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EN VOYANT LES ENFANTS SORTIR DE L'ÉCOLE

Juin 1820.

 
Je ris quand chaque soir de l'école voisine
Sort et s'échappe en foule une troupe enfantine,
Quand j'entends sur le seuil le sévère mentor
Dont les derniers avis les poursuivent encor:
– Hâtez-vous, il est tard, vos mères vous attendent!
– Inutiles clameurs que les vents seuls entendent!
Il rentre. Alors la bande, avec des gris aigus,
Se sépare, oubliant les ordres de l'argus.
Les uns courent sans peur, pendant qu'il fait un somme,
Simuler des assauts sur le foin du bonhomme;
D'autres jusqu'en leurs nids surprennent les oiseaux
Qui le soir le charmaient, errants sous ses berceaux;
Ou, se glissant sans bruit, vont voir avec mystère
S'ils ont laissé des noix au clos du presbytère.
 
 
Sans doute vous blâmez tous ces jeux dont je ris;
Mais Montaigne, en songeant qu'il naquit dans Paris,
Vantait son air impur, la fange de ses rues;
Montaigne aimait Paris jusque dans ses verrues.
J'ai passé par l'enfance, et cet âge chéri
Plaît, même en ses écarts, à mon coeur attendri.
Je ne sais, mais pour moi sa naïve ignorance
Couvre encor ses défauts d'un voile d'innocence.
Le lierre des rochers déguise le contour,
Et tout paraît charmant aux premiers feux du jour.
 
 
Age serein où l'âme, étrangère à l'envie,
Se prépare en riant aux douleurs de la vie,
Prend son penchant pour guide, et, simple en ses transports,
Fait le bien sans orgueil et le mal sans remords!
 

A DES PETITS ENFANTS EN CLASSE

Juin 1820.

 
Vous qui, les yeux fixés sur un gros caractère,
L'imitez vainement sur l'arène légère,
Et voyez chaque fois, malgré vos soins nouveaux,
Le cylindre fatal effacer vos travaux,
Ce triste passe-temps, mes enfants, c'est la vie.
Un jour, vers le bonheur tournant un oeil d'envie,
Vous ferez comme moi, sur ce modèle heureux,
Bien des projets charmants, bien des plans généreux;
 
 
Et puis viendra le sort, dont la main inquiète
Détruira dans un jour votre ébauche imparfaite!
Êtres purs et joyeux, meilleurs que nous ne sommes,
Enfants, pourquoi faut-il que vous deveniez hommes?
Pourquoi faut-il qu'un jour vous soyez comme nous,
Esclaves ou tyrans, enviés ou jaloux?
 

Il n'y a plus rien d'original aujourd'hui à pécher contre la grammaire; beaucoup d'écrivains nous ont lassés de cette originalité-là. Il faut aussi éviter de tirer parti des petits détails, genre qui montre de la recherche et de l'affectation. Il faut laisser ces puérils moyens d'amuser à ces gens qui mettent des intentions dans une virgule et des réflexions dans un trait suspensif, font de l'esprit sur tout et de l'érudition sur rien, et qui, dernièrement encore, à propos de ces piqueurs qui ont alarmé tout Paris, remirent sur la scène les hommes de tous les siècles et de tous les pays, depuis Caligula, qui piquait les mouches, jusqu'à don Quichotte, qui piquait les moines.

Campistron, comme Lagrange-Chancel, avait montré de bonne heure des dispositions pour la poésie, et cependant ils ne se sont jamais élevés tous les deux au-dessus du médiocre. Il est rare, en effet, que des talents si précoces parviennent jamais à la maturité du génie. C'est une vérité dont nous pouvons tous les jours nous convaincre davantage. Nous voyons des jeunes gens faire à dix-neuf ans ce que Racine n'aurait pas fait à vingt-cinq; mais à vingt-cinq ils sont arrivés à l'apogée de leur talent, et à vingt-huit ans ils ont déjà défait la moitié de leur gloire. On nous objectera que Voltaire aussi avait fait des vers dès son enfance; mais il est à remarquer que, dès quinze ans, Campistron et Lagrange-Chancel étaient connus dans les salons et considérés comme de petits grands hommes; tandis qu'au même âge Voltaire était déjà en fuite de chez son père; et, en général, ce n'est pas dans des cages, fussent-elles dorées, qu'il faut élever les aigles.

Quand un écrivain a pour qualité principale l'originalité, il perd souvent quelque chose à être cité. Ses peintures et ses réflexions, dictées par un esprit organisé d'une façon particulière, veulent être vues à la place où l'auteur les a disposées, précédées de ce qui les amène, suivies de ce qu'elles entraînent. Liées à l'ouvrage, la couleur bien appareillée des parties concourt à l'harmonie de l'ensemble; détachées du tout, cette même couleur devient disparate et forme une dissonance avec tout ce dont on l'entoure. Le style du critique, qui doit être simple et coulant, et qui est maintes fois plat et commun, présente un contraste choquant avec le style large, hardi et souvent brusque de l'auteur original. Une citation de tel grand poëte ou de tel grand écrivain, encadrée dans la prose luisante, récurée et bourgeoise de tel critique, c'est un effet pareil à celui que ferait une figure de Michel-Ange au milieu des casseroles trompe-l'oeil de M. Drolling.

Il est difficile de ne point avoir de prévention contre cette manie, aujourd'hui si commune à nos auteurs, de réunir des imaginations toujours diverses et souvent contraires pour concourir au même ouvrage. Cowley, pressé par le marquis de Twickenham de s'adjoindre dans ses travaux je ne sais quel poëte obscur, répondit à Sa Seigneurie qu'un âne et un cheval traîneraient mal un chariot. Deux auteurs perdent souvent, en le mettant en commun, tout le talent qu'ils pourraient avoir chacun séparément. Il est impossible que deux têtes humaines conçoivent le même sujet absolument de la même manière; et l'absolue unité de la conception est la première qualité d'un ouvrage. Autrement les idées des divers collaborateurs se heurtent sans se lier, et il résulte de l'ensemble une discordance inévitable qui choque sans qu'on s'en rende raison. Les auteurs excellents, anciens et modernes, ont toujours travaillé seuls, et voilà pourquoi ils sont excellents.

UN FEUILLETON

Décembre 1820.

THÉATRE-FRANÇAIS
JEAN DE BOURGOGNE

Tragédie en cinq actes.

C'est un inconvénient des sujets historiques d'embarrasser l'intelligence de notre savant parterre. Il arrive devant la toile sans rien connaître des événements qui vont se passer sous ses yeux, et auxquels ne l'initie qu'assez superficiellement une exposition toujours mal écoutée ou mal entendue. C'est dans le journal du lendemain que les spectateurs iront le plus souvent chercher de quelle race sortait le héros, à quelle famille appartenait l'héroïne, sur quel pays régnait le tyran, désappointés si le critique n'éclaire pas leur ignorance, et ne leur dit pas, comme au valet Hector, de quel pays était le galant homme Sénèque.

Nous nous dispenserons toutefois d'obéir à l'usage, d'abord parce que longtemps avant que nous ne nous mêlassions de régenter les théâtres, les petits précis historiques des feuilletons nous avaient toujours paru fort ennuyeux; ensuite parce que nous ne pouvons décemment nous flatter de réussir mieux au métier d'historien que tant de critiques plus habiles que nous, nos devanciers; et, sur ce, fort de l'avis de Barnes, qu'il suffît, pour gagner une cause, de trouver deux raisons, bonnes ou mauvaises, nous passons à Jean de Bourgogne.

Dès les premières scènes de cette pièce, nous voyons se dessiner trois principaux caractères, ce qui nous donne deux actions distinctes, ou, si l'on veut, deux faits en question différents, savoir: la question entre le dauphin et le duc de Bourgogne, ou la France sera-t-elle sauvée? et la question entre le duc de Bourgogne et Valentine de Milan, ou la mort du duc d'Orléans sera-t-elle vengée? A cette inadvertance de diviser ainsi l'attention du spectateur en présentant deux héros à son affection, l'auteur a joint le tort beaucoup plus grand de ne pas réunir les deux affections qui en résultent en un seul et même intérêt. En effet, s'il nous montre le dauphin prêt à tout sacrifier pour sauver la France, il nous montre en même temps la duchesse prête à tout sacrifier, même la France, pour sauver son mari; il suit de là que le spectateur, qui s'intéresse à l'une des deux actions, ne s'intéresse pas à l'autre, et réciproquement, de telle sorte que la moitié de la pièce est frappée de mort. Cette combinaison est d'autant plus malheureuse, qu'elle ne paraissait nullement nécessaire. Dès que l'auteur voulait commencer sa pièce par rappeler les crimes de Jean de Bourgogne, idée juste et tragique, il n'avait pas besoin de l'intervention personnelle de la duchesse d'Orléans; une lettre eût suffi, et le spectateur se serait trouvé transporté tout de suite au milieu des scènes animées du second acte, seul point véritable de la pièce où commence l'action.

Lorsque nous disons que l'action commence, nous sentons avec peine que nous nous servons d'une expression impropre; c'est paraît devoir commencer que nous devrions dire. En effet, la tragédie nouvelle, estimable sous d'autres rapports, n'est encore, quant au plan, qu'une pièce comme tant d'autres, une tragédie sans action, une sorte de lanterne magique où tous les personnages courent les uns après les autres sans pouvoir jamais s'atteindre.

Ainsi, lorsque le dauphin est à délibérer dans son conseil sur l'accusation portée contre le duc de Bourgogne, tout à coup celui-ci se présente, et, loin de se justifier, déclare la guerre à son souverain. Voilà une situation; mais que produit-elle? Rien. Les deux partis se séparent avec des menaces réciproques. Cependant Tanneguy-Duchâtel est là qui doit assassiner le prince un jour et qui devrait, ce semble, profiter de l'occasion. Et de deux choses l'une: ou le duc de Bourgogne a les moyens de s'emparer de la personne de son maître, et alors pourquoi ne le fait-il pas? ou il n'en a pas le pouvoir, et alors pourquoi vient-il s'exposer, par une bravade inutile, aux suites d'un premier mouvement, incalculables dans tout autre personnage qu'un héros aussi patient que le dauphin?

 

Et plus loin encore, nous retrouvons la même situation, mais dégagée de tout ce qui peut la rendre décisive. On vient annoncer au dauphin que le duc de Bourgogne est maître de Paris et qu'il marche sur le palais. Voilà le dauphin en péril, comment fera-t-il pour en sortir? Rien de plus simple; il sort par une porte et le duc de Bourgogne entre par l'autre. Mais, dira l'auteur, le dauphin se laisse entraîner. Et voilà justement le malheur, les grands caractères doivent toujours agir par eux-mêmes, autrement était-ce la peine de nous annoncer des géants, si auparavant vous aviez pris soin de leur attacher les jambes?

Cependant le duc de Bourgogne, resté seul, se garde bien de poursuivre le dauphin, ce qui le mettrait dans la nécessité d'être vainqueur ou d'être vaincu. Il s'amuse à composer avec les Armagnacs, à rabattre les prétentions des anglais, et même à offrir des places au chancelier. Puis il part pour Montereau. Tout à coup on apprend qu'il y a accepté une entrevue avec le dauphin et qu'il y a été assassiné. Il est évident que, si le commencement de la pièce nous a fait voir de grands événements ne produisant que de petits résultats, la balance se rétablit bien au dernier acte, et qu'il est difficile de voir un événement plus important produit par une cause plus légère et plus inattendue.

Nous venons d'exposer en peu de mots le plan de Jean de Bourgogne, dégagé de toutes les scènes épisodiques; il nous reste à examiner comment un auteur, qui est loin de manquer de talent, a pu être conduit à travailler sur un canevas aussi imparfait.

Le malheur de l'auteur vient d'avoir confondu les deux espèces de tragédie, la tragédie de sentiments et la tragédie d'événements. Il suffit, pour s'en convaincre, d'établir entre ses deux héros quelques-uns des rapports naturels de frère à frère ou de père à fils; nous allons voir disparaître toutes les difformités de son action. Par exemple, qu'un fils accusé d'un crime déclare la guerre à son père, doit-on être étonné que les deux personnages, eussent-ils la faculté de s'exterminer mutuellement, se séparent avec de simples menaces? Y a-t-il rien de honteux dans la fuite d'un père devant un fils rebelle? Et si ce fils périt assassiné malgré les ordres du père, la situation de celui-ci en sera-t-elle moins noble et moins touchante? Nous venons, sans nous en apercevoir, de retracer l'aventure de David et d'Absalon, l'une des plus tragiques qui soient dans les livres saints.

Dans le cas actuel, dès que l'auteur voulait nous représenter la mort du duc de Bourgogne, il fallait choisir entre les deux hypothèses d'un meurtre fortuit ou d'un assassinat prémédité. La première était impraticable, puisqu'une tragédie doit avoir un commencement, une fin et un milieu. En admettant la seconde, il fallait, dès les premières scènes, poser la question tragique: le duc sera-t-il assassiné, ou ne le sera-t-il pas? et faire naître l'intérêt de la lutte des circonstances qui le détournent de sa perte ou qui l'y entraînent. Mais, dans la tragédie telle qu'elle est faite, le spectateur, conduit d'incidents en incidents vers la catastrophe, sans que rien lie la catastrophe aux incidents, aperçoit à peine çà et là quelques intentions dramatiques, quelques combinaisons théâtrales qui font naufrage au milieu du flux et du reflux des épisodes.

Walter Scott cache son nom sous le nom de Jedediah Cleisbotham. Je ne vois pas pourquoi on l'en blâme.

Si un sot parvient à la célébrité, il ne lâche plus deux pages de son écriture sans les protéger de son nom, espérant que sa réputation fera celle de son livre, tandis que souvent celle de son livre défait la sienne. L'homme de mérite, dès qu'il est arrivé à la gloire, évite quelquefois de décorer de son nom les nouveaux écrits qu'il livre au public. Il a assez d'orgueil pour savoir que son nom influerait sur l'opinion, et assez de modestie pour ne le pas vouloir. Il aime à redevenir ignoré, pour se ménager, en quelque sorte, une nouvelle gloire. Il y a quelque chose du fanfaron dans ces guerriers d'Homère qui préludaient au combat en déclinant leurs noms et leurs généalogies; ce sont des héros plus vrais, ces chevaliers français qui combattaient la visière baissée, et ne découvraient le visage qu'après que le bras avait été reconnu.

LES VOUS ET LES TU

D'APRÈS LA RÉVOLUTION
ARISTIDE A BRUTUS
 
                             Quien haga aplicaciones
                              Con su pan se lo coma.
 
YRIARTE
 
    Brutus, te souvient-il, dis-moi,
    Du temps où, las de ta livrée,
    Tu vins en veste déchirée
    Te joindre à ce bon peuple-roi
    Fier de sa majesté sacrée
    Et formé de gueux comme toi?
    Dans ce beau temps de république,
    Boire et jurer fut ton emploi.
    Ton bonnet, ton jargon cynique,
    Ton air sombre, inspiraient l'effroi;
    Et, plein d'un feu patriotique,
    Pour gagner le laurier civique,
    Tous nos hameaux t'ont vu, je croi,
    Fraterniser à coups de pique
    Et piller au nom de la loi.
 
 
    Las! l'autre jour, monsieur le prince,
    Pour vous parler des intérêts
    D'un vieil ami de ma province,
    J'entrai dans votre beau palais.
    D'abord, je fis, de mon air mince,
    Rire un régiment de valets;
    Puis, relégué dans l'antichambre,
    Tout mouillé des pleurs de décembre,
    J'attendis, près du feu cloué,
    Et, comme un sage du Pirée,
    Opposant, de tous bafoué,
    Au sot orgueil de la livrée
    La fierté du manteau troué.
    On m'appelle enfin. Je m'élance,
    Et l'huissier de votre grandeur
    Me fait traverser en silence
    Quatre salons «dont l'élégance
    «Égalait seule la splendeur».
    Bientôt, monseigneur, plein de joie,
    Je vois, sur des carreaux de soie,
    Votre altesse en son cabinet,
    Portant sur son sein, avec gloire,
    Un beau cordon, brillant de moire,
    De la couleur de ton bonnet.
 
 
    Quoi! c'était donc un prince en herbe
    Que mon cher Brutus d'autrefois!
    On vous admire, je le vois;
    Votre savoir passe en proverbe;
    Vos festins sont dignes des rois;
    Vos cadeaux sont d'un goût superbe;
    Homme d'état, votre talent
    Éclate en vos moindres saillies,
    Et si vous dites des folies,
    Vous les dites d'un ton galant.
    Quant à moi, je ris en silence;
    Car, puisqu'aujourd'hui l'opulence
    Donne tout, grâce, esprit, vertus,
    Les bons mots de votre excellence
    Étaient les jurons de Brutus.
 
 
    Adieu, monseigneur, sans rancune!
    Briguez les sourires des rois
    Et les faveurs de la fortune.
    Pour moi, je n'en attends aucune.
    Ma bourse, vide tous les mois,
    Me force à changer de retraites;
    Vous, dans un poste hasardeux,
    Tâchez de rester où vous êtes,
    Et puissions-nous vivre tous deux,
    Vous sans remords, et moi sans dettes.
    Excusez si, parfois encor,
    J'ose rire de la bassesse
    De ces courtisans brillants d'or
    Dont la foule à grands flots vous presse,
    Lorsque, entrant d'un air de noblesse
    Dans les salons éblouissants
    Du pouvoir et de la richesse,
    L'illustre pied de votre altesse
    Vient salir ces parquets glissants
    Que tu frottais dans ta jeunesse.
 

Combien de malheureux, qui auraient pu mieux faire, se sont mis en tête d'écrire, parce qu'en fermant un beau livre ils s'étaient dit: J'en pourrais faire autant! Et cette réflexion-là ne prouvait rien, sinon que l'ouvrage était inimitable. En littérature comme en morale, plus une chose est belle, plus elle semble facile. Il y a quelque chose dans le coeur de l'homme qui lui fait prendre quelquefois le désir pour le pouvoir. C'est ainsi qu'il croit aisé de mourir comme d'Assas ou d'écrire comme Voltaire.

Si Walter Scott est écossais, ses romans suffiraient pour nous l'apprendre. Son amour exclusif pour les sujets écossais prouve son amour pour l'Écosse; passionné pour les vieilles coutumes de sa patrie, il se dédommage, en les peignant fidèlement, de ne pouvoir plus les suivre avec religion, et son admiration pieuse pour le caractère national éclate jusque dans sa complaisance à en détailler les défauts. Une irlandaise, lady Morgan, s'est offerte, pour ainsi dire, comme la rivale naturelle de Walter Scott, en s'obstinant, comme lui, à ne traiter que des sujets nationaux5, mais il y a dans ses écrits beaucoup plus d'amour pour la célébrité que d'attachement pour son pays, et beaucoup moins d'orgueil national que de vanité personnelle. Lady Morgan paraît peindre avec plaisir les irlandais; mais il est une irlandaise qu'elle peint surtout et partout avec enthousiasme, et cette irlandaise, c'est elle. Miss O'Hallogan dans O'Donnell, et lady Clancare dans Florence Maccarthy, ne sont autre chose que lady Morgan, flattée par elle-même.

Il faut le dire, auprès des tableaux pleins de vie et de chaleur de Scott, les croquis de lady Morgan ne sont que de pâles et froides esquisses. Les romans historiques de cette dame se laissent lire; les histoires romanesques de l'écossais se font admirer. La raison en est simple; lady Morgan a assez de tact pour observer ce qu'elle voit, assez de mémoire pour retenir ce qu'elle observe, et assez de finesse pour rapporter à propos ce qu'elle a retenu; sa science ne va pas plus loin. Voilà pourquoi ses caractères, bien tracés quelquefois, ne sont pas soutenus; à côté d'un trait dont la vérité vous frappe, parce qu'elle l'a copié sur la nature, vous en trouvez un autre choquant de fausseté, parce qu'elle l'invente. Walter Scott, au contraire, conçoit un caractère, après n'en avoir souvent observé qu'un trait; il le voit dans un mot, et le peint de même. Son excellent jugement fait qu'il ne s'égare point, et ce qu'il crée est presque toujours aussi vrai que ce qu'il observe. Quand le talent est poussé à ce point, il est plus que du talent; aussi peut-on réduire le parallèle en deux mots: lady Morgan est une femme d'esprit; Walter Scott est un homme de génie.

[1:

LA SAINT-CHARLES DE 1820

 
– Je disais l'an passé: Voici le jour de fête,
Charles m'attend; je veux, ceignant de fleurs ma tête,
M'offrir avec ma fille à son premier coup d'oeil;
Quand ce jour reviendra, ramené par l'année,
Si je lui porte un fils, fruit de mon hyménée,
          Mon bonheur sera de l'orgueil.
 
 
    L'année a fui; voici le jour de fête!
    Est-ce une fête, hélas! que l'on apprête?
    Qu'est devenu ce jour jadis si doux?
    De pleurs amers j'ai salué l'aurore;
    Pourtant un Charle à mes voeux reste encore,
    J'embrasse un fils, mais je n'ai plus d'époux.
 
 
Veuve, deux orphelins m'attachent à la terre.
Mon bien-aimé près d'eux ne viendra pas s'asseoir;
Ils ne dormiront pas sous les yeux de leur père,
Et j'irai sur leurs fronts, plaintive et solitaire,
           Déposer le baiser du soir.
 
 
    O vain regret! félicité passée!
    Voici le jour où, sur son sein pressée,
    A mon époux je redisais ma foi,
    Et je gémis sur une urne glacée,
    Près de ce coeur qui ne bat plus pour moi! —
 
 
        Ainsi la veuve désolée,
        Digne du martyr au cercueil,
        D'un doux souvenir accablée,
        Pleurait auprès du mausolée
        Son court bonheur et son long deuil.
 
 
Nous voyions cependant, échappés aux naufrages,
Briller l'arc du salut au milieu des orages;
Le ciel ne s'armait plus de présages d'effroi;
De l'héroïque mère exauçant l'espérance,
Le Dieu qui fut enfant avait à notre France
        Donné l'enfant qui sera roi.
 

Défiez-vous de ces gens armés d'un lorgnon qui s'en vont partout criant: J'observe mon siècle! Tantôt leurs lunettes grossissent les objets, et alors des chats leur semblent des tigres; tantôt elles les rapetissent, et alors des tigres leur paraissent des chats. Il faut observer avec ses yeux. Le moraliste, en effet, ne doit jamais parler que d'après son expérience immédiate, s'il veut jouir du bonheur ineffable, vanté par Addison, de trouver un jour dans la bibliothèque d'un inconnu son livre relié en maroquin, doré sur tranche, et plié en plusieurs endroits.

 

Il est encore pour le moraliste une condition dont nous avons déjà parlé ailleurs, celle de rester inconnu des individus qu'il étudie; il faut qu'il entre chez eux, disait encore le même Addison, aussi librement qu'un chien, un chat, ou tout autre animal domestique.

Là-dessus nous pensons comme le Spectateur. L'observateur qui se vante de son rôle ressemble à Argus changé en paon, orgueilleux de ses cent yeux qui ne peuvent plus voir.

Quand une langue a déjà eu, comme la nôtre, plusieurs siècles de littérature, qu'elle a été créée et perfectionnée, maniée et torturée, qu'elle est faite à presque tous les styles, pliée à presque tous les genres, qu'elle a passé non-seulement par toutes les formes matérielles du rhythme, mais encore par je ne sais combien de cerveaux comiques, tragiques et lyriques, il s'échappe, comme une écume, de l'ensemble des ouvrages qui composent sa richesse littéraire, une certaine quantité, ou, pour ainsi dire, une certaine masse flottante de phrases convenues, d'hémistiches plus ou moins insignifiants, Qui sont à tout le monde et ne sont à personne.

C'est alors que l'homme le moins inventif pourra, avec un peu de mémoire, s'amasser, en puisant dans ce réservoir public, une tragédie, un poëme, une ode, qui seront en vers de douze, ou huit, ou six syllabes, lesquels auront de bonnes rimes et d'excellentes césures, et ne manqueront même pas, si l'on veut, d'une élégance, d'une harmonie, d'une facilité quelconque. Là-dessus notre homme publiera son oeuvre en un bon gros volume vide, et se croira poëte lyrique, épique ou tragique, à la façon de ce fou qui se croyait propriétaire de son hôpital. Cependant l'envie, protectrice de la médiocrité, sourira à son ouvrage; d'altiers critiques, qui voudront faire comme Dieu et créer quelque chose de rien, s'amuseront à lui bâtir une réputation; des connaisseurs, qui ne s'obstineront pas ridiculement à vouloir que des mots expriment des idées, vanteront, d'après le journal du matin, la clarté, la sagesse, le goût du nouveau poëte; les salons, échos des journaux, s'extasieront, et la publication dudit ouvrage n'aura d'autre inconvénient que d'user les bords du chapeau de Piron.

Ceux qui ne savent pas admirer par eux-mêmes se lassent bien vite d'admirer. Il y a au fond de presque tous les hommes je ne sais quel sentiment d'envie qui veille incessamment sur leur coeur pour y comprimer l'expression de la louange méritée, ou y enchaîner l'élan du juste enthousiasme. L'homme le plus vulgaire n'accordera à l'ouvrage le plus supérieur qu'un éloge assez restreint, pour qu'on ne puisse le croire incapable d'en faire autant. Il pensera presque que louer un autre, c'est prescrire son propre droit à la louange, et ne consentira au génie de tel poëte qu'autant qu'il ne paraîtra pas abdiquer le sien; et je parle ici, non de ceux qui écrivent, mais de ceux qui lisent, de ceux qui, la plupart, n'écriront jamais. D'ailleurs, il est de mauvais ton d'applaudir, l'admiration donne à la physionomie une expression ridicule, et un transport d'enthousiasme peut déranger le pli d'une cravate.

Voilà, certes, de hautes raisons pour que des hommes immortels, qui honorent leur siècle parmi les siècles, traînent des vies d'amertume et de dégoût, pour que le génie s'éteigne découragé sur un chef-d'oeuvre, pour qu'un Camoëns mendie, pour qu'un Milton languisse dans la misère, pour que d'autres que nous ignorons, plus infortunés et plus grands peut-être, meurent sans même avoir pu révéler leurs noms et leurs talents, comme ces lampes qui s'allument et s'éteignent dans un tombeau!

Ajoutez à cela que, tandis que les illustrations les plus méritées sont refusées au génie, il voit s'élever sur lui une foule de réputations inexplicables et de renommées usurpées; il voit le petit nombre d'écrivains plus ou moins médiocres qui dirigent pour le moment l'opinion, exalter les médiocrités qu'ils ne craignent pas, en déprimant sa supériorité qu'ils redoutent. Qu'importe toute cette sollicitude du néant pour le néant! On réussira, à la vérité, à user l'âme, à empoisonner l'existence du grand homme; mais le temps et la mort viendront et feront justice. Les réputations dans l'opinion publique sont comme des liquides de différents poids dans un même vase. Qu'on agite le vase, on parviendra aisément à mêler les liqueurs; qu'on le laisse reposer, elles reprendront toutes, lentement et d'elles-mêmes, l'ordre que leurs pesanteurs et la nature leur assignent.

Des réflexions amères viennent à l'esprit quand on songe à l'extinction, aujourd'hui inévitable, de cette illustre race de Condé, qui, sans jamais s'asseoir sur le trône, avait toujours été remarquable entre toutes les races royales de l'Europe, et avait fondé dans la maison de France une sorte de dynastie militaire, accoutumée à régner au milieu des camps et des champs de bataille. Si, dans quelques années, de nouvelles convulsions politiques amenaient (ce qu'à Dieu ne plaise!) de nouvelles guerres civiles, nous tous qui servons aujourd'hui la cause monarchique, nous serions bien alors des exilés, des bannis, des proscrits; mais nous ne serions plus, comme les vainqueurs de Berstheim et de Biberach, des Condéens. Car, du moins, pour ces fidèles guerriers sans foyer et sans asile, le nom de leur chef sexagénaire, ce grand nom de Condé, était devenu comme une patrie.

La peinture des passions, variables comme le coeur humain, est une source inépuisable d'expressions et d'idées neuves; il n'en est pas de même de la volupté. Là, tout est matériel, et, quand vous avez épuisé l'albâtre, la rose et la neige, tout est dit.

Ceux qui observent avec un curieux plaisir les divers changements que le temps et les temps amènent dans l'esprit d'une nation considérée comme grand individu peuvent remarquer en ce moment un singulier phénomène littéraire, né d'un autre phénomène politique, la révolution française. Il y a aujourd'hui en France combat entre une opinion littéraire encore trop puissante et le génie de ce siècle. Cette opinion, aride héritage légué à notre époque par le siècle de Voltaire, ne veut marcher qu'escortée de toutes les gloires du siècle de Louis XIV. C'est elle qui ne voit de poésie que sous la forme étroite du vers; qui, semblable aux juges de Galilée, ne veut pas que la terre tourne et que le talent crée; qui ordonne aux aigles de ne voler qu'avec des ailes de cire; qui mêle, dans son aveugle admiration, à des renommées immortelles, qu'elle eût persécutées si elles avaient paru de nos jours, je ne sais quelles vieilles réputations usurpées que les siècles se passent avec indifférence et dont elle se fait des autorités contre les réputations contemporaines; en un mot, qui poursuivrait du nom de Corneille mort Corneille renaissant.

Cette opinion décourageante et injurieuse condamne toute originalité comme une hérésie. Elle crie que le règne des lettres est passé, que les muses se sont exilées et ne reviendront plus; et chaque jour de jeunes lyres lui donnent d'harmonieux démentis, et la poésie française se renouvelle glorieusement autour de nous. Nous sommes à l'aurore d'une grande ère littéraire, et cette flétrissante opinion voudrait que notre époque, si éclatante de son propre éclat, ne fût que le pâle reflet des deux époques précédentes! La littérature funeste du siècle passé a, pour ainsi parler, exhalé cette opinion antipoétique dans notre siècle comme un miasme chargé de principes de mort, et, pour dire la vérité entière, nous conviendrons qu'elle dirige l'immense majorité des esprits qui composent parmi nous le public littéraire. Les chefs qui l'ont donnée ont disparu; mais elle gouverne toujours la masse, elle surnage encore comme un navire qui a perdu ses mâts. Cependant il s'élève de jeunes têtes, pleines de sève et de vigueur, qui ont médité la Bible, Homère et Dante, qui se sont abreuvées aux sources primitives de l'inspiration, et qui portent en elles la gloire de notre siècle. Ces jeunes hommes seront les chefs d'une école nouvelle et pure, rivale et non ennemie des écoles anciennes, d'une opinion poétique qui sera un jour aussi celle de la masse. En attendant, ils auront bien des combats à livrer, bien des luttes à soutenir; mais ils supporteront avec le courage du génie les adversités de la gloire. La routine reculera bien lentement devant eux, mais il viendra un jour où elle tombera pour leur faire place, comme la scorie desséchée d'une vieille plaie qui se cicatrise.

Tous ces hommes graves qui sont si clairvoyants en grammaire, en versification, en prosodie, et si aveugles en poésie, nous rappellent ces médecins qui connaissent la moindre fibre de la machine humaine, mais qui nient l'âme et ignorent la vertu.

5Il faut en excepter toutefois son roman sur la France.