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Actes et Paroles, Volume 3

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XII

Tout ce qui augmente la liberte augmente la responsabilite. Etre libre, rien n'est plus grave; la liberte est pesante, et toutes les chaines qu'elle ote au corps, elle les ajoute a la conscience; dans la conscience, le droit se retourne et devient devoir. Prenons garde a ce que nous faisons; nous vivons dans des temps exigeants. Nous repondons a la fois de ce qui fut et de ce qui sera. Nous avons derriere nous ce qu'ont fait nos peres et devant nous ce que feront nos enfants. Or a nos peres nous devons compte de leur tradition et a nos enfants de leur itineraire. Nous devons etre les continuateurs resolus des uns et les guides prudents des autres. Il serait pueril de se dissimuler qu'un profond travail se fait dans les institutions humaines et que des transformations sociales se preparent. Tachons que ces transformations soient calmes et s'accomplissent, dans ce qu'on appelle (a tort, selon moi) le haut et le bas de la societe, avec un fraternel sentiment d'acceptation reciproque. Remplacons les commotions par les concessions. C'est ainsi que la civilisation avance. Le progres n'est autre chose que la revolution faite a l'amiable.

Donc, legislateurs et citoyens, redoublons de sagesse, c'est-a-dire de bienveillance. Guerissons les blessures, eteignons les animosites; en supprimant la haine nous supprimons la guerre; que pas une tempete ne soit de notre faute. Quatrevingt-neuf a ete une colere utile. Quatrevingt-treize a ete une fureur necessaire; mais il n'y a plus desormais ni utilite ni necessite aux violences; toute acceleration de circulation serait maintenant un trouble; otons aux fureurs et aux coleres leur raison d'etre; ne laissons couver aucun ferment terrible. C'est deja bien assez d'entrer dans l'inconnu! Je suis de ceux qui esperent dans cet inconnu, mais a la condition que nous y melerons des a present toute la quantite de pacification dont nous disposons. Agissons avec la bonte virile des forts. Songeons a ce qui est fait et a ce qui reste a faire. Tachons d'arriver en pente douce la ou nous devons arriver; calmons les peuples par la paix, les hommes par la fraternite, les interets par l'equilibre. N'oublions jamais que nous sommes responsables de cette derniere moitie du dix-neuvieme siecle, et que nous sommes places entre ce grand passe, la revolution de France, et ce grand avenir, la revolution d'Europe.

Paris, juillet 1876.

DEPUIS L'EXIL

PREMIERE PARTIE

DU RETOUR EN FRANCE A L'EXPULSION DE BELGIQUE

PARIS

I
RENTREE A PARIS

Le 4 septembre 1870, pendant que l'armee prussienne victorieuse marchait sur Paris, la republique fut proclamee; le 5 septembre, M. Victor Hugo, absent depuis dix-neuf ans, rentra. Pour que sa rentree fut silencieuse et solitaire, il prit celui des trains de Bruxelles qui arrive la nuit. Il arriva a Paris a dix heures du soir. Une foule considerable l'attendait a la gare du Nord. Il adressa au peuple l'allocution qu'on va lire:

Les paroles me manquent pour dire a quel point m'emeut l'inexprimable accueil que me fait le genereuxpeuple de Paris.

Citoyens, j'avais dit: Le jour ou la republique rentrera, je rentrerai. Me voici.

Deux grandes choses m'appellent. La premiere, la republique. La seconde, le danger.

Je viens ici faire mon devoir.

Quel est mon devoir?

C'est le votre, c'est celui de tous.

Defendre Paris, garder Paris.

Sauver Paris, c'est plus que sauver la France, c'est sauver le monde.

Paris est le centre meme de l'humanite. Paris est la ville sacree.

Qui attaque Paris attaque en masse tout le genre humain.

Paris est la capitale de la civilisation, qui n'est ni un royaume, ni un empire, et qui est le genre humain tout entier dans son passe et dans son avenir. Et savez-vous pourquoi Paris est la ville de la civilisation? C'est parce que Paris est la ville de la revolution.

Qu'une telle ville, qu'un tel chef-lieu, qu'un tel foyer de lumiere, qu'un tel centre des esprits, des coeurs et des ames, qu'un tel cerveau de la pensee universelle puisse etre viole, brise, pris d'assaut, parqui? par une invasion sauvage? cela ne se peut. Cela ne sera pas. Jamais, jamais, jamais!

Citoyens, Paris triomphera, parce qu'il represente l'idee humaine et parce qu'il represente l'instinct populaire.

L'instinct du peuple est toujours d'accord avec l'ideal de la civilisation.

Paris triomphera, mais a une condition: c'est que vous, moi, nous tous qui sommes ici, nous ne serons qu'une seule ame; c'est que nous ne serons qu'un seul soldat et un seul citoyen, un seul citoyen pour aimer Paris, un seul soldat pour le defendre.

A cette condition, d'une part la republique une, d'autre part le peuple unanime, Paris triomphera.

Quant a moi, je vous remercie de vos acclamations mais je les rapporte toutes a cette grande angoisse qui remue toutes les entrailles, la patrie en danger.

Je ne vous demande qu'une chose, l'union!

Par l'union, vous vaincrez.

Etouffez toutes les haines, eloignez tous les ressentiments, soyez unis, vous serez invincibles.

Serrons-nous tous autour de la republique en face de l'invasion, et soyons freres. Nous vaincrons.

C'est par la fraternite qu'on sauve la liberte.

Reconduit par le peuple jusqu'a l'avenue Frochot qu'il allait habiter, chez son ami M. Paul Meurice, et rencontrant partout la foule sur son passage, M. Victor Hugo, en arrivant rue de Laval, remercia encore une fois le peuple de Paris et dit:

"Vous me payez en une heure dix-neuf ans d'exil."

II
AUX ALLEMANDS

Cependant, l'armee allemande avancait et menacait. Il semblait qu'il fut temps encore d'elever la voix entre les deux nations. M. Victor Hugo publia, en francais et en allemand, l'appel que voici:

Allemands, celui qui vous parle est un ami.

II y a trois ans, a l'epoque de l'Exposition de 1867, du fond de l'exil, je vous souhaitais la bienvenue dans votre ville.

Quelle ville?

Paris.

Car Paris ne nous appartient pas a nous seuls. Paris est a vous autant qu'a nous. Berlin, Vienne; Dresde, Munich, Stuttgart, sont vos capitales; Paris est votre centre. C'est a Paris que l'on sent vivre l'Europe. Paris est la ville des villes. Paris est la ville des hommes. Il y a eu Athenes, il y a eu Rome, et il y a Paris.

Paris n'est autre chose qu'une immense hospitalite. Aujourd'hui vous y revenez. Comment?

En freres, comme il y a trois ans?

Non, en ennemis.

Pourquoi?

Quel est ce malentendu sinistre?

Deux nations ont fait l'Europe. Ces deux nations sont la France et l'Allemagne. L'Allemagne est pour l'occident ce que l'Inde est pour l'orient, une sorte de grande aieule. Nous la venerons. Mais que se passe-t-il donc? et qu'est-ce que cela veut dire? Aujourd'hui, cette Europe, que l'Allemagne a construite par son expansion et la France par son rayonnement, l'Allemagne veut la defaire.

Est-ce possible?

L'Allemagne deferait l'Europe en mutilant la France.

L'Allemagne deferait l'Europe en detruisant Paris.

Reflechissez.

Pourquoi cette invasion? Pourquoi cet effort sauvage contre un peuple frere?

Qu'est-ce que nous vous avons fait?

Cette guerre, est-ce qu'elle vient de nous? c'est l'empire qui l'a voulue, c'est l'empire qui l'a faite. Il est mort. C'est bien.

Nous n'avons rien de commun avec ce cadavre.

Il est le passe, nous sommes l'avenir.

Il est la haine, nous sommes la sympathie.

Il est la trahison, nous sommes la loyaute.

Il est Capoue et Gomorrhe, nous sommes la France.

Nous sommes la Republique francaise; nous avons pour devise: Liberte, Egalite, Fraternite; nous ecrivons sur notre drapeau: Etats-Unis d'Europe. Nous sommes le meme peuple que vous. Nous avons eu Vercingetorix comme vous avez eu Arminius. Le meme rayon fraternel, trait d'union sublime, traverse le coeur allemand et l'ame francaise.

Cela est si vrai que nous vous disons ceci:

Si par malheur votre erreur fatale vous poussait aux supremes violences, si vous veniez nous attaquer dans cette ville auguste confiee en quelque sorte par l'Europe a la France, si vous donniez l'assaut a Paris, nous nous defendrons jusqu'a la derniere extremite, nous lutterons de toutes nos forces contre vous; mais, nous vous le declarons, nous continuerons d'etre vos freres; et vos blesses, savez-vous ou nous les mettrons? dans le palais de la nation. Nous assignons d'avance pour hopital aux blesses prussiens les Tuileries. La sera l'ambulance de vos braves soldats prisonniers. C'est la que nos femmes iront les soigner et les secourir. Vos blesses seront nos hotes, nous les traiterons royalement, et Paris les recevra dans son Louvre.

C'est avec cette fraternite dans le coeur que nous accepterons votre guerre.

Mais cette guerre, allemands, quel sens a-t-elle? Elle est finie, puisque l'empire est fini. Vous avez tue votre ennemi qui etait le notre. Que voulez-vous de plus?

Vous venez prendre Paris de force! Mais nous vous l'avons toujours offert avec amour. Ne faites pas fermer les portes par un peuple qui de tout temps vous a tendu les bras. N'ayez pas d'illusions sur Paris. Paris vous aime, mais Paris vous combattra. Paris vous combattra avec toute la majeste formidable de sa gloire et de son deuil. Paris, menace de ce viol brutal, peut devenir effrayant.

Jules Favre vous l'a dit eloquemment, et tous nous vous le repetons, attendez-vous a une resistanceindignee.

Vous prendrez la forteresse, vous trouverez l'enceinte; vous prendrez l'enceinte, vous trouverez la barricade; vous prendrez la barricade, et peut-etre alors, qui sait ce que peut conseiller le patriotisme en detresse? vous trouverez l'egout mine faisant sauter des rues entieres. Vous aurez a accepter celte condamnation terrible; prendre Paris pierre par pierre, y egorger l'Europe sur place, tuer la France en detail, dans chaque rue, dans chaque maison; et cette grande lumiere, il faudra l'eteindre ame par ame. Arretez-vous.

 

Allemands, Paris est redoutable. Soyez pensifs devant Paris. Toutes les transformations lui sont possibles. Ses mollesses vous donnent la mesure de ses energies; on semblait dormir, on se reveille; on tire l'idee du fourreau comme l'epee, et cette ville qui etait hier Sybaris peut etre demain Saragosse.

Est-ce que nous disons ceci pour vous intimider? Non, certes! On ne vous intimide pas, allemands. Vous avez eu Galgacus contre Rome et Koerner contre Napoleon. Nous sommes le peuple de la Marseillaise, mais vous etes le peuple des Sonnets cuirasses et du Cri de l'Epee. Vous etes cette nation de penseurs qui devient au besoin une legion de heros. Vos soldats sont dignes des notres; les notres sont la bravoure impassible, les votres sont la tranquillite intrepide.

Ecoutez pourtant.

Vous avez des generaux ruses et habiles, nous avions des chefs ineptes; vous avez fait la guerre adroite plutot que la guerre eclatante; vos generaux ont prefere l'utile au grand, c'etait leur droit; vous nous avez pris par surprise; vous etes venus dix contre un; nos soldats se sont laisse stoiquement massacrer par vous qui aviez mis savamment toutes les chances de votre cote; de sorte que, jusqu'a ce jour, dans cette effroyable guerre, la Prusse a la victoire, mais la France a la gloire.

A present, songez-y, vous croyez avoir un dernier coup a faire, vous ruer sur Paris, profiter de ce que notre admirable armee, trompee et trahie, est a cette heure presque tout entiere etendue morte sur le champ de bataille, pour vous jeter, vous sept cent mille soldats, avec toutes vos machines de guerre, vos mitrailleuses, vos canons d'acier, vos boulets Krupp, vos fusils Dreyse, vos innombrables cavaleries, vos artilleries epouvantables, sur trois cent mille citoyens debout sur leur rempart, sur des peres defendant leur foyer, sur une cite pleine de familles fremissantes, ou il y a des femmes, des soeurs, des meres, et ou, a cette heure, moi qui vous parle, j'ai mes deux petits-enfants, dont un a la mamelle. C'est sur cette ville innocente de cette guerre, sur cette cite qui ne vous a rien fait que vous donner sa clarte, c'est sur Paris isole, superbe et desespere, que vous vous precipiteriez, vous, immense flot de tuerie et de bataille! ce serait la votre role, hommes vaillants, grands soldats, illustre armee de la noble Allemagne! Oh! reflechissez!

Le dix-neuvieme siecle verrait cet affreux prodige, une nation, de policee devenue sauvage, abolissant la ville des nations; l'Allemagne eteignant Paris; la Germanie levant la hache sur la Gaule! Vous, les descendants des chevaliers teutoniques, vous feriez la guerre deloyale, vous extermineriez le groupe d'hommes et d'idees dont le monde a besoin, vous aneantiriez la cite organique, vous recommenceriez Attila et Alaric, vous renouvelleriez, apres Omar, l'incendie de la bibliotheque humaine, vous raseriez l'Hotel de Ville comme les huns ont rase le Capitole, vous bombarderiez Notre-Dame comme les turcs ont bombarde le parthenon; vous donneriez au monde ce spectacle, les allemands redevenus les vandales, et vous seriez la barbarie decapitant la civilisation!

Non, non, non!

Savez-vous ce que serait pour vous cette victoire? ce serait le deshonneur.

Ah! certes, personne ne peut songer a vous effrayer, allemands, magnanime armee, courageux peuple! mais on peut vous renseigner. Ce n'est pas, a coup sur, l'opprobre que vous cherchez; eh bien, c'est l'opprobreque vous trouveriez; et moi, europeen, c'est-a-dire ami de Paris, moi parisien, c'est-a-dire ami des peuples, je vous avertis du peril ou vous etes, mes freres d'Allemagne, parce que je vous admire et je vous honore, et parce que je sais bien que, si quelque chose peut vous faire reculer, ce n'est pas la peur, c'est la honte.

Ah! nobles soldats, quel retour dans vos foyers! Vous seriez des vainqueurs la tete basse; et qu'est-ce que vos femmes vous diraient?

La mort de Paris, quel deuil!

L'assassinat de Paris, quel crime!

Le monde aurait le deuil, vous auriez le crime.

N'acceptez pas cette responsabilite formidable. Arretez-vous.

Et puis, un dernier mot. Paris pousse a bout, Paris soutenu par toute la France soulevee, peut vaincre et vaincrait; et vous auriez tente en pure perte cette voie de fait qui deja indigne le monde. Dans tous les cas, effacez de ces lignes ecrites en hate les mots destruction, abolition, mort. Non, on ne detruit pas Paris. Parvinton, ce qui est malaise, a le demolir materiellement, on le grandirait moralement. En ruinant Paris, vous le sanctifieriez. La dispersion des pierres ferait la dispersion des idees. Jetez Paris aux quatre vents, vous n'arriverez qu'a faire de chaque grain de cette cendre la semence de l'avenir. Ce sepulcre criera Liberte, Egalite, Fraternite! Paris est ville, mais Paris est ame. Brulez nos edifices, ce ne sont que nos ossements; leur fumee prendra forme, deviendra enorme et vivante, et montera jusqu'au ciel, et l'on verra a jamais, sur l'horizon des peuples, au-dessus de nous, au-dessus de vous, au-dessus de tout et de tous, attestant notre gloire, attestant votre honte, ce grand spectre fait d'ombre et de lumiere, Paris.

Maintenant, j'ai dit. Allemands, si vous persistez, soit, vous etes avertis. Faites, allez, attaquez la muraille de Paris. Sous vos bombes et vos mitrailles, elle se defendra. Quant a moi, vieillard, j'y serai, sans armes. Il me convient d'etre avec les peuples qui meurent, je vous plains d'etre avec les rois qui tuent.

Paris, 9 septembre 1870.

III
AUX FRANCAIS

Aux paroles de M. Victor Hugo la presse feodale allemande avait repondu par des cris de colere. [Note: "Pendez le poete au haut du mat. —Haengt den Dichter an den Mast auf."] L'armee allemande continuait sa marche. Il ne restait plus d'espoir que dans la levee en masse. Crier aux armes etait le devoir de tout citoyen. Apres l'appel de paix, l'appel de guerre.

Nous avons fraternellement averti l'Allemagne.

L'Allemagne a continue sa marche sur Paris.

Elle est aux portes.

L'empire a attaque l'Allemagne comme il avait attaque la republique, a l'improviste, en traitre; et aujourd'hui l'Allemagne, de cette guerre que l'empire lui a faite, se venge sur la republique.

Soit. L'histoire jugera.

Ce que l'Allemagne fera maintenant la regarde; mais nous France, nous avons des devoirs envers les nations et envers le genre humain. Remplissons-les.

Le premier des devoirs est l'exemple.

Le moment ou nous sommes est une grande heure pour les peuples.

Chacun va donner sa mesure.

La France a ce privilege, qu'a eu jadis Rome, qu'a eu jadis la Grece, que son peril va marquer l'etiage de la civilisation.

Ou en est le monde? Nous allons le voir.

S'il arrivait, ce qui est impossible, que la France succombat, la quantite de submersion qu'elle subirait indiquerait la baisse de niveau du genre humain.

Mais la France ne succombera pas.

Par une raison bien simple, et nous venons de le dire. C'est qu'elle fera son devoir.

La France doit a tous les peuples et a tous les hommes de sauver

Paris, non pour Paris, mais pour le monde.

Ce devoir, la France l'accomplira.

Que toutes les communes se levent! que toutes les campagnes prennent feu! que toutes les forets s'emplissent de voix tonnantes! Tocsin! tocsin! Que de chaque maison il sorte un soldat; que le faubourg devienne regiment; que la ville se fasse armee. Les prussiens sont huit cent mille, vous etes quarante millions d'hommes. Dressez-vous, et soufflez sur eux! Lille, Nantes, Tours, Bourges, Orleans, Dijon, Toulouse, Bayonne, ceignez vos reins. En marche! Lyon, prends ton fusil, Bordeaux, prends ta carabine, Rouen, tire ton epee, et toi Marseille, chante ta chanson et viens terrible. Cites, cites, cites, faites des forets de piques, epaississez vos bayonnettes, attelez vos canons, et toi village, prends ta fourche. On n'a pas de poudre, on n'a pas de munitions, on n'a pas d'artillerie? Erreur! on en a. D'ailleurs les paysans suisses n'avaient que des cognees, les paysans polonais n'avaient que des faulx, les paysans bretons n'avaient que des batons. Et tout s'evanouissait devant eux! Tout est secourable a qui fait bien. Nous sommes chez nous. La saison sera pour nous, la bise sera pour nous, la pluie sera pour nous. Guerre ou Honte! Qui veut peut. Un mauvais fusil est excellent quand le coeur est bon; un vieux troncon de sabre est invincible quand le bras est vaillant. C'est aux paysans d'Espagne que s'est brise Napoleon. Tout de suite, en hate, sans perdre un jour, sans perdre une heure, que chacun, riche, pauvre, ouvrier, bourgeois, laboureur, prenne chez lui ou ramasse a terre tout ce qui ressemble a une arme ou a un projectile. Roulez des rochers, entassez des paves, changez les socs en haches, changez les sillons en fosses, combattez avec tout ce qui vous tombe sous la main, prenez les pierres de notre terre sacree, lapidez les envahisseurs avec les ossements de notre mere la France. O citoyens, dans les cailloux du chemin, ce que vous leur jetez a la face, c'est la patrie.

Que tout homme soit Camille Desmoulins, que toute femme soit Theroigne, que tout adolescent soit Barra! Faites comme Bonbonnel, le chasseur de pantheres, qui, avec quinze hommes, a tue vingt prussiens et fait trente prisonniers. Que les rues des villes devorent l'ennemi, que la fenetre s'ouvre furieuse, que le logis jette ses meubles, que le toit jette ses tuiles, que les vieilles meres indignees attestent leurs cheveux blancs. Que les tombeaux crient, que derriere toute muraille on sente le peuple et Dieu, qu'une flamme sorte partout de terre, que toute broussaille soit le buisson ardent! Harcelez ici, foudroyez la, interceptez les convois, coupez les prolonges, brisez les ponts, rompez les routes, effondrez le sol, et que la France sous la Prusse devienne abime.

Ah! peuple! te voila accule dans l'antre. Deploie ta stature inattendue. Montre au monde le formidable prodige de ton reveil. Que le lion de 92 se dresse et se herisse, et qu'on voie l'immense volee noire des vautours a deux tetes s'enfuir a la secousse de cette criniere!

Faisons la guerre de jour et de nuit, la guerre des montagnes, la guerre des plaines, la guerre des bois. Levez-vous! levez-vous! Pas de treve, pas de repos, pas de sommeil. Le despotisme attaque la liberte, l'Allemagne attente a la France. Qu'a la sombre chaleur de notre sol cette colossale armee fonde comme la neige. Que pas un point du territoire ne se derobe au devoir. Organisons l'effrayante bataille de la patrie. O francs-tireurs, allez, traversez les halliers, passez les torrents, profitez de l'ombre et du crepuscule, serpentez dans les ravins, glissez-vous, rampez, ajustez, tirez, exterminez l'invasion. Defendez la France avec heroisme, avec desespoir, avec tendresse. Soyez terribles, o patriotes! Arretez-vous seulement, quand vous passerez devant une chaumiere, pour baiser au front un petit enfant endormi.

Car l'enfant c'est l'avenir. Car l'avenir c'est la republique.

Faisons cela, francais.

Quant a l'Europe, que nous importe l'Europe! Qu'elle regarde, si elle a des yeux. On vient a nous si l'on veut. Nous ne quetons pas d'auxiliaires. Si l'Europe a peur, qu'elle ait peur. Nous rendons service a l'Europe, voila tout. Qu'elle reste chez elle, si bon lui semble. Pour le redoutable denoument que la France accepte si l'Allemagne l'y contraint, la France suffit a la France, et Paris suffit a Paris. Paris a toujours donne plus qu'il n'a recu. S'il engage les nations a l'aider, c'est dans leur interet plus encore que dans le sien. Qu'elles fassent comme elles voudront, Paris ne prie personne. Un si grand suppliant, que lui etonnerait l'histoire. Sois grande ou sois petite, Europe, c'est ton affaire. Incendiez Paris, allemands, comme vous avez incendie Strasbourg. Vous allumerez les coleres plus encore que les maisons.

Paris a des forteresses, des remparts, des fosses, des canons, des casemates, des barricades, des egouts qui sont des sapes; il a de la poudre, du petrole et de la nitro-glycerine; il a trois cent mille citoyens armes; l'honneur, la justice, le droit, la civilisation indignee, fermentent en lui; la fournaise vermeille de la republique s'enfle dans son cratere; deja sur ses pentes se repandent et s'allongent des coulees de lave, et il est plein, ce puissant Paris, de toutes les explosions de l'ame humaine. Tranquille et formidable, il attend l'invasion, et il sent monter son bouillonnement. Un volcan n'a pas besoin d'etre secouru.

 

Francais, vous combattrez. Vous vous devouerez a la cause universelle, parce qu'il faut que la France soit grande afin que la terre soit affranchie; parce qu'il ne faut pas que tant de sang ait coule et que tant d'ossements aient blanchi sans qu'il en sorte la liberte; parce que toutes les ombres illustres, Leonidas, Brutus, Arminius, Dante, Rienzi, Washington, Danton, Riego, Manin, sont la souriantes et fleres autour de vous; parce qu'il est temps de montrer a l'univers que la vertu existe, que le devoir existe et que la patrie existe; et vous ne faiblirez pas, et vous irez jusqu'au bout, et le monde saura par vous que, si la diplomatie est lache, le citoyen est brave; que, s'il y a des rois, il y a aussi des peuples; que, si le continent monarchique s'eclipse, la republique rayonne, et que, si, pour l'instant, il n'y a plus d'Europe, il y a toujours une France.

Paris, 17 septembre 1870.