Za darmo

Ivanhoe. 1. Le retour du croisé

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

CHAPITRE VIII

«En ce moment l'agresseur, par un orgueilleuxdéfi, embouche la trompette; sonadversaire lui répond; les fanfares belliqueusesretentissent dans la plaine et jusqu'auxvoûtes du ciel; les visières abaissées, les lances en arrêt ou poussées sur lecasque ou le cimier, les combattans franchissentla barrière, pressent leurs coursiersde l'éperon, et dévorent l'espace.»

Dryden, Palémon et Arcite.

Encore au milieu de sa cavalcade, le prince Jean tout à coup s'arrête. «Par la sainte Vierge! sire prieur, dit-il à Aymer, nous avons oublié la principale affaire du jour. Nous n'avons pas nommé la reine de la beauté et de l'amour, dont la main blanche doit décerner le prix au vainqueur. Pour moi, je suis tolérant dans mes idées, et je ne me ferais aucun scrupule d'accorder mon suffrage aux yeux noirs de Rébecca.» – «Sainte mère de Dieu, s'écria le prieur consterné, une juive! nous mériterions d'être lapidés dans cette enceinte, et je ne suis pas encore assez vieux pour vouloir être martyr. D'ailleurs, je jure par mon saint patron qu'elle est mille fois moins belle que cette aimable Saxonne, lady Rowena.» – «Juive ou Saxonne, chienne ou truie, qu'importe? dit le prince, je veux nommer Rébecca, ne fût-ce que pour humilier ces rustres de Saxons.»

Un murmure presque universel s'éleva parmi ceux qui formaient son cortége. «Ceci devient trop sérieux, prince, dit Bracy; car, si une pareille injure est faite aux chevaliers, pas un ne voudra lever la lance.» – «C'est un raffinement d'outrage, dit Waldemar-de-Fitzurse, un des plus vieux courtisans du prince Jean; et si votre grâce persiste dans ce projet, c'est en vouloir la ruine.» – «Baron, répondit le prince avec hauteur, je vous ai pris pour me suivre et non pour me conseiller.» – «Ceux qui vous suivent dans le chemin où vous marchez, lui dit Waldemar en baissant la voix, ont acquis le droit de hasarder un avis; car votre honneur et votre vie n'y sont pas plus intéressés que la conservation de leur propre existence.»

Au ton qu'avait pris Fitzurse, Jean sentit qu'il valait mieux ne pas insister. «Je ne voulais que plaisanter, dit-il, et voilà que vous vous redressez tous contre moi comme des couleuvres: nommez qui vous voudrez, de par le diable! et je confirme d'avance votre choix.» – «Faites mieux, dit Bracy, laissez vacant le trône de notre belle souveraine, jusqu'à ce que le vainqueur soit proclamé, et que lui-même alors choisisse la dame à son triomphe et apprenne au beau sexe à aimer davantage les chevaliers qui l'élèvent à une telle distinction.» – «Si Brian de Bois-Guilbert obtient le prix, dit le prieur, je parie mon rosaire que je nomme la reine de l'amour et de la beauté.» – «Bois-Guilbert est bonne lance, dit Bracy, mais il y a ici d'autres chevaliers qui ne craindraient pas de le rencontrer.» – «Silence! dit Waldemar, il est temps que le prince tienne sa place; les chevaliers et les spectateurs s'impatientent, les heures s'écoulent, et il convient que le tournoi commence.»

Le prince Jean ne régnait pas encore, et cependant il trouvait dans Waldemar-Fitzurse tous les inconvéniens d'un ministre favori, qui, en voulant servir son maître, le fait toujours à sa propre manière. Il céda donc à sa remontrance, quoiqu'il fût un de ces caractères qui montrent d'autant plus d'opiniâtreté qu'il est question de plus frivoles bagatelles. Il monta sur son trône, entouré de son cortége, et ordonna aux hérauts d'armes de proclamer les règles du tournoi, qui consistaient dans les suivantes: 1° les cinq chevaliers tenans devaient accepter le combat de tous venans; 2° tout chevalier prêt de combattre pouvait choisir son adversaire parmi les tenans, en touchant son bouclier. S'il le touchait du bois de sa lance, le combat devait avoir lieu avec ce qu'on nommait les armes de courtoisie, c'est-à-dire avec des lances dont la pointe était garnie d'un morceau de bois aplati, de façon que l'on ne courait d'autres dangers que ceux qui pouvaient résulter d'une chute ou du choc des coursiers et des lances; mais, si l'assaillant touchait le bouclier avec le fer de sa lance, le combat devenait à outrance, c'est-à-dire à fer affilé, comme dans une bataille véritable; 3° quand les tenans auraient accompli leur voeu, en rompant chacun cinq lances, le prince devait proclamer le vainqueur du premier jour du tournoi, et celui-ci devait recevoir pour prix un cheval de bataille de la plus grande beauté et de la plus grande vigueur; il avait aussi le droit de nommer la reine de la beauté et de l'amour qui décernait le prix du jour suivant; 4° le second jour devait amener un tournoi général, auquel pourraient prendre part tous les chevaliers qui le voudraient, et qui, se divisant en deux troupes de nombre égal, combattraient jusqu'à ce que le prince Jean eût ordonné de cesser, en jetant dans l'arène son bâton de commandement. La reine de la beauté et de l'amour élue devait alors placer sur la tête du chevalier vainqueur du second jour une couronne d'or, en forme de feuilles de laurier. Cette journée terminait les jeux chevaleresques; mais le troisième jour devait être consacré à une joute à l'arc, à un combat de taureaux, et à d'autres amusemens réservés pour le peuple. Le prince Jean cherchait ainsi à s'assurer une popularité qu'il diminuait au contraire chaque jour davantage par les actes les plus arbitraires d'oppression.

La lice offrait alors le plus magnifique spectacle. Les galeries supérieures étaient remplies de tout ce que le nord et le centre de l'Angleterre possédaient de plus distingué en noblesse, en grandeur, en richesse, en beauté; le contraste des habillemens de cette première classe de spectateurs en rendait l'apparence aussi flatteuse qu'elle était imposante. Les galeries d'en bas, où se trouvaient la bourgeoisie et les yeomen de la vieille Angleterre, parés avec moins d'éclat, formaient comme une bordure simple et unie autour de ce cercle de broderies élégantes, pour en relever encore la pompe et l'éclat.

Les hérauts d'armes ayant terminé leur proclamation par le cri d'usage: «Largesse, largesse, vaillans chevaliers!» une pluie de pièces d'or et d'argent tomba sur eux du haut des galeries, car c'était un grand point de chevalerie, de montrer sa libéralité envers ceux que l'on considérait comme les secrétaires et les historiens de l'honneur. Après avoir reçu cette marque de générosité, les hérauts poussèrent les acclamations ordinaires: «Amour aux dames! mort des champions! honneur aux généraux! gloire aux braves!» Le peuple remplissait les airs des mêmes cris, et de nombreuses trompettes y joignaient leurs sons belliqueux. Les hérauts d'armes sortirent de la lice, où il ne resta que les deux maréchaux du tournoi, à cheval et armés de pied en cap, immobiles comme des statues, chacun à un bout de la lice. En même temps, l'espace laissé aux assaillans était rempli d'une foule de chevaliers qui venaient se mesurer contre les tenans. Du haut des galeries c'était l'image d'une mer agitée, sur laquelle on voyait flotter des panaches de plumes, des casques brillans et des fers de lances auxquelles étaient souvent attachés des pannonceaux qui, remués par le vent, de même que les plumes, ajoutaient au mouvement et à la variété de la scène.

Les barrières s'ouvrirent enfin, et cinq chevaliers élus par le sort s'avancèrent à pas lents dans l'arène. L'un d'eux marchait en tête; les quatre autres le suivaient deux à deux. Tous étaient magnifiquement armés, et le manuscrit saxon de Wardour, d'où j'extrais ces détails, rappelle exactement leurs couleurs, leurs devises et leurs armes, comme les harnais de leurs coursiers; mais il est inutile de nous appesantir sur ce sujet, car, pour emprunter quelques vers d'un poète notre contemporain qui en a trop peu composés,

 
The knights are dust,
And their good swords are rust,
Their souls are with the saints, we trust 49.
 

Depuis long-temps leurs écussons rouillés ont disparu des murs de leurs châteaux où ils étaient suspendus: leurs châteaux même ne sont plus que des tertres verts et des ruines dispersées: la place où ils étaient les ignore aujourd'hui; d'autres générations successives et nombreuses depuis lors ont disparu à leur tour des lieux où ils exerçaient despotiquement l'autorité de seigneurs féodeaux. Qu'importent donc au lecteur et leurs noms et les symboles éclipsés de leurs rangs belliqueux?

En ce moment toutefois ne prévoyant guère l'oubli qui devait un jour engloutir dans son onde leurs noms et leurs exploits, les cinq champions arrivaient dans l'arène, retenant leurs coursiers fougueux, et les forçant de garder le pas, pour montrer à la fois les mouvemens gracieux de leur allure et la dextérité des cavaliers. Tandis qu'ils entraient dans la lice, les sons d'une musique orientale partirent de derrière les tentes où se tenaient cachés les tenans du tournoi; ces sons étaient produits par des cymbales et d'autres instrumens que des chevaliers avaient rapportés de la Terre-Sainte. Leur harmonie barbare semblait en même tems défier les assaillans et les féliciter de leur arrivée, en présence d'un immense concours de spectateurs qui avaient les yeux fixés sur les cinq champions. Ceux-ci, montant sur la plate-forme où s'élevaient les tentes, et en se quittant, frappèrent légèrement, du bois de leur lance, le bouclier de l'adversaire avec lequel chacun d'eux voulait se mesurer. La multitude et quelques spectateurs des classes supérieures, même quelques dames, regrettèrent qu'ils eussent choisi les armes courtoises; car cette même classe de personnes qui applaudit aujourd'hui les tragédies les plus épouvantables prenait alors à un tournoi un intérêt proportionné au danger qu'y couraient les acteurs.

 

Après avoir intimé leurs intentions plus pacifiques, les assaillans se retirèrent à l'autre bout de la lice, où ils restèrent rangés en ligne, tandis que les tenans, sortant chacun de sa tente, montaient à cheval, et, ayant à leur tête Brian de Bois-Guilbert, descendaient de la plate-forme, pour en venir aux mains avec les chevaliers qui avaient touché leurs boucliers. Au bruit des clairons et des trompettes, ils s'élancèrent les uns contre les autres au grand galop; et telle fut l'adresse des tenans ou leur bonne fortune, que les antagonistes de Bois-Guilbert, de Malvoisin, et de Front-de-Boeuf roulèrent à l'instant sur le sol. L'adversaire de Grantmesnil, au lieu de diriger sa lance contre le casque et le bouclier de son ennemi, s'écarta tellement de la ligne droite, qu'il la lui brisa sur le corps, circonstance regardée comme plus honteuse que d'être démonté, parce qu'un simple accident pouvait être la cause de cette dernière disgrâce, tandis que la première ne pouvait provenir que de la maladresse et du défaut d'expérience dans le maniement des armes. Le cinquième assaillant fut le seul qui soutint dignement l'honneur de son parti: le chevalier de Saint-Jean et lui rompirent tous deux leurs lances et se séparèrent sans qu'aucun d'eux eût l'avantage.

Les cris de la multitude, les acclamations des hérauts et le son des trompettes, annoncèrent le triomphe des vainqueurs et la défaite des vaincus. Les premiers se retirèrent sous leurs tentes, et les autres, confus et humiliés, quittèrent la lice pour traiter avec leurs opposans du rachat de leurs armes et de leurs chevaux, qui, d'après les règlemens du tournoi, appartenaient aux vainqueurs. Le cinquième seul demeura dans l'amphithéâtre assez de temps pour être salué par les applaudissemens mérités des spectateurs, ce qui ajouta encore à la honte de ses compagnons désappointés.

Une seconde et troisième troupe d'assaillans revinrent successivement en lice; quelques uns d'entre eux eurent l'avantage; mais en général la victoire se déclara pour les tenans, dont pas un ne perdit selle, accident qui arriva dans chaque rencontre, à quelques uns de leurs adversaires. Ce succès permanent refroidit considérablement l'ardeur des chevaliers qui se proposaient de combattre; et à la quatrième entrée, trois seulement parurent dans l'arène, évitant de toucher les boucliers de deux tenans qui semblaient les plus redoutables, c'est-à-dire de Bois-Guilbert et de Front-de-Boeuf, et se bornant à défier les trois autres. Cette manoeuvre prudente ne leur réussit pas: deux furent désarçonnés, et le troisième manqua la passe, c'est-à-dire que sa lance, s'écartant de la ligne droite, ne toucha pas son adversaire.

Cette rencontre fut suivie d'une pause: aucun chevalier ne semblait disposé à renouveler l'attaque, et un murmure sourd annonçait le mécontentement de la majeure partie des spectateurs; car les tenans n'avaient pas pour eux la faveur publique. Bois-Guilbert et Front-de-Boeuf s'étaient rendus odieux par leur caractère altier et tyrannique; et l'on ne s'intéressait guère aux autres, parce qu'ils étaient étrangers, à l'exception de Grantmesnil. Mais cette désapprobation générale, nul ne la partagea plus vivement que Cedric le saxon, qui dans chaque avantage remporté par les Normands tenans du tournoi voyait une honte pour l'Angleterre. Avec les mêmes armes que celles de ses ancêtres, il avait en diverses rencontres fait éclater la bravoure d'un guerrier, mais il ne connaissait point la tactique des joutes chevaleresques, et il jetait de temps à autre un coup d'oeil d'envie sur Athelstane, qui s'était quelquefois distingué dans cette carrière, comme s'il eût désiré qu'il fît un effort pour arracher la victoire au templier et à ses compagnons. Néanmoins le descendant des rois saxons, sans manquer ni de courage, ni d'adresse et de vigueur, était trop indolent et avait trop peu d'amour-propre et d'ambition pour se déterminer si vite au trait de bravoure que Cedric en attendait.

«Cette journée est contre nous, digne lord, lui répéta Cedric, la fortune ne favorise pas l'Angleterre en ce moment. Ne comptez-vous pas lever la lance à votre tour?» – «Je crois que j'attendrai demain, lui répondit Athelstane; je combattrai dans la mêlée. Je me passerai aujourd'hui de mes armes.» Deux choses dans ce discours indisposèrent Cedric: le mot normand, mêlée, qu'Athelstane avait employé pour dire l'action générale, et l'indifférence que celui-ci montrait pour son pays; mais il vénérait trop les aïeux d'Athelstane, pour éplucher la conduite de ce dernier. D'ailleurs, il n'aurait pas eu le temps de faire la moindre observation; car à peine Athelstane avait-il fini de parler, que Wamba plaça son mot: «Sans doute, il est bien plus glorieux d'être le premier sur cent que le premier sur deux,» dit le fou. Athelstane prit cela pour un compliment; mais Cedric, ayant mieux saisi l'intention de Wamba, lui lança un regard sévère, et il est probable que le temps et le lieu le mirent seuls, malgré les priviléges de sa place, à l'abri de recevoir des témoignages plus sensibles du ressentiment de son maître.

La pause dans le tournoi s'observait strictement, excepté lorsque, de temps à autre, les hérauts d'armes criaient: «Amour aux dames! brisement de lances! allons, dignes chevaliers, entrez en lice; songez que de beaux yeux vous regardent et attendent vos exploits.» La musique des tenans faisait entendre par intervalles des airs de triomphe et de défi, tandis que la multitude chômait à regret un jour qui semblait s'écouler dans l'inaction; les vieux chevaliers et les nobles, parlant du temps passé, déploraient à demi-voix la décadence de l'esprit martial, mais convenaient aussi qu'on ne voyait pas maintenant, pour exciter les combattans, de dames aussi belles que celles qui jadis animaient les tournois. Le prince Jean commençait d'ordonner à sa suite d'aller préparer le banquet, et annonçait à ses courtisans qu'il allait adjuger le prix à sir Brian de Bois-Guilbert, qui, sans rompre une seule lance, avait démonté deux de ses adversaires et vaincu le troisième.

Enfin, comme la musique orientale des tenans venait d'exécuter une de ces fanfares qui exaltaient leur triomphe, une trompette fit entendre des sons de défi à la porte située vers le nord; tous les yeux se tournèrent de ce côté pour voir le nouveau champion qui allait se présenter, et dès que la barrière fut ouverte, il entra dans la lice. Autant que l'on pouvait juger d'un homme revêtu d'une armure, ce nouveau combattant n'excédait pas la taille moyenne, et paraissait avoir un corps plus élancé que robuste. Sa cuirasse était d'acier richement damasquiné en or; sur son bouclier se dessinait pour toute armoirie un jeune chêne déraciné, et sa devise était le mot espagnol, desdichado, c'est-à-dire déshérité. Il montait un superbe cheval noir, et, en traversant l'arène, il salua le prince et les dames avec grâce, en baissant le fer de sa lance. L'adresse avec laquelle il guidait son cheval, l'air de jeunesse et de courtoisie qu'il montrait lui valurent l'approbation des classes inférieures, qui la lui témoignèrent en criant: «Touchez le bouclier de Ralph de Vipont, du chevalier hospitalier! il est le moins ferme en selle, vous en aurez le meilleur marché!» Au milieu de ces acclamations, le nouveau champion monta sur la plate-forme, et, à la grande surprise de tous les spectateurs, alla droit au pavillon du centre, et frappa vigoureusement, du fer de sa lance, le bouclier de Brian de Bois-Guilbert; ce qui annonçait qu'il demandait le combat à outrance. Chacun fut étonné de sa présomption, mais l'orgueilleux templier, qui sortit aussitôt de sa tente, le fut bien davantage. «Vous êtes-vous confessé, mon frère, lui demanda-t-il avec un sourire amer; avez-vous entendu la messe ce matin, pour mettre ainsi votre vie en péril?» – «Je suis mieux préparé que toi à la mort,» répondit le chevalier déshérité, nom sous lequel il s'était fait inscrire parmi les assaillans. – «Allez donc prendre place dans la lice, et regardez le soleil pour la dernière fois, car vous dormirez ce soir au paradis.» – «Grand merci de ta courtoisie; pour t'en récompenser, je te conseille de prendre un cheval frais et une lance neuve, car, sur mon honneur, l'un et l'autre te seront nécessaires.» Après avoir parlé avec tant de confiance il fit descendre son cheval à reculons de la plate-forme, et le força à parcourir ainsi toute l'arène jusqu'à l'extrémité septentrionale où il demeura stationnaire en attendant que son antagoniste parût. Cette habileté d'équitation lui attira de nouveaux applaudissemens.

Tout irrité qu'il fût de l'audace avec laquelle son adversaire lui avait conseillé de prendre des précautions, Bois-Guilbert ne les négligea point. Son honneur était trop intéressé à triompher, pour oublier aucun des moyens qui pouvaient l'y aider. Il choisit un nouveau coursier plein de feu et d'ardeur, et s'arma d'une nouvelle lance, de peur que le bois de la première ne se fût affaibli par les coups dans les trois rencontres qu'il avait soutenues. Le bouclier dont il s'était servi jusqu'alors ayant été un peu endommagé, il en prit aussi un autre des mains de ses écuyers. Le premier n'avait pour toutes armoiries que celles de son ordre, c'est-à-dire, deux chevaliers montés sur le même cheval, symbole de l'humilité et de la pauvreté primitive des templiers, vertus depuis remplacées par l'arrogance et la richesse, qui finirent par amener leur suppression. 50 Le nouvel écu du templier, représentant un corbeau volant à tire d'ailes, qui tenait un crâne dans ses serres, portait pour devise: «Gare le corbeau!»

Lorsque les deux champions s'arrêtèrent en face l'un de l'autre, aux deux extrémités de la lice, l'impatience des spectateurs devint inexprimable; peu espéraient une chance heureuse pour le chevalier déshérité, quoiqu'ils augurassent bien de son courage et de son adresse. Dès que les trompettes eurent donné le signal, les deux combattans, plus rapides que l'éclair, s'élancèrent l'un contre l'autre, et le bruit de leur rencontre au milieu de l'arène fut semblable à celui du tonnerre. Leurs lances furent brisées en éclats, et on les crut un instant renversés tous deux, car la violence du choc avait fait plier leurs chevaux sur leurs jarrets de derrière, et leur chute ne fut prévenue que par l'adresse avec laquelle les deux cavaliers se servirent de la bride et de l'éperon. Les deux rivaux de gloire se regardèrent un instant avec des yeux qui vomissaient la flamme à travers leurs visières, et, se retirant aux deux extrémités de l'enceinte, ils reçurent une nouvelle lance des mains de leurs écuyers. Des acclamations unanimes et le balancement des écharpes annoncèrent l'intérêt que les spectateurs avaient pris à cette rencontre, la plus égale et la plus savante qu'ils eussent applaudie de toute la journée. Dès que les chevaliers eurent gagné chacun leur poste, un silence si profond succéda aux clameurs, qu'on eût dit que cet immense concours n'osait plus respirer.

On accorda aux combattans un répit de quelques minutes, afin qu'ils pussent reprendre haleine, ainsi que leurs chevaux. Le prince Jean, armé de son bâton de commandement, ayant alors donné un signal aux trompettes, elles sonnèrent la charge, et les deux champions partirent une seconde fois avec la même impétuosité, se heurtèrent avec la même adresse et la même vigueur, mais non plus avec la même fortune. Le templier dirigea sa lance vers le centre du bouclier de son adversaire, et le frappa si juste et avec tant de force, que le chevalier déshérité plia en arrière sur la croupe de son cheval, et chancela sur sa selle. De son côté, le champion inconnu avait, dès le commencement, menacé de sa lance le bouclier de son antagoniste, mais changeant de but au moment même du choc, il la dirigea contre son casque, endroit plus difficile à atteindre, mais qui, lorsqu'on l'atteignait, rendait le choc irrésistible. Malgré cet avantage, le templier soutint sa haute réputation, et si la sangle de son coursier ne se fût rompue, il n'aurait pas été désarçonné. Cependant la selle, le cheval et le cavalier roulèrent dans la poussière.

 

Bois-Guilbert, qui se dégagea des étriers en une seconde, outré de fureur de sa disgrace et des applaudissemens universels qu'on prodiguait à son vainqueur, tira son épée et fit signe au chevalier déshérité de se mettre en défense. Celui-ci descendit rapidement de cheval, et tira pareillement son épée; mais les maréchaux du tournoi, arrivant à toute bride, les séparèrent et leur dirent que ce genre de combat ne pouvait leur être permis en cette occasion. «Nous nous reverrons, j'espère, dit le templier à son vainqueur, en attachant sur lui des yeux où la rage était peinte, et dans un lieu où personne ne pourra nous séparer.» – «Si cela n'arrive point, ce ne sera pas ma faute, répondit le chevalier déshérité; à pied ou à cheval, à l'épée ou à la lance, je serai toujours prêt à me mesurer contre toi.» La querelle n'eût point fini à ce peu de mots, si les maréchaux, croisant leurs lances entre eux, ne les avaient forcés de s'éloigner, le chevalier déshérité à la porte du côté du nord, et Bois-Guilbert dans sa tente, où il passa le reste de la journée en proie à la rage et au désespoir.

Sans descendre de cheval, le vainqueur demanda du vin, et, ouvrant la partie inférieure de son casque, il annonça qu'il buvait à tous les coeurs vraiment anglais, et à la confusion des tyrans étrangers. Il ordonna alors à son trompette de sonner un défi aux tenans, et chargea un héraut d'armes de leur déclarer que son intention était de les combattre tour à tour et dans tel ordre qu'ils voudraient se présenter. Fier de sa taille gigantesque, Front-de-Boeuf descendit le premier dans l'arène. Son écu portait, sur un fond d'argent, une tête de taureau noir à demi effacée par les coups nombreux que ce bouclier avait déjà reçus. Sa devise était deux mots latins pleins d'arrogance: «Cave, adsum.» Prends-garde, me voici. Le chevalier déshérité n'obtint sur lui qu'un avantage léger, mais décisif. Les deux champions rompirent également leurs lances; mais Front-de-Boeuf, ayant perdu les étriers dans le choc, fut déclaré vaincu. En combattant contre sire Philippe de Malvoisin, l'inconnu resta encore vainqueur, parce qu'il frappa si fortement de sa lance le casque de son adversaire, que les courroies qui l'attachaient se rompirent et laissèrent sa tête à découvert.

Dans sa rencontre avec sire Hugues de Grantmesnil, le chevalier déshérité montra autant de courtoisie qu'il avait prouvé d'adresse et de vigueur dans les précédentes. Le cheval de Grantmesnil, étant jeune et fougueux, caracola et se cabra tellement dans sa course, que son cavalier ne put faire usage de sa lance. L'inconnu, bien loin de tirer avantage d'un pareil accident, leva sa lance en arrivant près de lui, et la fit passer au dessus de son casque, voulant montrer qu'il aurait pu le toucher s'il en eût eu le dessein. Faisant alors tourner son cheval, il alla reprendre poste près de la porte du côté du nord, et chargea un héraut d'armes d'aller demander à Grantmesnil s'il voulait commencer une seconde course; mais celui-ci répondit qu'il s'avouait vaincu. Ralph de Vipont compléta le triomphe de l'inconnu. Il fut renversé de son cheval avec une telle force, que le sang lui sortit par la bouche et par le nez; ses écuyers l'emportèrent privé de tout sentiment. Mille acclamations, long-temps prolongées, accueillirent la déclaration unanime du prince et des maréchaux, portant que l'honneur de cette journée appartenait au chevalier déshérité.

49Ces chevaliers ne sont plus que poussière; leurs fortes épées ne sont plus que de la rouille, et leurs âmes sans doute habitent avec les saints. A.M.
50On voit ici combien le romancier calédonien paie tribut aux passions. Il traite fort mal les templiers; il les juge d'après les calomnies des moines, leurs plus cruels ennemis. C'est de la même manière qu'il a jugé Napoléon, d'après les feuilles anglaises. Les templiers furent condamnés aux bûchers par deux tyrans ou deux monstres: l'un, temporel, qui voulait s'emparer de leurs richesses; l'autre, sacerdotal, qui redoutait la pureté de leur doctrine et le bien qu'elle ferait à l'humanité en répandant sur toute la terre les germes d'une instruction philosophique. A. M.