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Henri VIII

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LE ROI HENRI.–Laissez-le parler.–Allons, continue.

L'INTENDANT.–Sur mon âme, je ne dirai que la vérité. Je fis observer alors à milord duc que le moine pouvait être déçu par les illusions du diable, et qu'il était dangereux pour lui de s'arrêter à ruminer sur ces idées avec assez d'application pour qu'il en sortit quelque projet qu'il finirait par croire possible, et qu'alors vraisemblablement il voudrait exécuter. «Bah! me répondit-il, il n'en peut résulter aucun mal pour moi;» ajoutant encore que, si le roi eût succombé dans sa dernière maladie, les têtes du cardinal et de sir Thomas Lovel auraient sauté.

LE ROI HENRI.–Eh, quoi! si haineux? Oh, oh! cet homme est dangereux.–Sais-tu quelque chose de plus?

L'INTENDANT.–Oui, mon souverain.

LE ROI HENRI.–Poursuis.

L'INTENDANT.–Étant à Greenwich, lorsque Votre Majesté eut réprimandé le duc à l'occasion de sir William Bloomer…

LE ROI HENRI.–Je me souviens de cela.–C'était un homme qui s'était engagé à mon service, et le duc le retint pour lui.–Mais voyons: eh bien! après?

L'INTENDANT.–«Si, dit-il, on m'avait arrêté pour cela, et qu'on m'eût envoyé, par exemple, à la Tour, je crois que j'aurais exécuté le rôle que mon père méditait de jouer sur l'usurpateur Richard. Mon père, étant à Salisbury, tâcha d'obtenir qu'il lui fût permis de paraître en sa présence: si Richard y eût consenti, mon père, au moment où il aurait feint de lui rendre hommage, lui aurait enfoncé son poignard dans le coeur.»

LE ROI HENRI.–Traître démesuré!

WOLSEY.–Eh bien, madame, Sa Majesté peut-elle vivre tranquille tant que cet homme sera libre?

CATHERINE.–Que Dieu porte remède à tout ceci!

LE ROI HENRI.–Ce n'est pas tout. Qu'as-tu à dire de plus?

L'INTENDANT.–Après avoir parlé «du duc son père et du poignard,» il s'est mis en posture; et, une main sur son poignard et l'autre à plat sur son sein, élevant les yeux, il a vomi un horrible serment, dont la teneur était que, si on le maltraitait, il surpasserait son père, autant que l'exécution surpasse un projet indécis.

LE ROI HENRI.–Il a vu mettre un terme à son projet d'enfoncer son poignard dans notre sein.–Il est arrêté; qu'on lui fasse son procès sans délai. S'il peut trouver grâce devant la loi, elle est à lui; sinon, qu'il n'en attende aucune de nous. C'est, de la tête aux pieds4, un traître dans toute la force du terme.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

Un appartement du palais
Entrent LE LORD CHAMBELLAN ET LE LORD SANDS

LE CHAMBELLAN.–Est-il possible que la France ait une magie capable de faire tomber les hommes dans de si étranges mystifications?

SANDS.–Les modes nouvelles, fussent-elles le comble du ridicule et même indignes de l'homme, sont toujours suivies.

LE CHAMBELLAN.–Autant que je puis voir, tout le profit que nos Anglais ont retiré de leur dernier voyage se réduit à une ou deux grimaces, mais aussi des plus ridicules. Quand ils les étalent, vous jureriez sans hésiter que leur nez a été du conseil de Pépin ou de Clotaire, tant ils le portent haut.

SANDS.–Ils se sont tous fait de nouvelles jambes, et tout estropiées; quelqu'un qui ne les aurait jamais vus marcher auparavant leur croirait les éparvins ou des convulsions dans les jarrets.

LE CHAMBELLAN.–Par la mort! milord, leurs habits aussi sont taillés sur un patron tellement païen qu'il faut qu'ils aient mis leur chrétienté au rebut. (Entre sir Thomas Lovel.) Eh bien, quelles nouvelles, sir Thomas Lovel?

LOVEL.–En vérité, milord, je n'en sais aucune que le nouvel édit qui vient d'être affiché aux portes du palais.

LE CHAMBELLAN.–Quel en est l'objet?

LOVEL.–La réforme de nos voyageurs du bel air, qui remplissaient la cour de querelles, de jargon, et de tailleurs.

LE CHAMBELLAN.–J'en suis bien aise; et je voudrais prier aussi nos messieurs de croire qu'un courtisan anglais peut avoir du sens, sans avoir jamais vu le Louvre.

LOVEL.–Il faut qu'ils se décident (car telles sont les dispositions de l'ordonnance) ou à abandonner ces restes d'accoutrement de fou, ces plumes qu'ils ont rapportées de France, et toutes ces brillantes billevesées qu'ils y ajoutent, comme leurs combats et leurs feux d'artifices, et toute cette science étrangère dont ils viennent insulter des gens qui valent mieux qu'eux; qu'ils abjurent net leur culte religieux pour la paume, les bas qui montent au-dessus du genou, leurs courts hauts-de-chausses bouffis, et toute cette enseigne de voyageurs, et qu'ils en reviennent à se comporter en honnêtes gens; ou bien qu'ils plient bagage pour aller rejoindre leurs anciens compagnons de mascarade; là, je crois, ils pourront cum privilegio achever d'user jusqu'au bout leur sottise et se faire moquer d'eux.

SANDS.–Il est grand temps de leur administrer le remède, tant leur maladie est devenue contagieuse!

LE CHAMBELLAN.–Quelle perte vont faire nos dames en fait de frivolités!

LOVEL.–Oui, vraiment; ce seront de grandes douleurs, milords; ces rusés drôles ont imaginé un moyen tout à fait prompt pour venir à bout de nos dames; une chanson française, et un violon; il n'est rien d'égal à cela.

SANDS.–Le diable leur donne du violon! je suis bien aise qu'ils délogent; car, certes, il n'y a plus aucun espoir de les convertir. Enfin un honnête lord de campagne, tel que moi, chassé longtemps de la scène, pourra hasarder tout bonnement son air de chanson, se faire écouter une heure, et par Notre-Dame, soutenir le ton à l'unisson.

LE CHAMBELLAN.–Bien dit, lord Sands, vous n'avez pas encore mis à bas votre dent de poulain.

SANDS.–Non, milord, et je n'en ferai rien, tant qu'il en restera un chicot.

LE CHAMBELLAN.–Sir Thomas, où allez-vous de ce pas?

LOVEL.–Chez le cardinal: Votre Seigneurie est aussi invitée.

LE CHAMBELLAN.–Et vraiment oui! il donne ce soir à souper; un grand souper à quantité de lords et de dames: vous y verrez les beautés de l'Angleterre, je puis vous en répondre.

LOVEL.–C'est, il faut l'avouer, un homme d'église qui a de la grandeur dans l'âme; sa main est aussi libérale que la terre qui nous nourrit: la rosée de ses grâces se répand partout.

LE CHAMBELLAN.–Cela est certain, il est très-noble; ceux qui ont dit le contraire ont proféré une noire calomnie.

SANDS.–Il le peut, milord; il a tout ce qu'il lui faut pour cela: l'avarice serait en lui un pire péché que la mauvaise doctrine: les hommes de sa sorte doivent être des plus généreux: ils sont faits pour donner l'exemple.

LE CHAMBELLAN.–Sans doute, ils sont faits pour cela; mais peu en donnent aujourd'hui de si grands.–Ma barge m'attend: vous allez nous accompagner, milord.–Venez, mon bon sir Thomas: autrement nous arriverions trop tard; ce que je ne veux pas, car c'est sir Henri Guilford et moi qu'on a chargés d'être les ordonnateurs de la fête.

SANDS.–Je suis aux ordres de Votre Seigneurie.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

La salle d'assemblée du palais d'York
Hautbois. On voit une petite table à part, sous un dais pour le cardinal: une autre plus longue, dressée pour les convives. Entrent par une porte ANNE BOULEN, et plusieurs autres dames invitées à la fête. Entre par l'autre porte SIR HENRI GUILFORD

GUILFORD.–Mesdames, je vous donne à toutes la bienvenue, au nom de Sa Grandeur: il consacre cette soirée aux doux plaisirs et à vous; il se flatte qu'il n'en est aucune dans cette noble assemblée, qui ait apporté avec elle le moindre souci, et désire voir, à tout le moins, la gaieté que doivent inspirer à des gens de bonne volonté, une très-bonne compagnie, de bon vin et un bon accueil. (Entrent le lord chambellan, lord Sands, et sir Thomas Lovel.) Ah! milord, vous vous faites attendre: l'idée seule d'une si belle assemblée m'a donné des ailes.

LE CHAMBELLAN.–Vous êtes jeune, sir Henri Guilford.

SANDS.–Sir Thomas Lovel, si le cardinal avait seulement la moitié de mon humeur laïque, quelques-unes de ces dames pourraient recevoir, avant de s'aller reposer, un petit impromptu, qui, je crois, serait plus à leur gré que tout le reste. Sur ma vie, c'est une charmante réunion de belles personnes.

LOVEL.–Que n'êtes-vous seulement pour cet instant le confesseur d'une ou deux!

SANDS.–Je le voudrais de tout mon coeur: elles auraient de moi une pénitence commode.

LOVEL.–Comment! Eh! vraiment donc, comment?

SANDS.–Aussi commode que pourrait la leur procurer un lit de plumes.

LE CHAMBELLAN.–Aimables dames, vous plaît-il de vous asseoir? Sir Henri, placez-vous de ce côté.–Moi, j'aurai soin de celui-ci.–Sa Grâce va entrer.–Allons donc, il ne faut pas vous geler; deux femmes l'une près de l'autre, il n'en peut sortir que du froid.–Milord Sands, vous êtes bon pour les tenir éveillées. Je vous prie, asseyez-vous entre ces deux dames.

SANDS.–Oui, par ma foi, et j'en rends grâces à Votre Seigneurie.–Permettez, belles dames (il s'assied): s'il m'arrive de battre un peu la campagne, pardonnez-le-moi; je tiens cela de mon père.

ANNE.–Est-ce qu'il était fou, milord?

SANDS.–Oh! très-fou, excessivement fou, et surtout en amour; mais il ne mordait personne: tenez, précisément comme je fais à présent, il vous aurait embrassée vingt fois en un clin d'oeil.

 
(Il embrasse Anne Boulen.)

LE CHAMBELLAN.–A merveille, milord.–Allons, vous voilà tous bien placés.–Cavaliers, ce sera votre faute si ces belles dames s'en vont de mauvaise humeur.

SANDS.–Quant à ma petite affaire, soyez en repos.

(Hautbois. Le cardinal Wolsey entre avec une suite et prend sa place.)

WOLSEY.–Vous êtes les bienvenus, mes aimables convives. Toute noble dame ou tout cavalier qui ne se réjouira pas de tout son coeur n'est pas de mes amis. Et pour gage de mon accueil, à votre santé à tous.

(Il boit.)

SANDS.–Votre Grâce en use noblement.–Si l'on veut me donner un gobelet de taille à contenir tous mes remerciments, ce sera toujours autant de paroles épargnées.

WOLSEY.–Milord Sands, je vous suis redevable. Allons, égayez vos voisines.–Eh bien, mesdames, vous n'êtes pas gaies?–Cavaliers, à qui donc la faute?

SANDS.–Il faut auparavant, milord, que le vin rouge soit monté dans leurs jolies joues; et alors vous les entendrez parler jusqu'à nous faire taire.

ANNE.–Vous êtes un joyeux voisin, milord Sands.

SANDS.–Oui, quand je trouve à faire ma partie.–A votre santé, madame, et faites-moi raison, s'il vous plaît: car je bois à une chose....

ANNE.–Dont vous ne pouvez me montrer la pareille 5.

SANDS.–J'ai dit à Votre Grâce qu'elles parleraient bientôt.

(On entend derrière le théâtre les tambours et les trompettes, et une décharge de canons.)

WOLSEY.–Qu'est-ce que c'est que cela?

LE CHAMBELLAN.–Allez voir ce que c'est.

(Un serviteur sort.)

WOLSEY.–Quels accents guerriers! que peuvent-ils signifier? Mais n'ayez pas peur, mesdames: par toutes les lois de la guerre vous êtes privilégiées.

(Rentre le serviteur.)

LE CHAMBELLAN.–Eh bien? qu'est-ce que c'est?

LE SERVITEUR.–Une compagnie de nobles étrangers, car ils en ont l'air. Ils ont quitté leur barge et sont descendus à terre; et ils s'avancent avec l'appareil de magnifiques ambassadeurs envoyés par des princes étrangers.

WOLSEY.–Cher lord chambellan, allez les recevoir: vous savez parler français; je vous prie, traitez-les avec honneur, et introduisez-les dans cette salle, où ce ciel de beautés brillera sur eux de tout son éclat.... Que plusieurs d'entre vous l'accompagnent. (Le chambellan sort accompagné, tous se lèvent et l'on ôte les tables.) Voilà le banquet interrompu; mais nous vous en dédommagerons. Je vous souhaite à tous une bonne digestion; et encore une fois, je répands sur vous une pluie de saluts. Soyez tous les bienvenus! (Hautbois. Entrent le roi et douze autres masques sous l'habit de bergers, accompagnés de seize porteurs de flambeaux. Ils sont introduits par le lord chambellan, et défilent tous devant le cardinal qu'ils saluent gracieusement.) Une noble compagnie!.... Que désirent-ils?

LE CHAMBELLAN.–Comme ils ne parlent pas anglais, ils m'ont prié de dire à Votre Grâce qu'instruits par la renommée que cette assemblée si noble et si belle devait se réunir ici ce soir, ils n'ont pu moins faire, vu la grande admiration qu'ils portent à la beauté, que de quitter leurs troupeaux, et de demander, sous vos favorables auspices, la permission de voir ces dames, et de passer une heure de divertissement avec elles.

WOLSEY.–Dites-leur, lord chambellan, qu'ils ont fait beaucoup d'honneur à mon humble logis; que je leur en rends mille actions de grâces, et les prie d'en user à leur plaisir.

(On choisit les dames pour danser; le roi choisit Anne Boulen.)

LE ROI HENRI.–C'est la plus belle main que j'aie touchée de ma vie! O beauté, je ne t'avais pas connue jusqu'à ce jour.

(La musique joue: la danse commence.)

WOLSEY, au chambellan.–Milord?

LE CHAMBELLAN.–Votre Grâce?

WOLSEY.–Je vous prie, dites-leur de ma part qu'il pourrait y avoir quelqu'un dans leur compagnie, dont la personne serait plus digne que moi de la place que j'occupe, et à qui, si je le connaissais, je la remettrais, et lui offrirais en même temps l'hommage de mon attachement et de mon respect.

LE CHAMBELLAN.–J'y vais, milord.

(Le chambellan aborde les masques, et revient un moment après.)

WOLSEY.–Que vous ont-ils dit?

LE CHAMBELLAN.–Ils conviennent tous qu'il y a en effet parmi eux une telle personne; mais ils voudraient que Votre Grâce la devinât; elle le permet.

WOLSEY.–Voyons donc. (Il quitte son siége d'honneur.) Avec votre permission à tous, cavaliers.–C'est ici que je fixe mon choix, et je le crois royal.

LE ROI HENRI.–Vous avez deviné, cardinal.–Vous avez là vraiment un cercle brillant! c'est à merveille, cardinal. Vous êtes homme d'église; sans cela, je vous le dirai, cardinal, j'aurais eu sur vous de mauvaises pensées.

WOLSEY.–Je suis bien ravi que Votre Grâce soit de si bonne humeur.

LE ROI HENRI.–Milord chambellan, écoute, je te prie, approche; quelle est cette belle dame?

LE CHAMBELLAN.–Sous le bon plaisir de Votre Grâce, c'est la fille de sir Thomas Boulen, vicomte de Rocheford, une des femmes de Sa Majesté.

LE ROI HENRI.–Par le ciel, elle est ravissante. (A Anne de Boulen.) Mon cher coeur, je serais bien peu galant de vous prendre pour danser, sans vous donner un baiser.–Allons, cavaliers, une santé à la ronde.

WOLSEY.–Sir Thomas Lovel, le banquet est-il prêt dans ma chambre?

LOVEL.–Oui, milord.

WOLSEY.–Je crains que la danse n'ait un peu échauffé Votre Grâce.

LE ROI HENRI.–Beaucoup trop, j'en ai peur.

WOLSEY.–Vous trouverez un air plus frais, sire, dans la chambre voisine.

LE ROI HENRI.–Allons, conduisez chacun vos dames. (A Anne Boulen.) Ma belle compagne, je ne dois pas vous quitter encore.–Allons, égayons-nous.–Mon cher lord cardinal, j'ai une demi-douzaine de santés à boire à ces belles dames, et une danse encore à danser avec elles; après quoi nous irons rêver à qui de nous est le plus favorisé. Allons, que la musique donne le signal.

(Ils sortent au son des fanfares.)
FIN DU PREMIER ACTE

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

Une rue de Londres
Entrent DEUX GROS BOURGEOIS, venant de deux côtés différents

PREMIER BOURGEOIS.–Où courez-vous si vite?

SECOND BOURGEOIS.–Ah!–Dieu vous garde!–J'allais jusqu'à la salle du parlement, pour apprendre quel sera le sort de l'illustre duc de Buckingham.

PREMIER BOURGEOIS.–Je puis vous épargner cette peine: tout est fini; il ne reste plus que la cérémonie de reconduire le prisonnier.

SECOND BOURGEOIS.–Y étiez-vous?

PREMIER BOURGEOIS.–Oui, j'y étais.

SECOND BOURGEOIS.–Je vous prie, dites-moi ce qui s'est passé?

PREMIER BOURGEOIS.–Vous pouvez aisément le deviner.

SECOND BOURGEOIS.–A-t-il été déclaré coupable?

PREMIER BOURGEOIS.–Oui, vraiment, il l'a été; et condamné.

SECOND BOURGEOIS.–J'en suis affligé.

PREMIER BOURGEOIS.–Il y en a bien d'autres que vous.

SECOND BOURGEOIS.–Mais, de grâce, comment cela s'est-il passé?

PREMIER BOURGEOIS.–Je vais vous le dire en peu de mots. Le noble duc est venu à la barre; là, contre toutes les accusations, il a constamment plaidé, non coupable 6, et il a allégué plusieurs raisons, des plus fortes, pour échapper à la loi. L'avocat du roi a mis en avant les interrogatoires, les preuves et les dépositions de plusieurs témoins; le duc a demandé d'être confronté à ces témoins, vivâ voce, sur quoi on a produit contre lui son intendant, sir Gilbert Peck, son chancelier, John de la Cour, son confesseur, avec cet infernal moine Hopkins, qui a fait tout le mal.

SECOND CITOYEN.–Était-ce le moine qui nourrissait son imagination de ses prophéties?

PREMIER BOURGEOIS.–Lui-même. Tous ces témoins l'ont fortement chargé; il a fait ses efforts pour récuser leur témoignage; mais cela ne lui a pas été possible; en sorte que les pairs, sur ces preuves, l'ont déclaré convaincu de haute trahison; il a parlé longtemps et savamment pour défendre sa vie; mais tout cela n'a produit que de la pitié pour lui, ou n'a pas été écouté.

SECOND BOURGEOIS.–Et ensuite, comment s'est-il comporté?

PREMIER BOURGEOIS.–Lorsqu'on l'a reconduit une seconde fois à la barre pour entendre le son de la cloche de mort, son jugement, il a été saisi d'une telle angoisse qu'on l'a vu couvert de sueur, et il a prononcé, d'un ton de colère et avec précipitation, quelques paroles assez peu intelligibles.–Mais bientôt il s'est remis et a montré, le reste du temps, de la douceur et la plus noble patience.

SECOND BOURGEOIS.–Je ne crois pas qu'il ait peur de la mort.

SECOND BOURGEOIS.–Certainement le cardinal est au fond de tout ceci.

PREMIER BOURGEOIS.–Cela est vraisemblable d'après toutes les conjectures. D'abord on a disgracié Kildare, vice-roi d'Irlande, et quand il a été destitué, le comte de Surrey a été envoyé à sa place, et en grande hâte, de peur qu'il ne fût à portée de secourir son père.

SECOND BOURGEOIS.–C'est un tour de politique odieusement habile.

PREMIER BOURGEOIS.–A son retour, n'en doutez pas, le comte de Surrey l'en fera repentir. On remarque, et cela généralement, que quiconque gagne la faveur du roi, le cardinal lui trouve aussitôt de l'emploi, et toujours fort loin de la cour.

SECOND BOURGEOIS.–Tout le peuple le hait à mort, et, sur ma conscience, tous voudraient le voir à dix brasses sous terre, et ils aiment et idolâtrent le duc en proportion; ils l'appellent le généreux Buckingham, le miroir de toute courtoisie.

PREMIER BOURGEOIS.–Restez à cette place et vous allez voir le noble infortuné dont vous parlez.

(Entre Buckingham, revenant de son jugement: des huissiers à baguette argentée le précèdent; la hache est portée le tranchant tourné vers lui; il est entre deux rangs de hallebardes et accompagné de sir Thomas Lovel, sir Nicolas Vaux, sir William Sands et du peuple)

SECOND BOURGEOIS.–Demeurons pour le voir.

BUCKINGHAM.–Bon peuple, vous tous, qui êtes venus jusqu'ici pour me témoigner votre compassion, écoutez ce que je vais vous dire, et ensuite retournez chez vous et laissez-moi aller. J'ai subi dans ce jour la condamnation des traîtres, et je vais mourir sous ce nom. Cependant, le ciel en soit témoin, et s'il est en moi une conscience, qu'elle m'entraîne dans l'abîme, au moment où la hache tombera sur ma tête, je suis innocent et fidèle. Je n'en veux point à la loi de ma mort; d'après l'état du procès, on m'a fait justice; mais je pourrais désirer que ceux qui ont cherché à me faire périr fussent plus chrétiens.–Qu'ils soient ce qu'ils voudront, je leur pardonne de tout mon coeur. Cependant qu'ils prennent garde à ne pas se glorifier dans le mal et à ne pas élever leur coupable grandeur sur la ruine des hommes considérables; car alors mon sang innocent pourrait crier contre eux. Je n'espère plus de vie dans ce monde, et je ne solliciterai pas de grâce, quoique le roi ait plus de clémence que je n'oserais commettre de fautes. Je le demande au petit nombre d'entre vous qui m'aiment et qui osent avoir le courage de pleurer sur Buckingham; vous, mes nobles amis, mes compagnons, vous à qui je peux dire que vous quitter est pour moi la seule amertume, que cela seul est mourir; accompagnez-moi, comme de bons anges, jusqu'à la mort, et lorsque le coup de la hache me séparera de vous pour si longtemps, faites de vos prières unies un sacrifice agréable qui aide mon âme à s'élever vers le ciel.–(A ses gardes.) Conduisez-moi, au nom de Dieu.

LOVEL.–Au nom de la charité, je conjure Votre Grâce, si jamais vous avez caché dans votre coeur quelque animosité contre moi, de me pardonner aujourd'hui avec sincérité.

 

BUCKINGHAM.–Sir Thomas Lovel, je vous pardonne aussi sincèrement que je veux être pardonné moi-même; je pardonne à tous. Il ne peut y avoir contre moi d'offenses assez innombrables pour que je ne puisse les oublier en paix; aucun noir sentiment de haine ne fermera mon tombeau.–Recommandez-moi à Sa Majesté, et si elle parle de Buckingham, je vous prie, dites-lui que vous l'avez rencontré à moitié dans le ciel; mes voeux et mes prières sont encore pour le roi, et, jusqu'à ce que mon âme m'abandonne, ils ne cesseront d'implorer sur lui les bénédictions du Ciel! Puisse-t-il vivre plus d'années que je n'en saurais compter pendant le temps qui me reste à vivre! Puisse sa domination être à jamais chérie et bienveillante; et lorsque le grand âge le conduira à sa fin, que la bonté et lui n'occupent qu'un seul et même tombeau!

LOVEL.–C'est moi qui dois conduire Votre Grâce jusqu'au bord de la rivière: là, je vous remettrai à sir Nicolas de Vaux, qui est chargé de vous accompagner jusqu'à la mort.

DE VAUX.–Préparez tout: le duc s'avance; ayez soin que la barge soit prête, et décorée de tout l'appareil qui convient à la grandeur de sa personne.

BUCKINGHAM.–Non, sir Nicolas; laissez cela. La pompe de mon rang n'est plus pour moi qu'une dérision. Lorsque je suis venu ici, j'étais lord grand connétable et duc de Buckingham: maintenant, je ne suis que le pauvre Édouard Bohun; et, cependant, je suis plus riche que mes vils accusateurs, qui n'ont jamais su ce que c'était que la vérité. Moi, maintenant je la scelle de mon sang, et je les ferai gémir un jour sur ce sang. Mon noble père, Henri de Buckingham, qui le premier leva la tête contre l'usurpateur Richard, ayant dans sa détresse cherché un asile chez son serviteur Banister, fut trahi par ce misérable, et périt sans jugement. Que la paix de Dieu soit avec lui!–Henri VII, succédant au trône, et touché de pitié de la mort de mon père, en prince digne du trône, me rétablit dans mes honneurs, et fit de nouveau sortir mon nom de ses ruines avec tout l'éclat de la noblesse. Aujourd'hui, son fils Henri VIII a d'un seul coup enlevé de ce monde ma vie, mon honneur, mon nom, et tout ce qui me rendait heureux. On m'a fait mon procès, et, je dois l'avouer, dans les formes les plus convenables, en quoi je suis un peu plus heureux que ne l'a été mon infortuné père, et cependant, à cela près, nous subissons tous deux la même destinée: tous deux nous périssons par la main de nos domestiques, par les hommes que nous avons le plus aimés; service bien peu naturel et peu fidèle! Le Ciel a toujours un but; cependant, vous qui m'écoutez, recevez pour certaine cette maxime de la bouche d'un mourant:–Prenez garde à ne pas vous trop livrer à ceux à qui vous prodiguez votre amour et vos secrets; car ceux dont vous faites vos amis, et auxquels vous donnez votre coeur, dès qu'ils aperçoivent le moindre obstacle dans le cours de votre fortune, s'écartent de vous comme l'eau, et vous ne les retrouverez plus que là où ils se disposent à vous engloutir. Vous tous, bon peuple, priez pour moi. Il faut que je vous quitte: la dernière heure de ma vie, depuis longtemps fatiguée, vient maintenant de m'atteindre; adieu.–Et lorsque vous voudrez parler de quelque chose de triste, dites comment je suis tombé.–J'ai fini; et que Dieu veuille me pardonner!

(Buckingham sort avec sa suite, et continue sa marche.)

PREMIER BOURGEOIS.–Oh! cela vous navre le coeur.–Ami, cette mort, je le crains, appelle bien des malédictions sur la tête de ceux qui en sont les auteurs.

SECOND BOURGEOIS.–Si le duc est innocent, il en sortira de grands malheurs; et cependant je puis vous donner avis d'un mal à venir, qui, s'il arrive, sera plus grand encore que celui-ci.

PREMIER BOURGEOIS.–Que les bons anges nous en préservent! Que voulez-vous dire? Vous ne doutez pas de ma fidélité?

SECOND BOURGEOIS.–Ce secret est si important qu'il exige la plus inviolable promesse de secret.

PREMIER BOURGEOIS.–Faites-m'en part: je ne suis pas bavard.

SECOND BOURGEOIS.–J'en suis sûr. Vous allez le savoir. N'avez-vous pas entendu tout récemment murmurer, quelque chose d'un divorce entre le roi et Catherine?

PREMIER BOURGEOIS.–Oui; mais cela n'a pas duré; car lorsque ce bruit est revenu au roi, dans son courroux il a envoyé ordre au lord maire de l'arrêter sur-le-champ, et de réprimer les langues qui avaient osé le répandre.

SECOND BOURGEOIS.–Mais ce mauvais bruit, mon cher, est devenu depuis une vérité, et il se ranime plus vigoureusement que jamais: il paraît certain que le roi tentera ce divorce. C'est le cardinal, ou quelque autre de ceux qui l'approchent, qui, par haine contre notre bonne reine, ont jeté dans l'âme du roi un scrupule qui finira par la perdre; et ce qui paraît confirmer ceci, c'est que le cardinal Campeggio est arrivé tout nouvellement, et, à ce que je présume, pour cette affaire.

PREMIER BOURGEOIS.–C'est le cardinal; et s'il machine tout cela, c'est uniquement pour se venger de l'empereur, qui ne lui a pas accordé l'archevêché de Tolède, dont il avait fait la demande.

SECOND BOURGEOIS.–Je crois que vous avez touché le but. Mais n'est-il pas cruel que cela retombe sur elle?–Le cardinal viendra à ses fins; il faut qu'elle soit sacrifiée.

PREMIER BOURGEOIS.–Cela est déplorable!–Nous sommes dans un lieu trop public pour raisonner sur cette affaire; allons y réfléchir en particulier.

(Ils sortent.)
4By day and night, paraît être une ancienne expression signifiant de tout point, et répondant à peu près à celle-ci: de la tête aux pieds.
5Here's to your ladyship, and pledge it,For 'tis to such a thing....You cannot show me. Ladyship est pris dans son double sens de votre seigneurie, et votre qualité de femme.
6C'est le terme de la loi: l'accusé plaide guilty, ou not guilty.