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Henri VIII

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WOLSEY.–Combien, à ce qu'il me semble, je pourrais mépriser cet homme, si je n'étais retenu par le devoir de la charité!

NORFOLK.–Ce recueil, milord, est dans les mains du roi: ce que nous en savons, c'est qu'il est bien odieux.

WOLSEY.–Mon innocence n'en sortira que plus pure et plus éclatante lorsque le roi connaîtra ma fidélité.

SURREY.–Cela ne vous sauvera pas.... Ah! grâce à ma mémoire, je me rappelle encore quelques-uns des articles et ils seront produits. Maintenant si vous êtes capable de rougir et de vous dire coupable, cardinal, vous nous montrerez du moins quelque reste d'honnêteté.

WOLSEY.–Dites, monsieur: j'ose braver toutes vos imputations. Si je rougis, c'est de voir un noble choquer toutes les bienséances.

SURREY.–Il vaut mieux manquer de politesse et conserver sa tête.–Répondez à cette attaque. D'abord sans le consentement et à l'insu du roi, vous êtes parvenu à vous faire nommer légat, et vous avez abusé de ce pouvoir, pour mutiler la juridiction de tous les évêques.

NORFOLK.–Ensuite, dans toutes les lettres que vous avez écrites à Rome et aux princes étrangers, vous employez toujours cette formule: ego et rex meus, en sorte que vous représentiez le roi comme votre serviteur.

SUFFOLK.–Ensuite, à l'insu du roi et du conseil, lorsque vous êtes allé en qualité d'ambassadeur vers l'empereur, vous avez eu l'audace de porter en Flandre le grand sceau.

SURREY.–Item. Vous avez envoyé d'amples pouvoirs à Grégoire de Cassalis pour conclure, sans l'aveu du roi, ou l'autorisation de l'État, une ligue entre Sa Majesté et Ferrare.

SUFFOLK.–Par pure ambition, vous avez fait frapper l'empreinte de votre chapeau de cardinal sur la monnaie du roi.

SURREY.–Vous avez fait passer à Rome des sommes innombrables (quant à savoir comment vous les avez acquises, c'est un soin que je laisse à votre conscience), pour soudoyer Rome, et vous aplanir les chemins aux dignités, à la ruine entière du royaume. Il y a bien d'autres faits encore dont je ne souillerai pas ma bouche, parce qu'ils sont relatifs à vous et odieux.

LE CHAMBELLAN.–Ah! milord, ne poussez pas trop durement un homme qui tombe; c'est vertu de l'épargner. Ses fautes sont soumises aux lois, que ce soit elles et non pas vous qui le punissent. Mon coeur gémit de le voir réduit à si peu de chose, de si grand qu'il était.

SURREY.–Je lui pardonne.

SUFFOLK.–Lord cardinal, comme tous les actes que vous avez faits dernièrement dans ce royaume, en vertu des pouvoirs de légat, se trouvent dans le cas d'un præmunire, l'intention du roi est encore qu'on sollicite contre vous un acte qui confisque tous vos biens, vos terres, vos domaines, vos châteaux, tout ce qui vous appartient, et vous mette hors de la protection du roi. Telle est ma charge.

NORFOLK.–Et, sur ce, nous vous laissons à vos méditations sur les moyens de vivre mieux à l'avenir. Quant à votre refus obstiné de nous remettre le grand sceau, le roi en sera instruit, et sans doute il vous en remerciera; et ainsi, adieu, mon bon petit lord cardinal.

(Ils sortent tous, excepté Wolsey.)

WOLSEY, seul.–Et ainsi, adieu à la petite bonne volonté que vous me portez: adieu, long adieu à toutes mes grandeurs! Voilà la destinée de l'homme: aujourd'hui pointent en lui les tendres feuilles de l'espérance; demain les fleurs, dont les touffes épaisses le couvrent de leur parure rougissante: le troisième matin survient une gelée, une gelée meurtrière, qui, au moment où dans sa simple bonhomie il croit ses grandeurs en pleine marche vers la maturité, le dessèche jusqu'à la racine; alors il tombe comme je le fais.–Comme ces enfants étourdis qui nagent soutenus sur des vessies enflées, je me suis aventuré, pendant une longue suite d'étés, sur un océan de gloire, j'ai été trop loin. A la fin, mon orgueil, gonflé outre mesure, s'est dérobé sous moi, et il me laisse maintenant, fatigué et vieilli dans les travaux, à la merci d'un courant impétueux qui va m'engloutir pour jamais, vaine pompe et gloire de ce monde, je vous hais! Je sens mon coeur nouvellement ouvert. Oh! qu'il est misérable le pauvre malheureux qui dépend de la faveur des rois! Entre ce sourire auquel nous aspirons, ce doux regard d'un monarque et le coup dont ils nous précipitent, il y a plus de transes et d'angoisses que n'en cause la guerre et que n'en éprouvent les femmes; et lorsqu'il tombe, il tombe comme Lucifer pour ne plus espérer jamais. (Cromwell entre d'un air consterné.) Eh bien, Cromwell, qu'y a-t-il?

CROMWELL.–Je n'ai pas la force de parler, milord.

WOLSEY.–Quoi! confondu à la vue de mes infortunes? Ton courage doit-il donc s'étonner de la chute d'un homme puissant? Ah! si vous pleurez, je suis déchu en effet.

CROMWELL.–Comment se trouve Votre Grâce?

WOLSEY.–Moi? bien. Jamais je n'ai été si véritablement heureux, mon bon Cromwell. Je me connais à présent moi-même, et je sens au dedans de moi une paix au-dessus de toutes les dignités terrestres, une conscience calme et tranquille. Le roi m'a guéri: j'en remercie humblement Sa Majesté; il a, par pitié, ôté de dessus ces épaules, colonnes ruinées, un poids capable de faire submerger une flotte, ma trop grande élévation. Oh! c'est un fardeau, Cromwell, un fardeau trop pesant pour un homme qui espère le ciel!

CROMWELL.–Je suis bien aise de voir que Votre Grâce ait fait un si bon usage de tout ceci.

WOLSEY.–J'espère que j'en ai fait bon usage. Je pourrais maintenant, ce me semble, au courage que je sens dans mon âme, supporter plus de misères encore, et de beaucoup plus grandes misères que le lâche coeur de mes ennemis ne peut oser m'en faire subir.–Quelles nouvelles dans le monde?

CROMWELL.–La plus importante et la plus fâcheuse, c'est votre disgrâce auprès du roi.

WOLSEY.–Dieu le conserve!

CROMWELL.–La seconde, c'est que sir Thomas More est choisi lord chancelier à votre place.

WOLSEY.–Cela est un peu précipité.–Mais c'est un homme instruit. Puisse-t-il jouir longtemps de la faveur de Sa Majesté, et rendre la justice pour l'honneur de la vérité et le repos de sa conscience, afin que, lorsqu'il aura terminé sa course et qu'il s'endormira dans le sein des félicités, ses cendres soient honorées d'un monument des larmes des orphelins! Que dit-on encore?

CROMWELL.–Que Cranmer est de retour; il a été très-bien reçu, et il est installé lord archevêque de Cantorbéry.

WOLSEY.–Voilà des nouvelles en effet!

CROMWELL.–La dernière, c'est que lady Anne, que le roi a depuis longtemps épousée en secret, a été vue aujourd'hui publiquement avec tous les honneurs de reine, et l'on ne parle à présent que de son couronnement prochain.

WOLSEY.–C'est là le poids qui a précipité ma chute. Oh! Cromwell! le roi m'a entièrement abandonné: en cette femme seule est allée se perdre toute ma gloire: le soleil n'annoncera plus ma puissance, et ne dorera plus de sa lumière la noble foule qui s'empressait pour attendre mes sourires.–Va, quitte-moi, Cromwell; je ne suis plus qu'un pauvre disgracié, et indigne à présent d'être ton protecteur et ton maître. Va trouver le roi (je prie le ciel que cet astre ne s'éclipse jamais!), je lui ai dit qui tu es, et combien tu es fidèle; il t'avancera. Un reste de souvenir de moi l'engagera (je connais son généreux naturel) à ne pas laisser périr aussi tes services si pleins d'espérances. Bon Cromwell, ne le néglige point: tires-en parti et pourvois à ta sûreté à venir.

CROMWELL.–Ah! milord, faut-il donc que je vous quitte? Faut-il que j'abandonne un si bon, si généreux et si noble maître? Soyez témoins, vous tous qui n'avez pas un coeur de fer, avec quelle douleur Cromwell se sépare de son maître. Le roi aura mes services; mais mes prières seront à jamais, oui, à jamais pour vous.

WOLSEY.–Cromwell, je ne croyais pas que tous mes malheurs pussent m'arracher une larme; mais tu m'as forcé, par ton honnête fidélité, à sentir la faiblesse d'une femme. Essuyons nos yeux; et écoute encore ceci, Cromwell: lorsque je serai oublié, comme je vais l'être, et qu'endormi sous un marbre froid et insensible, il ne sera plus mention de moi dans ce monde, dis que je t'ai donné une utile leçon; dis que Wolsey, qui marcha jadis dans les sentiers brillants de la gloire, qui sonda toutes les profondeurs, tous les écueils des dignités, t'a découvert, dans son naufrage, un chemin pour t'élever, une route sûre et infaillible, quoiqu'il l'ait manquée pour lui-même. Remarque seulement ma chute, et ce qui a causé ma ruine. Cromwell, je te le recommande, repousse loin de toi l'ambition. C'est par ce pêché que tombèrent les anges; comment donc l'homme, image de son Créateur, peut-il espérer de prospérer par elle? Sois le dernier dans ta propre affection: chéris les coeurs qui te haïssent. La corruption ne profite pas plus que l'honnêteté. Porte toujours la paix dans ta main droite pour faire taire les langues envieuses: sois juste, et ne crains rien. N'aie pour but dans toutes tes actions, que ton pays, ton Dieu et la vérité. Et alors si tu tombes, ô Cromwell, tu tomberas en bienheureux martyr. Sers le roi; et je t'en prie, rentre avec moi: viens faire un inventaire de tout ce que je possède jusqu'à la dernière obole; tout cela est au roi: ma robe et la pureté de ma foi sont maintenant tout ce que j'ose dire à moi. O Cromwell, Cromwell, si j'avais servi mon Dieu seulement avec la moitié autant de zèle que j'ai servi mon roi, il ne m'aurait pas, dans ma vieillesse, exposé nu à la fureur de mes ennemis!

CROMWELL.–Mon bon seigneur, ayez patience.

WOLSEY.–J'en ai aussi. Adieu, espérances de cour: mes espérances habitent dans le ciel.

(Ils sortent.)
FIN DU TROISIÈME ACTE

ACTE QUATRIÈME

SCÈNE I

Une rue du quartier de Westminster
DEUX BOURGEOIS entrent chacun de leur côté

PREMIER BOURGEOIS.–Je suis bien aise de vous rencontrer encore ici.

 

SECOND BOURGEOIS.–Et je m'en félicite aussi.

PREMIER BOURGEOIS.–Vous venez pour prendre votre place et voir passer lady Anne au retour de son couronnement?

SECOND BOURGEOIS.–C'est là tout mon objet. A notre dernière entrevue, c'était le duc de Buckingham qui revenait de son jugement.

PREMIER BOURGEOIS.–Cela est vrai; mais alors c'était un jour de deuil: aujourd'hui c'est un jour d'allégresse publique.

SECOND BOURGEOIS.–Oui, les citoyens de Londres, je n'en doute pas, auront déployé toute l'étendue de leur attachement pour leurs rois. Pourvu que leurs droits soient respectés, ils s'empressent toujours de célébrer un pareil jour par des spectacles, de pompeuses décorations, et autres démonstrations de respect.

PREMIER BOURGEOIS.–Jamais on n'en vit de si brillantes, et jamais, je peux vous assurer, de mieux placées.

SECOND BOURGEOIS.–Oserai-je vous demander ce que contient ce papier que vous tenez là?

PREMIER BOURGEOIS.–Oui; c'est la liste de ceux qui font valoir les privilèges de leurs charges en ce jour, d'après le cérémonial du couronnement. Le duc de Suffolk est à la tête, et réclame les fonctions de grand maître de la maison du roi; ensuite le duc de Norfolk, qui prétend à celles de grand maréchal: vous pouvez lire les autres.

(Il lui offre la liste.)

SECOND BOURGEOIS, le remerciant.–Je vous rends grâces; si je n'étais pas au fait de ces cérémonies, votre liste m'aurait été fort utile. Mais dites-moi, de grâce, que devient Catherine, la princesse douairière? Comment vont ses affaires?

PREMIER BOURGEOIS.–Je peux vous l'apprendre. L'archevêque de Cantorbéry, accompagné de plusieurs savants et vénérables prélats de son rang, a tenu dernièrement une cour à Dunstable, à six milles d'Ampthill, où était la princesse; elle fut citée plusieurs fois à cette cour, mais elle n'y comparut point: bref, pour défaut de comparution et par suite des scrupules qu'avait dernièrement conçus le roi, le divorce entre elle et lui a été prononcé sur l'avis de la plus grande partie de ces savants personnages, et ce premier mariage déclaré nul. Depuis le jugement, elle a été transférée à Kimbolton où elle est actuellement, et malade.

SECOND BOURGEOIS.–Hélas! vertueuse dame! (Fanfares.)--Mais j'entends les trompettes. Serrons-nous: la reine va passer.

ORDRE DU CORTÈGE.

1° Deux juges.

2° Le lord chancelier, devant lequel on porte la bourse et la masse.

3° Un choeur de chanteurs.

4° Le maire de Londres, portant la masse. Ensuite le héraut Garter, vêtu de sa cotte d'armes, et portant sur sa tête une couronne de cuivre doré.

5° Le marquis de Dorset, portant un sceptre d'or, et sur sa tête une demi-couronne d'or. Avec lui marche le comte de Surrey, portant la baguette d'argent avec la colombe, et couronné d'une couronne de comte, avec les colliers de l'ordre des chevaliers.

6° Le duc de Suffolk, dans sa robe de cérémonie, sa couronne ducale sur la tête, et une longue baguette blanche à la main, en qualité de grand maître. Avec lui marche de front le duc de Norfolk, avec la baguette de grand maréchal, et la couronne ducale sur la tête, et les colliers de l'ordre des chevaliers.

7° Ensuite paraît un dais porté par quatre des barons des cinq ports. Sous ce dais marche la reine, parée des ornements de la royauté, la couronne sur la tête, et les cheveux ornés de perles précieuses. A ses côtés, sont les évêques de Londres et de Winchester.

8° La vieille duchesse de Norfolk, avec une petite couronne d'or, travaillée en fleurs, conduisant le cortège de la reine.

9° Différentes dames et comtesses, avec de simples petits cercles d'or sans fleurs.

SECOND BOURGEOIS.–Un cortège vraiment royal, sur ma parole!–Je connais ceux-ci.–Mais quel est celui qui porte le sceptre?

PREMIER BOURGEOIS.–Le marquis de Dorset; et l'autre, le comte de Surrey avec la baguette d'argent.

SECOND BOURGEOIS.–Un brave et hardi gentilhomme.–Celui-là doit être le duc de Suffolk?

PREMIER BOURGEOIS.–C'est lui-même: le grand maître.

SECOND BOURGEOIS.–Et celui-ci milord de Norfolk?

PREMIER BOURGEOIS.–Oui.

SECOND BOURGEOIS.–Que Dieu te comble de ses bénédictions! Tu as la plus aimable figure que j'aie jamais vue.–Sur mon âme, c'est un ange. Notre roi peut se vanter de posséder tous les trésors de l'Inde, et bien plus encore quand il embrasse cette dame: je ne puis blâmer sa conscience.

PREMIER BOURGEOIS.–Ceux qui portent le dais d'honneur au-dessus d'elle sont quatre barons des cinq ports.

SECOND BOURGEOIS.–Ils sont bien heureux, ainsi que tous ceux qui sont près d'elle.–J'imagine que celle qui conduit le cortège est cette noble dame, la vieille duchesse de Norfolk?

PREMIER BOURGEOIS.–C'est elle: et toutes les autres sont des comtesses.

SECOND BOURGEOIS.–Leurs petites couronnes l'annoncent.–Ce sont des étoiles et quelquefois des étoiles tombantes.

PREMIER BOURGEOIS.–Laissons cela. (La procession disparaît au son d'une bruyante fanfare.–Entre un troisième bourgeois.) Dieu vous garde, monsieur; où vous êtes-vous fourré?

TROISIÈME BOURGEOIS.–Parmi la foule, dans l'abbaye; on n'y aurait pas glissé un doigt de plus: je suis suffoqué des épaisses exhalaisons de leur joie.

SECOND BOURGEOIS.–Vous avez donc vu la cérémonie?

TROISIÈME BOURGEOIS.–Oui, je l'ai vue.

PREMIER BOURGEOIS.–Comment était-elle?

TROISIÈME BOURGEOIS.–Très-digne d'être vue.

SECOND BOURGEOIS.–Racontez-la nous, mon cher monsieur.

TROISIÈME BOURGEOIS.–Je le ferai de mon mieux. Ces flots brillants de seigneurs et de dames ayant conduit la reine au siége qui lui était préparé se sont ensuite écartés à quelque distance d'elle; la reine est demeurée assise pour se reposer une demi-heure environ, sur un riche et magnifique trône, offrant toutes les grâces de sa personne aux libres regards du peuple. Oh! croyez-moi, c'est la plus belle femme qui soit jamais entrée dans le lit d'un homme! Lorsqu'elle a paru ainsi en plein aux regards du public, il s'est élevé un bruit tel que celui des cordages à la mer par une violente tempête, tout aussi fort, et composé d'autant de tons divers: les chapeaux, les manteaux, et, je crois, les habits aussi ont volé en l'air; et si leurs visages n'avaient pas tenu, ils les auraient aussi perdus aujourd'hui. Jamais je n'ai vu tant d'allégresse. Des femmes grosses, et qui n'en ont pas pour la moitié d'une semaine, comme les béliers dont les anciens se servaient à la guerre, frappaient la foule de leur ventre et faisaient tout chanceler devant elles; pas un homme n'eût pu dire: celle-ci est ma femme; tant on était étrangement agencé les uns avec les autres comme un seul morceau.

SECOND BOURGEOIS.–Mais, je vous prie, que s'est-il passé ensuite?

TROISIÈME BOURGEOIS.–À la fin, Sa Grâce s'est levée, et d'un pas modeste elle s'est avancée vers l'autel; là elle s'est mise à genoux, et, comme une sainte, elle a levé ses beaux yeux vers le ciel, et a prié dévotement. Ensuite elle s'est relevée et a fait une inclination au peuple. C'est alors qu'elle a reçu de l'archevêque de Cantorbéry tous les signes qui consacrent une reine, comme l'huile sainte, la couronne d'Édouard le Confesseur, la baguette et l'oiseau de paix, et tous les autres attributs noblement déposés sur elle: les cérémonies achevées, le choeur, composé des plus célèbres musiciens du royaume, a chanté le Te Deum. Alors elle est sortie de l'église, et elle est revenue dans la même pompe à York-place, où se donne la fête.

PREMIER BOURGEOIS.–Vous ne devez plus nommer ce palais York-place, depuis la chute du cardinal il a perdu ce nom; il appartient au roi, et s'appelle désormais White-Hall.

TROISIÈME BOURGEOIS.–Je le sais: mais le changement est si nouveau que l'ancien nom est encore tout frais dans ma mémoire.

SECOND BOURGEOIS.–Quels étaient les deux vénérables évêques qui marchaient à côté de la reine?

TROISIÈME BOURGEOIS.–Stokesly et Gardiner: celui-ci évêque de Winchester (siége où il a été tout récemment élevé, de secrétaire du roi qu'il était): l'autre évêque de Londres.

SECOND BOURGEOIS.–Celui de Winchester ne passe pas pour être trop ami de l'archevêque, du vertueux Cranmer.

TROISIÈME BOURGEOIS.–Tout le monde sait cela: cependant la brouillerie n'est pas considérable: et si elle s'envenimait, Cranmer trouverait un ami qui ne l'abandonnerait pas au besoin.

SECOND BOURGEOIS.–Qui, s'il vous plaît?

TROISIÈME BOURGEOIS.–Thomas Cromwell. Un homme singulièrement estimé du roi, et vraiment un digne et fidèle ami. Le roi l'a fait grand maître des joyaux de la couronne, et il est déjà membre du conseil privé.

SECOND BOURGEOIS.–Son mérite le mènera plus loin encore.

TROISIÈME BOURGEOIS.–Oh! sûrement; cela n'est pas douteux.–Allons, messieurs, venez avec moi; je vais au palais, et vous y serez mes hôtes. J'y ai quelque crédit; et, chemin faisant, je vous raconterai d'autres détails.

PREMIER ET SECOND BOURGEOIS ensemble.–Nous sommes à vos ordres, monsieur.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

A Kimbolton
Entre CATHERINE reine douairière, malade et soutenue par GRIFFITH ET PATIENCE

GRIFFITH.–Comment se trouve Sa Grâce?

CATHERINE.–O Griffith, malade à mort! Mes jambes, comme des branches surchargées, ploient vers la terre, pressées de déposer leur fardeau. Avancez un siége.–Comme cela. A présent, il me semble que je me sens un peu plus à mon aise.–Ne m'as-tu pas dit, Griffith, en me conduisant, que ce puissant fils de la fortune, le cardinal Wolsey, était mort?

GRIFFITH.–Oui, madame. Mais je crois que Votre Grâce souffre trop en ce moment pour m'écouter.

CATHERINE.–Je t'en prie, bon Griffith, raconte-moi comment il est mort. S'il a fait une bonne fin, il m'a heureusement précédée pour me servir d'exemple.

GRIFFITH.–Le bruit public est qu'il a fait une bonne fin, madame.–Car lorsque le grand comte de Northumberland l'eut arrêté à York, et voulut l'amener pour être interrogé comme un homme violemment prévenu, il tomba malade subitement, et son mal devint si violent qu'il ne pouvait rester assis sur sa mule.

CATHERINE.–Hélas, le pauvre homme!

GRIFFITH.–Enfin, à petites journées il arriva à Leicester, et logea dans l'abbaye, où le révérend père abbé avec tous ses religieux le reçut honorablement. Le cardinal lui adressa ces paroles: O père abbé, un vieillard brisé par les orages de la cour vient déposer parmi vous ses membres fatigués: accordez-lui par charité un peu de terre. Il se mit au lit, où sa maladie fit des progrès si violents que, la troisième nuit après son arrivée, vers huit heures, qu'il avait prédit lui-même devoir être sa dernière heure, plein de repentir, plongé dans de continuelles méditations, au milieu des larmes et des soupirs, il rendit au monde ses dignités, au ciel son âme bienheureuse, et s'endormit dans la paix.

CATHERINE.–Qu'il y repose doucement, et que ses fautes lui soient légères!–Cependant permets-moi, Griffith, de dire ce que j'en pense, et pourtant sans blesser la charité.–C'était un homme d'un orgueil sans bornes, toujours voulant marcher l'égal des princes; un homme qui, par son despotisme, a enchaîné tout le royaume. La simonie lui paraissait légitime, sa propre opinion était sa loi, il vous niait en face la vérité, et fut toujours double dans ses paroles comme dans ses desseins. Jamais il ne montrait de pitié que lorsqu'il méditait votre ruine; ses promesses étaient ce qu'il était alors, riches et puissantes; mais l'exécution était ce qu'il est aujourd'hui, néant. Il usait mal de son corps et donnait au clergé un mauvais exemple.

GRIFFITH.–Ma noble dame, le mal que font les hommes vit sur l'airain; nous traçons leurs vertus sur l'onde. Votre Altesse me permettrait-elle de dire à mon tour le bien qu'il y avait en lui?

CATHERINE.–Oui, cher Griffith. Autrement je serais méchante.

GRIFFITH.–Ce cardinal, quoique issu d'une humble tige, fut cependant incontestablement formé pour parvenir aux grandes dignités. A peine sorti du berceau, c'était déjà un savant mûr et judicieux. Il était singulièrement éclairé, d'une éloquence persuasive. Hautain et dur pour ceux qui ne l'aimaient pas, mais doux comme l'été à ceux qui le recherchaient. Et s'il ne pouvait se rassasier d'acquérir des richesses (ce qui fut un péché), en revanche, madame, il était, à les répandre, d'une générosité de prince. Portez éternellement témoignage pour lui, vous deux, fils jumeaux de la science, qu'il a élevée on vous, Ipswich et Oxford, dont l'un est tombé avec lui ne voulant pas survivre au bienfaiteur à qui il devait sa naissance, et l'autre, quoique imparfait encore, est cependant déjà si célèbre, si excellent dans la science, et si rapide dans ses progrès continuels, que la chrétienté ne cessera d'en proclamer le mérite.–Sa ruine lui a amassé des trésors de bonheur, car ce n'est qu'alors qu'il s'est senti et connu lui-même, et qu'il a compris combien étaient heureux les petits; et pour couronner sa vieillesse d'une gloire plus grande que celle que les hommes peuvent donner, il est mort dans la crainte de Dieu.

 

CATHERINE.–Après ma mort, je ne veux pas d'autre héraut, d'autre narrateur des actions de ma vie, pour garantir mon honneur de la calomnie, qu'un historien aussi honnête que Griffith. Celui que j'avais le plus haï vivant, tu as su, par ta religieuse candeur et par ta modération, me le faire honorer dans sa cendre. Que la paix soit avec lui!–Patience, tiens-toi près de moi.–Place-moi plus bas: je n'ai pas encore longtemps à te fatiguer.–Bon Griffith, dis aux musiciens de me jouer cet air mélancolique que j'ai nommé ma cloche funèbre, tandis qu'assise ici, je méditerai sur l'harmonie des célestes concerts, où je vais bientôt me rendre.

(On joue une musique lente et mélancolique.)

GRIFFITH.–Elle s'est endormie. Bonne fille, asseyons-nous et restons tranquilles, de crainte de la réveiller.–Doucement, chère Patience.

UNE VISION
On voit entrer en procession l'un après l'autre, et d'un pas léger, six personnages vêtus de robes blanches, portant sur leur tête des guirlandes de lauriers, des masques d'or sur leurs visages, avec des branches de laurier ou de palmier dans les mains. D'abord ils s'approchent de la reine et la saluent, ensuite ils dansent. Et, dans certaines figures, les deux premiers tiennent une guirlande suspendue sur sa tête, pendant que les quatre autres lui font de respectueux saluts. Ensuite les deux premiers, qui tenaient la guirlande, la passent aux deux qui les suivent, et qui commencent la même cérémonie: enfin la guirlande passe aux deux derniers, qui répètent la chose. Et alors on voit la reine, comme dans une inspiration, donner dans son sommeil plusieurs signes de joie, et lever ses mains vers le ciel. Ensuite les esprits disparaissent en dansant et emportant la guirlande avec eux. La musique continue

LA REINE, en s'éveillant.–Esprits de paix, où êtes-vous? Êtes-vous tous évanouis, et me délaissez-vous ici dans cette vie de misères?

GRIFFITH.–Madame, nous sommes ici.

CATHERINE.–Ce n'est pas vous que j'appelle. N'avez-vous vu entrer personne depuis que je me suis assoupie?

GRIFFITH.–Personne, madame.

CATHERINE.–Non? Quoi! vous n'avez pas vu, dans l'instant même, une troupe d'esprits célestes m'inviter à un banquet? Leurs faces, brillantes comme le soleil, jetaient sur moi mille rayons. Ils m'ont promis le bonheur éternel, et m'ont présenté des couronnes, que je ne me sens pas digne encore de porter, Griffith, mais je le deviendrai; oui, assurément.

GRIFFITH.–Je me réjouis beaucoup, madame, de voir votre imagination remplie de songes si agréables.

CATHERINE.–Dis à la musique de cesser: ses sons me deviennent fatigants et pénibles.

(La musique cesse.)

PATIENCE, à Griffith.–Remarquez-vous comme Sa Grâce a changé tout à coup; comme sa figure s'est allongée; comme elle est devenue pâle et froide comme la terre? Regardez ses yeux.

GRIFFITH.–Elle s'en va, ma fille: prions, prions.

PATIENCE.–Que le ciel l'assiste!

(Entre un messager.)

LE MESSAGER.–Sous le bon plaisir de Votre Grâce....

CATHERINE.–Vous êtes bien insolent. Ne méritons nous pas plus de respect 11?

GRIFFITH.–Vous êtes blâmable, sachant qu'elle ne veut rien perdre de son ancienne grandeur, de lui manquer d'égards à ce point. Allez vous mettre à genoux.

LE MESSAGER.–J'implore humblement le pardon de Votre Altesse; c'est l'empressement qui m'a fait manquer au respect. Un gentilhomme, venant de la part du roi pour vous voir, est là qui attend.

CATHERINE.–Faites-le entrer, Griffith: mais, pour cet homme, que je ne le revoie jamais. (Griffith sort avec le messager, et rentre avec Capucius.) Si la faiblesse de ma vue ne me trompe pas, vous devez être l'ambassadeur de l'empereur, mon royal neveu, et votre nom est Capucius?

CAPUCIUS.–Lui-même, madame, et votre serviteur.

CATHERINE.–Ah! seigneur, les temps et les titres sont étrangement changés pour moi, depuis que vous m'avez connue pour la première fois! Mais, je vous prie, que désirez-vous de moi?

CAPUCIUS.–Noble dame, d'abord de rendre mes devoirs à Votre Grâce; ensuite, le roi a désiré que je vinsse vous voir: il est sensiblement affligé de l'affaiblissement de votre santé; il me charge de vous porter ses royales assurances d'attachement, et vous prie instamment de ne pas vous laisser abattre.

CATHERINE.–O mon bon seigneur! ces consolations viennent trop tard; c'est comme la grâce après l'exécution. Ce doux remède, s'il m'eût été donné à temps, m'eût guérie; mais à présent je suis hors de la puissance de toute consolation, si ce n'est celle des prières.–Comment se porte Sa Majesté?

CAPUCIUS.–Bien, madame.

CATHERINE.–Puisse-t-il continuer de même… et régner florissant, lorsque j'habiterai avec les vers, et que mon pauvre nom sera banni du royaume!–Patience, cette lettre que je vous avais chargée d'écrire est-elle envoyée?

PATIENCE.–Non, madame.

(Patience remet la lettre à Catherine.)

CATHERINE.–Monsieur, je vous prie humblement de remettre cette lettre au roi, mon seigneur.

CAPUCIUS.–Très-volontiers, madame.

CATHERINE.–J'y recommande à sa bonté l'image de nos chastes amours, sa jeune fille. Que la rosée du ciel tombe sur elle, abondante en bénédiction! Je le prie de lui donner une vertueuse éducation. Elle est jeune, et d'un caractère noble et modeste: j'espère qu'elle saura bien mériter; je lui demande de l'aimer un peu en considération de sa mère, qui l'a aimé, lui, le ciel sait avec quelle tendresse! Ensuite ma seconde et humble prière est que Sa Majesté prenne quelque pitié de mes femmes désolées, qui ont si longtemps et si fidèlement suivi mes fortunes diverses: il n'y en a pas une seule parmi elles, je puis le déclarer (et je ne voudrais pas mentir à cet instant), qui par sa vertu et par la beauté de son âme, par l'honneur et la décence de sa conduite, ne puisse prétendre à un bon et honnête mari, fût-ce un noble; et sûrement ceux qui les auront pour épouses seront des maris heureux.–Ma dernière prière est pour mes domestiques.–Ils sont bien pauvres; mais la pauvreté n'a pu les détacher de moi.–Qu'ils aient leurs gages exactement payés, et quelque chose de plus pour se souvenir de moi. S'il avait plu au ciel de m'accorder une plus longue vie et quelques moyens de les récompenser, nous ne nous serions pas séparés ainsi.–Mon bon seigneur, au nom de ce que vous aimez le mieux dans ce monde, et si vous désirez chrétiennement le repos des âmes trépassées, soyez l'ami de ces pauvres gens, et pressez le roi de me rendre cette dernière justice.

CAPUCIUS.–Par le ciel, je le ferai, ou puisse-je n'être plus considéré comme un homme!

CATHERINE.–Je vous remercie, honnête seigneur. Rappelez-moi en toute humilité à Sa Majesté; dites-lui que ses longs déplaisirs vont s'éloigner de ce monde. Dites-lui que je l'ai béni à l'instant de ma mort, car je le ferai.–Mes yeux s'obscurcissent… Adieu, seigneur.–Griffith, adieu.–Non, pas à vous, Patience, vous ne devez pas me quitter encore.–Conduisez-moi à mon lit.–Appelez d'autres femmes.–Quand je serai morte, chère fille, ayez soin que je sois traitée avec honneur; couvrez-moi de fleurs virginales, afin que l'univers sache que je fus une chaste épouse jusqu'à mon tombeau: qu'on m'y dépose après m'avoir embaumée. Quoique dépouillée du titre de reine, cependant qu'on m'enterre comme une reine et la fille d'un roi. Je n'en peux plus…

(Ils sortent tous conduisant Catherine.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE
11Il avait négligé de mettre le genou en terre, selon l'usage, en abordant les rois et reines d'Angleterre.