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Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870

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1860
ADRESSE DE L'ILE DE JERSEY A VICTOR HUGO

Monsieur,

Le comite des amis de la Sicile, devant convoquer une reunion publique des habitants de Jersey le 13 juin 1860, a l'effet d'exprimer leur sympathie pour le peuple sicilien, luttant les armes a la main pour la liberte contre un despotisme execrable et execre, les soussignes sollicitent respectueusement la faveur de votre presence et de votre precieuse assistance a la manifestation projetee.

La cause de la Sicile se recommande a tous ceux qui meritent veritablement le nom d'hommes, a tout homme estimant les institutions libres, a tout ami de la liberte et du genre humain, et nous sommes persuades qu'une cause si sainte a votre plus ardente sympathie. Vous avez consacre votre genie a la liberte, a la justice, a l'humanite; votre eloquente voix elevee a Jersey en faveur des siciliens honorera notre petite ile et contribuera a exciter encore les sympathies de l'Angleterre, de la France et de l'Europe entiere en faveur de ce vaillant peuple luttant contre des forces grandement superieures pour le bien le plus precieux de cette vie. Ce n'est pas aller trop loin que d'affirmer que votre eloquence infusera une nouvelle force dans le coeur des combattants de la liberte, victorieux mais fatigues, et portera la terreur dans l'ame de leurs ennemis.

Oui, monsieur, vos fervents plaidoyers en faveur de la liberte et de l'humanite, vos protestations contre la tyrannie et les cruautes, feront echo dans le camp de Garibaldi et sonneront le glas du desespoir aux oreilles de l'infame roi de Naples.

Nous sollicitons de nouveau votre cooperation, et, en vous exprimant notre sincere respect et admiration, nous avons l'honneur d'etre, etc.

(Suivent les signatures.)

1862
LE BANQUET DE BRUXELLES

Un des plus excellents ecrivains de la presse belge et francaise, M. Gustave Frederix, a publie, en 1862, sur le banquet de Bruxelles, de remarquables pages qui eurent alors un grand retentissement et qui seront consultees un jour, car elles font partie a la fois de l'histoire politique et de l'histoire litteraire de notre temps [note: Souvenir du banquet donne a Victor Hugo. Bruxelles.]. Le banquet de Bruxelles fut une memorable rencontre d'intelligences et de renommees venues de tous les points du monde civilise pour protester autour d'un proscrit contre l'empire. On trouve dans l'eloquent ecrit de M. Gustave Frederix tous les details de cette manifestation eclatante. M. Victor Hugo presidait le banquet, ayant a sa droite le bourgmestre de Bruxelles et a sa gauche le president de la chambre des representants. De grandes voix parlerent, Louis Blanc, Eugene Pelletan; puis, au nom de la presse de tous les pays, d'eminents journalistes, M. Berardi pour la Belgique, M. Nefftzer pour la France, M. Cuesta pour l'Espagne, M. Ferrari pour l'Italie, M. Low pour l'Angleterre. Les honorables editeurs des Miserables, MM. Lacroix et Verboeckhoven remercierent l'auteur du livre au nom de la Librairie internationale. Champfleury salua Victor Hugo au nom des prosateurs, et Theodore de Banville le salua au nom des poetes. Jamais de plus nobles paroles ne furent entendues. Cette fete fut grave et solennelle.

Dans ce temps-la, le bourgmestre de Bruxelles etait un honnete homme; il s'appelait Fontainas. Ce fut lui qui porta le toast a Victor Hugo; il le fit en ces termes:

"Il m'est agreable de vous souhaiter la bienvenue, a vous, messieurs, qui visitez la Belgique, si energiquement devouee a sa nationalite, si profondement heureuse des liberales institutions qui la gouvernent; a vous, messieurs, dont le talent charme, console ou eleve nos esprits. Mais, parmi tant de noms illustres, il en est un plus illustre encore; j'ai nomme Victor Hugo, dont la gloire peut se passer de mes eloges.

"Je porte un toast au grand ecrivain, au grand poete, a Victor Hugo!"

Victor Hugo se leva, et repondit:

"Messieurs,

"Je porte la sante du bourgmestre de Bruxelles.

"Je n'avais jamais rencontre M. Fontainas; je le connais depuis vingtquatre heures, et je l'aime. Pourquoi? regardez-le, et vous comprendrez. Jamais plus franche nature ne s'est peinte sur un visage plus cordial; son serrement de main dit toute son ame; sa parole est de la sympathie. J'honore et je salue dans cet homme excellent et charmant la noble ville qu'il represente.

"J'ai du bonheur, en verite, avec les bourgmestres de Bruxelles; il semble que je sois destine a toujours les aimer. Il y a onze ans, quand j'arrivai a Bruxelles, le 12 decembre 1851, la premiere visite que je recus, fut celle du bourgmestre, M. Charles de Brouckere. Celui-la aussi etait une haute et penetrante intelligence, un esprit ferme et bon, un coeur genereux.

"J'habitais la Grand' Place, de Bruxelles, qui, soit dit en passant, avec son magnifique hotel de ville encadre de maisons magnifiques, est tout entiere un monument. Presque tous les jours, M. Charles de Brouckere, en allant a l'hotel de ville, poussait ma porte et entrait. Tout ce que je lui demandais pour mes vaillants compagnons d'exil etait immediatement accorde. Il etait lui-meme un vaillant; il avait combattu dans les barricades de Bruxelles. Il m'apportait de la cordialite, de la fraternite, de la gaite, et, en presence des maux de ma patrie, de la consolation. L'amertume de Dante etait de monter l'escalier de l'etranger; la joie de Charles de Brouckere etait de monter l'escalier du proscrit. C'etait la un homme brave, noble et bon. Eh bien, le chaud et vif accueil de M. de Brouckere, je l'ai retrouve dans M. Fontainas; meme grace, meme esprit, meme bienvenue charmante, meme ouverture d'ame et de visage; les deux hommes sont differents, les deux coeurs sont pareils. Tenez, je viens de faire une promenade en Belgique; j'ai ete un peu partout, depuis les dunes jusqu'aux Ardennes. Eh bien, partout, j'ai entendu parler de M. Fontainas; j'ai rencontre partout son nom et son eloge; il est aime dans le moindre village, comme dans la capitale; ce n'est pas la une popularite de clocher, c'est une popularite de nation. Il semble que ce bourgmestre de Bruxelles soit le bourgmestre de la Belgique. Honneur a de tels magistrats! ils consolent des autres.

"Je bois a l'honorable M. Fontainas, bourgmestre de Bruxelles; et je felicite cette illustre ville d'avoir a sa tete un de ces hommes en qui se personnifient l'hospitalite et la liberte, l'hospitalite, qui etait la vertu des peuples antiques, et la liberte, qui est la force des peuples nouveaux."

1863
AUX MEMBRES DU MEETING DE JERSEY POUR LA POLOGNE

Hauteville-House, 27 mars 1863.

Messieurs, – je suis atteint en ce moment d'un acces d'une angine chronique qui m'empeche de me rendre a votre invitation, dont je ressens tout l'honneur. Croyez a mon regret profond.

La sympathie est une presence; je serai donc en esprit au milieu de vous. Je m'associe du fond de l'ame a toutes vos genereuses pensees.

L'assassinat d'une nation est impossible. Le droit, c'est l'astre; il s'eclipse, mais il reparait. La Hongrie le prouve, Venise le prouve, la Pologne le prouve.

La Pologne, a l'heure ou nous sommes, est eclatante; elle n'est pas en pleine vie, mais elle est en pleine gloire; toute sa lumiere lui est revenue, la Pologne, accablee, sanglante et debout, eblouit le monde.

Les peuples vivent et les despotes meurent; c'est la loi d'en haut. Ne nous lassons pas de la rappeler a ce coupable empereur qui pese en cet instant sur deux nations, pour le malheur de l'une et pour la honte de l'autre. La plus a plaindre des deux, ce n'est pas la Pologne qu'il egorge, c'est la Russie qu'il deshonore. C'est degrader un peuple que d'en faire le massacreur d'un autre peuple. Je souhaite a la Pologne la resurrection a la liberte, et a la Russie la resurrection a l'honneur.

Ces deux resurrections, je fais plus que les souhaiter, je les attends.

Oui, le doute serait impie et presque complice, oui, la Pologne triomphera. Sa mort definitive serait un peu notre mort a tous. La Pologne fait partie du coeur de l'Europe. Le jour ou le dernier battement de vie s'eteindrait en Pologne, la civilisation tout entiere sentirait le froid du sepulcre.

Laissez-moi vous jeter de loin ce cri qui aura de l'echo dans vos ames! – Vive la Pologne! Vive le droit! Vivent la liberte des hommes et l'independance des peuples!

Permettez qu'a cette occasion, j'envoie tous mes voeux de bonheur a l'ile de Jersey qui m'est bien chere et a votre excellente population, et recevez, mes amis, mon salut cordial.

VICTOR HUGO.

1864
LE CENTENAIRE DE SHAKESPEARE

Louis Blanc avait fait part a Victor Hugo du desir qu'avait le Comite du centenaire de Shakespeare de le compter parmi ses membres ainsi que son fils Francois-Victor Hugo, le traducteur de Shakespeare.

Victor Hugo ecrivit a M. N. – Hepworth Dixon, secretaire du Comite de Shakespeare a Londres:

"Hauteville-House, 20 janvier 1864.

"Monsieur,

"La lettre que vous a communiquee mon noble et cher ami M. Louis Blanc est, je pense, la reponse que voici a une lettre de lui:

"Hauteville-House, 11 octobre 1863.

"Cher Louis Blanc,

"Pendant les mois de juin, de juillet et d'aout, les journaux ont publie un certain nombre d'acceptations de personnes distinguees, invitees a faire partie du Comite de Shakespeare. Mon fils, le traducteur de Shakespeare, n'a pas ete invite. Il l'est aujourd'hui. Je trouve que c'est trop tard.

"Dans cet espace de trois mois, je n'ai pas ete invite non plus, mais peu importe. Il s'agit de mon fils, et c'est dans mon fils que je me sens atteint. Quant a moi, je ne suis pas offense, ni offensable.

"Je ne serai point du Comite de Shakespeare, mais puisque dans le Comite il y aura Louis Blanc, la France sera admirablement representee.

 

"VICTOR HUGO."

"La courtoise lettre que vous m'ecrivez, monsieur, en date du 19 janvier 1864, au nom du Comite de Shakespeare, vient modifier ma situation vis-a-vis du Comite, en me laissant pourtant un regret, – regret, a la verite, qui n'est sensible que pour moi.

"Ce regret, permettez-moi de vous l'indiquer.

"Si le cordial appel que vous me faites l'honneur de m'adresser aujourd'hui m'avait ete fait il y a six mois, comme aux diverses personnes honorables dont vous citez les noms, j'aurais pu, a ce moment-la, prevenu d'avance, disposer mes occupations de facon a pouvoir prendre part aux seances du Comite; c'eut ete pour moi un devoir et un bonheur; mais n'etant point convie a en faire partie, je n'ai vu nulle difficulte a accepter, depuis cette epoque, des propositions et des engagements qui maintenant absorbent tout mon temps et me creent des obligations de travail imperieux. Ces engagements, pris par suite du malentendu que vous voulez bien m'expliquer, ne me laissent plus la liberte de sieger parmi vous, et, par l'urgence des travaux qu'ils m'imposent, me priveront, selon toute apparence, de l'honneur d'assister a Londres, a votre grandiose solennite du 23 avril.

"C'est un inconvenient, facheux pour moi, mais pour moi seulement, je le repete, et tres leger a tous les points de vue. Ma presence, comme mon absence, est un fait indifferent.

"A cet inconvenient pres, qui est peu de chose, le malentendu, si courtoisement explique dans votre lettre, est tout a fait reparable. Le Comite de Shakespeare, dont vous etes l'organe, veut bien desirer que mon nom soit inscrit sur son honorable liste, je m'empresse d'y consentir, en regrettant de ne pouvoir completer cette cooperation nominale par une cooperation effective. Quant a la fete illustre que vous preparez a votre grand homme, je n'y pourrai assister que de coeur, mais j'y serai present pourtant dans la personne de mon fils Francois-Victor, heureux de prendre parmi vous, apres votre explication excellente, la place glorieuse que vous lui offrez.

"Le jubile du 23 avril sera la vraie fete de l'Angleterre. Cette noble Angleterre, representee par sa fiere et eloquente tribune, et par son admirable presse libre et souveraine, a toutes les gloires qui font les grands peuples dignes des grands poetes. L'Angleterre merite Shakespeare.

"Veuillez, monsieur, communiquer cette lettre au Comite, et recevoir l'assurance de mes sentiments tres distingues.

"VICTOR HUGO."

1865
LA PEINE DE MORT

Ce qui suit est extrait du Courrier de l'Europe:

"Les symptomes precurseurs de l'abolition de la peine de mort se prononcent de plus en plus, et de tous les cotes a la fois. Les executions elle-memes, en se multipliant, hatent la suppression de l'echafaud par le soulevement de la conscience publique. Tout recemment, M. Victor Hugo a recu, dans la meme semaine, a quelques jours d'intervalle, deux lettres relatives a la peine de mort, venant l'une d'Italie, l'autre d'Angleterre. La premiere, ecrite a Victor Hugo par le comite central italien, etait signee "comte Ferdinand Trivulzio, docteur Georges de Giulini, avocat Jean Capretti, docteur Albert Sarola, docteur Joseph Mussi, conseiller provincial, docteur Frederic Bonola." Cette lettre, datee de Milan, 1er fevrier, annoncait a Victor Hugo la convocation d'un grand meeting populaire a Milan, pour l'abrogation de la peine capitale, et priait l'exile de Guernesey d'envoyer, par telegramme, immediatement, au peuple de Milan assemble; quelques paroles "destinees, nous citons la lettre, a produire une commotion electrique dans toute l'Italie". Le comite ignorait qu'il n'y a malheureusement point de fil telegraphique a Guernesey. La deuxieme lettre, envoyee de Londres, emanee d'un philanthrope anglais distingue, M. Lilly, contenait le detail du proces d'un italien nomme Polioni, condamne au gibet pour un coup de couteau donne dans une rixe de cabaret, et priait Victor Hugo d'intervenir pour empecher l'execution de cet homme.

M. Victor Hugo a repondu au message venu d'Italie la lettre qu'on va lire:

A MM. LES MEMBRES DU COMITE CENTRAL ITALIEN POUR L'ABOLITION DE LA PEINE DE MORT

Hauteville-House, samedi 4 fevrier 1865.

Messieurs, – Il n'y a point de telegraphe electrique a Guernesey. Votre lettre m'arrive aujourd'hui 4, et la poste ne repart que lundi 6. Mon regret est profond de ne pouvoir repondre en temps utile a votre noble et touchant appel. J'eusse ete heureux que mon applaudissement arrivat au peuple de Milan faisant un grand acte.

L'inviolabilite de la vie humaine est le droit des droits. Tous les principes decoulent de celui-la. Il est la racine, ils sont les rameaux. L'echafaud est un crime permanent. C'est le plus insolent des outrages a la dignite humaine, a la civilisation, au progres. Toutes les fois que l'echafaud est dresse, nous recevons un soufflet. Ce crime est commis en notre nom.

L'Italie a ete la mere des grands hommes, et elle est la mere des grands exemples. Elle va, je n'en doute pas, abroger la peine de mort. Votre commission, composee de tant d'hommes distingues et genereux, reussira. Avant peu, nous verrons cet admirable spectacle: l'Italie, avec l'echafaud de moins et Rome et Venise de plus.

Je serre vos mains dans les miennes, et je suis votre ami.

VICTOR HUGO.

A la lettre venue d'Angleterre, Victor Hugo a repondu:

A M. LILLY, 9, SAINT-PETER'S TERRACE, NOTTING-HILL, LONDRES.

Hauteville-House, 12 fevrier 1865.

Monsieur, – Vous me faites l'honneur de vous tourner vers moi, je vous en remercie.

Un echafaud va se dresser; vous m'en avertissez. Vous me croyez la puissance de renverser cet echafaud. Helas! je ne l'ai pas. Je n'ai pu sauver Tapner, je ne pourrais sauver Polioni. A qui m'adresser? Au gouvernement? au peuple? Pour le peuple anglais je suis un etranger, et pour le gouvernement anglais un proscrit. Moins que rien, vous le voyez. Je suis pour l'Angleterre une voix quelconque, importune peut-etre, impuissante a coup sur. Je ne puis rien, monsieur; plaignez Polioni et plaignez-moi.

En France, Polioni eut ete condamne, pour meurtre sans premeditation, a une peine temporaire. La penalite anglaise manque de ce grand correctif, les circonstances attenuantes.

Que l'Angleterre, dans sa fierte, y songe; a l'heure qu'il est, sa legislation criminelle ne vaut pas la legislation criminelle francaise, si imparfaite pourtant. De ce cote, l'Angleterre est en retard sur la France. L'Angleterre veut-elle regagner en un instant tout le terrain perdu, et laisser la France derriere elle? Elle le peut. Elle n'a qu'a faire ce pas: Abolir la peine de mort.

Cette grande chose est digne de ce grand peuple. Je l'y convie.

La peine de mort vient d'etre abolie dans plusieurs republiques de l'Amerique du Sud. Elle va l'etre, si elle ne l'est deja, en Italie, en Portugal, en Suisse, en Roumanie, en Grece. La Belgique ne tardera point a suivre ces beaux exemples. Il serait admirable que l'Angleterre prit la meme initiative, et prouvat, par la suppression de l'echafaud, que la nation de la liberte est aussi la nation de l'humanite.

Il va sans dire, monsieur, que je vous laisse maitre de faire de cette lettre l'usage que vous voudrez.

Recevez l'assurance de mes sentiments tres distingues.

VICTOR HUGO.

Apres avoir cite ces deux lettres, le Courrier de l'Europe ajoute:

"Il y a vraiment quelque chose de touchant a voir les adversaires du bourreau se tourner tous vers le rocher de Guernesey, pour demander aide et assistance a celui dont la main puissante a deja ebranle l'echafaud et finira par le renverser, "Le beau, serviteur du vrai" est le plus grand des spectacles. Victor Hugo se faisant l'avocat de Dieu pour revendiquer ses droits immuables – usurpes par la justice humaine – sur la vie de l'homme, c'est naturel. Qui parlera au nom de la divinite; si ce n'est le genie!"

1866
LES INSURRECTIONS ETOUFFEES

Hauteville-House, 18 novembre 1866.

J'ai ete bien sensible au genereux appel de l'honorable et eloquent redacteur en chef du journal l'Orient. Malheureusement il est trop tard. De toutes parts on annonce l'insurrection comme etouffee. Encore un cercueil de peuple qui s'ouvre, helas! et qui se ferme.

Quant a moi, c'est la quatrieme fois qu'un appel de ce genre m'arrive trop tard depuis deux ans. Les insurges de Haiti, de Roumanie et de Sicile se sont adresses a moi, et toujours trop tard. Dieu sait si je les eusse servis avec zele! Mais ne pourrait-on mieux s'entendre? Pourquoi les hommes de mouvement ne previennent-ils pas les hommes de progres? Pourquoi les combattants de l'epee ne se concertent-ils pas avec les combattants de l'idee? C'est avant et non apres qu'il faudrait reclamer notre concours. Averti a temps, j'ecrirais a propos, et tous s'entr'aideraient pour le succes general de la revolution et pour la delivrance universelle. Communiquez ceci a notre honorable ami, et recevez mon hatif et cordial serrement de main.

VICTOR HUGO.

LE DINER DES ENFANTS PAUVRES

Pour faire tout a fait comprendre ce qu'on a pu lire dans ce livre sur la petite institution du Diner des Enfants pauvres, il n'est pas inutile de reproduire un des comptes rendus de la presse anglaise.

Voici la lettre de lady Thompson et l'article de l'Express dont il est question dans le discours de Victor Hugo:

"A VICTOR HUGO

35, Wimpole Street, London, 30 novembre 1866.

"Cher Monsieur, – Apres l'interet que vous avez pris au succes de nos diners aux pauvres enfants, j'ai beaucoup de plaisir a vous envoyer le compte rendu de l'annee passee. Notre plan marche toujours bien, et je viens de recommencer pour l'annee qui vient. J'aime a croire que vous vous portez bien, et que vous trouvez votre genereuse idee de plus en plus repandue.

"Croyez a mon profond respect,

"KATE THOMPSON."

"Cette fondation des diners pour les enfants pauvres a ce rare merite parmi les institutions d'assistance d'etre simple, directe, pratique, aisement imitable, sans aucune pretention de secte ni de systeme. Il ne faut pas oublier l'homme qui le premier a eu l'idee de ces diners d'enfants indigents. L'Angleterre a du beaucoup dans les temps passes aux exiles politiques francais. Cette "societe des diners d'enfants pauvres" doit sa creation au coeur genereux du plus grand poete de notre temps, a Victor Hugo, qui, depuis des annees, donne toutes les semaines, dans sa maison de Guernesey, a ses propres frais, des diners pour quarante pauvres enfants, dont il ne considere ni la nationalite, ni la religion, mais seulement la misere. A Noel, Victor Hugo augmente le nombre de ses petits convives et les pourvoit, non seulement de quoi manger et boire, mais d'un choix de jolies etrennes pour egayer et consoler leurs jeunes coeurs et leurs imaginations enfantines, sans oublier de nourrir leurs bouches affamees et de couvrir leurs membres grelottants. Une societe qui a ete formee a Londres d'apres l'exemple de Victor Hugo, s'adresse a tous "ceux qui ont de la sympathie pour les miseres des enfants en haillons et demi-morts de faim dans cette vaste metropole".

"Le nombre des diners donnes en 1867, dans trente-sept salles a manger speciales, a ete a peu pres de 85,000. Depuis ce temps, des dons nouveaux ont ete faits representant 30,000 diners. La somme entiere depensee alors a ete 1,146 livres, et le nombre entier des diners 115,000."

(Express du 17 decembre 1866.)

LA NOEL A HAUTEVILLE-HOUSE

La page qui suit est extraite de la Gazette de Guernesey, en date du 29 decembre 1866:

"Jeudi dernier, une foule elegante et distinguee se pressait chez M. Victor Hugo pour etre temoin de la distribution annuelle de vetements et de jouets que M. Victor Hugo fait aux petits enfants pauvres qu'il a pris sous ses soins. La fete se composait comme d'usage: 1r d'un gouter de sandwiches, de gateaux, de fruits et de vin; 2e d'une distribution de vetements; 3e d'un arbre de Noel sur lequel etaient arrangees des masses de jouets. Avant la distribution de vetements, M. Victor Hugo a adresse un speech aux personnes presentes. Voici le resume de ce que nous avons pu recueillir:

"Mesdames,

"Vous connaissez le but de cette petite reunion. C'est ce que j'appelle, a defaut d'un mot plus simple, la fete des petits enfants pauvres. Je voudrais en parler dans les termes les plus humbles, je voudrais pouvoir emprunter pour cela la simplicite d'un des petits enfants qui m'ecoutent.

 

"Faire du bien aux enfants pauvres, dans la mesure de ce que je puis, voila mon but. Il n'y a aucun merite, croyez-le bien, et ce que je dis la je le pense profondement, il n'y a aucun merite a faire pour les pauvres ce que l'on peut; car ce que l'on peut, c'est ce que l'on doit. Connaissez-vous quelque chose de plus triste que la souffrance des enfants? Quand nous souffrons, nous hommes, c'est justement, nous avons ce que nous meritons, mais les enfants sont innocents, et l'innocence qui souffre, n'est-ce pas ce qu'il y a de plus de triste au monde? Ici, la providence nous confie une partie de sa propre fonction. Dieu dit a l'homme, je te confie l'enfant. Il ne nous confie pas seulement nos propres enfants; car il est trop simple d'en prendre soin, et les animaux s'acquittent de ce devoir de la nature mieux parfois que les hommes eux-memes; il nous confie tous les enfants qui souffrent. Etre le pere, la mere des enfants pauvres, voila notre plus haute mission. Avoir pour eux un sentiment maternel, c'est avoir un sentiment fraternel pour l'humanite."

"M. Victor Hugo rappelle ensuite les conclusions d'un travail fait par l'Academie de medecine de Paris, il y a dix-huit ans, sur l'hygiene des enfants. L'enquete faite a ce sujet constate que la plupart des maladies qui emportent tant d'enfants pauvres tiennent uniquement a leur mauvaise nourriture, et que s'ils pouvaient manger de la viande et boire du vin seulement une fois par mois, cela suffirait pour les preserver de tous les maux qui tiennent a l'appauvrissement du sang, c'est-a-dire non seulement des maladies scrofuleuses, mais aussi des affections du coeur, des poumons et du cerveau. L'anemie ou appauvrissement du sang rend en outre les enfants sujets a une foule de maladies contagieuses, telles que le croup et l'angine couenneuse, dont une bonne nourriture prise une fois par mois suffirait pour les exempter.

"Les conclusions de ce travail fait par l'Academie ont frappe profondement M. Victor Hugo. Distrait a Paris par les occupations de la vie publique, il n'a pas eu le temps d'organiser dans sa patrie des diners d'enfants pauvres. Mais il a, dit-il, profite du loisir que l'empereur des Francais lui a fait a Guernesey pour mettre son idee a execution.

"Pensant que si un bon diner par mois peut faire tant de bien, un bon diner tous les quinze jours doit en faire encore plus, il nourrit quarante-deux enfants pauvres, dont la moitie, vingt et un, viennent chez lui chaque semaine. – Puis, quand arrive la fin de l'annee, il veut leur donner la petite joie que tous les enfants riches ont dans leurs familles; ils veut qu'ils aient leur Christmas. Cette petite fete annuelle se compose de trois parties: d'un luncheon, d'une distribution de vetements, et d'une distribution de jouets. "Car la joie, dit M. Victor Hugo, fait partie de la sante de l'enfance. C'est pourquoi je leur dedie tous les ans un petit arbre de Noel. C'est aujourd'hui la cinquieme celebration de cette fete.

"Maintenant, continue M. Victor Hugo, pourquoi dis-je tout cela? Le seul merite d'une bonne action (si bonne action il y a) c'est de la taire. Je devrais me taire en effet si je ne pensais qu'a moi. Mais mon but n'est pas seulement de faire du bien a quarante pauvres petits enfants. Mon but est surtout de donner un exemple utile. Voila mon excuse."

"L'exemple que donne M. Victor Hugo est si bien suivi, que les resultats obtenus sont vraiment admirables. Il pourrait citer l'Amerique, la Suede, la Suisse, ou un nombre considerable d'enfants pauvres sont regulierement nourris, l'Italie, et meme l'Espagne, ou cette bonne oeuvre commence; il ne parlera que de l'Angleterre, que de Londres, avec les preuves en main.

"Ici M. Victor Hugo lit des extraits d'une lettre ecrite par un gentleman anglais au Petit Journal.

"Donc, frappes du spectacle navrant qu'offrent les ecoles des quartiers pauvres de Londres, profondement emus a la vue des enfants blemes et chetifs qui les frequentent, alarmes des rapides progres que fait la debilite parmi les generations des villes, debilite qui tend a remplacer notre vigoureuse race anglo-saxonne par une race enervee et febrile, des hommes charitables, a la tete desquels se trouve le comte de Shaftesbury, ont fonde la societe du diner des enfants pauvres.

"La charite est si douce chose; donner un peu de son superflu est un acte qui rapporte de si douces jouissances, que, croyant etre utile, nous ne resistons pas au desir de faire connaitre a la France cette invention de la charite, le nouvel essai que vient d'inaugurer notre vieille Angleterre."

"M. Victor Hugo a ajoute: – "Dans cette ecole seule, il y a trois cent vingt enfants. Vous figurez-vous ce nombre multiplie; quel immense bien cela doit faire a l'enfance!"

"Puis M. Victor Hugo a lu une autre lettre ecrite au Times par M. Fuller, secretaire de l'institution etablie a Londres, a l'instar de celle de Hauteville-House, par le Rev. Woods:

"A L'EDITEUR DU Times,

"Monsieur,

"Vous avez ete assez bon l'annee derniere pour inserer dans le Times une lettre dans laquelle je demontrais la tres remarquable amelioration de la sante des enfants pauvres de l'ecole des deguenilles de Westminster, amelioration resultant du systeme regulier du diner par quinzaine a chaque enfant, et ou je provoquais les autres personnes qui en ont l'occasion a faire la meme chose, si possible, dans leurs ecoles.

"Une annee de plus d'experience a confirme plus fortement encore tout ce que je disais sur le bon resultat de ces diners, qui a ete aussi grand que les annees precedentes, la sante de l'ecole ayant ete generalement bonne, et le cholera n'ayant frappe aucun de ces enfants.

"Je regrette cependant d'avoir a dire que les fonds souscrits pour ce diner, qui n'ont jamais manque depuis trois ans, seront prochainement epuises, et j'espere que vous voudrez bien dans votre journal faire un appel a l'assistance, afin que je puisse continuer pendant cet hiver qui approche le meme nombre de diners.

"WILLIAM FULLER."

(Suit le compte de revient de chaque diner et de celui de Noel.) —Times, 27 decembre 1866.

"M. Victor Hugo a exprime l'espoir que le mot deplorable ragged disparaitrait bientot de la belle et noble langue anglaise et aussi que la classe elle-meme ne tarderait pas egalement a disparaitre.

"M. Victor Hugo a fait vivement ressortir ce fait que le cholera n'a frappe aucun des enfants ainsi nourris au milieu des terribles ravages que cette epidemie a faits a Londres l'ete dernier. Il ne croit pas que l'on puisse rien dire de plus fort en faveur de l'institution et il livre ce resultat aux reflexions des personnes presentes.

"Voila, mesdames, dit M. Victor Hugo on terminant, voila ce qui m'autorise a raconter ce qui se passe ici. Voila ce qui justifie la publicite donnee a ce diner de quarante enfants. C'est que de cette humble origine sort une amelioration considerable pour l'innocence souffrante. Soulager les enfants, faire des hommes, voila notre devoir. Je n'ajouterai plus qu'un mot. Il y a deux manieres de construire des eglises; on peut les batir en pierre, et on peut les batir en chair et en os. Un pauvre que vous avez soulage, c'est une eglise que vous avez batie et d'ou la priere et la reconnaissance montent vers Dieu." (Applaudissements prolonges.)