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La Débâcle

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Платье принцессы
Платье принцессы
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Jean, de nouveau, leva la tête, se tourna vers le couchant. Au travers de l'épaisse poussière que les pieds soulevaient, les rayons de l'astre brûlaient encore les faces en sueur. Il faisait très beau, le ciel était d'un bleu admirable.

– C'est crevant tout de même, répéta-t-il, ce cochon de soleil qui ne se décide pas à foutre le camp!

Soudain, Maurice, dans une jeune femme qu'il regardait, collée contre une maison, sur le point d'y être écrasée par le flot, eut la stupeur de reconnaître sa soeur Henriette. Depuis près d'une minute, il la voyait, restait béant. Et ce fut elle qui parla la première, sans paraître surprise.

– Ils l'ont fusillé à Bazeilles… Oui, j'étais là… Alors, comme je veux que le corps me soit rendu, j'ai eu une idée…

Elle ne nommait ni les Prussiens, ni Weiss. Tout le monde devait comprendre. Maurice, en effet, comprit. Il l'adorait, il eut un sanglot.

– Ma pauvre chérie!

Vers deux heures, lorsqu'elle était revenue à elle, Henriette s'était trouvée, à Balan, dans la cuisine de gens qu'elle ne connaissait pas, la tête tombée sur une table, pleurant. Mais ses larmes cessèrent. Chez cette silencieuse, si frêle, déjà l'héroïne se réveillait. Elle ne craignait rien, elle avait une âme ferme, invincible. Dans sa douleur, elle ne songeait plus qu'à ravoir le corps de son mari, pour l'ensevelir. Son premier projet fut, simplement, de retourner à Bazeilles. Tout le monde l'en détourna, lui en démontra l'impossibilité absolue. Aussi finit-elle par chercher quelqu'un, un homme qui l'accompagnerait, ou qui se chargerait des démarches nécessaires. Son choix tomba sur un cousin à elle, autrefois sous-Directeur de la raffinerie générale, au Chesne, à l'époque où Weiss y était employé. Il avait beaucoup aimé son mari, il ne lui refuserait pas son assistance. Depuis deux ans, à la suite d'un héritage fait par sa femme, il s'était retiré dans une belle propriété, l'ermitage, dont les terrasses s'étageaient près de Sedan, de l'autre côté du fond de Givonne. Et c'était à l'ermitage qu'elle se rendait, au milieu des obstacles, arrêtée à chaque pas, en continuel danger d'être piétinée et tuée.

Maurice, à qui elle expliquait brièvement son projet, l'approuva.

– Le cousin Dubreuil a toujours été bon pour nous… Il te sera utile…

Puis, une idée lui vint à lui-même. Le lieutenant Rochas voulait sauver le drapeau. Déjà, l'on avait proposé de le couper, d'en emporter chacun un morceau sous sa chemise, ou bien de l'enfouir au pied d'un arbre, en prenant des points de repère, qui auraient permis de l'exhumer plus tard. Mais ce drapeau lacéré, ce drapeau enterré comme un mort, leur serrait trop le coeur. Ils auraient voulu trouver autre chose.

Aussi, lorsque Maurice leur proposa de remettre le drapeau à quelqu'un de sûr, qui le cacherait, le défendrait au besoin, jusqu'au jour où il le rendrait intact, tous acceptèrent.

– Eh bien! reprit le jeune homme en s'adressant à sa soeur, nous allons avec toi voir si Dubreuil est à l'ermitage… D'ailleurs, je ne veux plus te quitter.

Ce n'était pas facile de se dégager de la cohue. Ils y parvinrent, se jetèrent dans un chemin creux qui montait vers la gauche. Alors, ils tombèrent au milieu d'un véritable dédale de sentiers et de ruelles, tout un faubourg fait de cultures maraîchères, de jardins, de maisons de plaisance, de petites propriétés enchevêtrées les unes dans les autres; et ces sentiers, ces ruelles, filaient entre des murs, tournaient à angles brusques, aboutissaient à des impasses: un merveilleux camp retranché pour la guerre d'embuscade, des coins que dix hommes pouvaient défendre pendant des heures contre un régiment. Déjà, des coups de feu y pétillaient, car le faubourg dominait Sedan, et la garde Prussienne arrivait, de l'autre côté du vallon.

Lorsque Maurice et Henriette, que suivaient les autres, eurent tourné à gauche, puis à droite, entre deux interminables murailles, ils débouchèrent tout d'un coup devant la porte grande ouverte de l'ermitage. La propriété, avec son petit parc, s'étageait en trois larges terrasses; et c'était sur une de ces terrasses que le corps de logis se dressait, une grande maison carrée, à laquelle conduisait une allée d'ormes séculaires. En face, séparées par l'étroit vallon, profondément encaissé, se trouvaient d'autres propriétés, à la lisière d'un bois.

Henriette s'inquiéta de cette porte brutalement ouverte.

– Ils n'y sont plus, ils auront dû partir.

En effet, Dubreuil s'était résigné, la veille, à emmener sa femme et ses enfants à Bouillon, dans la certitude du désastre qu'il prévoyait. Pourtant, la maison n'était pas vide, une agitation s'y faisait remarquer de loin, à travers les arbres. Comme la jeune femme se hasardait dans la grande allée, elle recula, devant le cadavre d'un soldat Prussien.

– Fichtre! s'écria Rochas, on s'est donc cogné déjà par ici!

Tous alors voulurent savoir, poussèrent jusqu'à l'habitation; et ce qu'ils virent les renseigna: les portes et les fenêtres du rez- de-chaussée avaient dû être enfoncées à coups de crosse, les ouvertures bâillaient sur les pièces mises à sac, tandis que des meubles, jetés dehors, gisaient sur le gravier de la terrasse, au bas du perron. Il y avait surtout là tout un meuble de salon bleu- Ciel, le canapé et les douze fauteuils, rangés au petit bonheur, pêle-mêle, autour d'un grand guéridon, dont le marbre blanc s'était fendu. Et des zouaves, des chasseurs, des soldats de la ligne, d'autres appartenant à l'infanterie de marine, couraient derrière les bâtiments et dans l'allée, lâchant des coups de feu sur le petit bois d'en face, par-dessus le vallon.

– Mon lieutenant, expliqua un zouave à Rochas, ce sont des salops de Prussiens, que nous avons trouvés en train de tout saccager ici. Vous voyez, nous leur avons réglé leur compte… Seulement, les salops reviennent dix contre un, ça ne va pas être commode.

Trois autres cadavres de soldats Prussiens s'allongeaient sur la terrasse. Comme Henriette, cette fois, les regardait fixement, sans doute avec la pensée de son mari, qui lui aussi dormait là- bas, défiguré dans le sang et la poussière, une balle, près de sa tête, frappa un arbre qui se trouvait derrière elle. Jean s'était précipité.

– Ne restez pas là!.. Vite, vite, cachez-vous dans la maison!

Depuis qu'il l'avait revue, si changée, si éperdue de détresse, il la regardait d'un coeur crevé de pitié, en se la rappelant telle qu'elle lui était apparue, la veille, avec son sourire de bonne ménagère. D'abord, il n'avait rien trouvé à lui dire, ne sachant même pas si elle le reconnaissait. Il aurait voulu se dévouer pour elle, lui rendre de la tranquillité et de la joie.

– Attendez-nous dans la maison… Dès qu'il y aura du danger, nous trouverons bien à vous faire sauver par là-haut.

Mais elle eut un geste d'indifférence.

– À quoi bon?

Cependant, son frère la poussait lui aussi, et elle dut monter les marches, rester un instant au fond du vestibule, d'où son regard enfilait l'allée. Dès lors, elle assista au combat.

Derrière un des premiers ormes, se tenaient Maurice et Jean. Les troncs centenaires, d'une ampleur géante, pouvaient aisément abriter deux hommes. Plus loin, le clairon Gaude avait rejoint le lieutenant Rochas, qui s'obstinait à garder le drapeau, puisqu'il ne pouvait le confier à personne; et il l'avait posé près de lui, contre l'arbre, pendant qu'il faisait le coup de feu. Chaque tronc, d'ailleurs, était habité. Les zouaves, les chasseurs, les soldats de l'infanterie de marine, d'un bout de l'allée à l'autre, s'effaçaient, n'allongeaient la tête que pour tirer.

En face, dans le petit bois, le nombre des Prussiens devait augmenter sans cesse, car la fusillade devenait plus vive. On ne voyait personne, à peine le profil rapide d'un homme, par instants, qui sautait d'un arbre à un autre. Une maison de campagne, aux volets verts, se trouvait également occupée par des tirailleurs, dont les coups de feu partaient des fenêtres entr'ouvertes du rez-de-chaussée. Il était environ quatre heures, le bruit du canon se ralentissait, se taisait peu à peu; et l'on était là, à se tuer encore, comme pour une querelle personnelle, au fond de ce trou écarté, d'où l'on ne pouvait apercevoir le drapeau blanc, hissé sur le donjon. Jusqu'à la nuit noire, malgré l'armistice, il y eut ainsi des coins de bataille qui s'entêtèrent, on entendit la fusillade persister dans le faubourg du fond de Givonne et dans les jardins du Petit-Pont.

Longtemps, on continua de la sorte à se cribler de balles, d'un bord du vallon à l'autre. De temps en temps, dès qu'il avait l'imprudence de se découvrir, un homme tombait, la poitrine trouée. Dans l'allée, il y avait trois nouveaux morts. Un blessé, étendu sur la face, râlait affreusement, sans que personne songeât à l'aller retourner, pour lui adoucir l'agonie.

Soudain, comme Jean levait les yeux, il vit Henriette, qui était tranquillement revenue, glisser un sac sous la tête du misérable, en guise d'oreiller, après l'avoir couché sur le dos. Il courut, la ramena violemment derrière l'arbre, où il s'abritait avec Maurice.

– Vous voulez donc vous faire tuer?

Elle parut ne pas avoir conscience de sa témérité folle.

– Mais non… C'est que j'ai peur, toute seule dans ce vestibule… J'aime bien mieux être dehors.

Et elle resta avec eux. Ils la firent asseoir à leurs pieds, contre le tronc, tandis qu'ils continuaient à tirer leurs dernières cartouches, à droite, à gauche, dans un enragement tel, que la fatigue et la peur s'en étaient allées. Une inconscience complète leur venait, ils n'agissaient plus que machinalement, la tête vide, ayant perdu jusqu'à l'instinct de la conservation.

– Regarde donc, Maurice, dit brusquement Henriette, est-ce que ce n'est pas un soldat de la garde Prussienne, ce mort, devant nous?

Depuis un instant, elle examinait un des corps que l'ennemi avait laissés là, un garçon trapu, aux fortes moustaches, couché sur le flanc, dans le gravier de la terrasse. Le casque à pointe avait roulé à quelques pas, la jugulaire rompue. Et le cadavre portait en effet l'uniforme de la garde: le pantalon gris foncé, la tunique bleue, aux galons blancs, le manteau roulé, noué en bandoulière.

 

– Je t'assure, c'est de la garde… J'ai une image, chez nous…

Et puis, la photographie que nous a envoyée le cousin Gunther…

Elle s'interrompit, s'en alla de son air paisible jusqu'au mort, avant même qu'on pût l'en empêcher. Elle s'était penchée.

– La patte est rouge, cria-t-elle, ah! je l'aurais parié. Et elle revint, pendant qu'une grêle de balles sifflait à ses oreilles.

– Oui, la patte est rouge, c'était fatal… Le régiment du cousin

Gunther.

Dès lors, ni Maurice ni Jean n'obtinrent qu'elle se tînt à l'abri, immobile. Elle se remuait, avançait la tête, voulait quand même regarder vers le petit bois, dans une préoccupation constante. Eux, tiraient toujours, la repoussaient du genou, quand elle se découvrait trop. Sans doute, les Prussiens commençaient à s'estimer en nombre suffisant, prêts à l'attaque, car ils se montraient, un flot moutonnait et débordait entre les arbres; et ils subissaient des pertes terribles, toutes les balles Françaises portaient, culbutaient des hommes.

– Tenez! dit Jean le voilà peut-être, votre cousin… Cet officier qui vient de sortir de la maison aux volets verts, en face.

Un capitaine était là, en effet, reconnaissable au collet d'or de sa tunique et à l'aigle d'or que le soleil oblique faisait flamber sur son casque. Sans épaulettes, le sabre à la main, il criait un ordre d'une voix sèche; et la distance était si faible, deux cents mètres à peine, qu'on le distinguait très nettement, la taille mince, le visage rose et dur, avec de petites moustaches blondes.

Henriette le détaillait de ses yeux perçants.

– C'est parfaitement lui, répondit-elle sans s'étonner. Je le reconnais très bien.

D'un geste fou, Maurice l'ajustait déjà.

– Le cousin… Ah! tonnerre de Dieu! Il va payer pour Weiss.

Mais, frémissante, elle s'était soulevée, avait détourné le chassepot, dont le coup alla se perdre au ciel.

– Non, non, pas entre parents, pas entre gens qui se connaissent… C'est abominable!

Et, redevenue femme, elle s'abattit, derrière l'arbre, en pleurant à gros sanglots. L'horreur la débordait, elle n'était plus qu'épouvante et douleur. Rochas, cependant, triomphait. Autour de lui, le feu des quelques soldats, qu'il excitait de sa voix tonnante, avait pris une telle vivacité, à la vue des Prussiens, que ceux-ci, reculant, rentraient dans le petit bois.

– Tenez ferme, mes enfants! Ne lâchez pas!.. Ah! les capons, les voilà qui filent! nous allons leur régler leur compte!

Et il était gai, et il semblait repris d'une confiance immense. Il n'y avait pas eu de défaites. Cette poignée d'hommes, en face de lui, c'étaient les armées allemandes, qu'il allait culbuter d'un coup, très à l'aise. Son grand corps maigre, sa longue figure osseuse, au nez busqué, tombant dans une bouche violente et bonne, riait d'une allégresse vantarde, la joie du troupier qui a conquis le monde entre sa belle et une bouteille de bon vin.

– Parbleu! mes enfants, nous ne sommes là que pour leur foutre une raclée… Et ça ne peut pas finir autrement. Hein? ça nous changerait trop, d'être battus!.. Battus! est-ce que c'est possible? Encore un effort, mes enfants, et ils ficheront le camp comme des lièvres!

Il gueulait, gesticulait, si brave homme dans l'illusion de son ignorance, que les soldats s'égayaient avec lui. Brusquement, il cria:

– À coups de pied au cul! à coups de pied au cul, jusqu'à la frontière!.. Victoire, victoire!

Mais, à ce moment, comme l'ennemi, de l'autre côté du vallon, paraissait en effet se replier, une fusillade terrible éclata sur la gauche. C'était l'éternel mouvement tournant, tout un détachement de la garde qui avait fait le tour par le fond de Givonne. Dès lors, la défense de l'ermitage devenait impossible, la douzaine de soldats qui en défendaient encore les terrasses, se trouvaient entre deux feux, menacés d'être coupés de Sedan. Des hommes tombèrent, il y eut un instant de confusion extrême. Déjà des Prussiens franchissaient le mur du parc, accouraient par les allées, en si grand nombre, que le combat s'engagea, à la baïonnette. Tête nue, la veste arrachée, un zouave, un bel homme à barbe noire, faisait surtout une besogne effroyable, trouant les poitrines qui craquaient, les ventres qui mollissaient, essuyant sa baïonnette rouge du sang de l'un, dans le flanc de l'autre; et, comme elle se cassa, il continua, en broyant des crânes, à coups de crosse; et, comme un faux pas le désarma définitivement, il sauta à la gorge d'un gros Prussien, d'un tel bond, que tous deux roulèrent sur le gravier, jusqu'à la porte défoncée de la cuisine, dans une embrassade mortelle. Entre les arbres du parc, à chaque coin des pelouses, d'autres tueries entassaient les morts. Mais la lutte s'acharna devant le perron, autour du canapé et des fauteuils bleu-Ciel, une bousculade enragée d'hommes qui se brûlaient la face à bout portant, qui se déchiraient des dents et des ongles, faute d'un couteau pour s'ouvrir la poitrine.

Et Gaude, alors, avec sa face douloureuse d'homme qui avait eu des chagrins dont il ne parlait jamais, fut pris d'une folie héroïque. Dans cette défaite dernière, tout en sachant que la compagnie était anéantie, que pas un homme ne pouvait venir à son appel, il empoigna son clairon, l'emboucha, sonna au ralliement, d'une telle haleine de tempête, qu'il semblait vouloir faire se dresser les morts. Et les Prussiens arrivaient, et il ne bougeait pas, sonnant plus fort, à toute fanfare. Une volée de balles l'abattit, son dernier souffle s'envola en une note de cuivre, qui emplit le ciel d'un frisson.

Debout, sans pouvoir comprendre, Rochas n'avait pas fait un mouvement pour fuir. Il attendait, il bégaya:

– Eh bien! quoi donc? quoi donc?

Cela ne lui entrait pas dans la cervelle, que ce fût la défaite encore. On changeait tout, même la façon de se battre. Ces gens n'auraient-ils pas dû attendre, de l'autre côté du vallon, qu'on allât les vaincre? On avait beau en tuer, il en arrivait toujours. Qu'est-ce que c'était que cette fichue guerre, où l'on se rassemblait dix pour en écraser un, où l'ennemi ne se montrait que le soir, après vous avoir mis en déroute par toute une journée de prudente canonnade? Ahuri, éperdu, n'ayant jusque-là rien compris à la campagne, il se sentait enveloppé, emporté par quelque chose de supérieur, auquel il ne résistait plus, bien qu'il répétât machinalement, dans son obstination:

– Courage, mes enfants, la victoire est là-bas!

D'un geste prompt, cependant, il avait repris le drapeau. C'était sa pensée dernière, le cacher, pour que les Prussiens ne l'eussent pas. Mais, bien que la hampe fût rompue, elle s'embarrassa dans ses jambes, il faillit tomber. Des balles sifflaient, il sentit la mort, il arracha la soie du drapeau, la déchira, cherchant à l'anéantir. Et ce fut à ce moment que, frappé au cou, à la poitrine, aux jambes, il s'affaissa parmi ces lambeaux tricolores, comme vêtu d'eux. Il vécut encore une minute, les yeux élargis, voyant peut-être monter à l'horizon la vision vraie de la guerre, l'atroce lutte vitale qu'il ne faut accepter que d'un coeur résigné et grave, ainsi qu'une loi. Puis, il eut un petit hoquet, il s'en alla dans son ahurissement d'enfant, tel qu'un pauvre être borné, un insecte joyeux, écrasé sous la nécessité de l'énorme et impassible nature. Avec lui, finissait une légende.

Tout de suite, dès l'arrivée des Prussiens, Jean et Maurice avaient battu en retraite, d'arbre en arbre, en protégeant le plus possible Henriette, derrière eux. Ils ne cessaient pas de tirer, lâchaient un coup, puis gagnaient un abri. En haut du parc, Maurice connaissait une petite porte, qu'ils eurent la chance de trouver ouverte. Vivement, ils s'échappèrent tous les trois. Ils étaient tombés dans une étroite traverse qui serpentait entre deux hautes murailles. Mais, comme ils arrivaient au bout, des coups de feu les firent se jeter à gauche, dans une autre ruelle. Le malheur voulut que ce fût une impasse. Ils durent revenir au galop, tourner à droite, sous une grêle de balles. Et, plus tard, jamais ils ne se souvinrent du chemin qu'ils avaient suivi. On se fusillait encore à chaque angle de mur, dans ce lacis inextricable. Des batailles s'attardaient sous les portes charretières, les moindres obstacles étaient défendus et emportés d'assaut, avec un acharnement terrible. Puis, tout d'un coup, ils débouchèrent sur la route du fond de Givonne, près de Sedan.

Une dernière fois, Jean leva la tête, regarda vers l'ouest, d'où montait une grande lueur rose; et il eut enfin un soupir de soulagement immense.

– Ah! ce cochon de soleil, le voilà donc qui se couche!

D'ailleurs, tous les trois galopaient, galopaient, sans reprendre haleine. Autour d'eux, la queue extrême des fuyards coulait toujours à pleine route, d'un train sans cesse accru de torrent débordé. Quand ils arrivèrent à la porte de Balan, ils durent attendre, au milieu d'une bousculade féroce. Les chaînes du pont- levis s'étaient rompues, il ne restait de praticable que la passerelle pour les piétons; de sorte que les canons et les chevaux ne pouvaient passer. À la poterne du château, à la porte de la cassine, l'encombrement, disait-on, était plus effroyable encore. C'était l'engouffrement fou, tous les débris de l'armée roulant sur les pentes, venant se jeter dans la ville, y tomber avec un bruit d'écluse lâchée, comme au fond d'un égout. L'attrait funeste de ces murs achevait de pervertir les plus braves.

Maurice avait pris Henriette entre ses bras; et, frémissant d'impatience:

– Ils ne vont pas fermer la porte au moins, avant que tout le monde soit rentré.

Telle était la crainte de la foule. À droite, à gauche, cependant, des soldats campaient déjà sur les talus; tandis que, dans les fossés, des batteries, un pêle-mêle de pièces, de caissons et de chevaux était venu s'échouer.

Mais des appels répétés de clairons retentirent, suivis bientôt de la sonnerie claire de la retraite. On appelait les soldats attardés. Plusieurs arrivaient encore au pas de course, des coups de feu éclataient, isolés, de plus en plus rares, dans le faubourg. Sur la banquette intérieure du parapet, on laissa des détachements, pour défendre les approches; et la porte fut enfin fermée. Les Prussiens n'étaient pas à plus de cent mètres. On les voyait aller et venir sur la route de Balan, en train d'occuper tranquillement les maisons et les jardins.

Maurice et Jean, qui poussaient devant eux Henriette, pour la protéger des bourrades, étaient rentrés parmi les derniers dans Sedan. Six heures sonnaient. Depuis près d'une heure déjà, la canonnade avait cessé. Peu à peu, les coups de fusil isolés eux- mêmes se turent. Alors, du vacarme assourdissant, de l'exécrable tonnerre qui grondait depuis le lever du soleil, rien ne demeura, qu'un néant de mort. La nuit venait, tombait à un lugubre, un effrayant silence.