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La vie et la mort du roi Richard II

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SCÈNE IV

La scène est à Langley dans le jardin du duc d'York
Entrent LA REINE et DEUX DE SES DAMES

LA REINE. – Quel jeu pourrions-nous imaginer dans ce jardin, pour écarter les accablantes pensées de mes soucis?

UNE DES DAMES. – Madame, nous pourrions jouer aux boules.

LA REINE. – Cela ferait songer que le monde est plein d'inégalités, et que ma fortune est détournée de sa route.

LA DAME. – Madame, nous danserons.

LA REINE. – Mes pieds ne peuvent danser en mesure avec plaisir lorsque mon pauvre coeur ne garde aucune mesure dans son chagrin: ainsi, mon enfant, point de danse; quelque autre jeu.

LA DAME. – Eh bien, madame, nous conterons des histoires.

LA REINE. – Tristes, ou joyeuses?

LA DAME. – L'une ou l'autre, madame.

LA REINE. – Ni l'une ni l'autre, ma fille: si elles me parlaient de joie, comme la joie me manque absolument, elles ne feraient que me rappeler davantage ma tristesse: si elles me parlaient de chagrin, comme le chagrin me possède complétement, elles ne feraient qu'ajouter plus de douleur encore à mon manque de joie. Je n'ai pas besoin de répéter ce que j'ai déjà; et ce qui me manque, il est inutile de s'en plaindre…

LA DAME. – Madame, je chanterai.

LA REINE. – Je suis bien aise que tu aies sujet de chanter; mais tu me plairais davantage si tu voulais pleurer.

LA DAME. – Je pleurerais, madame, si cela pouvait vous faire du bien.

LA REINE. – Je pleurerais aussi, moi, si cela pouvait me faire du bien, et je ne t'emprunterais pas une larme. Mais attends. – Voilà les jardiniers. (Entrent un jardinier et deux garçons.) Enfonçons-nous sous l'ombrage de ces arbres: je gagerais ma misère contre une rangée d'épingles qu'ils vont parler de l'État, car tout le monde en parle dans le moment d'une révolution. Les malheurs ont toujours le malheur pour avant-coureur.

(La reine et ses deux dames se retirent.)

LE JARDINIER. – Va, rattache ces branches pendantes d'abricotier qui, comme des enfants indisciplinés, font ployer leur père sous l'oppression de leur poids surabondant; quelque appui aux rameaux qui se courbent. Et toi, va comme un exécuteur abattre la tête de ces jets trop prompts à croître, et qui s'élèvent trop orgueilleusement au-dessus de notre république. Tout doit être de niveau dans notre gouvernement. Tandis que vous y travaillerez, moi je vais arracher ces herbes sauvages et nuisibles qui dérobent sans profit aux fleurs utiles les sucs féconds de la terre.

UN DES GARÇONS. – Pourquoi prétendrions-nous entretenir dans l'étendue de cette enceinte des lois, des formes, des proportions régulières, et montrer, comme un échantillon, un état solide, lorsque notre jardin, enclos par la mer, le pays entier est rempli de mauvaises herbes, que ses plus belles fleurs sont étouffées, que ses arbres fruitiers ne sont pas taillés; que ses clôtures sont ruinées, ses parterres en désordre, et ses plantes utiles dévorées par les chenilles?

LE JARDINIER. – Sois tranquille: celui qui a souffert tout ce désordre du printemps est arrivé à la chute des feuilles; les mauvaises herbes qu'il abritait au loin de son vaste feuillage, et qui le dévoraient en paraissant l'appuyer, sont arrachées, racine et tout, par Bolingbroke; je veux dire, le comte de Wiltshire, Green et Bushy.

LE GARÇON. – Comment? Est-ce qu'ils sont morts?

LE JARDINIER. – Ils sont morts, et Bolingbroke a saisi le roi dissipateur. Oh! quelle pitié qu'il n'ait pas soigné et cultivé son royaume comme nous ce jardin! Nous, dans la saison, nous blessons l'écorce, la peau de nos arbres fruitiers, de crainte que, regorgeant de sève et de sang, ils ne périssent de l'excès de leurs richesses. S'il en eût usé de même avec les grands et les ambitieux, ils auraient pu vivre pour porter, et lui pour recueillir leurs fruits d'obéissance. Nous élaguons toutes les branches superflues pour conserver la vie aux rameaux féconds: s'il en eût agi ainsi, il porterait encore la couronne qu'en dissipant follement les heures il a fait complétement tomber de sa tête.

LE GARÇON. – Quoi! vous croyez donc que le roi sera déposé?

LE JARDINIER. – Il est déjà vaincu, et il y a toute apparence qu'il sera déposé. La nuit dernière il est venu des lettres à un ami intime du bon duc d'York qui annoncent de tristes nouvelles.

LA REINE, sortant du lieu où elle était cachée.-Oh! je suis suffoquée jusqu'à mourir de mon silence: – Toi, vieille figure d'Adam, établie pour soigner ces jardins, comment ta langue brutale ose-t-elle redire ces fâcheuses nouvelles? Quelle Ève, quel serpent t'a suggéré de renouveler ainsi la chute de l'homme maudit? Pourquoi dis-tu que le roi Richard est déposé? Oses-tu, toi qui ne vaux guère mieux que de la terre, présager sa chute? Dis-moi, où, quand et comment as-tu appris ces mauvaises nouvelles? Parle, misérable que tu es.

LE JARDINIER. – Madame, pardonnez-moi; je n'ai guère de plaisir à répéter ces nouvelles, mais ce que je dis est la vérité. Le roi Richard est entre les mains puissantes de Bolingbroke; leurs fortunes à tous deux ont été pesées: dans le bassin de votre seigneur il n'y a que lui seul, et quelques frivolités qui le rendent léger; mais dans le bassin du grand Bolingbroke sont avec lui tous les pairs d'Angleterre, et avec ce surpoids il emporte le roi Richard. Rendez-vous à Londres, et vous trouverez les choses ainsi: je ne dis que ce que tout le monde sait.

LA REINE. – Agile adversité, toi qui marches d'un pied si léger, n'est-ce pas à moi qu'appartenait ton message? Et je suis la dernière à en être informée? Oh! tu as soin de me servir la dernière afin que je conserve plus longtemps tes douleurs dans mon sein. – Venez, mes dames; allons trouver à Londres le roi de Londres dans l'infortune. – O ciel! étais-je née pour que ma tristesse embellît le triomphe du grand Bolingbroke? – Jardinier, pour m'avoir annoncé ces nouvelles de malheur, je voudrais que les plantes que tu greffes ne poussassent jamais.

(Elle sort avec ses dames.)

LE JARDINIER. – Pauvre reine? pour que ta situation n'empirât pas, je consentirais à ce que mes travaux subissent l'effet de ta malédiction. – Là, elle a laissé tomber une larme; je veux y planter une rue, l'amère herbe de grâce; la rue, qui exprime la compassion 21, croîtra bientôt ici en souvenir d'une reine qui pleurait.

(Ils sortent.)
FIN DU TROISIÈME ACTE

ACTE QUATRIÈME

SCÈNE I

A Londres. – La salle de Westminster
Les lords spirituels à la droite du trône, les lords temporels à la gauche, les communes au bas
Entrent BOLINGBROKE, AUMERLE, NORTHUMBERLAND, PERCY, SURREY, FITZWATER, UN AUTRE LORD, L'ÉVÊQUE DE CARLISLE, L'ABBÉ DE WESTMINSTER, suite; – viennent ensuite des officiers conduisant BAGOT

BOLINGBROKE. – Qu'on fasse avancer Bagot. – Allons, Bagot, parle librement et dis ce que tu sais de la mort du noble Glocester. Qui l'a tramée avec le roi, et qui a exécuté le sanglant office de sa mort prématurée?

BAGOT. – Alors faites paraître devant moi le lord Aumerle.

BOLINGBROKE. – Cousin, avancez, et regardez cet homme.

BAGOT. – Lord Aumerle, je sais que votre langue hardie dédaigne de désavouer ce qu'elle a une fois prononcé. Dans ces temps d'oppression où l'on complota la mort de Glocester, je vous ai entendu dire: «Mon bras n'est-il pas assez long pour atteindre, du sein de la tranquille cour d'Angleterre jusqu'à Calais, la tête de mon oncle?» Parmi plusieurs autres propos que vous avez tenus dans ce temps-là même, je vous ai ouï dire que vous refuseriez l'offre de cent mille couronnes 22 plutôt que de consentir au retour en Angleterre de Bolingbroke; ajoutant encore que la mort de votre cousin serait un grand bonheur pour le pays.

AUMERLE. – Princes, et vous, nobles seigneurs, quelle réponse dois-je faire à cet homme de rien? Faudra-t-il que je déshonore l'étoile illustre de ma naissance jusqu'à le châtier comme un égal? Il le faut cependant, ou consentir à voir mon honneur flétri par l'accusation de sa bouche calomnieuse. – Voilà mon gage, le sceau par lequel ma main te dévoue à la mort, et qui te marque pour l'enfer. – Je dis que tu en as menti; et je soutiendrai que ce que tu dis est faux, aux dépens du sang de ton coeur, bien qu'il soit trop vil pour que je dusse en ternir l'éclat de mon épée de chevalier.

BOLINGBROKE. – Arrête; Bagot, je te défends de le relever.

AUMERLE. – Hors un seul homme, je voudrais que ce fût le plus illustre de l'assemblée qui m'eût ainsi défié.

FITZWATER. – Si ta valeur tient à la sympathie 23, voilà mon gage, Aumerle, que j'oppose au tien. Par ce beau soleil qui me montre où tu es, je t'ai entendu dire, et tu t'en faisais gloire, que tu étais la cause de la mort du noble Glocester. Si tu le nies, tu en as vingt fois menti; et avec la pointe de ma rapière je ferai rentrer ton mensonge dans le coeur où il a été forgé.

 

AUMERLE. – Lâche, tu n'oserais vivre assez pour voir cette journée.

FITZWATER. – Par mon âme, je voudrais que ce fût à l'heure même.

AUMERLE. – Fitzwater, tu viens de dévouer ton âme à l'enfer.

PERCY. – Tu mens, Aumerle: son honneur est aussi pur dans ce défi qu'il est vrai que tu es déloyal; et pour preuve que tu l'es, je jette ici mon gage, prêt à le soutenir contre toi jusqu'à la dernière limite de la respiration. Relève-le si tu l'oses.

AUMERLE. – Si je ne le relève pas, puissent mes mains se pourrir, et ne plus jamais brandir un fer vengeur sur le casque étincelant de mon ennemi.

UN AUTRE LORD. – Je te défie de même sur le terrain, parjure Aumerle, et je te provoque par autant de démentis que j'en pourrais crier à tes oreilles perfides depuis un soleil jusqu'à l'autre. Voilà le gage de mon honneur; mets-le à l'épreuve si tu l'oses.

AUMERLE. – Qui en est encore? Par le ciel, je répondrai à tous: j'ai dans un seul coeur mille courages pour faire tête à vingt mille comme vous.

SURREY. – Lord Fitzwater, je me rappelle très-bien le jour où Aumerle et vous vous entretîntes ensemble.

FITZWATER. – Il est vrai; milord, vous étiez présent, et vous pouvez témoigner comme moi que ce que je dis est vrai.

SURREY. – Cela est aussi faux, par le ciel, que le ciel lui-même est sincère.

FITZWATER. – Surrey, tu en as menti.

SURREY. – Enfant sans honneur, ce démenti pèsera si lourdement sur mon épée, qu'il en sera tiré revanche et vengeance jusqu'à ce que toi qui m'as donné le démenti et ton démenti 24 gisiez vous la terre, aussi, tranquilles que le crâne de ton père; et pour preuve, voilà mon gage d'honneur: mets-le à l'épreuve.

FITZWATER. – Comme tu te plais follement à exciter un cheval emporté! De même que j'ose manger, boire, respirer et vivre, j'oserai affronter Surrey dans un désert, et lui cracher au visage en lui disant qu'il en a menti, et qu'il a menti, et qu'il en a menti. Voilà qui engage ma foi à t'obliger de recevoir ma vigoureuse correction. – Comme j'espère prospérer dans ce monde nouveau pour moi, Aumerle est coupable de ce que lui reproche mon loyal défi; de plus, j'ai ouï dire au banni Norfolk, que c'est toi, Aumerle, qui as envoyé deux de tes gens à Calais pour assassiner le noble duc.

AUMERLE. – Que quelque honnête chrétien me confie un gage pour prouver que Norfolk ment. Je jette ceci, dans le cas où Norfolk serait rappelé pour défendre son honneur.

BOLINGBROKE. – Tous ces défis resteront en suspens jusqu'au retour de Norfolk: il sera rappelé; et quoiqu'il soit mon ennemi, il sera rétabli dans tous ses biens et seigneuries, et à son arrivée nous le forcerons de justifier son honneur contre Aumerle.

L'ÉVÊQUE DE CARLISLE. – Jamais on ne verra ce jour honorable. – Norfolk, banni, a combattu bien des fois pour Jésus-Christ; il a porté dans les champs glorieux des chrétiens l'étendard de la croix chrétienne contre les noirs païens, les Turcs et les Sarrasins. Fatigué de travaux guerriers, il s'est retiré en Italie; et là, à Venise, il a rendu son corps à la terre de ces belles contrées, et son âme pure à Jésus-Christ son chef, sous les drapeaux duquel il avait combattu si longtemps.

BOLINGBROKE. – Quoi, prélat, Norfolk est mort?

L'ÉVÊQUE DE CARLISLE. – Aussi sûrement que je vis, milord.

BOLINGBROKE. – Qu'une heureuse paix conduise sa belle âme dans le sein du bon vieil Abraham! – Seigneurs appelants, vos défis resteront tous en suspens jusqu'à ce que nous vous assignions le jour du combat.

(Entre York avec sa suite.)

YORK. – Puissant duc de Lancastre, je viens vers toi de la part de Richard, dépouillé de ses plumes, qui t'adopte d'un coeur satisfait pour son héritier, et met tes mains royales en possession de son auguste sceptre. Monte sur le trône que tu hérites aujourd'hui de lui, et vive Henri, le quatrième du nom!

BOLINGBROKE. – C'est au nom de Dieu que je monte sur le trône royal.

L'ÉVÊQUE DE CARLISLE. – Que Dieu vous en préserve! – Je parlerai mal en votre royale présence; mais c'est à moi qu'il convient le mieux de dire la vérité. Plût à Dieu qu'il y eût dans cette noble assemblée un homme assez noble pour être le juge impartial du noble Richard: alors la vraie noblesse lui apprendrait à éviter une injustice aussi odieuse! Quel sujet peut prononcer l'arrêt de son roi? et qui de ceux qui siégent ici n'est pas sujet de Richard? Les voleurs ne sont jamais jugés sans être entendus, quelque évidente que soit en eux l'apparence du crime; et l'image de la majesté de Dieu, son lieutenant, son fondé de pouvoirs, son député choisi, oint, couronné et maintenu sur le trône depuis tant d'années, sera jugé par des bouches sujettes et inférieures, et cela sans même être présent! O Dieu! ne permets pas que dans un pays chrétien, des âmes civilisées donnent l'exemple d'un attentat si odieux, si noir, si indécent! Je parle à des sujets, et c'est un sujet qui parle, animé par le ciel pour prendre hardiment la défense de son roi. Milord d'Hereford, qui est ici présent, et que vous appelez roi, est un insigne traître au roi du superbe Hereford: si vous le couronnez, je vous prédis que le sang anglais engraissera la terre, et que les générations futures payeront de leurs gémissements cet horrible forfait. La paix ira dormir chez les Turcs et les infidèles; et dans ce séjour de la paix, des guerres tumultueuses confondront les familles contre les familles, les parents contre les parents; le désordre, l'horreur, la crainte et la révolte habiteront parmi vous; et cette terre sera nommée le champ de Golgotha et la place des crânes des morts. Oh! si vous élevez cette maison contre cette maison, il en résultera les plus désastreuses divisions qui jamais aient désolé ce monde maudit. Empêchez cela, résistez; qu'il n'en soit pas ainsi, de peur que vos enfants et les enfants de vos enfants ne crient sur vous: Malédiction!

NORTHUMBERLAND. – Vous avez parlé à merveille, monsieur; et pour votre peine, nous vous arrêtons ici comme coupable de haute trahison. – Lord Westminster, chargez-vous de veiller sur sa personne jusqu'au jour de son procès. – Vous plaît-il, milords, d'accorder aux communes leur requête?

BOLINGBROKE. – Qu'on introduise ici Richard, afin qu'il abdique publiquement: alors nous procéderons à l'abri de tout soupçon.

YORK. – Je vais me charger de l'amener.

(Il sort.)

BOLINGBROKE. – Vous, seigneurs, qui êtes ici arrêtés par nos ordres, donnez vos cautions de vous représenter au jour où vous serez sommés de répondre. (A l'évêque de Carlisle:) – Nous devons peu à votre affection pour nous, et nous comptions peu sur votre secours.

(Rentre York avec le roi Richard et des officiers portant la couronne.)

RICHARD. – Hélas! pourquoi m'oblige-t-on de me rendre aux ordres d'un roi avant que j'aie pu secouer encore les pensées royales qui ont accompagné mon règne! Je n'ai pu encore apprendre à insinuer, à flatter, à me courber, à fléchir le genou. Donnez au chagrin quelque temps pour m'instruire à la soumission. – Cependant, je n'ai point encore oublié la figure de ces hommes… Ne furent-ils pas à moi? ne m'ont-ils pas crié parfois: Salut? C'est ce que Judas fit à Jésus-Christ; mais lui, sur douze, il trouva la fidélité chez tous, sauf un seul; et moi, sur douze mille, je n'en trouve chez aucun. – Dieu sauve le roi! – Quoi! personne ne dira: Amen? serai-je à la fois le prêtre et le clerc? Eh bien, amen, Dieu sauve le roi, quoique ce ne soit pas moi; et amen encore si le ciel pense que c'est moi. – Pour rendre quel service m'amène-t-on ici?

YORK. – Pour accomplir ce que de ta libre volonté ta grandeur fatiguée t'a porté à offrir, la cession de ta puissance et de la couronne à Henri Bolingbroke.

RICHARD. – Donne-moi la couronne. – Cousin, la voilà; prends la couronne: ma main de ce côté-ci; la tienne de ce côté-là. – Maintenant cette couronne d'or ressemble à un puits profond… renfermant deux seaux qui se remplissent l'un l'autre, toujours le vide se balance dans l'air, tandis que l'autre est au bas, caché et plein d'eau: le seau d'en bas est rempli de larmes; c'est moi qui m'abreuve de ma douleur, tandis que vous vous élevez en haut.

BOLINGBROKE. – J'avais cru que vous abdiquiez de bon gré.

RICHARD. – Ma couronne, oui; mais mes chagrins me restent toujours. Vous pouvez me déposer de mes titres et de ma grandeur, mais non pas de mes chagrins; j'en suis toujours le roi.

BOLINGBROKE. – Vous me donnez une partie de vos soucis avec votre couronne.

RICHARD. – Vos soucis en croissant ne diminuent pas les miens: mes soucis viennent de la perte des soucis qui ont fait longtemps mon souci. Votre souci est le souci de gagner, causé par de nouveaux soucis. Les soucis que je vous cède, je les ai toujours après les avoir cédés: ils suivent la couronne; et cependant ils ne me quitteront point.

BOLINGBROKE. – Êtes-vous satisfait de renoncer à la couronne?

RICHARD. – Oui, non… non, oui 25; car je ne dois être rien. Par conséquent, non, car je te résigne ce que je suis. – Maintenant, voyez comment je me dépouille moi-même. Je décharge ma tête de ce lourd fardeau, et mon bras de ce sceptre pesant; j'arrache de mon coeur l'orgueil du pouvoir royal; j'efface de mes larmes l'onction que j'ai reçue, je donne ma couronne de mes propres mains; j'abjure de ma propre bouche ma grandeur sacrée, et ma propre voix délie tous mes sujets de leurs serments d'obéissance; je renonce solennellement à toute pompe et à toute majesté; j'abandonne tous mes manoirs, domaines, revenus; je rétracte tous mes actes, décrets et statuts. Que Dieu pardonne tous les serments violés envers moi! Que Dieu conserve inviolables, tous les serments qu'on te fait! qu'il m'ôte tout regret, à moi qui ne possède plus rien; et qu'il te contente en tout, toi qui as tout acquis! Puisses-tu vivre longtemps assis sur le trône de Richard! Puisse Richard descendre bientôt dans le sein de la terre! Dieu conserve le roi Henri et qu'il lui envoie de longues années de jours radieux! Ainsi dit Richard, qui n'est plus roi. Que faut-il de plus?

NORTHUMBERLAND lui présente un écrit.-Rien que de lire vous-même ces accusations, ces crimes terribles commis par votre personne et par vos adhérents contre la gloire et les intérêts du pays, afin que, d'après vos aveux, les âmes des hommes puissent croire que vous êtes justement déposé.

RICHARD. – Faut-il que je fasse cela, et faut-il que je démêle péniblement le tissu de mes égarements? Cher Northumberland, si tes fautes étaient écrites, ne serais-tu pas honteux d'en faire la lecture devant une si brillante assemblée? Si tu la faisais, tu y trouverais un article bien odieux… celui qui contiendrait la déposition d'un roi, et la violente lacération du puissant contrat des serments, crime marqué de noir et condamné dans le livre du ciel. – Et vous tous qui restez là à me regarder pris au piége par ma propre misère (bien que quelques-uns de vous, avec Pilate, en lavent leurs mains et affectent une pitié extérieure), tout Pilate que vous êtes, vous m'avez abandonné aux amertumes de ma croix, et l'eau ne saurait laver votre péché.

NORTHUMBERLAND. – Seigneur, hâtez-vous: lisez ces articles.

RICHARD. – Mes yeux sont pleins de larmes, je ne peux voir; et cependant l'eau salée ne les aveugle pas tant que je ne voie bien encore une troupe de traîtres ici. Eh quoi! si je tourne mes regards sur moi-même, j'y vois un traître comme les autres, car j'ai donné ici le consentement de ma volonté pour dépouiller la majestueuse personne d'un roi, avilir sa gloire, changer le souverain en esclave, faire de la majesté un sujet, et de la grandeur royale un paysan.

 

NORTHUMBERLAND. – Seigneur!

RICHARD. – Je ne suis pas ton seigneur, homme hautain et arrogant; je ne suis le seigneur de personne; je n'ai point de nom, point de titre, pas même le nom qui me fut donné sur les fonts baptismaux, qui ne soit usurpé. – O jour malheureux! que j'aie vu tant d'hivers, et que je ne sache de quel nom m'appeler aujourd'hui! Oh! que ne suis-je une figure de roi en neige exposé au soleil de Bolingbroke, pour me fondre en gouttes d'eau! – Bon roi… grand roi (et cependant non pas grandement bon), si ma parole vaut encore quelque chose en Angleterre, qu'à mon ordre on m'apporte sur-le-champ un miroir, afin qu'il me montre quel air a mon visage depuis qu'il a fait faillite de sa majesté royale.

BOLINGBROKE. – Allez, quelqu'un; qu'on apporte un miroir.

(Sort un homme de suite.)

NORTHUMBERLAND. – Lisez cet écrit pendant qu'on va chercher le miroir.

RICHARD. – Démon, tu me tourmentes avant que je sois en enfer.

BOLINGBROKE. – Lord Northumberland, n'insistez plus.

NORTHUMBERLAND. – Alors les communes ne seront pas satisfaites.

RICHARD. – Elles seront satisfaites: j'en lirai assez lorsque je verrai le véritable livre où tous mes péchés sont inscrits; ce livre c'est moi-même. (On apporte un miroir.) – Donnez-moi ce miroir; c'est là que je veux lire. – Quoi! ces rides ne sont pas plus profondes? Quoi! la douleur a frappé tant de coups sur ce visage, et n'y a pas fait des plaies plus profondes? O miroir flatteur, tu fais comme mes courtisans au temps de ma prospérité, tu me trompes! Est-ce là le visage de celui qui sous le toit de sa demeure entretenait chaque jour dix mille personnes? Est-ce là ce visage qui, comme le soleil, faisait cligner les yeux à ceux qui le contemplaient? Est-ce là le visage qui a soutenu tant de folie, et qui a été à la fin éclipsé par Bolingbroke? C'est une gloire fragile que celle qui brille sur ce visage, et ce visage est aussi fragile que la gloire (il jette contre terre le miroir qui se brise), car le voilà brisé en mille éclats. – Fais attention, roi silencieux, à la moralité de ce jeu. – Comme mon chagrin a vite détruit mon visage!

BOLINGBROKE. – L'image de votre chagrin a détruit l'image de votre figure.

RICHARD. – Répétez-moi cela: «l'image de votre chagrin?» Ah! voyons: oui, cela est vrai, mon chagrin est tout entier au dedans, et ces formes extérieures de deuil ne sont que des ombres du chagrin caché qui se gonfle en silence dans l'âme torturée. C'est là que vit le chagrin lui-même; et je te remercie, roi, de ta grande bonté, qui non-seulement me donne sujet de gémir, mais m'apprend de quelle manière je dois gémir. – Je ne vous demanderai plus qu'une grâce, et après je me retire; je ne vous importunerai plus: l'obtiendrai-je?

BOLINGBROKE. – Nommez-la, beau cousin.

RICHARD. – Beau cousin! Eh quoi! je suis plus grand qu'un roi; car, lorsque j'étais roi, je n'étais flatté que par des sujets; et maintenant que je ne suis plus qu'un sujet, j'ai ici un roi pour flatteur. Puisque je suis si grand, je n'ai pas besoin de demander de grâce.

BOLINGBROKE. – Demandez toujours.

RICHARD. – Et l'obtiendrai-je?

BOLINGBROKE. – Vous l'obtiendrez.

RICHARD. – Eh bien, donnez-moi la permission de m'en aller.

BOLINGBROKE. – Où?

RICHARD. – Où vous voudrez, pourvu que je sois loin de votre vue.

BOLINGBROKE. – Allez, quelques-uns de vous: qu'on le conduise à la Tour.

RICHARD. – Oh! vous êtes très-bons pour me conduire 26; vous êtes tous des gens de conduite, vous qui savez si lestement vous élever sur la chute d'un roi légitime.

(Sortent Richard, quelques-uns des lords et une garde.)

BOLINGBROKE. – C'est à mercredi prochain que nous fixons le jour de notre couronnement. Seigneurs, préparez-vous.

(Tous sortent, excepté l'abbé de Westminster, l'évêque de Carlisle, Aumerle.)

L'ABBÉ DE WESTMINSTER. – Nous avons vu là une triste cérémonie.

L'ÉVÊQUE DE CARLISLE. – La tristesse est à venir: les enfants qui ne sont pas encore nés sentiront ce jour les déchirer comme une épine.

AUMERLE. – Vous, saints ecclésiastiques, dites-nous, n'est-il point de moyen pour délivrer le royaume de cette pernicieuse souillure?

L'ABBÉ DE WESTMINSTER. – Avant que je vous explique librement ma pensée, il faudra que vous vous engagiez par serment, non-seulement à tenir mes projets ensevelis, mais à exécuter tout ce que je pourrai imaginer. – Je vois que vos regards sont remplis de mécontentement, vos coeurs de chagrin, et vos yeux de larmes. Venez souper chez moi, et je préparerai un plan qui nous ramènera à tous des jours de bonheur.

(Ils sortent.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE
21Rue, even for ruth. «Rue, qui veut dire la même chose que ruth.» Ruth (compassion), vient en effet de to rue (déplorer). On appelait la rue l'herbe de grâce, parce qu'elle servait d'aspersoir pour l'eau bénite.
22Monnaie d'or.
23… Stand on sympathies.
24That lie shall lie so heavy on my swordTill thou the lie giver and that lie do lie. Jeux de mots impossibles à rendre en français, même par des équivalents.
25Ay, no, no, ay, for I must nothing be. Vous me demandez si je suis satisfait, comme je ne dois être rien, je ne puis être satisfait, c'est donc: oui et non, non et oui. Ay, no. No, ay.
26O good! convey, conveyors are you all. Convey, conveyor, signifie aussi escamoter, escamoteur. Il était impossible de donner un sens en français à cette plaisanterie en traduisant littéralement.