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Henri VI. 2

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(Il sort.)

MARGUERITE. – Milords, vous qui êtes libres de scrupules, songez que la chaleur des rayons du soleil fond la neige la plus glacée. Henri, mon seigneur, est froid dans les grandes affaires. Trop plein d'une puérile pitié, l'apparente vertu de Glocester le trompe, comme la plainte du crocodile attire dans le piége de sa fausse douleur le voyageur compatissant, ou comme le serpent qui, sur un sentier fleuri, et paré des brillantes couleurs de sa peau, blesse l'enfant à qui sa beauté l'avait fait juger excellent en toutes choses. Croyez-moi, milords, si personne ici n'était plus sage que moi, et cependant je ne crois pas mon jugement mauvais, ce Glocester serait bientôt délivré des soins du monde, pour nous délivrer de la peur qu'il nous fait.

LE CARDINAL. – Il est d'une sage politique de le faire périr: mais nous manquons de couleurs pour sa mort; il convient qu'il soit jugé dans la forme régulière des lois.

SUFFOLK. – C'est là ce qui, dans mon opinion, serait contre la politique. Le roi travaillera sans relâche à lui sauver la vie. Le peuple peut aussi très-bien se soulever pour le défendre. Et cependant nous n'avons, pour prouver qu'il a mérité la mort, rien autre chose que le prétexte banal du soupçon.

YORK. – En sorte que, par cette raison, vous ne voulez pas qu'il meure?

SUFFOLK. – Ah! York, nul homme vivant ne le désire autant que moi.

YORK. – C'est York qui a le plus grand intérêt à sa mort. Mais parlez, milord cardinal, et vous, milord Suffolk, dites ce que vous pensez, et parlez dans toute la sincérité de vos âmes. Ne vaudrait-il pas autant charger un aigle à jeun de garder les poulets contre un vautour affamé, que de faire du duc Humphroy le protecteur du roi?

MARGUERITE. – Les pauvres poulets seraient bien sûrs de leur mort.

SUFFOLK. – Il est bien vrai, madame. Pourrait-on, sans folie, établir le renard pour gardien de la bergerie, et, tout accusé qu'il est de donner la mort en trahison, attendre sottement à le déclarer coupable, sous le prétexte qu'il n'a point encore exécuté son crime? Non, qu'il meure, parce que c'est un renard, connu par sa nature pour ennemi des troupeaux, et avant que sa gueule soit rougie de sang: nous avons prouvé, par de fortes raisons, qu'Humphroy agirait ainsi à l'égard de notre souverain. N'allons donc point perdre le temps en subtils débats sur le genre de sa mort; par embûche, piége ou surprise, éveillé ou endormi, peu importe, pourvu qu'il meure. La fraude est permise quand elle prévient celui qui le premier a médité la fraude.

MARGUERITE. – Trois fois noble Suffolk, c'est parler avec courage.

SUFFOLK. – Il n'y a point de courage si l'action ne suit les paroles; car souvent on dit ce qu'on n'a pas l'intention d'exécuter: mais en ceci mon coeur s'accorde avec ma langue. Considérant que l'acte est méritoire, et va à défendre mon roi de son ennemi, vous n'avez qu'à dire un mot, et je lui servirai de prêtre.

LE CARDINAL. – Mais je voudrais qu'il mourût, milord de Suffolk, un peu plus tôt que vous ne pouvez avoir reçu les ordres; l'action bien examinée, prononcez que vous en êtes d'accord; et je me charge de l'exécution, tant je chéris le salut de mon souverain!

SUFFOLK. – Voilà ma main, l'action est légitime.

MARGUERITE. – J'en dis autant.

YORK. – Et moi aussi; et maintenant que nous l'avons prononcé tous trois, il importe peu qui attaque notre arrêt.

(Entre un messager.)

LE MESSAGER. – Nobles pairs, je suis venu d'Irlande en grande diligence pour vous informer que les peuples se sont révoltés, et ont passé les Anglais au fil de l'épée. Envoyez un prompt secours, milords, et hâtez-vous d'arrêter leur furie avant que le mal devienne incurable; car, tandis qu'il est dans sa nouveauté, on peut espérer d'y porter remède.

LE CARDINAL. – C'est une brèche qui demande qu'on la répare promptement. Quel conseil donnez-vous dans cet urgent péril?

YORK. – Que Somerset y soit envoyé comme régent. Il est à propos d'employer un heureux administrateur; il a eu tant de succès en France!

SOMERSET. – Si York, avec sa politique tortueuse, avait été régent à ma place, il n'eût jamais tenu en France aussi longtemps.

YORK. – Non pas, certes, pour la perdre tout entière comme tu l'as fait. J'aurais plutôt perdu la vie à propos que de rapporter dans ma patrie ce fardeau de déshonneur, en m'arrêtant si longtemps jusqu'à ce que tout fût perdu. Montre-moi sur ta peau la marque d'une blessure. Une chair si bien conservée remporte rarement la victoire.

MARGUERITE. – Eh quoi! cette étincelle va devenir un incendie violent, si on s'accorde à l'exciter et à l'entretenir. York, cher Somerset, contenez-vous. – Si on t'eût chargé de la régence, ta fortune, York, eût peut-être été pire encore que la sienne.

YORK. – Quoi? pire que rien? Mais que la honte les engloutisse!

SOMERSET. – Et toi avec, qui nous désires la honte.

LE CARDINAL. – Milord York, éprouvez votre fortune: les sauvages Kernes d'Irlande sont en armes, et trempent la terre avec le sang des Anglais. Voulez-vous conduire en Irlande une troupe d'hommes d'élite choisis séparément sur chaque comté, et essayer votre bonheur contre les Irlandais?

YORK. – Je le veux bien, milord, si c'est le bon plaisir de Sa Majesté.

SUFFOLK. – Notre autorité dirige son consentement. Ce que nous établissons, il le confirme toujours. Allez donc, noble York, et chargez-vous de cette tâche.

YORK. – Je l'accepte. Ayez soin de me fournir des soldats, milord, tandis que je mettrai ordre à mes affaires particulières.

SUFFOLK. – C'est un soin dont je me charge, lord York. Revenons à présent au perfide duc Humphroy.

LE CARDINAL. – N'en parlons plus. Je ferai ses affaires de telle sorte, que dorénavant nous n'aurons plus à nous en inquiéter: ainsi, brisons là. Le jour baisse; lord Suffolk, vous et moi, nous avons quelque chose à régler ensemble sur cet événement.

YORK. – Milord de Suffolk, dans quinze jours j'attendrai mes soldats à Bristol; c'est là que je les embarquerai pour l'Irlande.

SUFFOLK. – J'aurai soin que tout soit bien préparé, milord d'York.

(Tous sortent excepté York.)

YORK. – A présent, York, ou jamais, donne à tes timides pensées la trempe de l'acier, et change enfin tes doutes en résolutions. Sois ce que tu espères être, ou cède à la mort ce que tu es, et qui ne mérite pas d'être conservé. Laisse la pâle crainte à l'homme né dans la bassesse; elle ne doit point trouver asile dans un coeur de race royale. Pressées comme les gouttes d'une ondée de printemps, les pensées succèdent dans mon âme aux pensées, et pas une qui ne tende au pouvoir. Mon cerveau plus actif que l'araignée laborieuse, ourdit de pénibles trames pour envelopper mes ennemis. – A merveille, nobles, à merveille, c'est un trait de votre haute prudence de m'envoyer avec un corps de soldats. Je crains bien que vous ne fassiez que réchauffer le serpent affamé qui, ranimé dans votre sein, vous percera le coeur. Il me manquait des hommes et vous allez me les donner. Je vous en sais bon gré, mais soyez sûrs que vous placez des épées tranchantes dans les mains d'un furieux. Tandis qu'en Irlande j'entretiendrai des forces redoutables, je veux susciter en Angleterre quelque noire tempête, dont le souffle envoie dix mille âmes au ciel ou en enfer; et cet ouragan terrible ne s'apaisera que lorsque, placé sur ma tête, le cercle d'or, semblable aux rayons perçants du soleil, calmera la violence de ce tourbillon furieux. J'ai déjà séduit, pour me servir d'instrument, un habitant de Kent, le fougueux Jean Cade d'Ashford; il doit, sous le nom de Jean Mortimer, exciter un soulèvement aussi étendu qu'il lui sera possible. J'ai vu en Irlande cet indomptable Cade combattre seul une troupe de Kernes, et se défendre si longtemps que ses cuisses hérissées de traits offraient presque l'aspect d'un porc-épic redressant ses dards, et lorsque enfin il eut été secouru, je le vis sauter en se relevant sur ses pieds comme un danseur moresque, et secouant les dards sanglants comme celui-ci agite ses sonnettes. Souvent, sous l'apparence d'un rusé Kerne aux cheveux ébouriffés il s'est introduit parmi les ennemis, et sans être découvert il est revenu vers moi me rendre compte de leurs perfides projets. Ce démon sera mon substitut dans ces lieux; car dans son port, dans ses traits, dans le son de sa voix, il ressemble en tout à Jean Mortimer qui n'est plus. Par là je sonderai les dispositions du peuple, et je connaîtrai s'il est disposé en faveur de la maison et des prétentions d'York. Supposons qu'il soit pris, martyrisé, mis à la torture: parmi les tourments qu'on lui peut infliger je n'en connais pas un qui soit capable de lui arracher l'aveu que c'est à mon instigation qu'il a pris les armes. Supposons qu'il prospère, comme cela est vraisemblable, j'arriverai d'Irlande à la tête de mes troupes et recueillerai la moisson qu'aura semée ce coquin; car Humphroy mort, comme il va l'être, et Henri mis de côté, le reste est à moi.

(Il sort.)

SCÈNE II

A Bury. – Un appartement dans le palais
Entrent précipitamment quelques ASSASSINS

PREMIER ASSASSIN. – Cours vers milord de Suffolk: apprends-lui que nous venons d'expédier le duc comme il l'a commandé.

SECOND ASSASSIN. – Ah! que cela fût encore à faire! Qu'avons-nous fait? – As-tu jamais entendu un homme si pénitent?

(Entre Suffolk.)

PREMIER ASSASSIN. – Voici milord.

SUFFOLK. – Eh bien, vous autres, avez-vous expédié notre affaire?

PREMIER ASSASSIN. – Oui, mon bon seigneur.

SUFFOLK. – Voilà une bonne parole; allez chez moi, je récompenserai ce périlleux service. Le roi et tous les pairs sont sur mes pas; disparaissez. Avez-vous remis le lit en ordre, et tout disposé suivant les instructions que je vous avais données?

 

PREMIER ASSASSIN. – Oui, mon bon seigneur.

SUFFOLK. – Allez, partez.

(Les assassins sortent.)

(Entrent le roi Henri, la reine Marguerite, le cardinal, Somerset, lords et autres personnages.)

LE ROI. – Allez, avertissez le duc de Glocester de comparaître sur-le-champ en notre présence: dites à Sa Grâce que j'ai résolu d'examiner aujourd'hui s'il est coupable, comme on le publie.

SUFFOLK. – Je vais le chercher, mon noble seigneur.

(Suffolk sort.)

LE ROI. – Milords, prenez vos places, et, je vous en prie, ne procédez point avec rigueur contre mon oncle Glocester, à moins que des témoins sincères, et d'une bonne réputation, ne l'aient convaincu de pratiques coupables.

MARGUERITE. – A Dieu ne plaise que la haine puisse réussir à faire condamner un noble qui ne serait pas coupable! Je prie le Ciel que Glocester parvienne à se laver de tout soupçon.

LE ROI. – Je te remercie, Marguerite; ces paroles me donnent une grande satisfaction. (Rentre Suffolk.) Qu'est-ce, Suffolk? D'où vient cette pâleur? Pourquoi trembles-tu ainsi?.. Où est notre oncle? Que lui est-il arrivé, Suffolk?

SUFFOLK. – Mort dans son lit, seigneur! Glocester est mort!

MARGUERITE. – Dieu nous en préserve!

LE CARDINAL. – Un secret jugement de Dieu! J'ai rêvé cette nuit que le duc était muet et ne pouvait prononcer une parole.

(Le roi s'évanouit.)

MARGUERITE. – Qu'arrive-t-il à mon seigneur? – Au secours, milords! – Le roi est mort!

SOMERSET. – Relevez-le; tordez-lui le nez.

MARGUERITE. – Courez, allez… Au secours! au secours! Oh! Henri, ouvre les yeux!

SUFFOLK. – Il se ranime, madame; calmez-vous.

LE ROI. – O Dieu du ciel!..

MARGUERITE. – Comment se trouve mon gracieux seigneur?

SUFFOLK. – Prenez courage, mon souverain; gracieux Henri, prenez courage.

LE ROI. – Quoi! c'est milord de Suffolk qui me conseille de prendre courage, lui qui vient de me faire entendre un chant de corbeau dont les sons funèbres ont arrêté en moi les forces vitales; croit-il que la voix joyeuse d'un roitelet qui, du fond d'un sein perfide, viendra me crier courage, pourra chasser le souvenir du son que j'ai d'abord entendu? – Ne cache point ton venin sous des paroles emmiellées. – Ne porte pas tes mains sur moi; éloigne-toi, te dis-je: leur toucher m'épouvante comme le dard du serpent. Sinistre messager, ôte-toi de ma vue; sous tes prunelles s'assied la tyrannie sanguinaire, effrayant le monde de sa hideuse majesté. Ne porte point tes regards sur moi; tes regards assassinent… Mais non, ne t'éloigne pas; viens, basilic, et tue de tes regards l'innocent qui te contemple, car dans les ombres de la mort je trouverai la joie; et vivre, c'est pour moi une double mort, puisque Glocester ne vit plus.

MARGUERITE. – Pourquoi maltraiter ainsi milord Suffolk? Quoique le duc fût son ennemi, il déplore chrétiennement sa mort: et moi-même, quelque inimitié qu'il m'ait montrée, si d'humides larmes, des gémissements qui déchirent le coeur, et si les soupirs qui consument le sang pouvaient le rappeler à la vie, je serais aveuglée par mes pleurs, malade à force de gémissements; mon sang, dévoré par les soupirs, laisserait mes joues pâles comme la primevère, et tout cela pour rendre la vie au noble duc. Et que sais-je de l'opinion que va prendre de moi le monde? On a appris qu'il y avait entre nous peu d'amitié. On pourra soupçonner que c'est moi qui me suis débarrassée du duc: ainsi la calomnie flétrira mon nom, et les cours des princes seront remplies de mon déshonneur. Voilà ce qui me revient de sa mort: malheureuse que je suis! être reine et se voir couronnée d'infamie!

LE ROI. – Ah! malheur à moi d'avoir perdu Glocester! Pauvre infortuné!

MARGUERITE. – Malheur à moi, bien plus à plaindre que lui! Quoi! tu te détournes et caches ton visage! Je ne suis point dégoûtante de lèpre, regarde-moi. Quoi! es-tu donc devenu sourd comme le serpent 15? Deviens donc venimeux comme lui, et tue ta reine abandonnée. Tout ton bonheur est-il donc renfermé dans la tombe de Glocester? S'il en est ainsi, Marguerite ne fit jamais ta joie. Élève une statue au duc, adore-le, et fais de mon image l'enseigne d'un cabaret. Est-ce donc pour cela que j'ai failli périr sur la mer, deux fois repoussée, par les vents contraires, des rivages de l'Angleterre sur ma terre natale? Que signifiait ce présage, si ce n'est un avertissement des vents bienveillants, qui semblaient me dire: Ne va point chercher un nid de scorpions, ne pose point ton pied sur ce rivage ennemi. Et moi, que faisais-je alors que maudire les vents propices, et celui qui les avait déchaînés de leurs antres d'airain? Je les conjurais de souffler vers les bords chéris de l'Angleterre, ou de jeter la quille de notre bâtiment sur quelque rocher épouvantable. Cependant Éole ne voulut point devenir meurtrier; il te laissa cet odieux emploi. La mer bondissant avec ménagement refusa de m'engloutir, sachant que, sur le rivage, ta dureté devait me noyer dans des larmes aussi amères que ses eaux. Les rochers aigus s'enfoncèrent dans les sables affaissés, et ne voulurent point me briser sur leurs flancs raboteux, afin que ton coeur de pierre, plus insensible qu'eux, fit dans ton palais périr Marguerite. Tandis que l'orage nous repoussait de tes bords, d'aussi loin que je pus apercevoir tes promontoires blanchâtres, je demeurai sur le tillac au milieu de la tempête: et lorsqu'un ciel ténébreux vint dérober à mes yeux avides la vue de ton pays, j'ôtai de mon cou un joyau précieux (c'était un coeur enchâssé dans le diamant), et je le jetai du côté de la terre. La mer le reçut, et je formai le voeu que ton sein pût de même recevoir mon coeur. C'est alors que, perdant de vue la belle Angleterre, j'aurais voulu que mes yeux pussent me quitter avec mon coeur; c'est alors que je les traitai de verres troubles et aveugles, pour n'avoir pas su me conserver la vue des rives désirées d'Albion. Combien de fois ai-je excité Suffolk, l'agent de ta coupable inconstance, à venir, assis près de moi, m'enchanter de ses récits, comme Ascagne égara l'âme de Didon en lui racontant les actions de son père, à partir de l'incendie de Troie? N'ai-je pas été séduite comme elle? N'es-tu pas perfide comme lui? Hélas! je succombe. Meurs, Marguerite, car Henri déplore que tu vives si longtemps.

(Bruit derrière le théâtre. Entrent Salisbury et Warwick. Le peuple se presse à la porte.)

WARWICK. – Puissant souverain, un bruit se répand que le bon duc Humphroy a été assassiné en trahison, par l'ordre de Suffolk et du cardinal Beaufort. Le peuple, semblable à un essaim irrité qui a perdu son chef, se répand de côté et d'autre, sans s'inquiéter où tombe l'aiguillon. J'ai obtenu qu'ils suspendissent la fureur de leur révolte, jusqu'à ce qu'ils fussent instruits des circonstances de sa mort.

LE ROI. – Que le duc est mort, bon Warwick, il n'est que trop vrai; mais comment il est mort, Dieu le sait, et non pas Henri. Entrez dans sa chambre, voyez son corps inanimé, et faites alors vos conjectures sur sa mort soudaine.

WARWICK. – Oui, je vais y entrer, seigneur. Salisbury, demeure jusqu'à mon retour près de cette multitude emportée.

(Warwick entre dans une chambre intérieure, et Salisbury se retire.)

LE ROI. – O toi qui juges toutes choses, arrête mes pensées, mes pensées qui s'évertuent à convaincre mon âme que la violence a terminé la vie de Glocester. Si mon soupçon est injuste, pardonne-moi, grand Dieu! car le jugement n'appartient qu'à toi seul. – Mon désir serait d'aller, par vingt mille baisers, réchauffer ses lèvres pâlies, verser sur son visage un océan de larmes amères, dire ma tendresse à ce corps muet et sourd, presser de ma main sa main insensible. Mais de quoi lui serviraient ces misérables honneurs? et, en tournant mes yeux sur sa froide et terrestre dépouille, que ferais-je qu'augmenter ma douleur?

(On ouvre les deux battants d'une porte conduisant à une chambre intérieure, où l'on voit Glocester mort dans son lit. Warwick et plusieurs autres l'entourent.)

WARWICK. – Approchez, gracieux souverain; jetez les yeux sur ce corps.

LE ROI. – C'est donc pour y contempler à quelle profondeur on a creusé ma tombe; car avec son âme se sont envolées toutes mes joies en ce monde; en le regardant, je vois dans sa mort le destin de ma vie.

WARWICK. – Aussi certainement que mon âme espère vivre avec ce roi redoutable qui, pour nous racheter de la malédiction de son père irrité, a pris sur lui notre état, aussi certainement je crois que la violence a terminé les jours de ce duc trois fois renommé.

SUFFOLK. – C'est là un serment terrible, prononcé d'un ton bien solennel! Et quelle preuve donne lord Warwick de ce qu'il atteste?

WARWICK, au roi. – Observez comme son sang est arrêté sur son visage. J'ai vu plus d'une fois un corps que venait d'abandonner la vie, mais je l'ai vu de couleur terreuse, amaigri, pâle, vide de son sang, tout entier descendu vers le coeur qui, dans les assauts que lui livre la mort, attire le sang pour s'en aider contre son ennemie. Il s'y glace au même instant que le coeur, et ne retourne jamais animer et embellir la face des morts. Mais voyez; son visage est noir, gonflé de sang, le globe de l'oeil bien plus saillant que pendant sa vie, ses yeux ouverts et hagards comme ceux d'un homme étranglé; ses cheveux dressés, ses narines dilatées par de violents efforts, ses mains ouvertes et écartées, comme celles d'un homme qui a cherché à saisir, qui a défendu sa vie, et a été vaincu par la force. Voyez sur ses draps l'empreinte de sa chevelure, et sa barbe, ordinairement si bien rangée, inégale et en désordre, comme le blé renversé par la tempête. Il est impossible, seigneur, que Glocester n'ait pas été étouffé à cette place: le moindre de ces signes fournirait à lui seul une probabilité.

SUFFOLK. – Quoi, Warwick! Eh! qui donc aurait assassiné le duc? Beaufort et moi l'avions sous notre protection; et ni l'un ni l'autre, j'espère, milords, nous ne sommes des assassins.

WARWICK. – Mais tous deux vous étiez les ennemis jurés du duc Humphroy, et tous deux, en effet, vous aviez le bon duc à votre garde. Il y avait lieu de juger que votre dessein n'était pas de le traiter en ami, et il est bien manifeste qu'il a trouvé un ennemi.

MARGUERITE. – Ainsi, vous paraissez soupçonner ces deux nobles seigneurs d'être coupables de la mort précipitée d'Humphroy?

WARWICK. – Qui peut trouver la génisse sans vie et saignant encore, et voir auprès d'elle le boucher, la hache à la main, et ne pas soupçonner que c'est lui qui a porté le coup mortel? Qui peut trouver la perdrix dans le nid du vautour, et ne pas imaginer comment est mort l'oiseau, quoique sur le bec du vautour qui s'envole ne paraisse aucune trace de sang? Ce tragique spectacle fait naître des soupçons tout pareils.

MARGUERITE. – Êtes-vous le boucher, Suffolk? où est votre couteau? Beaufort est-il désigné pour le vautour? où sont ses serres?

SUFFOLK. – Je n'ai point de couteau pour poignarder un homme endormi; mais voici une épée vengeresse qui, rouillée par le repos, va s'éclaircir dans ce coeur rempli de fiel, qui veut me marquer ignominieusement des signes sanglants du meurtre. Dis, si tu l'oses, orgueilleux lord du comté de Warwick, que j'ai eu une coupable part à la mort du duc Humphroy.

WARWICK. – Que n'osera pas Warwick, si le perfide Suffolk ose le défier?

MARGUERITE. – Il craindrait, quand Suffolk l'en défierait vingt fois, de contenir son caractère outrageant, d'imposer silence à son arrogante censure.

WARWICK. – Madame, tenez-vous en repos, j'ose vous le demander avec respect, car chaque mot que vous prononcez en sa faveur est un affront fait à votre royale dignité.

SUFFOLK. – Lord stupide et brutal, ignoble dans ta conduite, si jamais femme outragea son époux à cet excès, il est sûr que ta mère admit dans son lit déshonoré quelque paysan farouche et mal-appris, et qu'elle enta sur une noble tige un vil sauvageon dont tu es le fruit, et non celui de la noble race des Nevil.

WARWICK. – Si le crime de ton meurtre ne te servait de bouclier, si je consentais à frustrer le bourreau de ses profits, et à t'affranchir ainsi de dix mille opprobres, et si la présence de mon roi ne contenait ma colère, je voudrais, traître et lâche meurtrier, te faire demander pardon à genoux, pour la parole qui vient de t'échapper, et te contraindre à confesser que c'est de ta mère que tu voulais parler, et que c'est toi qui es né dans l'adultère; et, après avoir reçu de toi cet hommage de ta peur, je te donnerais ton salaire, et j'enverrais ton âme aux enfers, pernicieux vampire des hommes endormis.

 

SUFFOLK. – Tu seras éveillé quand je verserai le tien, si tu as le courage de me suivre hors de cette assemblée.

WARWICK. – Sortons tout à l'heure, ou je t'en vais arracher. Quoique tu en sois indigne, je veux bien me mesurer avec toi, et rendre ainsi un hommage funèbre aux mânes du duc Humphroy.

(Warwick et Suffolk sortent.)

LE ROI. – Quelle cuirasse plus impénétrable qu'un coeur irréprochable! il porte une triple armure, l'homme dont la querelle est juste: mais, fût-il enfermé dans l'acier, celui dont la conscience est souillée par l'injustice reste nu et sans défense!

(Bruit derrière le théâtre.)

MARGUERITE. – Quel bruit est-ce là?

(Rentrent Suffolk et Warwick l'épée nue.)

LE ROI. – Que vois-je, lords? quoi! vos épées menaçantes hors du fourreau, en notre présence! osez-vous vous permettre une telle audace? Eh quoi! quelle clameur tumultueuse s'élève près d'ici?

SUFFOLK. – Le traître Warwick et les hommes de Bury, puissant souverain, se sont tous réunis contre moi.

(Bruit tumultueux derrière le théâtre.)
(Rentre Salisbury.)

SALISBURY, parlant à la foule derrière le théâtre. – Écartez-vous, mes amis; le roi connaîtra vos sentiments. Redoutable seigneur, les communes vous déclarent par ma voix que, si le traître Suffolk n'est pas sur-le-champ mis à mort, ou banni du territoire de la belle Angleterre, on viendra l'arracher de force de votre palais, et on lui fera souffrir les tourments d'une mort lente et cruelle. Le peuple dit que c'est par lui qu'a péri le bon duc Humphroy, qu'il y a tout à craindre de lui pour la vie de Votre Majesté; et qu'un pur mouvement d'attachement et de zèle, exempt de toute espèce d'intention de révolte, telle que serait la pensée de contredire votre royale volonté, a seul excité la hardiesse avec laquelle vos sujets demandent son bannissement. Ils sont, disent-ils, pleins de sollicitude pour votre royale personne; si Votre Majesté voulait se livrer au sommeil, et eût défendu sous peine de disgrâce, ou même de la mort, que l'on osât troubler votre repos, et que, cependant, on vit un serpent, avec sa langue à double dard, se glisser en silence vers Votre Majesté, malgré cet édit rigoureux il serait nécessaire que l'on vous réveillât, de peur que, si on vous laissait à ce dangereux assoupissement, l'animal meurtrier ne le changeât en un sommeil éternel. Tel est le motif, seigneur, qui porte vos peuples à vous crier, bien que vous l'ayez défendu, qu'avec ou sans votre consentement, ils veulent vous garder d'un serpent aussi dangereux que le traître Suffolk, dont le dard fatal et empoisonné a déjà, disent-ils, lâchement ôté la vie à votre cher et digne oncle qui valait vingt fois mieux que lui.

LE PEUPLE, derrière le théâtre. – Une réponse du roi, milord de Salisbury.

SUFFOLK. – On conçoit que le peuple, canaille insolente et grossière, eût pu adresser un pareil message à son souverain: mais vous, milord, vous vous êtes chargé avec joie de le porter, pour montrer l'élégance de votre talent d'orateur. Cependant tout l'honneur qu'y aura gagné Salisbury, c'est d'avoir été auprès du roi le lord ambassadeur d'une compagnie de chaudronniers.

LE PEUPLE, derrière le théâtre. – Une réponse du roi, ou nous allons forcer l'entrée.

LE ROI. – Retournez, Salisbury; dites-leur à tous, de ma part, que je leur sais gré de leur tendre sollicitude, et que, n'en eussé-je pas été pressé par eux, j'avais dessein de faire ce qu'ils demandent; car j'ai dans l'esprit la continuelle et ferme pensée que l'État est menacé de quelque malheur par le fait de Suffolk. C'est pourquoi je jure, par la majesté suprême dont je suis le très-indigne représentant, que dans trois jours Suffolk aura, sous peine de mort, cessé de souiller de son haleine l'air de ce pays.

MARGUERITE. – O Henri! laissez-moi vous toucher en faveur du noble Suffolk.

LE ROI. – Reine sans noblesse, quand tu l'appelles le noble Suffolk, pas un mot de plus, je te le dis; en me parlant pour lui tu ne feras qu'ajouter à ma colère. N'eussé-je fait que le dire, j'aurais voulu tenir ma parole; mais, quand je l'ai juré, mon arrêt est irrévocable. (A Suffolk.) Si, passé le terme de trois jours, on te trouve sur aucune terre de ma domination, le monde entier ne rachètera pas ta vie. Viens, Warwick, viens, bon Warwick, suis-moi; j'ai des choses importantes à te communiquer.

(Sortent le roi Henri, Warwick, lords, etc.)

MARGUERITE. – Puissent la fatalité et la douleur vous suivre en tous lieux! Que la désolation du coeur et l'inconsolable affliction soient les compagnes et la société de vos loisirs! Qu'avec vous deux le diable fasse le troisième, et qu'une triple vengeance s'attache à vos pas!

SUFFOLK. – Cesse, aimable reine, ces imprécations, et laisse ton cher Suffolk te dire un douloureux adieu.

MARGUERITE. – Honte à toi, lâche femmelette! malheureux au coeur faible, n'as-tu donc pas le courage de maudire tes ennemis?

SUFFOLK. – La peste les étouffe! – Et pourquoi les maudirais-je? Si, comme le gémissement de la mandragore, les malédictions avaient le pouvoir de tuer, je voudrais inventer des paroles aussi poignantes, aussi maudites, aussi acerbes, aussi horribles à entendre, et les faire sortir énergiquement de ma bouche à travers mes dents serrées, avec autant de signes d'une haine mortelle qu'en peut manifester dans son antre détestable le visage décharné de l'Envie. Ma langue s'embarrasserait dans la rapidité de mes paroles, mes yeux étincelleraient comme le caillou sous l'acier, mes cheveux se dresseraient sur leurs racines, comme ceux d'un frénétique; oui, chacun de mes muscles semblerait exécrer et maudire; et même dans ce moment je sens que mon coeur surchargé se briserait si je ne les maudissais. Poison, sois leur breuvage; fiel, pis que le fiel leur plus doux aliment; que leur plus gracieux ombrage soit un bocage de cyprès, que pour leur plus charmant aspect ils n'aperçoivent que des basilics meurtriers, que ce qu'ils touchent de plus doux leur soit aussi âpre que la dent du lézard, qu'ils aient pour toute musique des sons effrayants comme le sifflement des serpents, et que les lugubres cris du hibou, précurseur de la mort, viennent compléter le concert! puissent toutes les noires terreurs de l'enfer, siége de ténèbres…

MARGUERITE. – Arrête, cher Suffolk, tu ne fais que te tourmenter toi-même; et c'est contre toi seul que ces terribles malédictions tournent toute leur force, comme une arme trop chargée, ou le rayon du soleil répercuté par une glace.

SUFFOLK. – C'est vous qui m'avez demandé ces imprécations, et c'est vous qui voulez les arrêter! Par cette terre dont je suis banni, je pourrais maintenant passer à maudire toute une nuit d'hiver, dussé-je la passer nu, sur le sommet d'une montagne, où l'âpreté du froid n'aurait jamais laissé croître un seul brin d'herbe; et ce ne serait pour moi qu'une minute écoulée dans les plaisirs.

MARGUERITE. – Oh! je t'en conjure, cesse. Donne-moi ta main, que je l'arrose de mes douloureuses larmes; ne laisse jamais la pluie du ciel la mouiller et en effacer ce monument de ma douleur. (Elle lui baise la main.) Oh! je voudrais que ce baiser pût s'imprimer sur ta main, comme un cachet qui te rappelât ces lèvres d'où s'exhalent pour toi mille soupirs. Allons, va-t'en pour que je connaisse tout mon malheur; tant que tu es là près de moi, je ne fais que me le représenter, comme on peut penser au besoin au milieu des excès d'un repas. – J'obtiendrai ton rappel, ou, sois-en bien assuré, je m'exposerai à être bannie moi-même. Je le suis bannie, puisque je le suis de toi; va, ne me parle pas, va-t'en tout de suite. Oh! ne t'en va pas encore!.. ainsi deux amis condamnés à la mort se pressent et s'embrassent, et se disent mille fois adieu, ayant bien plus de peine à se séparer qu'à mourir… Et cependant adieu enfin, et avec toi, adieu la vie!

SUFFOLK. – Ainsi le pauvre Suffolk souffre dix exils, un par le roi, et par toi trois fois un triple exil. Ce n'est point mon pays que je regrette. Si tu en sortais avec moi! Un désert serait assez peuplé pour Suffolk, s'il y jouissait du charme céleste de ta présence; car où tu es, là est mon univers, accompagné de tous les plaisirs qui le remplissent, et où tu n'es pas, il n'y a rien que désolation. Je n'en puis plus; vis, pour vivre heureuse: moi, pour ne sentir qu'une seule joie, c'est que tu vives.

15Le serpent qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la voix de l'enchanteur.