Za darmo

Le Tour du Monde; Cuba

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On se lève de bonne heure pour jouir des meilleures heures de la journée. On m'avait appris qu'il y a des bains creusés dans le roc, près de la Punta. Je pars pour m'y rendre à six heures, et me promène sous les arbres vers le Presidio; Quel est ce son retentissant? Est-ce la cavalerie qui marcherait à pied, les sabres traînants? Non; c'est une foule de malheureux qui se forment en ligne devant le Presidio. Ce sont des forçats! chacun a une bande de fer rivée autour de la cheville, une autre autour de la ceinture, et une chaîne s'attache par les deux bouts à ces deux bandes. Ils ont ainsi le libre usage de leurs bras et même de tout le corps, la chaîne est seulement un poids et une marque dont ils ne peuvent se débarrasser. On la garde nuit et jour, en travaillant, en mangeant, en dormant. Dans certains cas, deux condamnés sont enchaînés ensemble.

Coolies chinois, à Cuba.—Dessin de Pelcoq d'après une photographie.


J'arrive aux Baños de Mar. Ce sont des compartiments dont chacun a environ douze pieds carrés et six ou huit pieds de profondeur, et coupés dans la falaise avec des escaliers de pierre; chaque compartiment a deux ouvertures par où les flots entrent et sortent librement. Cet arrangement est nécessaire, parce que les requins sont si abondants, que le bain en pleine mer est fort périlleux. La beauté du rocher, le va-et-vient de l'eau donnent beaucoup d'agrément à ces bains, et l'eau, qui est celle du Gulf-Stream, a une température de 72° Fahrenheit. Les bains sont voûtés au sommet et fermés en partie du côté de la terre, mais ouverts du côté de la mer, pour laisser la vue libre; et pendant qu'on se baigne, on voit les lourds navires flotter sur le Gulf-Stream, ce grand chemin de la mer Équinoxiale. L'eau dans les bains se tient à une profondeur de trois à cinq pieds, et ils sont assez grands pour qu'on puisse un peu y nager. Le fond est en sable et en coquilles. Ces bains ont été construits aux frais de l'État et sont libres. Quelques-uns sont réservés aux femmes, et d'autres per la gente de color.


Vue générale de la Havane, capitale de Cuba.—Dessin de Lancelot.


Coolies chinois. – Quartier pauvre à la Havane. – La promenade de Tacon.

Je ne fus pas longtemps à la Havane sans remarquer dans les rues et les maisons des hommes de complexion indienne, avec de grossiers cheveux noirs. Je demandai si c'étaient des natifs indiens ou des hommes de sang mêlé. Non; ce sont des coolies. Leurs cheveux portés longs et leur costume ne m'avaient point révélé les Chinois; pourtant leurs formes et l'expression de leurs yeux auraient dû me l'indiquer. Ce sont les victimes de ce nouveau commerce dont nous entendons tant parler. On m'informe qu'il y en a deux cent mille à Cuba, et qu'ils y ont été importés dans l'espace de sept ans. J'ai rencontré les nouveaux et derniers venus en costume chinois, la tête rasée; mais la plupart portent ensuite des pantalons, des jaquettes et des chapeaux de paille, et laissent pousser leurs cheveux.

Je me rendis, peu de jours après mon arrivée, au Jesus del Monte, pour présenter une lettre d'introduction à l'évêque. Le chemin, en passant par la Calzada de Jesus del Monte, traverse une partie misérable, je dirais volontiers la plus misérable de la Havane, par des lignes sans fin de bouges à un étage en bois et en pisé, à peine habitables pour des nègres, et entremêlés d'une quantité de cabarets. Chevaux, mulets, ânes, poules, enfants, grandes personnes, tout le monde entre par la même porte; et par derrière on découvre d'horribles amas d'ordures. L'aspect des hommes, les chevaux attachés aux portes, les mules avec leurs paniers de fruits et de feuilles qui descendent jusqu'à terre, tout me parle de Gil Blas et de ce que j'ai lu sur la vie en Espagne. Les petits négrillons s'en vont tout nus, aussi peu soucieux de vêtements que des petits chiens. Mais c'est ce qu'on voit dans la ville entière. Ce matin, dans la grande salle de l'hôtel Le Grand, je voyais une dame, tout habillée de blanc et en grande toilette, tenir par la main un petit négrillon nu de deux à trois ans, blotti dans les plis de sa robe.

Nous commençons à nous élever sur les hauteurs de Jesus del Monte. Les maisons ont meilleure apparence: elles ont toujours un seul étage, mais sont hautes et en pierre, avec des pavés de marbre et des toits en tuiles, des cours pleines de gazon et d'arbres; et par les grilles des grandes fenêtres, hautes et larges, on voit un mobilier élégant, une double rangée de fauteuils, et des dames bien mises faisant jouer l'éventail.

Arrivé au sommet, on jouit d'une vue admirable. Voilà la Havane, ville et faubourg; le Morro, avec ses batteries et son phare; la ligne de fortifications qu'on nomme la Cabaña et Casa Blanca; le château d'Ataves, tout auprès, un parfait cône tronqué, fortifié au sommet; le château del Principe, plus lointain et plus élevé, et autour de tout cela «le désert gris et mélancolique du vieil Océan.» Non, non! il est toujours jeune! l'Océan bleu, brillant; il donne la joie au cœur, il inspire! Ai-je jamais contemplé une vue aussi grandiose? La vue de Québec, du pied des cataractes de Montmorency, peut rivaliser avec celle-ci, mais ne la dépasse pas. Pour moi, je préfère la Havane, car rien, pas même le Saint-Laurent, si large qu'il soit, ne peut remplacer cette mer, l'horizon sans bornes, la vue des voiles qui brillent dans la distance, les larges contours du port, et ces longs bras qui l'embrassent.

Je reviens par le Paseo de Tacon, que je parcours dans toute sa longueur; cette promenade, bien plantée, n'a pas moins de trois milles d'étendue; elle s'étend depuis le champ de Mars, qui est hors des murs, à un grand jardin où il y a une fontaine et une statue, et qui est tout rempli des arbres et des fleurs les plus admirables. Aucune ville en Amérique ne possède une aussi belle avenue. Comme beaucoup d'autres choses à la Havane, elle porte le nom du général Tacon, dont l'énergie a tant fait pour la belle colonie espagnole.

Les surnoms à la Havane. – Matanzas. – La Plaza. – Limossar. – L'intérieur de l'île. – La végétation.

Les Cubains ont un goût prononcé pour les noms bien ronflants. Chaque boutique, jusqu'à la plus humble, a son nom particulier. On leur donne les noms du soleil, de la lune, des dieux, des déesses, des demi-dieux et des héros; des fruits, des fleurs, des pierres précieuses; des noms favoris de femmes, avec des additions pleines de fantaisie; et enfin les noms de toutes les perfections possibles, de tous les plaisirs des sens et de l'esprit. Les prisons et les hôpitaux ont tous leurs noms plus ou moins patriotiques; les douze canons du Morro ont ceux des apôtres. Chaque ville a le nom d'un apôtre ou d'un saint, ou de quelque objet sacré. Le nom complet de la Havane, en l'honneur de Christophe Colomb, est San Cristobal de la Habana; celui de Matanzas est San Carlos Alcazar de Matanzas. Il est singulier que l'île elle-même ait défié toutes les tentatives faites pour en changer le nom. Elle avait été solennellement baptisée de celui de Juana, d'après la fille de Ferdinand et d'Isabelle; puis de Ferdinand, d'après ce monarque lui-même; puis de Santiago d'Ave Maria, mais on est toujours revenu au nom indien de Cuba. Pour satisfaire les goûts hyperboliques de la race qui l'a conquise, on se contente de dire, dans les cérémonies et les grandes occasions, la siempre fidelisima isla de Cuba.

Comme il n'y a pas de plantations à voir à la Havane, je pris le parti d'aller à Matanzas; tout autour de cette ville, les travaux sont en pleine activité dans cette saison. Un bateau à vapeur quitte la Havane tous les soirs à dix heures, et arrive à Matanzas avant le jour; la distance par mer est de cinquante à soixante milles.

Le steamer part ponctuellement à dix heures et sort du port. Les eaux noires sont illuminées par la lumière phosphorescente. Le câble qui retient les vaisseaux à l'ancre se dessine comme un filet d'argent. Chaque bateau, qui glisse silencieusement de vaisseau à vaisseau, de rivage à rivage, laisse un sillon d'argent derrière son gouvernail, et soulève à l'avant un flot argenté, pendant que les rames soulèvent de l'argent liquide qui s'écoule et retombe dans la profondeur opaque de l'eau. Une fois sorti du port, je m'endors et ne me réveille qu'à trois heures du matin dans la baie de Matanzas.

Nous mettons à l'ancre à un mille environ de la jetée; de petits bateaux viennent nous chercher et nous conduisent à la ville. Matanzas diffère de la Havane par le genre de constructions, les voitures, les coutumes, la largeur des rues, et a moins l'air d'une ville des tropiques. Elle a environ vingt-cinq mille habitants, et est située au point où deux petites rivières, le Yumuri et le San Juan, qu'on traverse par de beaux ponts de pierre, se jettent dans la mer. La ville se trouve ainsi divisée en trois parties. Les vaisseaux restent à l'ancre à deux ou trois milles de la cité; celle-ci est sur un terrain uni et brûlant, mais les collines environnantes sont pittoresques et fertiles. À l'ouest de la ville s'élève une chaîne qui borde la mer, et qu'on nomme le Cumbre; on va y admirer de très-beaux points de vue.

Dans ma première promenade, je rencontrai une troupe de coolies portant, sous un soleil ardent, des pierres pour bâtir une maison, sous les yeux d'un surveillant assis à l'ombre. Ils sont nus jusqu'à la ceinture, avec des pantalons de coton courts qui s'arrêtent au genou. Quelques uns de ces hommes sont fortement, un ou deux même puissamment constitués; mais beaucoup paraissent très-frêles. On m'informe, ce que j'avais déjà entendu dire à la Havane, que l'importateur de coolies reçoit deux mille francs par tête de l'acheteur, et que celui-ci doit donner aux coolies vingt francs de gages par mois, qu'ils peuvent réclamer tous les mois, si cela leur convient; ils sont tenus au service pour huit ans, et, pendant cette période, assujettis aux travaux ordinaires qu'on demande aux esclaves. Ils sont, dit-on, plus intelligents et peuvent faire un travail plus varié que les noirs. Il ne serait pas bon de fouetter un coolie. Ils ont, sur la dignité de leur personne, des opinions qui ne leur permettent pas de se soumettre à la dégradation d'un châtiment corporel. Si un coolie est fouetté, il faut que quelqu'un meure, ou le coolie lui-même, car ils sont terriblement enclins au suicide, ou celui qui a ordonné la punition, ou quelque autre personne, ce qui revient à peu près au même dans leurs étranges principes de châtiment indirect. Néanmoins, la valeur de la main-d'œuvre à Cuba est telle, qu'un habitant est prêt à donner deux mille francs en argent comptant, pour la chance de pouvoir imposer huit ans de travail à vingt francs par mois à un homme qui parle une langue étrangère, qui adore d'autres dieux, qui considère le suicide comme une vertu, et qui est gouverné par des lois morales tout autres que celles de son maître, sans compter que sa valeur est encore diminuée par les chances de mort naturelle, de maladie, d'accidents, de fuite, de punition, imposée par les lois du pays, qu'il peut d'autant plus facilement violer qu'il ne les connaît ni ne les comprend.