autre sur la place de la mairie. Puis une tente s'était dressée devant chaque demeure voyageuse, et dans cette tente on apercevait par les trous de la toile des choses luisantes qui surexcitaient l'envie et la curiosité des gamins.

Dès le matin de la fête, toutes les baraques s'étaient ouvertes, étalant leurs splendeurs de verre et de porcelaine; et les paysans, en allant à la messe, regardaient déjà d'un œil candide et satisfait ces boutiques modestes qu'ils revoyaient pourtant chaque année.

Dès le commencement de l'après-midi, il y eut foule sur la place. De tous les villages voisins les fermiers arrivaient, secoués avec leurs femmes et leurs enfants dans les chars-à-bancs à deux roues qui sonnaient la ferraille en oscillant comme des bascules. On avait dételé chez des amis; et les cours des fermes étaient pleines d'étranges guimbardes grises, hautes, maigres, crochues, pareilles aux animaux à longues pattes du fond des mers.

Et chaque famille, les mioches devant, les grands derrière, s'en venait à l'assemblée à pas tranquilles, la mine souriante, et les mains ouvertes, de grosses mains rouges, osseuses, accoutumées au travail et qui semblaient gênées de leur repos.

Un faiseur de tours jouait du clairon; l'orgue de barbarie des chevaux de bois égrenait dans l'air ses notes pleurardes et sautillantes; la roue des loteries grinçait comme les étoffes qu'on déchire; les coups de carabine claquaient de seconde en seconde. Et la foule lente passait mollement devant les baraques à la façon d'une pâte qui coule, avec des remous de troupeau, des maladresses de bêtes pesantes, sorties par hasard.

Les filles, se tenant par le bras par rangs de six ou huit, piaillaient des chansons; les gars les suivaient en rigolant, la casquette sur l'oreille et la blouse raidie par l'empois, gonflée comme un ballon bleu.

Tout le pays était là, maîtres, valets et servantes.

Le père Amable lui-même, vêtu de sa redingue antique et verdâtre, avait voulu voir l'assemblée; car il n'y manquait jamais.

Il regardait les loteries, s'arrêtait devant les tirs pour juger les coups, s'intéressait surtout à un jeu très simple qui consistait à jeter une grosse boule de bois dans la bouche ouverte d'un bonhomme peint sur une planche.

On lui tapa soudain sur l'épaule. C'était le père Malivoire qui cria: – Eh! mon pé, j' vous invite à bé une fine.

Et ils s'assirent devant la table d'une guinguette installée en plein air. Ils burent une fine, puis deux fines, puis trois fines; et le père Amable recommença à errer dans l'assemblée. Ses idées devenaient un peu troubles, il souriait sans savoir de quoi, il souriait devant les loteries, devant les chevaux de bois, et surtout devant le jeu du massacre. Il y demeura longtemps, ravi quand un amateur abattait le gendarme ou le curé, deux autorités qu'il redoutait d'instinct. Puis il retourna s'asseoir à la guinguette et but un verre de cidre pour se rafraîchir. Il était tard, la nuit venait. Un voisin le prévint:

– Vous allez rentrer après le fricot, mon pé.

Alors il se mit en route vers la ferme. Une ombre douce, l'ombre tiède des soirs de printemps, s'abattait lentement sur la terre.

Quand il fut devant sa porte, il crut voir par la fenêtre éclairée deux personnes dans la maison. Il s'arrêta, fort surpris, puis il entra et il aperçut Victor Lecoq assis devant la table, en face d'une assiette pleine de pommes de terre et qui soupait juste à la place de son fils.

Et soudain il se retourna comme s'il voulait s'en aller. La nuit était noire, à présent. Céleste s'était levée et lui criait:

– V'nez vite, mon pé, y a du bon ragoût pour fêter l'assemblée.

Alors il obéit par inertie et s'assit, regardant tour à tour l'homme, la femme, l'enfant. Puis il se mit à manger doucement, comme tous les jours.

Victor Lecoq semblait chez lui, causait de temps en temps avec Céleste, prenait l'enfant sur ses genoux et l'embrassait. Et Céleste lui redonnait de la nourriture, lui versait à boire, paraissait contente en lui parlant. Le père Amable les suivait d'un regard fixe sans entendre ce qu'ils disaient. Quand il eut fini de souper (et il n'avait guère mangé tant il se sentait le cœur retourné), il se leva, et au lieu de monter à son grenier comme tous les soirs il ouvrit la porte de la cour et sortit dans la campagne.

Lorsqu'il fut parti, Céleste, un peu inquiète, demanda:

– Qué qui fait?

Victor, indifférent, répondit:

– T'en éluge point. I rentrera ben quand i s'ra las.

Alors elle fit le ménage, lava les assiettes, essuya la table, tandis que l'homme se déshabillait avec tranquillité. Puis il se glissa dans la couche obscure et profonde où elle avait dormi avec Césaire.

La porte de la cour se rouvrit. Le père Amable reparut. Dès qu'il fut entré, il regarda de tous les côtés, avec des allures de vieux chien qui flaire. Il cherchait Victor Lecoq. Comme il ne le voyait point, il prit la chandelle sur la table et s'approcha de la niche sombre où son fils était mort. Dans le fond il aperçut l'homme allongé sous les draps et qui sommeillait déjà. Alors le sourd se retourna doucement, reposa la chandelle, et ressortit encore une fois dans la cour.

Céleste avait fini de travailler, elle avait couché son fils, mis tout en place, et elle attendait, pour s'étendre à son tour aux côtés de Victor, que son beau-père fût revenu.

 

Elle demeurait assise sur une chaise, les mains inertes, le regard vague.

Comme il ne rentrait point, elle murmura avec ennui, avec humeur:

– I nous f'ra brûler pour quatre sous de chandelle, ce vieux fainéant.

Victor répondit du fond de son lit:

– V'là plus d'une heure qu'il est dehors, faudrait voir s'il n' dort point sur l' banc d'vant la porte.

Elle annonça: «J'y vas», se leva, prit la lumière et sortit en faisant un abat-jour de sa main pour distinguer dans la nuit.

Elle ne vit rien devant la porte, rien sur le banc, rien sur le fumier, où le père avait coutume de s'asseoir au chaud quelquefois.

Mais, comme elle allait rentrer, elle leva par hasard les yeux vers le grand pommier qui abritait l'entrée de la ferme, et elle aperçut tout à coup deux pieds, deux pieds d'homme qui pendaient à la hauteur de son visage.

Elle poussa des cris terribles: «Victor! Victor! Victor!»

Il accourut en chemise. Elle ne pouvait plus parler, et, tournant la tête pour ne pas voir, elle indiquait l'arbre de son bras tendu.

Ne comprenant point, il prit la chandelle afin de distinguer, et il aperçut, au milieu des feuillages éclairés en dessous, le père Amable, pendu très haut par le cou au moyen d'un licol d'écurie.

Une échelle restait appuyée contre le tronc du pommier.

Victor courut chercher une serpe, grimpa dans l'arbre et coupa la corde. Mais le vieux était déjà froid, et il tirait la langue horriblement, avec une affreuse grimace.

FIN