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La vie et la mort du roi Richard II

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SCÈNE IV

La scène est toujours à Coventry. – Un appartement dans le château du roi
Entrent LE ROI RICHARD, BAGOT et GREEN, ensuite AUMERLE

RICHARD. – Oui, nous nous en sommes aperçus. – Cousin Aumerle, jusqu'où avez-vous conduit le grand Hereford sur son chemin? 5

AUMERLE. – J'ai conduit le grand Hereford, puisqu'il vous plaît de l'appeler ainsi, jusqu'au grand chemin le plus voisin, et je l'ai laissé là.

RICHARD. – Et dites-moi, quel flot de larmes a-t-il été versé au moment de la séparation?

AUMERLE. – Ma foi, de ma part aucune, à moins que le vent du nord-est, qui nous soufflait alors cruellement au visage, n'ait mis en mouvement un rhume endormi, et n'ait ainsi, par hasard, honoré d'une larme nos adieux hypocrites.

RICHARD. – Qu'a dit notre cousin lorsque vous vous êtes quittés?

AUMERLE. – Il m'a dit: portez-vous bien 6; et, comme mon coeur dédaignait de voir ma langue profaner ce souhait, je me suis avisé de contrefaire l'accablement d'un chagrin si profond, que mes paroles semblaient ensevelies dans le tombeau de ma douleur. Vraiment, si ces mots, portez-vous bien avaient pu allonger les heures et ajouter aux années de son court exil, il aurait eu un volume de portez-vous bien; mais comme cela n'était pas, il n'en a point eu de moi.

RICHARD. – Il est notre cousin, cousin; mais il est douteux, lorsque arrivera le temps qui doit le ramener de l'exil, que notre parent revienne voir ses amis. Nous-même, et Bushy, et Bagot que voilà, et Green aussi, nous avons remarqué comme il faisait la cour au commun peuple; comme il cherchait à pénétrer dans leurs coeurs par une politesse modeste et familière; quels respects il prodiguait à des misérables, s'étudiant à gagner le dernier des artisans par l'art de ses sourires et par une soumission patiente à sa fortune, comme s'il eût voulu emporter avec lui leurs affections: il ôtait son bonnet à une marchande d'huîtres; deux charretiers, pour lui avoir souhaité la faveur de Dieu, ont reçu l'hommage de son flexible genou, avec ces mots: «Je vous remercie, mes compatriotes, mes bons amis;» comme si notre Angleterre lui devait revenir en héritage, et qu'il fût au premier degré l'espérance de nos sujets.

GREEN. – Eh bien, il est parti; bannissons avec lui toutes ces idées. Maintenant songeons aux rebelles soulevés dans l'Irlande: il faut s'en occuper promptement, mon souverain, avant que de plus longs délais multiplient leurs moyens à leur avantage et au détriment de Votre Majesté.

RICHARD. – Nous irons en personne à cette guerre; et comme une cour trop brillante et la libéralité de nos largesses ont rendu nos coffres un peu légers, nous nous trouvons forcés d'affermer nos domaines royaux pour en retirer un revenu qui puisse fournir aux affaires du moment. Si cela ne suffisait pas, nos lieutenants auront ici des blancs seings, au moyen desquels, quand ils sauront que les gens sont riches, ils leur imposeront de grosses sommes d'or qu'ils nous enverront pour faire face à nos besoins; car nous voulons partir sans délai pour l'Irlande. (Entre Bushy.) – Quelles nouvelles, Bushy?

BUSHY. – Le vieux Jean de Gaunt, seigneur, est dangereusement malade: il a été pris subitement, et il a envoyé un exprès en diligence pour conjurer Votre Majesté d'aller le visiter.

RICHARD. – Où est-il?

BUSHY. – A Ely-House.

RICHARD. – Ciel, inspire à son médecin la pensée de l'aider à descendre promptement dans la tombe! La doublure de ses coffres nous ferait des habits pour équiper nos soldats de l'armée d'Irlande. – Venez, messieurs; allons tous le visiter, et prions le ciel qu'en faisant diligence nous arrivions trop tard.

(Ils sortent.)
FIN DU PREMIER ACTE

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

Un appartement à Ely-House
GAUNT sur un lit de repos, LE DUC D'YORK, et d'autres personnes autour de lui

GAUNT. – Le roi viendra-t-il? Pourrai-je rendre le dernier soupir en donnant de salutaires conseils à sa jeunesse sans appui?

YORK. – Cessez de vous tourmenter; ne forcez point votre poitrine, car c'est bien en vain que les conseils arrivent à son oreille.

GAUNT. – Oh! mais on dit que la voix des mourants captive l'attention comme une solennelle harmonie; que lorsque les paroles sont rares, elles ne sont guère jetées en vain, car ils exhalent la vérité ceux qui exhalent leurs paroles dans la douleur, et celui qui ne parlera plus est plus écouté que ceux auxquels la jeunesse et la santé ont appris à causer. On remarque plus la fin des hommes que leurs vies précédentes; de même que le coucher du soleil, la dernière phrase d'un air, la dernière saveur d'un mets agréable sont plus douces à la fin et se gravent mieux dans la mémoire que les choses passées depuis longtemps. Quoique Richard ait refusé d'écouter les conseils de ma vie, les tristes discours de ma mort peuvent encore vaincre la dureté de son oreille.

YORK. – Non, elle est bouchée par d'autres sons plus flatteurs, par exemple les éloges donnés à sa magnificence: on entend ensuite autour de lui des vers impurs dont les sons empoisonnés trouvent l'oreille de la jeunesse toujours ouverte pour les entendre; on l'entretient des modes de la superbe Italie, dont notre peuple cherche gauchement à singer, en les suivant de loin, les manières dans une honteuse imitation. Quelque part qu'il vienne de naître une frivolité dans le monde, quelque misérable qu'elle puisse être, pourvu qu'elle soit nouvelle, ne court-on pas aussitôt en étourdir l'oreille du roi? Tous les conseils arrivent trop tard là où la volonté se révolte contre les considérations de la raison. N'entreprends point de guider celui qui veut choisir son chemin lui-même. Il ne te reste qu'un souffle, et tu veux le perdre en vain!

GAUNT. – Il me semble que je suis un prophète nouvellement inspiré, et voici ce qu'en expirant je prédis de lui: La fougue insensée de cette ardeur de désordre ne saurait durer, car les incendies violents sont bientôt éteints, les petites ondées durent longtemps; mais les orages soudains sont bientôt finis. Celui qui donne trop continuellement de l'éperon fatigue bientôt sa monture; et la nourriture avidement engloutie étouffe celui qui la dévore: l'imprévoyante vanité, cormoran insatiable, consomme ses ressources et finit par se dévorer elle-même. – Ce noble trône des rois; cette île souveraine, cette terre de majesté, ce séjour de Mars, ce nouvel Éden, ce demi-paradis, cette forteresse bâtie par la nature elle-même pour s'y retrancher contre la contagion et contre le bras de la guerre; cette heureuse race d'hommes, ce petit univers, cette pierre précieuse enchâssée dans la mer d'argent qui, comme un rempart ou comme un fossé creusé autour d'une maison, la défend contre la jalousie des contrées moins fortunées; ce sol béni du ciel, cette terre, ce royaume, cette Angleterre, cette nourrice, ce sein fécond en rois redoutés par la valeur de leur race, fameux par leur naissance, renommés par leurs exploits, que, pour le service de la chrétienté et l'honneur de la chevalerie ils ont portés loin de leur patrie, jusqu'au sépulcre qui est dans la rebelle Judée, le tombeau du fils de la bienheureuse Marie, la rançon de l'univers; cette chère, chère patrie, chérie pour sa réputation dans le monde entier, est maintenant (ah! je meurs de le prononcer) engagée à bail comme un fief ou une misérable ferme! L'Angleterre, ceinte d'une mer triomphante, dont le rivage rocailleux repousse les jaloux assauts de l'humide Neptune, est maintenant honteusement enchaînée par quelques taches d'encre et des liens de parchemin pourri… cette Angleterre, qui était accoutumée à conquérir les autres, a fait d'elle-même une ignominieuse conquête. Ah! si ce scandale devait s'évanouir avec ma vie, combien me trouverais-je heureux de voir arriver la mort!

 
(Entrent le roi Richard, la reine 7, Aumerle, Bushy, Green, Bagot, Ross et Willoughby.)

YORK. – Voilà le roi arrivé. Ménagez sa jeunesse: un jeune cheval bouillant, si l'on s'irrite contre lui, s'en irrite bien davantage.

LA REINE-Comment se porte notre noble oncle Lancastre?

RICHARD. – Eh bien, vieillard, comment cela va-t-il? comment se trouve le vieux Gaunt?

GAUNT. – Oh! comme ce nom 8 convient à ma figure! Je suis un vieux desséché, en effet, et desséché parce que je suis vieux; le chagrin a gardé en moi une longue abstinence; et qui peut s'abstenir de nourriture et n'être pas desséché? J'ai veillé longtemps pour l'Angleterre endormie: les veilles engendrent la maigreur, et la maigreur est toute desséchée; ce plaisir qui sert quelquefois d'aliment à un père, la vue de mes enfants, j'en ai sévèrement jeûné; c'est au moyen de ce jeûne que tu m'as desséché. Je suis desséché comme il convient à la tombe, desséché comme la tombe dont les creuses entrailles ne renferment rien que des os.

RICHARD. – Un malade peut-il jouer si subtilement sur son nom?

GAUNT. – Non, la misère se plaît à se jouer d'elle-même. Puisque tu as cherché à tuer mon nom dans ma personne; j'insulte à mon nom, grand roi, pour te flatter.

RICHARD. – Les mourants devraient-ils flatter les vivants?

GAUNT. – Non, non, mais les vivants flattent les mourants.

RICHARD. – Mais toi qui te meurs maintenant, tu prétends que tu me flattes?

GAUNT. – Oh! non, c'est toi qui te meurs, bien que je sois le plus malade.

RICHARD. – Moi, je suis en santé, je respire, et je te vois bien malade.

GAUNT. – Celui qui m'a fait sait combien je te vois malade, malade moi-même à cause de ce que je vois, et en te voyant malade; ton lit de mort est aussi vaste que ton pays où tu languis malade dans ta réputation. Et toi, malade trop insouciant, tu confies la guérison de ton corps oint du Seigneur aux médecins mêmes qui t'ont blessé. En dedans de cette couronne, dont le cercle n'est pas plus grand que ta tête, siége un millier de flatteurs qui, bien que renfermés dans cet étroit espace, étendent leurs dégâts jusqu'aux confins de ton pays. Oh! si ton grand-père eût pu voir d'un oeil prophétique, comment le fils de son fils ruinerait sa postérité, il aurait pris soin de placer ta honte hors de ta portée, en te déposant avant que tu entrasses en possession, puisque tu ne possèdes aujourd'hui que pour te déposer toi-même. Oui, mon neveu, quand tu serais le maître du monde entier, il serait encore honteux de donner ce pays à bail: mais lorsque ton univers se borne, à la possession de ce pays, n'est-il pas plus que honteux de le réduire à cette honte? Tu n'es à présent que l'intendant de l'Angleterre, et non pas son roi: tu as soumis ton esclave, ta puissance royale à la loi, et tu es… 9

RICHARD. – Un imbécile lunatique à la tête faible qui te prévaux des priviléges de la maladie pour oser, chassant avec violence le sang royal de sa résidence naturelle, faire pâlir nos joues par ta morale glacée. Mais, j'en jure la majesté royale de mon trône, si tu n'étais pas le frère du fils du grand Édouard, ta langue, qui roule si grand train dans ta bouche, ferait rouler ta tête de dessus tes insolentes épaules.

GAUNT. – Fils de mon frère Édouard, oh! ne m'épargne pas parce que je suis le fils d'Édouard son père. Semblable au pélican, tu l'as déjà fait couler ce sang, tu l'as bu dans tes orgies. Mon frère Glocester, cette âme simple et de bonnes intentions (veuille le ciel l'admettre au nombre des âmes heureuses!), peut servir d'exemple et de témoignage pour démontrer que tu ne te fais pas scrupule de verser le sang d'Édouard. Ligue-toi avec mon mal actuel, et que ta cruauté, comme la faux de la vieillesse, moissonne d'un coup une fleur depuis trop longtemps flétrie. Vis dans ta honte, mais que ta honte ne meure pas avec toi, et que ces paroles fassent ton supplice dans l'avenir! – Reportez-moi dans mon lit, et de mon lit à la tombe. Qu'ils aiment la vie ceux qui y trouvent de la tendresse et de l'honneur!

(Il sort emporté par les gens de sa suite.)

RICHARD. – Et ceux-là font bien de mourir qui sont vieux et chagrins. Tu es tous les deux, et par là le tombeau te convient doublement.

YORK. – Je supplie Votre Majesté de n'imputer ses paroles qu'à l'humeur de la maladie et de la vieillesse. Il vous aime, sur ma vie, et vous tient pour aussi cher qu'Henri duc d'Hereford, s'il était ici.

RICHARD. – C'est vrai, vous dites la vérité; son amour pour moi ressemble à celui d'Hereford; et le mien est comme le leur… Que les choses soient ce qu'elles sont.

(Entre Northumberland.)

NORTHUMBERLAND. – Mon souverain, le vieux Gaunt se recommande au souvenir de Votre Majesté.

RICHARD. – Que dit-il maintenant?

NORTHUMBERLAND. – Rien vraiment. Tout est dit; sa langue est maintenant un instrument sans cordes: le vieux Lancastre a dépensé vie, paroles, et tout le reste.

YORK. – Qu'York soit après lui le premier qui fasse ainsi banqueroute! La mort, tout indigente qu'elle est, met un terme à des douleurs mortelles.

RICHARD. – Le fruit le plus mûr tombe le premier: ainsi fait-il: c'est son tour, son temps est passé: c'est celui de notre voyage à nous autres. C'en est assez là-dessus. – Maintenant songeons à nos guerres d'Irlande. Il nous faut chasser ces sauvages Kernes à la chevelure crépue, qui existent comme un venin là où n'a la permission de résider aucun autre venin qu'eux-mêmes 10. Et pour cette importante expédition, nous avons besoin de subsides qui nous aident à la soutenir: nous saisissons donc l'argenterie, l'argent monnayé, les revenus et le mobilier que possédait notre oncle Gaunt.

YORK. – Jusques à quand serai-je patient? Combien de temps encore mon tendre attachement à mon devoir me fera-t-il supporter l'injustice? Ni la mort de Glocester, ni le bannissement d'Hereford, ni les affronts de Gaunt, ni les maux domestiques de l'Angleterre, ni les empêchements apportés au mariage de ce pauvre Bolingbroke 11, ni ma propre disgrâce, n'ont jamais apporté une nuance d'aigreur sur mon visage soumis, ne m'ont jamais fait porter sur mon souverain un regard irrité. – Je suis le dernier des fils du noble Édouard, dont ton père, le prince de Galles, était le premier. Jamais lion ne fut plus terrible dans la guerre, jamais paisible agneau ne fut plus doux dans la paix que ne l'était ce noble jeune homme. Tu as ses traits; oui, c'était là son air à l'âge où il comptait le même nombre d'heures que toi. Mais lorsqu'il prenait un front menaçant, c'était contre le Français, et non contre ses amis; sa main victorieuse conquérait ce qu'elle dépensait, et ne dépensait pas ce qu'avait conquis le bras triomphant de son père; ses mains ne furent jamais souillées du sang de ses parents; elles ne furent teintes que du sang des ennemis de sa race. – O Richard! York est trop accablé par la douleur: sans elle il ne vous eût jamais comparés.

RICHARD. – Eh bien, quoi, mon oncle, qu'est-ce que c'est?

YORK. – O mon souverain, pardonnez-moi si c'est votre bon plaisir; sinon, content de n'être pas pardonné, je suis également satisfait. Quoi! vous voulez saisir et retenir en vos mains les droits souverains et les biens d'Hereford exilé? Gaunt n'est-il pas mort? Hereford n'est-il pas vivant? Gaunt ne fut-il pas un homme d'honneur? Henri n'est-il pas fidèle? Le père ne mérite-il pas un héritier? son héritier n'est-il pas un fils bien méritant? Si tu enlèves à Hereford ses droits, et au temps ses chartes et ses droits coutumiers, que demain ne succède donc plus à aujourd'hui; ne sois plus ce que tu es: car comment es-tu roi, si ce n'est par une descendance et une succession légitime? Maintenant devant Dieu, et Dieu me prescrit de dire la vérité, si par une injustice vous vous emparez de l'héritage d'Hereford, si vous mettez en question les lettres patentes présentées par ses mandataires pour revendiquer sa succession, et que vous refusiez l'hommage qu'il vous offre, vous attirez mille dangers sur votre tête, vous perdez mille coeurs bien disposés pour vous, et vous forcez la patience de mon attachement à des pensées que ne peuvent se permettre l'honneur et la fidélité.

RICHARD. – Pensez ce qu'il vous plaira: nous saisissons dans nos mains son argenterie, son argent, ses biens et ses terres.

YORK. – Je n'en serai pas témoin. Adieu, mon souverain. – Personne ne peut dire quelles seront les suites de ceci: mais d'injustes actions donnent lieu de présumer que leurs suites ne peuvent jamais être heureuses.

(Il sort.)

RICHARD. – Bushy, allez sans délai trouver le comte de Wiltshire 12; dites-lui de se rendre auprès de nous à Ely-House pour voir à cette affaire. Demain nous partons pour l'Irlande, et je crois qu'il en est bien temps. Nous créons notre oncle York lord gouverneur de l'Angleterre en notre absence, car c'est un homme juste et qui nous a toujours tendrement aimé. – Venez, ma reine; demain il faudra nous séparer: réjouissons-nous, car nous n'avons que peu de temps à passer ensemble.

(Fanfares. – Sortent le roi, la reine, Bushy, Aumerle, Green et Bagot.)

NORTHUMBERLAND. – Eh bien, seigneur, le duc de Lancastre est donc mort?

ROSS. – Et vivant, car maintenant son fils est duc.

 

WILLOUGHBY. – De nom seulement, mais non quant au revenu.

NORTHUMBERLAND. – Il serait riche en titre et en fortune si la justice avait ses droits.

ROSS. – Mon coeur est grand, mais il rompra sous le silence avant que je donne à mes paroles la liberté de le décharger.

NORTHUMBERLAND. – Allons, dis ce que tu penses, et que la parole soit interdite pour jamais à celui qui répétera les tiennes pour te nuire!

WILLOUGHBY. – Ce que tu veux dire intéresse-t-il le duc d'Hereford? S'il en est ainsi, parle hardiment, ami: j'ai l'oreille fine pour entendre ce qui lui est bon.

ROSS. – Je ne puis lui être bon à rien du tout, à moins que vous n'appeliez lui être bon à quelque chose de le plaindre en le voyant ainsi dépouillé et mutilé 13 dans son patrimoine.

NORTHUMBERLAND. – Par le ciel, c'est une honte de souffrir dans ce royaume en décadence qu'on lui fasse de semblables injustices, à lui prince du sang royal, et à tant d'autres de noble race. Le roi n'est plus lui-même; il se laisse lâchement gouverner par des flatteurs; et tout ce qu'ils voudront raconter par pure haine contre chacun de nous tous, le roi le poursuivra avec rigueur contre nous, notre vie, nos enfants et nos héritiers.

ROSS. – Il a ruiné les communes par des taxes accablantes, et il a tout à fait perdu leurs coeurs: il a, pour de vieilles querelles, condamné les nobles à des amendes, et il a aussi perdu, leurs coeurs.

WILLOUGHBY. – Et chaque jour on invente de nouvelles exactions, comme blancs seings, dons gratuits, et je ne sais pas quoi. Mais, au nom de Dieu, que devient tout cela?

NORTHUMBERLAND. – Ce n'est pas la guerre qui l'a consumé, car il n'a point fait la guerre: il a honteusement livré par contrat ce que ses ancêtres avaient conquis à force de coups: il a plus dépensé dans la paix qu'ils n'ont fait dans toutes leurs guerres.

ROSS. – Le comte de Wiltshire tient le royaume à ferme.

WILLOUGHBY. – Le roi s'est fait banqueroutier, comme un homme ruiné.

NORTHUMBERLAND. – L'opprobre et la destruction sont suspendus sur sa tête.

ROSS. – Malgré ses lourdes taxes, il n'aura point d'argent pour ces guerres d'Irlande, s'il ne le vole au duc banni.

NORTHUMBERLAND. – Son noble parent! – O roi dégénéré! – Mais, milords, nous entendons siffler cette horrible tempête, et nous ne cherchons aucun abri contre l'orage. Nous voyons les vents serrer de près nos voiles, et, sans songer à les carguer, nous nous laissons tranquillement périr.

ROSS. – Nous voyons le naufrage qui nous attend, et le danger est inévitable maintenant, parce que nous avons trop supporté les causes de notre perte.

NORTHUMBERLAND. – Non, il n'est point inévitable; à travers les yeux creusés de la mort même, je vois poindre la vie: mais je n'ose dire combien est proche la nouvelle de notre salut.

WILLOUGHBY. – Allons, fais-nous part de tes pensées, comme nous te faisons part des nôtres.

ROSS. – Northumberland, parle avec confiance; tous trois nous ne faisons qu'un avec toi; et en parlant, tes paroles demeurent comme des pensées. Sois donc sans crainte.

NORTHUMBERLAND. – Eh bien, alors, j'ai reçu avis de Port-le-Blanc (une baie de la Bretagne) que Henri Hereford, Reynold, lord Cobham, le fils de Richard comte d'Arundel 14, échappé dernièrement de chez le duc d'Exeter son frère, ci-devant archevêque de Cantorbéry; sir Thomas Erpingham, sir John Ramston, sir John Norbery, sir Robert Waterton, et François Quoint, tous bien pourvus de munitions par le duc de Bretagne, font force de voiles vers l'Angleterre, montés sur huit gros vaisseaux avec trois mille hommes de guerre, et se proposent d'aborder sous peu sur nos côtes septentrionales; et peut-être y seraient-ils déjà, si ce n'est qu'ils attendent d'abord le départ du roi pour l'Irlande. Si donc nous voulons secouer le joug de la servitude, regarnir de plumes les ailes brisées de notre patrie languissante, racheter la couronne ternie à l'usurier qui la tient en gage, essuyer la poussière qui couvre l'or de notre sceptre, et rendre à la royauté sa majesté naturelle, venez avec moi en toute hâte à Ravensburg. Si vous faiblissez, retenus par la crainte, restez ici, gardez notre secret, et moi j'y cours.

ROSS. – A cheval, à cheval! Propose tes doutes à ceux qui ont peur.

WILLOUGHBY. – Si mon cheval résiste, j'y serai le premier.

(Ils sortent.)
5Johnson a voulu supposer ici quelque erreur de copiste dans la distribution des actes, et, d'après une nouvelle disposition qu'a suivie Letourneur, il fait commencer au retour d'Aumerle le second acte, que les anciennes copies ne font commencer qu'à l'arrivée du roi à Ely. Il se fonde sur ce qu'il faut bien donner au vieux Gaunt le temps d'accompagner son fils, de revenir et de tomber malade. Mais d'abord, Gaunt n'accompagne point son fils; il le met seulement en chemin (on the way); ensuite on peut supposer autant de temps que l'on voudra entre la troisième et la quatrième scène du premier acte, autant du moins qu'il en faut pour le retour d'Aumerle et la nouvelle de la maladie du vieux Gaunt, qui, nous dit-on, a été pris subitement. La distribution des actes telle qu'on la trouve dans les anciennes éditions a du moins l'avantage de renfermer dans le premier acte un événement fini, le départ d'Hereford; et comme la distribution imaginée par Johnson ne donne d'ailleurs aucun moyen d'expliquer avec vraisemblance les événements qui sont censés s'être passés dans l'intervalle du premier au deuxième acte, on a conservé l'ancienne. Au reste, dans les éditions faites avant la mort de Shakspeare, la pièce n'était point coupée en actes, mais simplement composée d'une suite de scènes: les éditions faites immédiatement après sa mort n'ont donc sur celles qui l'ont précédée que l'avantage d'une tradition plus récente des directions théâtrales qu'avait données l'auteur; elles semblent de plus, dans ce cas-ci, avoir en leur faveur le bon sens dramatique.
6…Farewell. Farewell, l'adieu ordinaire des Anglais, signifie portez-vous bien. Il a fallu le traduire ainsi, pour faire comprendre la répugnance d'Aumerle à le prononcer.
7Le personnage de la reine est de l'invention de Shakspeare. Richard, veuf d'Anne, soeur de l'empereur Venceslas, était fiancé depuis trois ans à Isabelle de France, qui n'en avait que dix.
8Gaunt en anglais signifie mince, maigre, desséché. Voici tout le passage, et cette suite de jeux de mots qui sont bien dans les habitudes d'esprit du temps, mais auxquels il a été impossible de trouver un équivalent en français: O, how that name befits my composition!Old Gaunt, indeed; and gaunt in being old:Within me grief hath kept a tedious fast,And who abstains from meat and is not gaunt?The pleasure, that some fathers feed upon,Is my strict fast, I mean, my children's looks,And therein fasting, hast thou made me Gaunt,Gaunt I am for the grave, Gaunt as a graveWhose hollow womb inherits nought but bones.
9The state of law is bondslave to the law.
10Il était de tradition que, grâce à la protection de saint Patrick, aucun animal venimeux ne pouvait vivre en Irlande.
11Il fut question, dit-on, pendant l'exil du duc d'Hereford en France de lui donner en mariage la fille du duc de Berry, mais Richard s'y opposa.
12Ce fut, selon le bruit qui en courut alors, au comte de Wiltshire, à Bushy, à Green et à Bagot que le roi afferma son royaume.
13Gelded.
14The son of Richard, earl of Arundel. Ce vers, qui n'est point dans les anciennes éditions de Shakspeare, a été suppléé par ses commentateurs, attendu que ce comte d'Arundel, cité par Hollinshed dans la liste de ceux qui s'embarquèrent avec Bolingbroke, et que Shakspeare lui a d'ailleurs empruntée, est le seul à qui puisse s'appliquer le vers suivant: That late broke from the duke of Exeter Thomas, comte d'Arundel, dont le père, Richard, avait été décapité à la Tour, avait été mis, à ce qu'il paraît, en quelque sorte sous la surveillance du duc d'Exeter, de chez lequel il s'échappa pour joindre Bolingbroke: seulement il était neveu, et non pas frère de Thomas Arundel, archevêque de Cantorbéry, privé de son siége par le pape à la demande du roi.