Za darmo

Ivanhoe. 1. Le retour du croisé

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

CHAPITRE III

«Alors (triste consolation!) de cette côtearide et froide qui entend mugir la merdu Nord, vint le Saxon robuste, au teintvermeil, aux cheveux blonds et aux yeuxbleus.»

Trad. de Thompson.

Dans une salle dont le plafond très bas était en grande disproportion avec sa largeur et sa longueur extrêmes, on avait disposé, pour le repas du soir de Cedric le Saxon, une longue table faite de planches fournies par les gros chênes de la forêt, et qui avaient à peine reçu un premier poli. Le toit, formé par des poutres et des solives, ne mettait à l'abri des intempéries de l'air qu'au moyen des lattes et du chaume qui en composaient la couverture. A chaque bout de cet appartement était une grande cheminée si grossièrement construite qu'il s'échappait au moins autant de fumée dans la chambre qu'il en sortait par le tuyau. Cette vapeur continuelle avait donné une espèce de vernis aux poutres et aux solives en les incrustant d'une couche noire de suie. Des instrumens de guerre et de chasse pendaient le long des murs. De grandes portes placées à chaque angle conduisaient dans les autres pièces de ce vaste bâtiment.

Toutes ces pièces à l'envi participaient de la grossière simplicité des temps saxons, et Cedric était fier de la perpétuer. Le plancher était un mélange de terre et de chaux, bien battu et endurci, comme est encore assez souvent celui des granges de nos campagnes. Dans le quart de la longueur de cette salle, il était plus élevé d'environ six pouces, et cet espace, qu'on appelait le dais, était réservé aux principaux membres de la famille et aux visiteurs de distinction. Une table richement couverte d'un drap d'écarlate était dans ce dessein placée transversalement sur cette estrade ou plate-forme; et du milieu de cette table en partait une plus longue, plus étroite et moins somptueusement couverte, où se plaçaient, pour prendre leur repas, les inférieurs et les domestiques de la maison. La réunion de ces deux tables avait la forme de la lettre T, ou de ces anciennes tables à dîner que l'on voit encore dans les anciens colléges d'Oxford et de Cambridge. Des chaises et des fauteuils massifs, en bois de chêne sculpté, étaient placés autour du dais, qui était couvert d'un poêle de drap destiné à mettre les dignitaires à l'abri de la pluie, qui pénétrait quelquefois à travers le toit mal construit. Les murailles de cette partie de la salle, c'est-à-dire aussi loin que le dais s'étendait, étaient garnies de tapisseries, et sur le plancher se développait un tapis sur lequel on remarquait des essais de broderie dont le principal mérite était le brillant des couleurs. Les murs de la partie inférieure étaient nus, la table n'était pas décorée, le toit n'existait pas, rien n'empêchait la pluie de tomber sur la tête des convives; et des bancs lourds et grossiers tenaient lieu de chaises.

Au centre de la table d'honneur étaient placés deux fauteuils plus élevés que les autres, pour le maître et la maîtresse de la maison, qui présidaient au banquet hospitalier, et qui, à ce titre, se nommaient en Saxon les distributeurs du pain. À chacun de ces fauteuils était attaché un marche-pied curieusement sculpté et orné de marqueterie en ivoire. Les autres siéges n'avaient pas cette marque distinctive. Cedric le Saxon occupait déjà sa place ordinaire; et, bien qu'il n'eût que le rang de thane ou de franklin, comme l'appelaient les Normands, ce simple noble était aussi impatient de ne pas voir arriver son souper, que pourrait l'être un alderman des anciens temps ou des siècles modernes.

Il suffisait de voir la physionomie du maître du château pour le juger d'un caractère franc, mais vif et impétueux. Il était de moyenne taille; il avait néanmoins les épaules larges, les bras longs, les membres vigoureux, et tout en lui annonçait un homme accoutumé aux fatigues de la guerre ou de la chasse. Sur sa figure ouverte éclataient de grands yeux bleus, de belles dents, et ses traits annonçaient une sorte de bonne humeur qui accompagne souvent la vivacité et la brusquerie. Ses regards exprimaient l'orgueil et la méfiance, car il avait passé sa vie à défendre des droits toujours menacés, et son caractère fier, vif et résolu avait sans cesse été sur le qui-vive, par suite des circonstances où il s'était trouvé. Ses longs cheveux blonds, partagés sur le milieu de sa tête, descendaient des deux côtés sur ses épaules; ils grisonnaient à peine, quoiqu'il fût près de sa soixantième année.

Il était couvert d'une tunique verte dont le collet et les manches étaient garnis d'une espèce de fourrure grise d'une qualité au dessous de l'hermine, et qui était, à ce que l'on croit, la peau de l'écureuil blanc. Ce vêtement couvrait un justaucorps non boutonné, de drap écarlate, et il avait un haut-de-chausses de même étoffe, mais qui ne descendait que jusqu'au bas des cuisses, laissant le genou à découvert. Il portait des sandales comme celles des paysans, quoique de matériaux plus précieux, et attachées par devant avec des agrafes d'or. Des bracelets et un collier de même métal ornaient ses bras et son cou. Un ceinturon enrichi de pierres précieuses soutenait une courte épée pointue et a deux tranchans, suspendue perpendiculairement à son côté. Au dos de son fauteuil était fixé un manteau de drap écarlate bordé de fourrure, et une toque semblable complétait le costume du thane quand il voulait sortir. Derrière le même fauteuil était appuyée une courte javeline garnie d'une pomme d'acier brillant, et qui lui servait d'arme ou de canne au besoin.

Plusieurs valets, dont les vêtemens tenaient le milieu entre l'opulence de leur maître et la simplicité de Gurth, le gardien des pourceaux, épiaient le moindre geste du dignitaire saxon, et étaient toujours prêts à exécuter ses ordres. Deux ou trois d'entre eux, plus élevés en fonction que les autres, se tenaient derrière Cedric, sous le dais; le reste occupait la partie inférieure de la salle. On y remarquait aussi d'autres commensaux d'une espèce différente: deux ou trois grands lévriers, qu'on employait alors pour chasser le cerf et le loup; autant de chiens d'arrêt, à gros cou, à grosse tête, à longues oreilles, et deux chiens de plus petite espèce, nommés bassets. Tous attendaient avec impatience l'arrivée du souper; mais, avec ce tact particulier à la race canine, ils se gardaient bien d'interrompre le grave silence de leur maître, qui d'ailleurs les tenait en respect par une baguette blanche placée à côté de son assiette, et qui servait à repousser les avances de la gent quadrupède quand elle devenait un peu trop familière. Un vieux chien-loup seulement, prenant les libertés d'un serviteur favori, était couché près du fauteuil de son maître, et appelait de temps en temps son attention, en plaçant la tête sur ses genoux ou le museau sur sa main. Mais il n'obtenait que ces mots pour réponse: «À bas, Balder, à bas! je ne suis pas en humeur de jouer.»

Effectivement, Cedric ne se trouvait pas dans une situation d'esprit fort tranquille. Lady Rowena, qui avait été entendre l'office du soir dans une église assez éloignée, venait seulement de rentrer, et changeait ses vêtemens trempés de pluie. On n'avait pas encore de nouvelles de Gurth et de ses pourceaux, qui, depuis long-temps, auraient dû être de retour de la foret, et les propriétés étaient alors si peu respectées, qu'il était possible d'attribuer ce retard aux déprédations des outlaws dont les bois environnans étaient remplis, ou à la violence de quelqu'un des barons du voisinage, dont la force ne respectait pas davantage le bien d'autrui. La chose était assez importante, car une grande partie de la richesse des propriétaires saxons consistait en pourceaux, surtout près des forêts, où les chênes fournissaient une nourriture copieuse.

Outre ces motifs d'inquiétude, le thane saxon était impatient de voir son fou Wamba, dont les facéties assaisonnaient ses repas avec les bonnes rasades qui venaient les fortifier. Ajoutez que Cedric n'avait rien mangé depuis midi, et que l'heure accoutumée de son souper était passée depuis long-temps: sujet de mécontentement très ordinaire aux gentilshommes campagnards, en ce temp-là comme de nos jours. Il n'exprimait pourtant son déplaisir que par quelques mots entrecoupés, que tantôt il se disait à demi-voix, et que tantôt il adressait aux serviteurs qui l'entouraient, particulièrement à son échanson, qui fréquemment lui présentait une coupe remplie de vin, en manière de potion calmante. «Pourquoi donc lady Rowena ne vient-elle point? s'écria-t-il.» – «Elle n'a plus qu'à changer de coiffure, répondit une suivante avec la même assurance qu'une femme de chambre moderne qui parle au maître de la maison. Voudriez-vous qu'elle vînt souper en cornette de nuit? Nulle dame dans tout le comté n'est plus expéditive à s'habiller que ma maîtresse.

Cet argument sans réplique amena une sorte d'acquiescement de la part du thane saxon, qui ajouta: «J'espère que sa dévotion lui fera choisir un plus beau temps la première fois qu'elle ira à l'église de Saint-Jean. Mais, de par tous les diables, reprit-il en se tournant vers son échanson, et en haussant la voix, comme s'il eût trouvé quelqu'un sur lequel il pût à son aise décharger sa bile, quel motif peut retenir Gurth si tard dans les champs? Je crains qu'il n'ait à nous rendre un mauvais compte de son troupeau. C'est pourtant un serviteur exact et fidèle, et je le destinais à quelque chose de mieux. J'en aurais peut-être fait un de mes gardes.» – «Il n'y a pas encore une heure qu'on a sonné le couvre-feu 33, répondit humblement l'échanson.» C'était bien mal s'y prendre pour excuser son camarade: aussi le maître n'en devint-il que plus courroucé.

 

«Au diable soit le couvre-feu! s'écria-t-il; au diable le tyran bâtard qui l'a inventé, et l'esclave sans coeur dont la langue saxonne fait entendre ce mot aux oreilles d'un Saxon! Le couvre-feu! ajouta-t-il après une pause, le couvre-feu! qui oblige de braves gens à éteindre leur feu et leurs lumières, afin que les voleurs et les brigands puissent travailler plus à l'aise dans les ténèbres! Réginald Front-de-Boeuf et Philippe de Malvoisin savent profiter du couvre-feu, aussi bien que Guillaume le bâtard lui-même, ou qu'aucun des aventuriers normands qui prirent leur part de la bataille à Hastings. Je m'attends à apprendre que mes troupeaux ont été enlevés par quelques bandits normands qui n'ont d'autres ressources que le vol et le pillage, et qui auront tué mon fidèle esclave. Et Wamba? où est Wamba? quelqu'un ne m'a-t-il pas dit qu'il était parti avec Gurth?» Oswald répondit affirmativement.

«De mieux en mieux! on aura emmené le fou saxon pour lui donner un maître normand. En vérité, nous sommes tous des imbécilles de leur obéir, et nous méritons bien plus d'en être méprisés que si la nature ne nous avait réparti qu'une demi-dose de sens commun. Mais je me vengerai, ajouta-t-il en sautant de son fauteuil avec colère, et en saisissant sa javeline; je porterai ma plainte au grand-conseil. J'ai des amis, des vassaux; j'appellerai le Normand en défi, corps à corps. Qu'il vienne avec sa cotte de mailles, son casque de fer, et tout ce qui peut donner de la hardiesse à un lâche; cette javeline a percé des planches plus épaisses que trois de leurs boucliers. Ils me croient vieux, sans doute; mais, seul et sans enfans comme je le suis, ils verront que le sang d'Hereward coule encore dans les veines de Cedric. Ah! Wilfred, Wilfred, ajouta-t-il en baissant la voix, si tu avais pu vaincre ta passion imprudente, ton père n'aurait pas été abandonné, à son âge, comme le chêne solitaire qui présente ses rameaux isolés et sans appui à la fureur des ouragans.» Cette réflexion changea sa colère en tristesse. Remettant sa javeline à sa place, il se rassit dans son fauteuil, et parut se livrer à des pensées mélancoliques.

Soudain il fut tiré de sa rêverie par le son d'un cor, auquel répondirent aussitôt les aboiemens de tous les chiens qui étaient dans la salle ou dans les autres parties de la demeure saxonne. Il fallut la baguette blanche de Cedric, jointe aux efforts des domestiques, pour imposer silence à cette clameur canine. «Courez à la porte, valets, s'écria le Saxon dès que le tumulte lui permit de faire entendre sa voix, et qu'on sache quelles nouvelles nous arrivent. J'appréhende l'annonce de quelque pillage, de quelque brigandage commis sur mes terres.» Au bout de trois minutes, un de ses gardes vint lui apprendre qu'Aymer, prieur de Jorvaulx, et le chevalier Brian de Bois-Guilbert, commandeur de l'ordre vénérable des templiers, avec une suite peu nombreuse, lui demandaient l'hospitalité pour cette nuit, se rendant au tournoi qui devait avoir lieu le surlendemain à peu de distance d'Ashby-de-la-Zouche.

«Le prieur Aymer! Brian de Bois-Guilbert!» murmura Cedric, «Normands tous deux! Mais n'importe; Normands ou Saxons, jamais l'hospitalité ne sera déniée au manoir de Rotherwood. Du moment qu'ils l'ont choisi pour halte, ils sont les bien-venus. Ils eussent pourtant mieux fait de passer leur chemin. Ce n'est pas que je regrette de les nourrir et de les héberger pour une nuit; du reste, en leur qualité d'hôtes, même des Normands doivent abjurer leur insolence. Hundebert, dit-il à une espèce de majordome qui se tenait derrière lui une baguette blanche à la main, prenez six hommes avec vous, et introduisez les étrangers dans la partie du château destinée aux hôtes; faites mettre leurs chevaux et leurs mules dans mes écuries, et veillez à ce que leur suite ne manque de rien; qu'ils aient d'autres vêtemens, s'ils veulent en changer; du feu dans leurs appartemens, et de l'ale et du vin; dites aux cuisiniers d'ajouter au souper tout ce qu'il sera possible, et qu'on serve dès que ces étrangers seront prêts à se mettre à table. Ayez soin de dire également à ces nouveaux hôtes que Cedric aurait été leur déclarer lui-même qu'ils sont les bien-venus dans son château, s'il n'avait juré de ne jamais faire plus de trois pas au delà de son dais pour aller à la rencontre de quiconque n'est pas du sang royal saxon. Allez, n'oubliez rien, et qu'ils ne puissent pas dire dans leur orgueil que le rustaud de Saxon ne leur a offert que pauvreté et avarice.»

Le majordome partit avec quelques autres domestiques pour remplir les volontés de son maître. «Le prieur Aymer!» répéta Cedric en se tournant vers Oswald; «c'est, si je ne me trompe, le frère de Giles de Mauleverer, aujourd'hui lord de Middleham.» Oswald fit un signe affirmatif d'un air respectueux. «Son frère, ajouta le Saxon, occupe la place et usurpe le patrimoine d'une meilleure race, de celle d'Ulfgard de Middleham. Mais quel est le Normand qui ne fait pas de même? Ce prieur est, dit-on, un prêtre jovial, plus ami de la bouteille et du cor de chasse que des cloches et du bréviaire. Allons, qu'il vienne, il sera le bien-venu. Et le templier, comment l'appelez-vous?» – «Brian de Bois-Guilbert.» «Bois-Guilbert!» dit Cedric à voix basse, et sur le ton d'un homme qui, accoutumé à vivre parmi des inférieurs, semble plus volontiers s'adresser la parole à lui-même. «Bois-Guilbert! ce nom est connu au loin sous de bons et de mauvais rapports. Ce chevalier passe pour aussi vaillant que le plus brave de son ordre, mais il ne lui manque aucun des vices de ses confrères, orgueil, arrogance, cruauté, débauches; il a le coeur dur, ne craint ni ne respecte rien sur terre; voilà ce que disent le peu de guerriers revenus de la Palestine 34. Mais ce n'est que pour une nuit: il sera bien reçu également. Oswald, perce un tonneau de vin vieux, prépare le meilleur hydromel, le cidre le plus mousseux, le morat et le pigment 35 le plus exquis. Mets sur la table les plus grandes coupes; les templiers et les prieurs aiment le bon vin et la bonne mesure. Et vous, Elgitha, dites à Rowena de ne pas venir au banquet, à moins qu'elle ne le désire.

«Elle le désirera bien certainement, répondit Elgitha sans hésiter; car elle sera charmée d'entendre des nouvelles de la Palestine.» Cedric lança à l'espiègle suivante un regard de mécontentement; mais Rowena et tout ce qui lui appartenait jouissait du privilége d'être toujours à l'abri de sa colère. «Silence! dit-il seulement; apprenez, petite fille, la discrétion à votre langue. Portez mon message à votre maîtresse, et qu'elle fasse ce qui lui plaira. Dans ces murs, au moins, la descendante d'Alfred règne encore en souveraine.» Elgitha se retira sans répliquer. «La Palestine! la Palestine! répéta le Saxon. Combien d'oreilles s'ouvrent pour écouter les contes que nous font sur ce fatal pays des croisés dissolus, ou d'hypocrites pèlerins! Et moi aussi je pourrais demander… m'informer… écouter avec des battemens de coeur les fables que ces rusés vagabonds inventent pour nous extorquer l'hospitalité. Mais non, le fils qui m'a désobéi n'est plus mon fils; son destin m'est aussi égal que celui du plus méprisable de ces millions de soldats qui portant sur l'épaule les insignes de la croix, ont, en se ruant dans le meurtre et le sang, prétendu accomplir la volonté de Dieu.»

Cedric fronça le sourcil, et baissa les yeux vers la terre; mais en ce moment une des portes de la salle s'ouvrit, le majordome, sa baguette blanche à la main, précédé de quatre domestiques portant des torches, introduisit les deux étrangers dans l'appartement.

CHAPITRE IV

«On immole les chèvres les plus grasses; des hérauts viennent épancher l'eau surles mains; de jeunes esclaves remplissentles cratères de vin; d'autres le présententdans des coupes. Quand les libations sontachevées, Ulysse, tout entier à la tramequ'il ourdit, prend ainsi la parole.»

Odyssée, liv. XXI.

Le prieur Aymer avait profité du moment pour quitter sa robe de voyage et en prendre une autre plus riche, sur laquelle il portait une chape élégamment brodée. Outre l'anneau d'or, marque de sa dignité, ses doigts, malgré les canons de l'Église, étaient chargés de bagues et de pierres précieuses; ses sandales étaient du plus beau cuir qu'on eût jamais importé d'Espagne, sa barbe était réduite à la plus petite dimension que pût permettre son ordre, et sa tonsure cachée par une toque écarlate où brillait la plus riche broderie.

Le chevalier du temple avait de même pris un autre costume, et, quoiqu'il fût moins chargé d'ornemens, il portait des vêtemens bien aussi somptueux, et avait l'air beaucoup plus imposant que son compagnon. Il avait remplacé sa cotte de mailles par une tunique de soie pourpre, garnie de fourrure, sur laquelle flottait sa longue robe à longs plis et d'une blancheur éblouissante; la croix à huit pointes de son ordre était taillée en velours noir à son manteau, sur l'épaule gauche. Il n'avait plus la toque qui descendait sur ses sourcils, et sa tête découverte montrait une épaisse chevelure bouclée naturellement et d'un noir de jais; ce qui s'alliait avec son teint extraordinairement basané. Rien de plus majestueux que son port et ses manières; mais on y remarquait cette hauteur acquise par l'habitude d'une autorité sans bornes.

Ces deux illustres personnages étaient suivis de leur cortége respectif, et de l'individu qui leur avait servi de guide. Celui-ci, placé à une distance plus humble, n'avait de remarquable que son costume de pèlerin. Le grand manteau de serge noire grossière qui l'enveloppait entièrement avait la forme de celui de nos hussards, ayant un collet rabattu tout-à-fait analogue pour couvrir les bras; et on l'appelait un sclaveyn ou slavonien. Des sandales attachées par une lanière sur ses pieds nus; un grand chapeau dont les larges bords étaient chargés de coquilles; enfin un long bâton, au bout inférieur garni en fer, et dont le haut était orné d'une branche de palmier, complétaient l'équipement du pèlerin. Il marchait avec modestie à la suite du cortége qui entrait dans la salle, et, voyant que la table inférieure était à peine assez grande pour les gens de Cedric et l'escorte des voyageurs, il se mit sur une escabelle, sous une des deux grandes cheminées, occupé à sécher ses vêtemens, en attendant que quelqu'un lui fît place à la table, ou que l'hospitalité de l'intendant de Cedric lui présentât quelques rafraîchissemens.

À l'aspect de ces hôtes, Cedric se leva d'un air de dignité, descendit de son dais, fit trois pas en avant, et les attendit. «Je suis fâché, révérend prieur, dit-il à Aymer, que mon voeu m'empêche d'avancer plus loin pour accueillir dans le foyer de mes ancêtres des hôtes comme vous et ce vaillant chevalier de la sainte milice du Temple. Mon intention a dû vous expliquer la cause de ce manque apparent de courtoisie. Excusez-moi également si je vous parle dans ma langue maternelle, et daignez l'employer vous-même pour me répondre, si vous la connaissez; autrement, je crois entendre assez le normand pour comprendre ce que vous aurez à me communiquer.» – «Digne franklin, répondit le prieur, ou plutôt permettez-moi de dire généreux thane, quoique ce titre soit un peu suranné, les voeux doivent s'accomplir; ce sont des liens qui nous attachent au ciel, et dont la victime garde le poids au pied des autels. Ils doivent être accomplis, à moins que notre sainte mère l'Église ne juge à propos de nous en relever. Pour l'idiome dont nous nous servirons, j'userai très volontiers de celui que parlait ma respectable aïeule, Hilda de Middleham, qui mourut en odeur de sainteté presque aussi bien que sa glorieuse patronne, la bienheureuse Hilda de Withby.»

 

Quand le prieur eut achevé ce qu'il considérait comme une harangue conciliatrice, son compagnon dit en peu de mots avec une certaine emphase: «Je parle toujours français, idiome du roi Richard et de sa noblesse; mais j'entends assez l'anglais pour communiquer avec les indigènes.» Cedric lui lança un de ces regards d'impatience et de colère que provoquait toujours en lui toute comparaison entre les deux nations rivales; mais, se rappelant les devoirs de l'hospitalité, il cacha son ressentiment, invita d'un geste ses hôtes à prendre place sur deux siéges placés à sa gauche, mais un peu plus bas que le sien, et donna ordre qu'on servît le souper.

Pendant que les domestiques se hâtaient d'obéir à leur maître, celui-ci aperçut à l'autre bout de la salle Gurth et Wamba, qui venaient d'arriver. «Qu'on fasse avancer ces deux valets fainéans,» dit le Saxon avec impatience. Les deux coupables s'étant approchés du dais: «Pourquoi êtes-vous rentrés si tard, vilains que vous êtes? Qu'est devenu le troupeau que je t'avais confié, misérable Gurth? l'as-tu laissé enlever par des outlaws et des maraudeurs?» – «Sauf votre bon plaisir, répondit Gurth, j'ai ramené le troupeau tout entier.» – «Mais il ne me plaît pas d'être deux heures à penser le contraire et à couver des plans de vengeance contre des voisins qui ne m'ont pas offensé. Je t'avertis que la première fois qu'il t'en arrivera autant les fers et la prison me vengeront de ta négligence.

Gurth, connaissant le caractère irritable de son maître, ne chercha point à s'excuser; mais le fou, que les priviléges de son titre rendaient plus sûr de l'indulgence de Cedric, se chargea de répondre. «En vérité, notre oncle, lui dit-il, vous n'êtes ce soir ni sage ni raisonnable.» – «Silence, Wamba! car si tu prends de telles licences, je t'enverrai, tout fou que tu es, faire pénitence et recevoir la discipline dans la loge du portier.» – «Que votre sagesse daigne me dire d'abord s'il est juste et raisonnable de punir quelqu'un pour le délit d'un autre?» – «Certainement non.» – «Pourquoi donc punir Gurth de la faute de son chien Fangs? Nous ne nous sommes pas amusés un seul instant en chemin, je vous l'assure; mais Fangs n'a pu réunir le troupeau que lorsque le dernier coup de cloche du soir s'est fait entendre.» – «Si c'est la faute de Fangs, dit Cedric en s'adressant à Gurth, il le faut pendre et avoir un autre chien.» – «Avec tout le respect que je vous dois, mon oncle, dit le fou, ce n'est point encore la justice complète. Ce n'a pas été non plus la faute de Fangs s'il est estropié et incapable de rassembler le troupeau; c'est la faute de celui qui lui a arraché les griffes de devant, opération à laquelle il n'aurait jamais consenti si on l'avait consulté.» – «Et qui a osé estropier le chien de mon esclave?» s'écria le Saxon transporté de fureur. – Le vieux Hubert, le garde-chasse de sir Philippe Malvoisin. Il a attrapé Fangs dans la foret; il a prétendu qu'il chassait le daim, en contravention aux droits de son maître.»

«Au diable Malvoisin et son garde! s'écria Cedric; je leur apprendrai qu'en vertu de la grande charte des bois 36, cette forêt n'est pas une forêt privilégiée. Mais c'en est assez, coquin; retourne à ta place. Toi, Gurth, prends un autre chien; et si le garde ose le toucher, je gâterai son arc, et je veux que toutes les malédictions données à un lâche tombent sur ma tête si je ne lui coupe pas l'index de la main droite, pour le mettre dans l'impossibilité de jamais lancer une flèche. Je vous demande pardon, mes dignes hôtes, mais je suis entouré, sire chevalier, de voisins aussi méchans que les infidèles contre qui vous avez combattu dans la Terre-Sainte. Le souper est servi, prenez-en votre part, et que le bon accueil fasse passer la mauvaise chère.»

A. M.

Le repas, cependant, n'exigeait pas d'excuse de la part du maître de la maison. Le bas-bout de la table était couvert de porc bouilli, rôti et grillé; et l'on voyait sur la table d'honneur des volailles, du chevreau et du gibier de toute espèce, plusieurs sortes de poissons, des gâteaux et des tourtes au fruit et au miel. Les oiseaux nommés petits-pieds n'étaient pas servis sur des assiettes; les pages les présentaient, enfilés dans des brochettes, successivement à chaque convive, devant lequel, s'il était un personnage distingué, on plaçait un gobelet d'argent; car les autres buvaient dans de larges cornes.

Comme on allait commencer le repas, le majordome, levant tout à coup sa baguette, s'écria: «Place à lady Rowena!» Une porte latérale du côté du dais s'ouvrit, et Rowena fit son entrée, accompagnée de quatre suivantes. Cedric, bien surpris, et sans doute peu agréablement, de la voir paraître en une telle occasion, se hâta d'aller au devant d'elle, et la conduisit d'un air respectueux au fauteuil placé à sa droite et destiné à la maîtresse de la maison. Chacun se leva, et répondit par une inclinaison de tête à la révérence pleine de grâce qu'elle fit en arrivant. Elle prit sa place ordinaire à table; mais, avant qu'elle fût assise, le templier dit tout bas au prieur: «Je ne porterai pas votre collier d'or au tournoi, et mon vin de Chio est à vous.» – «Ne vous l'avais-je pas dit? répondit Aymer: mais modérez vos transports, le franklin vous observe.» Sans faire attention à cet avis, Bois-Guilbert, ne connaissant d'autres lois que sa volonté, eut les yeux continuellement fixés sur la belle Saxonne, dont son imagination était peut-être d'autant plus frappée qu'il remarquait en elle des charmes tous différens de ceux des odalisques de l'Orient.

Douée des plus belles proportions de son sexe, lady Rowena était d'une taille avantageuse, mais non d'une stature à exciter l'étonnement. Son teint était d'une blancheur éclatante, mais la noblesse de tous ses traits préservait sa physionomie de la fadeur qui en résulte quelquefois. Ses beaux yeux bleus, surmontés de sourcils bien arqués, semblaient formés pour enflammer comme pour attendrir, pour ordonner comme pour supplier. Si la douceur était l'expression naturelle de sa physionomie, l'habitude de commander et de recevoir des hommages semblait également lui avoir imprimé une fierté qui modifiait son caractère. Ses longs cheveux noirs, de même couleur que ses soucis, formaient de nombreuses boucles que l'art sans doute avait arrangées. Elles étaient ornées de pierres précieuses, et sa chevelure, portée dans toute sa longueur, annonçait une condition libre et une naissance illustre. Le cou de la jeune Saxonne était entouré d'une chaîne d'or, à laquelle pendait un petit reliquaire de même métal. Ses bras étaient nus et ornés de bracelets. Sa parure consistait en une robe de dessous et un jupon de soie d'un vert pâle, sur laquelle était une autre robe flottante à larges manches qui atteignaient à peine le coude. Cette seconde robe était cramoisie, et d'une laine des plus fines. Un tissu de soie mêlée d'or était attaché de façon à pouvoir lui couvrir le visage et le sein, à la manière espagnole, ou à former une sorte de draperie sur ses épaules.

Lorsqu'elle vit les regards du templier tournés sur elle avec une ardeur qui les faisait ressembler à deux charbons enflammés dans une sombre fournaise, elle abaissa avec dignité son voile sur son visage, comme pour lui faire sentir que cette liberté lui déplaisait. Cedric vit ce mouvement et en comprit la cause. «Sire templier, dit-il, les joues de nos jeunes filles saxonnes sont trop peu accoutumées au soleil pour supporter le regard fixe d'un croisé.»

«Si j'ai commis une faute, répondit Brian, je vous demande pardon, c'est-à-dire je demande pardon à lady Rowena, car mon humilité ne peut aller plus loin.» – Lady Rowena, dit le prieur, nous a punis tous en réprimant la hardiesse de mon ami. J'espère qu'elle sera moins cruelle au riche tournoi où nous la verrons.» – «Il est encore douteux que nous y allions, dit Cedric; je n'aime pas ces vanités, qui étaient inconnues à mes pères quand l'Angleterre était libre.» – «Permettez-nous d'espérer, reprit le prieur, que nous pourrons vous décider à y aller avec nous. Les routes ne sont pas sûres, et un chevalier tel que sir Brian de Bois-Guilbert n'est pas une escorte qui soit à dédaigner.»

«Sire prieur, répondit le Saxon, toutes les fois que j'ai voyagé dans ce pays, je n'ai eu besoin d'autre aide que de celle de mes domestiques et de mon épée. Si nous allons à Ashby-de-la-Zouche, ce sera avec notre noble voisin et compatriote Athelstane de Coningsburgh, et avec une suite suffisante pour nous moquer également des outlaws et des barons ennemis. A votre santé, sire prieur; je vous rends grâce de votre courtoisie. Goûtez ce vin, j'espère qu'il ne vous déplaira point. Si pourtant vous étiez assez rigide observateur des règles monastiques pour préférer votre lait acide, je ne veux pas vous obliger à pousser la courtoisie jusqu'à me faire raison.» – «Oh! dit le prieur en souriant, ce n'est que dans les murs du prieuré que nous nous bornons au lac dulce et acidum. Quand nous nous trouvons dehors, nous nous conformons aux usages du monde. Je répondrai donc à votre santé avec la même liqueur; pour l'autre breuvage dont vous me parlez, je l'abandonne à mes frères lais.

33D'après une ordonnance de Guillaume-le-Conquérant, tous les soirs à huit heures une cloche sonnait le couvre-feu, et chacun était forcé d'éteindre alors son feu et ses lumières. Cet usage, que Guillaume avait importé du continent, fut pour les insulaires un nouveau genre de servitude. A. M.
34C'étaient les ennemis des templiers, comme l'ont été depuis tous les moines, historiens de ces derniers, dont Walter Scott fait des ivrognes, quand leur boisson était de l'eau. A. M.
35Le morat était une boisson composée de jus de mûres et de miel; le pigment était une liqueur douce, composée de vin, de miel et de différentes épices. A. M.
36Guillaume-le-Conquérant avait rendu des ordonnances très sévères contre le droit de chasse, presque illimité dans le code saxon. Tout chien qu'on eût trouvé à dix milles d'une foret royale devait titre mutilé, sans quoi son maître était regardé comme traître au roi et à l'état.