Za darmo

Choix de contes et nouvelles traduits du chinois

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Quelques jours s'étaient écoulés, lorsque les domestiques se trouvant dans la grande salle (qui faisait face à la rue) virent arriver un voyageur: et c'était, ainsi qu'ils le constatèrent au premier regard, Wang-Tsay le frère de leur maître. Son bonnet de gaze noire, sa tunique de soie tissée ressemblaient en tout point à l'accoutrement du Renard-fée. «Assurément, dirent aussitôt les domestiques, ce doit être le faux Wang-Tsay! et tous se mirent à crier confusément: «Voilà le Renard-fée, le voilà venu!» Puis chacun s'armant d'un bâton le prit à deux mains, et ils se ruèrent tumultueusement sur le nouvel arrivé pour l'assommer. «Misérable canaille, criait Wang-Tsay en colère, d'où me vient un si grossier accueil, tandis que vous devriez aller m'annoncer à ma mère!» – Mais les gens de la maison continuaient leur aimable réception, et se précipitaient sur lui en désordre. Or, Wang-Tsay ne pouvait les contenir, et comme il était naturellement violent et colère, il parvint à arracher un bâton de la main d'un des valets, et frappant dans la troupe, il en culbuta cinq ou six. Le reste n'osa plus approcher, mais tout en se retirant ils restaient à côté de la porte dans l'intérieur de l'appartement, montraient du doigt Wang-Tsay et l'injuriaient toujours: «Méchante bête, criaient-ils, puisque tu as repris ton livre, que viens-tu faire ici?»



Il était impossible pour Wang-Tsay de comprendre leur pensée, la colère le dominait; et il pénétra brusquement dans l'appartement de sa mère, tandis que les domestiques, refoulés en désordre devant ses pas, épouvantaient par leurs cris et leur tapage la vieille dame qui, surprise d'entendre un pareil tumulte à sa porte, sortit précipitamment. Là elle rencontre les gens de la maison et leur demande la cause d'un tel désordre. «C'est le Renard-fée, répondirent les domestiques épouvantés, le voilà sous les traits de notre jeune maître, il entre, il avance malgré tout! – Quoi! serait-il vrai?» s'écria à son tour la mère de Wang-Tsay. Et elle n'avait pas achevé que son fils était devant ses yeux. A la vue de la vieille dame, il jette précipitamment le bâton dont il s'était armé, et se prosternant à ses pieds: «Ma mère, demanda-t-il, pourquoi ces bandits de domestiques, me prenant pour un Renard endiablé, s'élancent-ils sur moi avec des bâtons? – Es-tu bien mon fils, reprit celle-ci? – Oui, je suis l'enfant que vous, ma mère, avez mis au jour, répondit le jeune homme; est-il donc un faux Wang-Tsay?»



Au milieu de ce dialogue, sept ou huit domestiques étrangers vinrent apporter les bagages du frère de Wang-Tchin, et convaincus alors que leur jeune maître est réellement présent sous leurs yeux, les serviteurs viennent à ses pieds frapper la terre de leur front, et lui faire des excuses. «Mais enfin, que veut dire tout cela?» demanda encore Wang-Tsay. Sa mère lui raconta la diabolique histoire des Renards, et l'avertit que son frère attaqué d'une grave maladie ne se rétablissait pas du tout.



«Eh bien! reprit brusquement Wang-Tsay, surpris et effrayé quand il connut ces détails, j'en ai autant à vous apprendre. Pendant que j'étais au pays de Cho, Ouang-Lieou, votre domestique, est venu m'apporter une lettre, et ce devait être aussi un Renard métamorphosé! – Et que disait cette lettre? – Vous savez, continua Wang-Tsay, que j'étais arrivé au pays de Cho, à la suite de l'Empereur, en qualité de simple garde; au service du général en chef de Kien-Nan; là j'obtins le commandement en second de la compagnie Yen-Wou, et voilà pourquoi, lorsque sa Majesté revint à la capitale, votre jeune fils ne put l'accompagner, et resta hors des frontières du royaume. Il y a deux mois, un prétendu Ouang-Lieou m'apporte une lettre de mon frère aîné, par laquelle il m'annonçait sa fuite dans le Kiang-Tong, la mort de notre mère, et en finissant il m'engageait à venir se concerter avec lui pour la cérémonie des funérailles. Ce faux Ouang-Lieou voulut partir bien vite pour la capitale afin de préparer lui-même l'emplacement destiné à la sépulture, et se mit en route avant moi, dès le lendemain: moi-même je prends congé de mon chef et pars en laissant là bien des petits objets précieux, équipé à la légère et n'emportant que le nécessaire pour ne pas retarder ma marche. Arrivé à votre précédente habitation, j'apprends des voisins que ma mère est vivante, et je cours au bateau quitter mes vêtements de deuil. Enfin, me voilà; mais je voudrais apprendre de mon frère lui-même quel est celui qui s'est plu à nous alarmer et à nous tromper par ces fâcheuses nouvelles; car, en vérité, je n'entends rien à ces incroyables aventures!»



Là-dessus, il ouvre ses paquets et en tire la lettre, mais ce n'était plus qu'un papier blanc: ce désappointement donna autant d'envie de rire que de se fâcher à tout le monde.



Wang-Tsay entre avec sa mère chez sa belle-sœur, et demanda à voir Wang-Tchin: mais celui-ci avait la raison égarée: «Mon fils, dit alors sa vieille mère, ces vilains Renards nous ont à la vérité fait bien du mal, mais je leur sais gré de t'avoir joué ce tour et ramené du pays de Cho. Au moins ils sont cause que la mère et le fils sont réunis, et par ce seul mérite leur faute est rachetée! Il ne faut pas leur en vouloir trop.



Pendant deux mois Wang-Tchin fut dans le délire, puis il entra en convalescence, et se fit inscrire sur la liste des habitants du Fan-Tchouen, lieu qui se trouve maintenant dans le Ou-Youe. On le surnomma lui-même, dans ce pays, le Ravisseur

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  Le mot chinois Kouang-Tse, répond à l'anglais Kidnapper: celui qui vole des êtres humains.



, parce qu'il avait dérobé le livre qui était comme l'ame de ces Renards.





Le serpent rampe, le tigre bondit, chacun selon l'espèce

à laquelle il appartient,

Les Renards possèdent des livres divins, auxquels ils attachent

un grand prix:

La maison a été détruite, les biens ont laissé une place

vide, le livre même a disparu;

Mais aujourd'hui on rit encore de Wang-Tchin, et on en

rira dans mille ans.



LE LUTH BRISÉ.

NOUVELLE HISTORIQUE



On parle beaucoup dans le monde de la généreuse amitié

de Pao et de Cho;

Mais quel homme apprécie dignement le luth de Pe-Ya!

Aujourd'hui que les amis n'ont plus l'un pour l'autre que

des sentiments de haine,

On traverserait en vain les lacs et les mers pour rencontrer

un cœur sincère.



Parmi les plus beaux exemples d'une amitié généreuse dont l'histoire a gardé la mémoire depuis les temps antiques, il n'en est pas de plus célèbre que celui de Kwan et de Pao. Ce sont Kwan-Y-Ou et Pao-Cho-Ya. Ces deux personnages, contemporains du roi Tchoang-Wang, de la dynastie des Tcheou

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  Vers 690 avant J. – C.



, s'étaient associés pour faire du commerce, et ils gagnaient beaucoup d'argent; quand venait le temps de partager le bénéfice, Kwan se servait lui-même très largement, mais Pao-Cho ne le traitait point pour cela d'homme avide et insatiable: il savait que son ami avait une pauvre famille à soutenir. Plus tard, pendant les révolutions qui désolèrent l'Empire, Kwan ayant été fait prisonnier, son ancien compagnon Pao-Cho le sauva, et fit de lui un si grand éloge au roi de Tsy, que ce prince le nomma aux fonctions de ministre. Deux individus qui se donnent de telles marques d'affection, sont vraiment ce qu'on peut appeler des amis; mais dans l'amitié il y a des degrés, des nuances désignées par des qualifications diverses. Ainsi quand deux personnes sont unies par le lien d'une reconnaissance mutuelle, on les désigne par l'expression

tchy-ki

, c'est-à-dire,

qui vous connaît à fond

. Deux amis qui sentent l'un pour l'autre une grande sympathie, sont appelés

tchy-sin, intimes de cœur

. Si c'est simplement le son de la voix ou de la musique qui détermine deux personnes à se porter de l'affection, cela s'appelle

tchy-yn, se connaître par l'effet des sons

. Cependant ceux qui sont liés de cœur, d'une façon quelconque, rentrent sous la dénomination générale d'amis,

siang-tchy.



Or, maintenant, voici l'ancienne histoire de Yu-Pe-Ya que nous allons raconter. Si donc, lecteur honoré, vous désirez l'entendre, secouez vos oreilles et écoutez; si au contraire vous ne daignez pas prendre cette peine, ne vous dérangez pas, restez dans votre noble repos, car:





Quand celui qui connaît son ami au son de sa voix parle,

l'autre l'écoute;

Mais s'il ne s'adresse pas à celui qui distingue les sons,

alors il ne pourra se faire entendre.



Aux temps dont l'histoire est consignée dans le Tchun-Tsieou de Confucius, à l'époque où les guerres civiles déchiraient l'Empire, vivait un personnage d'une naissance distinguée, dont le nom était Yu-Chouy et le surnom honorifique Pe-Ya. Bien qu'il fût originaire de Yng-Tou, capitale du royaume de Tsou (aujourd'hui le district de King-Tcheou, dans le Hou-Kwang), le génie qui préside aux magistratures le conduisit vers le royaume de Tsin, où il arriva au rang élevé de Ta-Fou. Là, il reçut du souverain l'ordre d'aller remplir une ambassade près du roi de Tsou. Pe-Ya sut tirer un grand avantage de cette mission, et cela de deux manières: d'abord les beaux talents dont il était doué le mirent à même de remplir dignement la haute fonction que lui confiait le monarque, puis, comme il parcourait et visitait le pays, il fit d'une pierre deux coups, et put, tout en continuant de faire route par terre, aller dans sa ville natale.

 



Il se présenta donc à la cour du roi de Tsou, pour lui faire connaître les ordres de son souverain. Le roi de Tsou de son côté traita magnifiquement Pe-Ya, et lui témoigna les plus grands égards.



Le pays de Yng-Tou était le lieu paisible où avait vécu sa famille

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  Mot à mot, un pays où croissent le mûrier et l'osier.



; Pe-Ya ne put donc résister au désir d'aller rendre une visite aux tombeaux de ses ancêtres, et de se retrouver encore au milieu de ses parents et de ses amis. Mais, malgré tout, celui qui sert avec zèle son souverain, quand il se voit chargé des ordres du prince, n'ose s'arrêter long-temps en chemin. Aussi, dès que sa mission fut remplie, Pe-Ya prit congé du roi de Tsou, qui lui donna en présent de l'or, des pièces de soie précieuses et un char magnifique traîné par quatre chevaux.



Cependant Pe-Ya avait été près de vingt ans absent de son pays natal; et quand il se mit à songer que son ancienne patrie renfermait de si beaux fleuves et de si belles montagnes, il sentit naître en lui un violent désir de revoir et d'admirer encore ces paysages: son plan fut de voyager par eau et de rentrer dans le royaume de Tsin, en faisant un grand tour. Voici comment il exprima son idée devant le roi de Tsou: «Sire, lui dit-il, votre sujet a malheureusement la même incommodité que les chiens et les chevaux, il a trop voyagé par terre et il ne lui convient pas d'être ballotté sur un char au galop; il ose donc vous prier de lui accorder un bateau et des rames: cette manière de voyager serait plus favorable à son rétablissement.» Le roi de Tsou accueillit favorablement cette demande, et ordonna à l'intendant des rivières de mettre à la disposition de Pe-Ya deux grands bateaux, l'un spécialement destiné à l'ambassadeur, l'autre supplémentaire, bien fourni de provisions, pour les bagages et les hommes de sa suite. Les deux embarcations avaient des avirons de bois odorant et des gaffes peintes, des rideaux de soie brodée, et de hautes voiles. Quand tout fut ainsi préparé avec le plus grand soin, les magistrats de Tsou vinrent en foule reconduire Pe-Ya jusqu'au lieu d'embarquement et lui faire leurs adieux.





Si vous voulez voir des prodiges et entendre des merveilles,

Ne vous inquiétez pas si les montagnes sont distantes et les

rivières éloignées!



Doué de tous les talents qu'éveille une brillante imagination, Pe-Ya jouissait à cœur ouvert des belles scènes que lui offraient les monts et les fleuves. Il mit donc à la voile t fendit au loin les vagues transparentes et azurées, et contempla, sans pouvoir les épuiser toutes, les montagnes lointaines entassant leurs pics d'un bleu sombre, et les rivières aux ondes calmes et limpides. Bientôt les bateaux arrivèrent à l'embouchure du fleuve Kiang, dans le Han-Yang: on était alors au quinzième jour du huitième mois, à la deuxième division de l'automne

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  Les Chinois toujours minutieux divisent les quatre saisons (Se-Chy) en deux parties, qui forment les huit

Tsie

.



. Tout à coup, au milieu de la nuit, il s'éleva un vent terrible et les vagues se mirent à croître; la pluie tombait à torrents: dans l'impossibilité de continuer la route, le patron des bateaux fit porter une ancre sur le rivage.



Cependant la brise ne tarda guère à s'adoucir, les flots s'apaisèrent, la pluie cessa, et les nuages entrouverts laissèrent voir le ciel; puis alors parut le disque de la lune, et comme cela arrive après la pluie, son éclat paraissait doublé. Assis tout seul dans la cabine, Pe-Ya était triste et ennuyé. Il ordonna donc à son domestique de brûler des parfums dans une cassolette, pendant que lui-même il prendrait son luth pour en tirer quelques notes, et ramener le calme dans son esprit.



Le domestique ayant allumé le feu et brûlé les parfums, apporta le luth dans son étui et le déposa sur la table devant son maître. Pe-Ya ouvrit la boîte et prit l'instrument; puis il le mit d'accord, et essaya de jouer un air: mais il n'avait pas achevé son premier couplet, que les notes sortirent péniblement sous ses doigts, et une des cordes du luth se brisa.



Fort surpris de cet incident, Pe-Ya envoya demander au patron du bateau quelle était la nature du pays dans lequel ils se trouvaient. «Le vent et la pluie d'hier, répondit le marinier, nous ont forcés de jeter l'ancre au pied d'une montagne; elle paraît, à la vérité, couverte d'herbes et bien boisée, mais on n'y voit aucune habitation.»



L'étonnement de Pe-Ya redoubla. «Cette montagne, pensa-t-il, est déserte et inhabitée; si j'étais près d'une ville ou d'une campagne bien peuplée, je pourrais supposer qu'un homme instruit, connaisseur en musique, a entendu furtivement les accents de mon luth, et ce serait la cause de la langueur des notes et de la rupture subite de la corde; or, ici, au pied de cette colline solitaire, peut-il y avoir un être qui connaisse et comprenne cet instrument? non. – Voici ce que c'est. Il me vient à l'esprit que peut-être est-ce un ennemi qui envoie un bandit pour m'attaquer; peut-être est-ce un voleur qui attend l'heure avancée de cette nuit d'orage, pour se glisser dans le bateau et me dévaliser. – Eh bien! il faut que j'appelle mes hommes et que j'aille avec eux faire une tournée au bord du fleuve: s'il n'y a rien sous l'ombre des saules, sur la plage solitaire, assurément il y aura quelqu'un parmi les touffes épaisses des roseaux.»



Les domestiques s'empressèrent d'obéir, et ils appelèrent les hommes des équipages; tous montèrent de compagnie sur la rive, et bientôt du haut des rochers une voix humaine se fit entendre qui disait: «O vous, seigneur qui êtes dans le bateau, dissipez vos inquiétudes, car l'humble habitant de la rive n'a rien dans ses mœurs qui le rapproche des brigands: il est bûcheron, et il retourne au soir vers sa cabane après avoir coupé son bois. Au moment où la pluie tombait avec violence, où l'ouragan se déchaînait, il n'a pu trouver un abri, et comme il s'était avancé sur un escarpement de la montagne, là, il a écouté les vers harmonieux du Sage, et s'est arrêté quelque temps à juger les sons du luth.



– Quoi! répondit en riant Pe-Ya, l'homme qui coupe du bois dans la montagne ose prononcer ces mots: juger les sons du luth! – Mais enfin, que cela soit vrai ou faux, peu m'importe! Vous autres, dites-lui de se retirer.»



– Or l'inconnu ne se retira pas, et du haut du rivage il répondit d'une voix ferme: «Le seigneur du bateau a prononcé des paroles erronnées. Ne sait-il donc pas que la sincérité habite dans les hameaux, et que s'il y a un sage dans la maison, un autre sage ne tarde pas à se montrer à la porte. O grand homme! si, au milieu du désert et de la montagne qui excitent votre mépris, il n'y avait pas eu un homme capable d'apprécier vos accents, eh bien! au milieu de cette nuit silencieuse, au pied de ces rochers déserts, vous ne deviez pas vous arrêter à faire résonner votre luth.»



Ces expressions n'avaient rien de vulgaire, et quand il les entendit, Pe-Ya pensa que sans doute c'était un véritable connaisseur dont jusqu'alors il avait ignoré l'existence. Son premier soin fut d'empêcher ses gens de parler malhonnêtement à l'inconnu; lui-même il revint à la porte de la cabine, sa colère s'était changée en joie, et s'adressant au bûcheron, il lui dit: «O toi, sage qui habites la rive, puisque tu es vraiment un amateur instruit, tu t'es arrêté assez long-temps pour savoir quelle est la chanson que je chantais tout à l'heure en m'accompagnant.



– Si je ne l'avais pas su, répondit l'étranger, je ne serais pas venu prêter l'oreille à vos accents. La chanson que le grand homme vient de répéter, est celle que Confucius a composée sur la mort prématurée de Yen-Oey; ces vers ont été mis en musique pour être chantés sur le kin, et les voici:





Quelle douleur! Yen-Oey est mort à la fleur de l'âge!

A cette pensée, les hommes sentent leurs cheveux blanchir.

Et comme il se contentait de sa vie misérable au fond des

rues pauvres et obscures…



»Après que vous avez eu chanté ces trois vers, la corde s'est brisée, et vous n'avez pu faire entendre le quatrième: le pauvre bûcheron se le rappelle, et le voici:



Il a pu conserver la renommée d'un sage accompli pendant



des siècles infinis.



Cette réponse causa bien de la joie à Pe-Ya. «Maître, s'écria-t-il, assurément vous êtes un lettré d'un mérite supérieur; mais il y a trop loin d'ici au rocher du rivage, et il est difficile de converser ainsi.» Là-dessus, il dit aux gens de sa suite de sauter à terre et d'aller prier le savant docteur de vouloir bien venir s'entretenir plus longuement dans la cabine.



Les ordres de Pe-Ya furent exécutés, et l'inconnu passa sur le bateau. C'était en effet un bûcheron: il portait sur sa tête un bonnet d'écorce de bambou, et sur toute sa personne des vêtements d'herbe tressée; dans sa main il tenait un bâton aiguisé, destiné à suspendre la charge de bois sur son épaule, et la hache était fixée à sa ceinture; ses pieds se cachaient dans des souliers de paille.



Les gens de la suite de Pe-Ya, qui ne savaient guère garder dans leurs paroles un ton convenable, baissèrent les yeux et se regardèrent en souriant quand le bûcheron parut devant eux. «Coupeur de bois, lui dirent-ils assez durement, descendez dans la cabine, et en vous présentant en face de notre maître, songez à frapper votre front sur le parquet; quand il vous interrogera, ayez grand soin de répondre comme il convient à un honorable magistrat.»



Mais le bûcheron était un homme de sens: «Messieurs, répondit-il, soyez un peu plus polis; attendez que j'ôte ces vêtements avant d'aller voir votre maître.» Aussitôt il enleva sa coiffure d'écorce, et il lui resta sur la tête un bonnet de toile bleue; ses vêtements grossiers étant quittés, son corps n'était plus revêtu que d'une courte tunique de toile de la même couleur, qui couvrait ses épaules, se liait à la ceinture et descendait à peine aussi bas que l'exigeait la bienséance. Ensuite, sans se presser, sans se troubler, il prit le bonnet et les habits d'écorce, le bâton pointu et la hache, puis il déposa tout cela à la porte de la cabine; enfin, il quitta ses souliers de paille, en essuya la boue, et les remit à ses pieds. Après ces dispositions il entra dans la chambre de Pe-Ya. Dans cette cabine destinée à un magistrat, les lampes et les bougies jetaient un vif éclat tout autour du siège où l'envoyé de Tsou était assis.



Le bûcheron approcha les mains de sa poitrine en faisant un long salut, et sans se mettre à genoux il dit: «Grand homme, je vous présente mes civilités.» Or Pe-Ya appartenait aux premières familles du pays de Tsou, et dans ce moment il se trouvait face à face avec un pauvre bûcheron en habits de toile! s'il se levait de son siège pour lui rendre son salut, peut-être par cette condescendance il déshonorait le corps des magistrats; et cependant, puisqu'il avait appelé le bûcheron dans sa cabine, il ne pouvait pas raisonnablement le renvoyer.



Ne sachant trop quel parti prendre, Pe-Ya fit un léger salut de la main à son hôte inconnu. «Mon sage ami, répondit-il, vous êtes dispensé de tout cérémonial.» Puis il ordonna d'apporter un siège; et le domestique dressa un petit banc à l'extrémité de la table.



Laissant donc de côté l'étiquette d'usage vis-à-vis d'un étranger, Pe-Ya dit à l'inconnu d'un ton sec: «Asseyez-vous, nous aurons le temps de savoir nos noms dans le courant de la conversation

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  L'étiquette chinoise exige qu'on décline ses noms avant de prendre un siège.



».



Celui-ci ne laissa point paraître d'humilité dans ses manières, il s'assit avec une noble aisance; et Pe-Ya, s'empêcher d'être un peu choqué de ces manières; il ne lui demanda donc point ses noms et prénoms, et se dispensa aussi de faire servir le thé. Enfin, depuis quelques minutes le bûcheron était assis et ne disait rien, lorsque Pe-Ya demanda, avec quelque surprise: «Est-ce bien vous qui tout à l'heure avez du haut du rivage écouté en connaisseur les sons de mon luth?»

 



Le bûcheron n'articula aucune réponse. «Puisque vous êtes amateur, reprit Pe-Ya, je vous demanderai (et vous devez le savoir) dans quel lieu le luth a pris naissance, quel en est l'inventeur, et quelles sont les ressources et les beautés de cet instrument?»



Or, comme il faisait ces questions, le patron du bateau vint annoncer que le vent prenait une direction favorable. «La lune, ajoutait-il, jette une clarté pareille à celle du jour; il faut mettre à la voile.»



Pe-Ya était d'avis qu'on attendît un peu, et le bûcheron prit enfin la parole. «Grand homme, dit-il, vous avez daigné interroger le pauvre habitant du désert, mais s'il répond à votre demande, la longueur de son explication peut vous causer du retard; il craint donc d'empêcher votre Seigneurie de profiler de la brise favorable. – Oh! reprit Pe-Ya en souriant, ce qu'il y a à craindre, c'est que vous n'entendiez rien à ce qui concerne cet instrument; car si vous étiez capable de me donner l'explication demandée, comme je ne suis pas maintenant dans l'exercice de mes fonctions, et qu'aucune affaire grave ne me presse, il serait fort indifférent d'apporter quelques instants de retard à mon voyage!



– Puisque vous le prenez ainsi, répondit le bûcheron, le pauvre homme va sans se gêner donner son explication en détail. – Cet instrument, c'est l'Empereur Fo-Hi

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  Fo-Hi apparaît dans les annales de la Chine à la fin des temps fabuleux et à l'aurore des temps semi-historiques. Les auteurs chinois lui attribuent les premiers éléments de leur civilisation et l'invention de la plupart des instruments et ustensiles encore employés dans les cérémonies.



 qui en est l'inventeur; il avait vu l'ame des cinq planètes s'abattre en volant sur l'arbre

Ou-Tong

; le phénix aussi aimait à y faire briller son beau plumage; or, le phénix est le roi des oiseaux, il ne se nourrit que du fruit du bambou, ne se perche que sur l'arbre

Ou-Tong

, ne boit qu'aux sources pures d'une eau douce. Fo-Hi connut alors que cet arbre l'emportait par ses qualités sur tous ceux de la forêt; il sut dérober l'essence subtile de ces éléments favorables à son invention, et put par leur secours obtenir des sons harmonieux. Il ordonna donc à ses gens d'abattre cet arbre; dont la hauteur était de 33 pieds, en rapport avec les 33 sphères célestes. Puis il coupa le bois en trois parties, figurant le ciel, la terre et l'homme qui sont les trois puissances primitives. Quand il frappa la première de ces trois parties, elle rendit un son trop clair: il la trouva trop légère et la mit de côté. La partie inférieure ainsi essayée rendit un son obscur, trop peu articulé: Fo-Hi la rejeta comme étant trop pesante. Enfin, il frappa la partie intermédiaire, qui produisit un son à la fois clair et grave, dans lequel les deux qualités précédentes se balançaient dans un parfait équilibre. Alors il plongea ce bois dans les eaux de la rivière et l'y laissa tremper pendant soixante-douze jours, qui correspondent aux

soixante-douze heou

 (petites divisions de l'année); puis il le porta à l'ombre pour le faire sécher; et après avoir choisi une époque favorable et un jour heureux, il le confia aux mains d'un charpentier habile, Lieou-Tse-Ky, lequel en fit un instrument de musique. Comme il servit dans ce temps à exécuter la musique appelée Yao-Tchy, on le nomma Yao-Kin. Sa longueur fut de 3 pieds 6 pouces 1 ligne, figurant les 361 degrés du ciel; sa partie supérieure large de 8 pouces représentait les huit divisions de l'année. Les quatre saisons étaient figurées par le côté inférieur large de 4 pouces, et son épaisseur de 2 pouces seulement était un symbole du ciel et de la terre. Voici quelles sont ses diverses parties: la tête qu'on nomme le jeune immortel d'or, la ceinture qu'on appelle la jeune fille de jade, le dos désigné par le nom d'habitant des cieux. Le plus grand est dit

bassin du Dragon

; le plus court,

étang du Phénix:

 tous les deux ont des chevilles de jade et des touches d'or, au nombre de douze, en harmonie avec les douze lunes de l'année, il y en a même une de plus pour représenter la lune intercalaire. Jadis, le kin portait cinq cordes, figurant à l'œil les cinq éléments, les métaux, l'eau, le bois, le feu et la terre; mais au fond et dans leur essence, ils représentaient les cinq tons de la gamme (qui portaient le nom de chacune de ces cordes). Au temps de Yu, de Yao et de Chun

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  Les trois premiers Empereurs dont s'occupent les livres sacrés des Chinois. Leurs trois règnes s'étendent de 2277 à 2205 avant J. – C.



, on touchait le luth à cinq cordes pour chanter les vers de Nan-Fong (le vent du sud), qui servaient à établir le règne des lois dans l'Empire. Plus tard, Wen-Wang de la dynastie des Tcheou ayant été captif à Mey-Li, il voulut pour consoler son fils le prince Pe-Y-Kao, y ajouter une corde qui par ses sons à la fois éclatants et tristes exprimait le deuil et la douleur: on l'appela la corde de Wen-Wang, à Wou-Wang son tour ayant détrôné Cheou-Sin (le dernier Empereur de la dynastie des Chang)

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  1134 avant J. – C.



, fit refleurir la musique aux dépens de la danse; il ajouta donc encore au kin une corde qui rendait un son majestueux et brillant: on l'appela la corde de Wou-Wang. L'instrument en compta alors sept.



Or, il y a six choses que redoute le kin, sept occasions dans lesquelles on ne doit pas le faire résonner, et huit qualités éminentes qui le distinguent. Les six choses qu'il redoute, ce sont: le grand froid, la grande chaleur, le grand vent, la grande pluie, la foudre qui suit de près l'éclair, et la neige trop abondante.



Voici les sept circonstances dans lesquelles il faut s'abstenir de jouer du luth: quand on apprend une nouvelle de mort, quand on joue de la flûte dans le voisinage, quand on est accablé d'affaires qui préoccupent, quand on n'a pas purifié son corps, quand on n'a pas ses vêtements et son bonnet de cérémonie, quand on n'a pas fait brûler des parfums, et quand on ne se trouve pas à portée d'un ami qui connaît la musique.



Maintenant quelles sont les huit grandes beautés des sons de cet instrument? – Les voici: ils sont clairs, mystérieux, mélancoliques, harmonieux, vibrants, tristes, graves et étendus comme le temps et l'espace. Quand le musicien arrive en touchant le luth à ses plus beaux, à ses plus puissants effets, le tigre furieux, s'il vient à l'entendre, cesse de rugir; le singe qui se lamente, si ces accents frappent son oreille, interrompt sa plainte. Telles sont les admirables vertus de l'harmonie!



Quand il entendit ce flux de réponses qui coulait à grands flots, Pe-Ya craignit d'avoir rencontré un demi-savant qui récitait au hasard des choses apprises. «Si cet homme est ce que je pense, se dit-il à lui-même, nos relations se borneront à cet accueil un peu sans façon; cependant voyons, il faut mettre une fois encore son érudition à l'épreuve; et d'ailleurs, nous n'avons point jusqu'à ce moment décliné nos noms, je puis donc continuer sur le même pied. «Puisque vous connaissez les fondements de l'art musical, dit-il alors à haute voix, je vous ferai cette question: Au moment où Confuc