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Le Tour du Monde; Cuba

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Disons quelque chose des ressources matérielles de la belle colonie espagnole. Cuba contient certainement plus de bons ports que toute la côte américaine aux latitudes supérieures à celles de Norfolk. Le sol y est très-riche, et il n'y a point de grandes plaines de sable, ni le long de la mer, ni dans l'intérieur. Les rochers de coraux forment le rivage, et l'herbe et les arbres descendent jusqu'au bord même des falaises. La surface du pays est diversifiée par des montagnes et des collines, et est très-bien boisée et suffisamment irriguée. L'île a des mines de cuivre et de fer; elle produit aussi du charbon bitumineux qu'on peut employer dans les manufactures, du marbre, des bois durs en abondance, tels que l'acajou, le cèdre, l'ébène, le lignum vitae, le bois de fer. Les Cubains se vantent de n'avoir dans leur île ni bêtes féroces ni reptiles venimeux. En fait d'animaux dangereux ils n'ont que le scorpion, la tarentule et le nigua; mais la morsure du scorpion et de la tarentule, bien que très-douloureuse, ne cause pas la mort. Le nigua est très-désagréable; si on le laisse longtemps sous la peau, il ne peut plus être extirpé et rend une opération nécessaire.

Quant au climat, je n'ai aucun doute que dans l'intérieur, surtout sur les terres rouges, il ne soit agréable et sain, été comme hiver; mais sur le bord des rivières, dans le pays bas en terres noires, dans les savanes, la fièvre intermittente règne ainsi que la fièvre aiguë. Les cités sont désolées par la fièvre jaune, et dans les dernières années le choléra les a aussi visitées. Dans les villes, l'année, au point de vue de la salubrité, peut être divisée en trois parties: pendant les quatre mois d'hiver, les villes sont saines; pendant les quatre mois d'été, elles sont malsaines; les quatre autres mois d'automne et de printemps ont un caractère intermédiaire. Il y a toujours quelques cas de fièvre jaune pendant l'hiver, mais on y fait peu d'attention et ils ne résultent que d'une imprudence excessive. On estime que vingt-cinq soldats sur cent meurent de cette maladie pendant les premières années de leur acclimatation; pendant l'année du choléra, il en est mort soixante sur cent. La température moyenne de l'île est de 70° Fahrenheit l'hiver, et 83° l'été. L'île est visitée quelquefois par de violentes tempêtes, mais elles n'y sont pas aussi fréquentes que dans les Antilles. Il y a de forts orages l'été, et de grandes sécheresses l'hiver, bien qu'ordinairement la rosée suffise à entretenir l'humidité nécessaire à la végétation dans l'intervalle des saisons de pluie.

Le steamer qui doit m'emmener, le Cahawba, vient d'arriver. Quand une fois le départ est décidé, on trouve un caractère plus étrange et plus pittoresque à la ville que l'on va quitter; je regardais pour la dernière fois les enseignes familières, les noms des rues, l'Obria pia, Lamparilla, Mercaderes, San Ignacio, Obispo, et les jolis et fantastiques noms des boutiques. Il me semblait que les rues étroites avaient bien leur avantage, puisqu'on s'y trouve mieux à l'ombre, et qu'on peut les tendre avec des draperies d'un côté à l'autre, bien qu'on y rende ainsi l'air étouffant. Aucune ville n'a de plus belles avenues que celles de l'Isabel et de Tacon; et je ne reverrai plus les palmiers dans les pays du Nord. Voici la Dominica; quel charmant endroit le soir, après la retreta, pour prendre le café ou le thé près de la fontaine, dans la grande cour; c'est le seul lieu public, avec les théâtres, où l'on voie les dames hors de leurs volantes. Il faut quitter tout cela.

Tout le long du quai, où sont rangés les navires et où se fait tout le travail des chargements et des déchargements, est une longue et haute galerie, où l'on est abrité contre les rayons du soleil. Avant qu'elle fût construite, on dit que l'on a vu des ouvriers tomber morts, sur le quai, sous les coups du soleil.

Je trouve à bord du Cahawba ma cargaison d'oranges d'Iglesia, mes confitures de la Dominica et mes cigares de Cabaña; tous les passagers sont réunis; le pont est couvert de montagnes d'oranges; l'ancre est levée, le steamer sort du port avec le pavillon étoile flottant. Le ciel est rougi à l'occident par le soleil couchant; les tambours et les trompettes résonnent dans les fortifications, pendant que nous passons devant la Casa Blanca, la Cabaña, la Puntaet le Morro. Le ciel s'assombrit, le vaisseau monte et descend sur la vague, la lanterne du Morro jette son rayon sur les eaux, et les rives de Cuba s'évanouissent dans la profondeur de l'horizon.

Après le thé, tout le monde est sur le pont. La nuit est claire, mais je n'ai jamais vu autre chose que des jours et des nuits claires sur mer et sur terre, depuis que j'ai passé le Gulf-Stream, en allant à Cuba. La Croix du Sud est visible à l'horizon, et l'étoile du Nord se montre au-dessus de l'horizon, du côté du septentrion. L'air de Cuba, sur la montagne ou la plaine, l'air d'aucun pays ne peut être comparé à celui de l'Océan, à cet air vigoureux et salin! Comme on le boit avec avidité! Que j'aime aussi ce puissant mouvement qui me berce et ferme peu à peu mes yeux! La nécessité seule du sommeil peut cependant me déterminer à goûter quelque repos dans la splendeur de ces nuits équinoxiales.

Nous arrivons le troisième jour, par un temps frais, devant la côte de la Caroline du Nord; mais, comme nous restons dans le Gulf-Stream, nous ne voyons pas la terre. Nous voilà sur la grande route du commerce de toute la partie centrale de l'Amérique, et cependant combien peu nous voyons de navires; pas un seul pendant trois jours. Le lendemain, nous sortons du Gulf-Stream; le temps est plus froid; un jour après, nous voyons la lumière de Barnegat, à quatre heures du matin, puis les hauteurs de Neversink; la longue côte de New-Jersey est étendue devant nous; le port de New-York n'est plus qu'à quatre ou cinq heures. Sur la plage sableuse de Long-Island sont les débris du Black-Warrior, récemment naufragé, l'ancien second de notre Cahawba. Bien loin à l'horizon, du côté de l'orient, et à peine discernable, est l'Europa, en route pour Liverpool. Bien loin de la côte, jusqu'à vingt ou trente milles du port, la mer est tachée de petits bateaux qui font leur pêche pour le marché de New-York; et des bateaux remorqueurs guettent, en lançant un peu de vapeur, bien loin dans la pleine mer, les vaisseaux qui arrivent. Un pilote vient nous chercher et nous amène dans le port.

Aucun port n'a une aussi belle entrée que celui de New-York: on a devant soi l'île de Staten, les hauteurs de Brooklyn, la vue lointaine des îles de la rivière Hudson, les faubourgs populeux qui s'étendent dans toutes les directions, la large baie, les clochers élevés et les hautes maisons de la ville, et la forêt entrelacée des mâts des navires.

Il n'y a pas encore de neige sur la campagne et sur le sommet des maisons, mais les arbres dépouillés de feuilles, le gazon desséché, les lourds paletots et les fourrures forment un contraste saisissant avec les chapeaux de paille, les habits de toile blanche, les persiennes abaissées et les moissons jaunies par le soleil que je voyais il y a cinq jours seulement.

Nous entrons dans notre dock avec le calme et la précision qui marquent tous les mouvements du Cahawba. Une troupe de cochers de New-York est réunie sur le quai; ils ont l'air de gens qui ont volé leurs voitures et leurs chevaux, et qui voudraient voler notre bagage. Pas d'agents de la police en vue. Tout le monde prédit une bataille. Pendant quelques minutes il n'y a d'autre inconvénient que celui de cris violents qui réclament des voyageurs et du bagage; mais bientôt les cochers se pressent sur le pont, on leur donne l'ordre de reculer; l'équipage tâche de les repousser, puis on échange des injures et bientôt des coups. L'un des assiégeants, renversé par un coup violent, tombe évanoui et est porté à terre par ses camarades, sur le quai, puis ils reviennent et continuent leurs menaces contre l'équipage. Les officiers du navire sont accoutumés à tout cela, et sont déterminés à se protéger eux et leur équipage, à leurs risques et périls.

Paysage dans l'île de Cuba (Loma de la Givora).—Dessin de Paul Huet d'après F. Mialhe.


Pendant la traversée, nous avions vanté patriotiquement notre pays à plusieurs passagers cubains; et toutes les comparaisons, jusqu'à présent, avaient été favorables à notre patrie; mais ici nous n'avions décidément pas l'avantage. Les étrangers s'inquiétaient beaucoup plus que nous. Nous savions qu'il ne s'agissait que d'une rixe pour obtenir une charge, et que tout cela finirait par quelques coups, peut-être par une malle ou deux perdues. Les étrangers voyaient là une insurrection des basses classes. Une vieille dame surtout, qui avait une immense quantité de bagages, était dans un état de trépidation extraordinaire, et n'osait confier ni elle-même ni ses malles aux chances d'un conflit.

Mais c'est l'esprit de notre peuple de se jeter dans des difficultés pour se donner le plaisir d'en sortir. L'affaire est bientôt calmée; la foule s'éclaircit à mesure que les passagers choisissent leur voiture et quittent le bateau; une heure ou deux après avoir touché le quai, le pont est silencieux, la machine vomit ses dernières bouffées de fumée; le capitaine et le lieutenant ont reçu les poignées de main et les adieux de tout le monde; et la société réunie pendant cinq jours pour ne plus jamais se revoir sur mer ou sur terre, se disperse dans les rues de la grande cité, les uns pour aller vers les collines neigeuses de la Nouvelle-Angleterre, les autres pour se répandre dans le vaste monde du fart west.

Traduit par M. A. Laugel.