Le Bâton De Dieu, Tome 1

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Le Bâton De Dieu, Tome 1
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Le bâton de Dieu

Tome 1

Au bord d’une catastrophe

par

Charley Brindley

charleybrindley@yahoo.com

www.charleybrindley.com

Version anglaise rédigée par

Karen Boston

Site internet : https://bit.ly/2rJDq3f

Concepteur de couverture

Charley Brindley

Traduit par

Barrack Onyango

© 2020 CharleyBrindley tous droits réservés

Imprimé aux Etats Unis

Première édition le 1er janvier 2020

Ce livre est dédié à

William Kabilis

Plusieurs œuvres de Charley Brindley ont été traduites dans les langues suivantes :

L’italien

L’espagnol

Le portugais

Le français

et

Le russe

D’autres titres originaux de Charley Brindley

1. The Rod of God, Book Two:Sea of Sorrows

2. Oxana’sPit

3. Raji Book One: Octavia Pompeii

4. Raji Book Two: The Academy

5. Raji Book Three: Dire Kawa

6. Raji Book Four: The House of the West Wind

7. Hannibal’sElephant Girl Book One: Tin Tin Ban Sunia

8. Hannibal’sElephantGirl: Book Two: Voyage to Iberia

9. Cian

10. The Last Mission of the SeventhCavalry

11. The Last Seat on the Hindenburg

12. Dragonfly vs Monarch: Book One

13. Dragonfly vs Monarch: Book Two

14. The Sea of Tranquility 2.0 Book One: Exploration

15. The Sea of Tranquility 2.0 Book Two: Invasion

16. The Sea of Tranquility 2.0 Book 3: The Sand Vipers

17. The Sea of Tranquility 2.0 Book 4: The Republic

18. Do Not Resuscitate

19. Ariion XXIII

20. Sea of Sorrow

21. Casper’s Game

22. Qubit’sIncubator

A paraître

23. Dragonfly vs Monarch: Book Three

24. The Journey to Valdacia

25. Still Waters RunDeep

26. Ms Machiavelli

27. Ariion XXIX

28. The Last Mission of the SeventhCavalry Book 2

29. Hannibal’sElephant Girl, Book Three

Les résumés en français de ces titres se trouvent à la fin de ce livre.

Chapitre 1 1

Chapitre deux 26

Chapitre trois 34

Chapitre quatre 37

Chapitre cinq 44

Chapitre six 74

Chapitre sept 90

Chapitre huit 104

Chapitre neuf 115

Chapitre 1

Le 1er septembre 1962

L’habitude de Marlène de répéter tout ce que je disais m’énervait vraiment. Elle récitait toutes mes paroles à voix basse tout le temps, ce qui m’empêchait tant de concentrer. Elle était une personne géniale et gentille, mais je trouvais cette habitude très irritante.

Se comporte-t-elle de la même façon avec tout le monde ?

Je lisais le tableau d’affichage, mon dos tourné vers elle.

« C’est quoi CSP sur ce menu du réfectoire ? » lui demandai-je.

N’ayant reçu aucune réponse, je me tournai et son joli sourire me frappa aux yeux. Ses cheveux bruns tombaient gracieusement sur ses épaules, et ses yeux brillaient joyeusement comme toujours.

Je lui posai encore la question, d’une voix un peu plus forte : « C’est quoi CSP ? »

C’est quoi CSP ? Ses lèvres répétèrent ma question. « Sergent Taxon », dit-elle, « je pense que c’est du bœuf taillé sur du pain grillé ». Elle prononçait mal mon prénom Saxon à chaque occasion.

« Du bœuf taillé sur du pain grillé, ou plutôt de la crotte sur une plaque », ajoutai-je à voix basse.

Je la regardai furtivement; j’étais sûr qu’elle ne m’avais pas entendu, car j’étais à 5 ou 6 mètres de son bureau. J’entendis sa voix inoffensive demander doucement, tel un soupir d’un bébé endormi.

« Crotte, c’est quoi ? » Je n’osais pas respirer.

Ça alors ! Elle m’avait entendu !

« Je, je suis désolé », ai-je balbutié. « Je ne voulais pas dire ça ». On ne disais pas de gros mots devant les femmes en 1962, et elles ne les répétaient pas non plus.

Elle sourit de mon embarras, mais elle rougit un peu quand elle se rendit compte qu’il s’agissait d’un gros mot. Je me précipitai furtivement vers la sortie, et je suis sûr qu’elle ne m’entendit pas lui dire au revoir.

* * * * *

« Tu connais Marlène ? » demandai-je à Kabilis. On effectuait des travaux d’entretien sur le Mark 11.

« Marlène, celle de la salle des ordonnances ? »

« Ouais. Est-ce qu’elle te répète tout le temps quand tu lui parles ? »

« Je pense qu’elle est cinglée ». Kabilis tapota l’ohmmètre avec son doigt.

« Sans blagues ! J’ai changé cet ohmmètre il y a à peine deux semaines ». Je me penchai pour examiner l’aiguille.

« Il y a peut-être un problème avec la source de courant. As-tu vérifié la tension avant de changer l’ohmmètre ? »

« Non, je n’y ai pas pensé ».

« Eh bien, ça reste toujours à moi de penser à tout. Vérifions la sortie de l’alimentation du courant ». Originaire de Philadelphie, le sergent technique William Kabilis était très ordonné et ne laissait rien au hasard.

« Elle est sourde », dit-il. J’enlevai la plaque d’inspection pour avoir accès à la source d’alimentation.

« Quoi ?! » criai-je.

« T’es dingue. Elle ne peut rien entendre ».

« Imbécile, je sais ce que ça veut dire ‘sourde’, mais pourquoi répète-t-elle toujours ce que je dis ? »

« Elle te lit sur les lèvres ».

Ce fut pour moi une révélation vraiment étonnante. J’avais un fort accent de Missouri que tout le monde trouvait irritant, et que les allemands n’arrivaient guère à comprendre ; au moins les allemands qui n’étaient pas sourds.

Comment une allemande sourde pouvait-elle me lire sur les lèvres et me comprendre ?

De toute façon, la lecture sur les lèvres m’était toujours restée un mystère.

Et si quelqu’un souffre d’un trouble de la parole ? Ou si on avait des lèvres gonflées après s’être battu ? Marlène pourrait-elle toujours les lire sur les lèvres ? Et si deux personnes parlaient en même temps ? Intéressant, tout ça.

Je résolus de lui poser ces questions le lendemain quand j’irais lire le tableau d’affichage.

La source de courant sur le Mark 11 était instable, juste comme l’avait pensé Kabilis. On décida de la changer, ainsi que le circuit imprimé Failsafeendommagé. Je les rendis à la salle de fournitures pour les remplacer.

Le sergent LouieEngler était à son poste, en train de mémoriser les références. Bien qu’un peu gaga, le vieillard était tout de même aimable, et je m’amusais à lui poser des questions sur les références. Il avait plus de soixante ans et était resté au grade de sergent-chef depuis plus de vingt ans. J’avais le même grade, mais j’avais quarante ans de moins. Il prendrait sans doute sa retraite au même grade. Ça déroulait de la même façon tout le temps ; je lui donnerais une référence imaginaire, il y penserait un moment, puis il rirait.

« Ce n’est pas une référence véritable, n’est-ce pas ? » dit-il en me remettant un nouveau détecteur de rayonnement.

C’étaient de petits appareils ronds qu’on portrait sur les chaînes des badges à la poche de nos chemises uniformes, à un endroit où la couleur de l’indicateur serait visible. Les indicateurs étaient de couleur blanche, mais ils deviendraient jaunes après exposition au rayonnement.

Le sergent Engler s’assurait qu’on en avait un nouveau toutes les trois semaines.

Kabilis et moi installâmes les nouvelles pièces et nous commençâmes à exécuter les contrôles de continuité. On était obligé d’exécuter des contrôles sur tous les circuits de la bombe même si on avait déjà identifié l’équipement défectueux. Nous étions six techniciens en fonction à la base aérienne de Koningsfeld, et on était toujours occupé à maintenir les trente-six armes nucléaires qui y étaient. Cette base dans la région centrale en Allemagne de l’Ouest avait suffisamment de munitions pour ramener toutes les grandes villes de la Russie à l’âge de pierre – et on ignorait comment, à cette date de juillet 1962, on était tellement proche à faire exactement cela. On venait juste d’assassiner Peter Fechter, un habitant de Berlin Est, lorsqu’il essayait d’escalader le mur de Berlin nouvellement construit. Un photographe français dans le secteur Ouest avait pu prendre une photo des gardes-frontières de l’Allemagne de l’Est retirant le corps de la scène.

* * * * *

Il était obligatoire à tous les aviateurs de la 4029ième division de lire le tableau d’affichage chaque jour. On s’en plaignait toujours, mais cela me donnait, moi, l’occasion de voir Marlène.

« Pourquoi vous ne m’avez pas dit que vous êtes sourde ? »

« Qui vous dit ça ? »

« Ce n’est pas important. Pourquoi vous ne voulez pas qu’on sache que vous êtes sourde ? »

« C’est William Kabilis. Il n’aime pas moi beaucoup, n’est-ce pas ? »

« Si, il vous aime. Tout le monde vous aime. »

« Non, ils pensent que je suis catastrophe ».

« Dites, Marlène, je peux vous…. »

Le commandant fit son entrée dans le bureau avant que je ne puisse lui demander si elle voulait sortir avec moi. Je me mis au garde-à-vous et je posai ma main sur mon front pour le saluer. Il leva sa main sans enthousiasme, en guise de salutation.

 

Le commandant regarda l’heure, puis se tourna vers moi.

« Vous voulez me voir, sergent ? »

Il se tordit le visage de ressentiment. Il regarda mon badge ; il ne connaîtrait peut-être personne si les noms n’étaient pas cousus sur nos uniformes.

« Non, monsieur. Je suis venu voir…. »

J’étais confus. Que faisais-je devant le bureau du commandant si tôt le matin ? On ne venait le voir que lorsqu’on avait des ennuis ou si on était envoyé à une autre base. Il restait encore dix-huit mois de ma mission de trois ans en Allemagne de l’Ouest. J’espérais ne pas avoir d’ennuis.

Je vis du coin de l’œil Marlène regarder le tableau d’affichage, et puis se tourner vers moi.

« Je suis venu consulter la liste de service, monsieur », répondis-je, les yeux tournés vers le tableau d’affichage.

« D’accord ». Il regarda Marlène attentivement. Moi-même je tournai les yeux vers elle. « Eh bien, retourne au boulot ». Marlène répéta ses paroles. « On a tant de travail à faire. Venez dans mon bureau, Mlle.Mannemacher ». Il se tourna et entra dans son bureau.

« Au revoir », dis-je à Marlène à voix basse.

Elle sourit, pris son bloc-notes et se leva. Ses lèvres dirent « Aufwiedersehen » sans faire de bruit.

* * * * *

Le lendemain, je me tenais devant le tableau d’affichage à l’arrivée de Marlène. Elle mit son sac à main dans le tiroir du bureau, et, sans un bruit, elle dit, « Sergent Taxon, vous tellement dévoué ».

« Quoi ? », dis-je à voix basse.


Mlle. Marlene Mannmacher

« Tellement dévoué », dit-elle à voix basse, lentement et parfaitement.

« Oh ». Ça me fascinait de découvrir que je pouvais la lire sur les lèvres. « Pas vraiment ». Je voulais continuer le dialogue sans parler à haute voix. « J’aime admirer le paysage d’ici ».

Elle répéta mes paroles à voix basse, mais dit à voix élevée, « le paysage ? ».

Elle se mit à arranger son bureau pour déguiser sa confusion apparente. Elle n’avait pas de téléphone, seul un téléscripteur à côté pour la communication. Son visage s’illumina lorsqu’elle comprit que je parlais d’elle.

« Vous aimez l’Allemagne de l’Ouest ? », elle parlait lentement, telle une enseignante à son élève.

« Pardon ? » Je n’avais pas compris.

Elle répéta la question, et finalement je compris. Mais je ne comprenais pas pourquoi je désirais tant être avec elle dans son monde de silence. Je pense que ce n’était que par curiosité.

« Oui. Et j’aime aussi les allemands ».


Le sergent-chef Saxon « le païen » McKenzie

Cette affirmation lui faisait plaisir. Beaucoup d’américains ne prenaient même pas la peine de cacher leur ressentiment envers les allemands, nos anciens ennemis, mais qui nous avaient à présent accueillis chez eux.

« Personne ne m’a traité de telle façon avant ». Elle jeta un coup d’œil sur un trombone sur son bureau, le prit et tourna les yeux vers moi.

« Quoi ? »

« Lire sur les lèvres, en silence ».

Je ne la compris pas d’abord. J’inclinai la tête un peu d’un côté, et je lui demandai, « Comment avez-vous pu savoir que je ne parlais pas ? »

« Votre cou ». Elle se toucha à la gorge. « Cette chose ne bouge pas ».

« La pomme d’Adam ». Je plaçai la main sur ma gorge et je me rendis compte qu’elle ne bougea guère lorsque je parlais à voix basse. « Vous êtes très intelligente, Marlène. Plus intelligente que moi ».

Elle regarda le trombone avec lequel elle jouait, et puis tourna ses yeux vers moi.

« Je peux vous demander quelque chose ? »

Elle fit signe de oui de la tête et s’assit sur la chaise.

« Qu’est-ce qui vous a rendu sourde ? »

Ce fut évident qu’elle ne s’attendait pas à cette question, et ses yeux devinrent un peu voilés de larmes. Je n’aurais peut-être pas dû lui poser la question. Mais ma curiosité me domine tout le temps. Kabilis ne cessait pas à me demander ce que je faisais avec toute l’information que je cherchais. Je lui répondais que j’aimerais mieux connaître des gens, les endroits qu’ils avaient visités, tout. J’aime connaître un peu plus à propos des gens que je rencontre.

Marlène avait aussi des nouvelles à me donner, plus que ce à quoi je m’attendais.

Elle fit un triangle avec le trombone et le posa sur son bureau. Elle en prit un autre. Elle me regarda, et jamais je ne la vis plus sérieuse. Sa réponse fut courte et brusque.

« J’ai été blessée dans le bombardement de Cologne ».

Je compris tout, sauf le dernier mot. Je lui demandai de répéter, et je me concentrai sur ses lèvres. Elle fut blessée dans le bombardement de quelque chose, mais quoi ?

Réfléchis bien, imbécile, réfléchis.

Finalement je lui demandai, « Répétez le dernier mot seulement ».

Elle répéta « Cologne » lentement et doucement. Son visage s’assombrit de plus.

Je compris; si bien que je regrettais de lui avoir posé la question.

C’était l’an 1962, à peine dix-sept ans après la fin de la deuxième guerre mondiale. A mon avis, Marlène avait à peu près vingt ans, donc elle était sans doute un petit bébé en mai 1942. Le bombardement de Cologne ne fut pas une action glorieuse de notre part pendant la guerre. Des avions alliés attaquèrent l’ancienne ville pendant des nuits avec des milliers de bombes incendiaires. On pensait que la destruction des plus beaux monuments d’Allemagne et le massacre de milliers d’habitants feraient les allemands détester et par conséquent rejeter Hitler. Cela ne fut pas le cas, et la guerre continua pour trois ans encore.

« Nous sommes responsables de votre condition ? » lui demandai-je.

« Pas vous, Taxon. C’était la guerre. Les allemands n’étaient pas si innocents non plus ».

Elle fit un autre triangle avec le deuxième trombone. Elle le posa sur le premier pour en faire l’Etoile de David. Elle se leva et vint devant son bureau. Elle n’était qu’à quelques centimètres de moi.

« Vous ne tuerez jamais de femmes ni d’enfants ».

Marlène connaissait-elle ce qu’il y avait dans les bunkers de la base ? C’était de sa responsabilité de classifier tous les rapports, elle avait donc accès à tous les dossiers. Sans aucun doute savait-elle que je m’occupais de bombes atomiques. Un seul Mark 8 avait la capacité de détruire plus de dix Cologne.

« Vous savez l’âge que j’avais en 1942 ? » Elle me demanda. Elle me faisait encore la lire sur les lèvres et changea le sujet pour éviter trop de familiarité.

Je secouai ma tête.

Son visage s’illumina. « Cinq mois ». Elle tourna son attention sur moi, je fis un calcul rapide et elle sourit quand je compris que nous étions du même âge. « Je suis née en décembre 1941. Vous pouvez deviner quel jour ? » me demanda-t-elle.

J’avais déjà rencontré des gens nés en décembre 1941, mais jamais au même jour que moi. Je pouvais deviner de la façon dont elle me regardait qu’on était né le même jour, le 1er décembre. Elle avait accès à mon dossier personnel, donc il lui était facile de vérifier tout ceci. Mais pourquoi s’était-elle intéressée à ce détail ?

« Le 2 décembre », dis-je.

« Mensch », murmura-t-elle en me pinçant le bras. « Vous savez que c’est le 1er décembre, le même jour que vous ». C’était la première fois qu’elle me touchait. Sa douce pincée ne me fit pas mal du tout. J’eus envie de la toucher, mais je n’osais pas.

« Dites, Marlène, vous pouvez…."

La sirène se déclencha juste au moment où je voulais lui demander de sortir avec moi.

« Quoi ? » Elle se demandait sans doute pourquoi j’avais arrêté de parler au milieu de la phrase. Elle avait peut-être deviné mon intention.

J’avais tourné mon attention au haut-parleur au coin de la salle, près du plafond. Puis je me rappelai que Marlène ne pouvait pas l’entendre. J’inclinai ma tête vers le haut-parleur. « Une alerte”.

La sirène hurla pendant trente secondes, suivi d’une voix fastidieuse d’un aviateur. « C’est un exercice. C’est un exercice », continua-t-il de sa voix monotone.

« Ce n’est qu’un exercice », dis-je à Marlène.

« Trois Mickey Eights1 à la ligne de vol ». L’aviateur répéta ces instructions, puis il commença à nouveau de faire toute l’annonce.

« Je dois m’en aller ». Je me précipitai vers la sortie.

* * * * *

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1 Le Mickey Eightétait un missile nucléaire d’une capacité de 8 mégatonnes de TNT, chargée sur le Mark 8.

L’exercice se déroula bien. Kabilis et moi chargeâmes et vérifiâmes notre bombe avant les deux autres équipes de chargeurs.

« Je vais demander à Marlène de sortir avec moi », dis-je alors que nous déchargions la bombe et nous préparions à la retourner.

« T’es dingue ! » s’exclama Kabilis. Il enleva l’épingle de sûreté. « Déplacez-la un peu ».

« Non », répondis-je. La remorque bascula un peu lorsque je tirai sur le levier gauche, et la bombe recula. « Je l’aime ».

« Tu ne peux pas sortir avec une personne anormale ».

J’eus les yeux grands ouverts. Je ne m’attendais pas à entendre une telle chose de Kabilis.

Avant que je ne puisse dire quelque chose, le pilote descendit de l’aile du F106. « Kabilis, demandez à l’A&E de vérifier mon altimètre. Ça ne tient pas le réglage ».

« D’accord, lieutenant Wilson », répondit Kabilis.

Ils commencèrent à discuter de l’ingénierie et de l’école de pilotage. Je me sentais exclu ; je n’étais pas vraiment instruit. J’avais commencé les études de pré-médecine après mes études du lycée à Springfield dans l’état de Missouri, mais j’abandonnai pour rejoindre l’armée de l’air. Je décidai de ne rien dire, je craignais que mon manque d’éducation et mon ignorance de paysan m’exposeraient. Je m’occupai donc à faire descendre la bombe à la remorque et à ranger nos outils. On ne se parla pas sur la route vers la salle des munitions.

* * * * *

J’arrivai tard à la salle des ordonnances le lendemain.Kabilis était assis sur le bord du bureau de Marlène.Ils arrêtèrent de parler à mon entrée et Kabilis se leva d’un coup.

Marlène me sourit comme d’habitude. C’était clair de son regard innocent qu’elle était contente de me voir. Mais je n’étais pas sûr quant à Kabilis ; il avait l’air coupable, et un peu appréhensif. Je me demandais ce qu’il faisait là. Après un moment d’embarras, il dit au revoir à Marlène et me fit un signe de tête en sortant.

La jalousie est un sentiment bizarre, et ce fut pour moi une nouvelle expérience. Il ne faut jamais laisser la colère se mêler à la jalousie ; on peut en regretter plus tard les conséquences. Je n’arrivais guère à pouvoir contrôler l’une ou l’autre. Je ne savais pas non plus contourner les problèmes. Je les abordais toujours directement ; parfois un peu trop directement.

« De quoi parliez-vous ? »

Marlène me connaissait bien. On avait le même âge, mais elle était plus sage, beaucoup plus sage. Elle se plaisait à voir un homme révéler ses émotions, juste comme la plupart des femmes. Les femmes sont capables de reconnaître de fausses émotions, mais elles ont du mal à aborder les émotions cachées et supprimées par l’image masculine idéale.

« On parlait d’un ami ».Elle me regardait, et son sourire innocent me calma un peu. Elle s’attendait bien à ma réaction.

« Je ne savais pas que tu avais un ami », je lui dis sur les lèvres en me penchant sur son bureau.

Nous avions tous les deux le désir de continuer avec ce jeu de théâtre à sa conclusion logique, mais elle me vit regarder le haut-parleur avant qu’elle ne puisse me répondre. C’était encore une alerte, et nous étions obligés à remettre à un autre jour notre jeu de passion innocente.

* * * * *

Je poussai les leviers hydrauliques de la remorque et fit monter le Mark 11 alors que Kabilis aligna la bride de la bombe avec le pylône sous l’aile du bombardier F106. Ce fut le troisième exercice de la semaine.

 

« Je pensais que tu n’aimais pas Marlène ? » Lui demandai-je.

« Je ne l’aime pas ». Il vérifia l’alignement du pylône. « Fais-le monter un peu ».

« C’est vrai ? » Je tirai sur un des leviers et l’hydraulique grinça. La bombe recula un peu. « Ce n’est pas du tout ce que j’ai vu à son bureau ».

« Ah, bon ! Qu’est-ce que tu as vu ? » Il me regardait, les poings sur ses hanches.

« Tu la draguais ».

Il éclata de rire. « Eh bien, on verra ça samedi soir ».

« Qu’est-ce qui se passe samedi soir ? »

« Toi, moi, Marlène », répondit Kabilis. « Et un rendez-vous à l’aveugle ».

Je souris. « Et qui sort à l’aveugle ? »

« Ça dépendra si elle est jolie ou pas. Marlène a un handicap, il se peut que l’autre fille soit aveugle en réalité. Dans ce cas-là, je sors avec Marlène ».

« Tu aurais peut-être plus de chance avec une fille aveugle ».

« Tu rigoles ! On va à l’église dimanche ? »

Il n’oubliait jamais de me poser cette question chaque semaine. Il était un catholique dévoué, au moins les vendredis et les dimanches. Les lundis il allait se confesser et chercher l’absolution pour ses beuveries, son langage grossier, et pour ses activités adultères.

« Absolument pas, choriste. Et ne me le demande plus ».

« Mieux vaut un choriste qu’un païen ».

« Un païen peut s’amuser sans se trouver obligé après de demander pardon auprès d’un prêtre ».

« C’est vrai, mais au moins je ne brûlerai pas en enfer ».

« On verra qui y arrivera le premier », répliquai-je.

« Tu as des sous pour ce rendez-vous ? »

« Vous n’avez pas encore chargé ce truc-là ? »

Le lieutenant Wilson s’approchait de nous. Nous nous tînmes au garde-à-vous pour saluer l’aviateur, et il répondit avec un sourire.

« C’est une belle journée pour un exercice de bombardement, n’est-ce pas ? » dit-il.

« Oui, lieutenant », répondit Kabilis. « Du beau temps jusqu’à Moscou ».

L’aviateur rit en montant sur l’aile. « On peut passer sur la liste de contrôle ? »

« Oui, lieutenant », répondis-je.

Il monta dans le cockpit et commença à passer sur la liste de contrôle. Le chargement de la bombe et la vérification des instruments se passèrent bien, et on termina en moins de dix minutes.

On déchargea la bombe sur sa remorque basse, qu’on appelait « un alligator », et on la ramena au hangar à munitions.

Nous stationnâmes le Mark 11 à sa place dans le bunker en bêton, à côté des trois autres missiles. Il y avait neuf autres bunkers où on gardait le reste des 34 missiles nucléaires.

Nous bloquâmes les freins de l’alligator, et nous nous mîmes à regarder les quatre armes en forme de torpille. Elles ressemblaient à des bébés géants endormis. Elles avaient l’air hostile et sinistre dans la semi-obscurité, leur puissance horrifiante prête à exploser à tout moment. Ces quatre bêtes métalliques avaient la capacité, non seulement d’occasionner plus de dégâts que toutes les guerres dans l’histoire de l’humanité jusqu’à la deuxième guerre mondiale, mais elles pourraient aussi rendre le pays brûlé inhabitable pendant cinq cent ans ou plus.

* * * * *

Samedi soir, on alla chercher les femmes. L’amie de Marlène était blonde et très jolie. Elle me plaisait, et elle s’appelait Clarissa.

Je savais que Kabilis n’était pas sérieux à propos du choix de filles, et ça me soulagea qu’il allait passer le soir accompagné d’une belle femme, alors que j’allais m’amuser avec une belle brune.

C’était à quarante-cinq minutes en voiture au café Zur Sonne à Francfort. Nous étions un peu à l’étroit dans ma VW Beetle, modèle de 1951, mais le temps passa vite car les femmes ne cessaient pas de parler.

Clarissa, qui était assise à l’arrière avec Kabilis, touchait parfois Marlène sur l’épaule, pour qu’elle puisse se tourner pour lire sur les lèvres ce qu’on disait.

Tous les trois bavardaient en allemand. Kabilis parlait couramment allemand et russe, alors que je commençais juste à apprendre l’allemand.

Marlène traduisait tout ce que je ne comprenais pas en anglais afin que je puisse suivre la conversation.

On arriva bientôt au café. Il était déjà plein et bruyant. Nous trouvâmes une table à l’arrière et commandâmes un pichet de Heineken.

En ce temps-là, Heineken et Beck’s avaient un teneur en alcool de seize pourcent, ce qui était très puissant par rapport à 3,2% pour la bière américaine. Pourtant, Kabilis et moi étions de buveurs expérimentés, nous avions participé à de nombreux matchs de ‘tiens-tes-couilles’. Ces matchsavaient généralement lieu après l’extinction des lumières dans les casernes. Cinq ou six hommes avalaient très vite bouteille après bouteille de Heineken pour voir qui pourrait tenir le plus longtemps avant d’aller aux toilettes.

Kabilistenait le record de quatre heures, huit minutes, alors que je n’arrivais pas à tenir pour plus de trois heures. Je ne comprenais pas comment il y arrivait, il avait peut-être une vessie la taille d’une mamelle d’une vache Holstein.

Nous étions tous les quatre très ivres à 23 heures. Comme d’habitude, Kabilis commença à devenir un peu grossier aux autres hommes. Pourtant, il était toujours aussi doux que du miel envers les femmes.

Beaucoup d’allemands, surtout les jeunes hommes, n’aimaient pas les américains. Certains avaient combattu à la deuxième guerre mondiale – mais ce groupe était plutôt gentil. Cependant, les plus jeunes, ceux dont le père ou un frère est mort dans la guerre, étaient plus agressifs aux américains, surtout s’ils étaient accompagnés de femmes allemandes.

Six jeunes allemands étaient assis à une table à côté de nous. Ils étaient aussi saoulés que nous. Ils bavardaient et riaient bruyamment.

Je vis Clarissa réagir à une remarque d’un des jeunes allemands. Elle prit la main de Marlène et lui chuchota quelque chose. Elle se tourna pour regarder les hommes, qui éclatèrent de rire.

Kabilis avait sans doute compris ce qui faisait rire les jeunes hommes.

« Fils de putains ! », s’écria-t-il en allemand. « Et vos ânes aussi ! »

Un des hommes répondit immédiatement à ces injures.

« Ouais », dit Kabilis. « Ichsprechevondir, Arschloch » (Je m’adresse à toi, crétin).

Je n’avais pas compris toute la phrase, mais je pouvais deviner les conséquences.

Les jeunes hommes se croient toujours forts, et quand ils se sont saoulés, ils se prennent pour de gars indestructibles.

Il était de même pour mon copain et moi. Il mesurait 2 mètres, et pesait 80 kilos. Je mesurais 5 centimètres en plus, mais un peu plus mince. Pourtant, je grandis dans une ferme et donc j’avais développé des muscles solides. Ensuite, nos réflexes étaient mis au point par l’entrainement au combat. Et puis nous aimions tant les bagarres.

Un des hommes fit un signe de son doigt en guise d’insulte.Kabilis faillit marcher sur Clarissa pour attaquer l’homme, mais elle le retint.

« Ne lui fais pas attention, schatz. », dit Clarissa, ses mains sur les biceps de Kabilis. « Il va se calmer en un instant ».

L’homme pointa son doigt à Clarissa. « DummeSchlampe », dit-il, « siekannkein Date mit einemgutendeutschenJungenbekommen. Siemuss mit amerikanischemFurzgesichtausgehen » (Putain, elle n’a pas pu sortir avec un jeune allemand. Elle doit alors aller chercher un couillon d’américain).

En un clin d’œil Clarissa avait quitté sa place et avançait vers le mec avant que nous comprenions ce qui se passait.

Trop tard, Kabilis se leva pour l’arrêter.

Elle se jeta sur le mec. Il tomba de sa chaise, et Clarissa était sur le point de le frapper aux génitales avec ses hauts talons quand Kabilis la prit aux hanches pour la retirer.

Marlène essaya de m’empêcher de me mettre entre Clarissa et le mec , qui essayait de se lever.

Les restes des allemands décidèrent de se joindre à la bagarre. Le dernier à quitter sa chaise était un peu plus grand que moi, et pesait peut-être 20 kilos de plus. Je décidai de l’attaquer.

Je dis à haute voix à Kabilis, en indiquant du doigt au grand allemand, « Tiens ! Il vient juste de pisser sur lui-même ! »

Un des allemands m’avait compris, et il traduit aux autres ce que j’avais dit. Le grand mec se tourna vers moi, ses poings oscillaient tel un moulin gigantesque.

« Jawohl » dis-je en le peu d’allemand que je connaissais. « Lass uns tanzen » (Viens danser avec moi).

J’esquivai son coup de poing qui passa à toute vitesse au-dessus de mon oreille. Je lui donnai un coup à son ventre robuste, sans produire aucun impact.

J’esquivai son poing gauche, je me tournai derrière lui et je pus délivrer un coup au-dessous de ses reins. Ça lui fit mal, et il allait peut-être pisser du sang pendant quelques jours, mais ça ne l’arrêta point.