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Un Cadet de Famille, v. 2/3

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LXXXVI

Les Malais ont le caractère vraiment chevaleresque. Ils adorent la guerre et son inséparable accompagnement de bruit et de danger. La chasse au faucon, les combats de coqs, l'amour, sont les exercices récréatifs qui plaisent le plus à cette nation et surtout à notre chef malais.

Une des plus grandes particularités de son caractère était l'observation scrupuleuse du code qui dit: Dent pour dent, œil pour œil, mal pour mal. Je doute fort, en vérité, qu'il soit possible d'établir une comparaison entre les chevaliers de la Croix-Rouge et notre Hatspur de l'Est: il leur était trop supérieur en énergique cruauté.

Pendant un voyage, ce terrible chef s'arrêta à Batavia pour y vendre la cargaison d'un vaisseau dont il avait fait la conquête. Batavia était gouvernée par des Hollandais. Les Hollandais sont aussi scrupuleux et minutieux pour la propreté de leur maison qu'un laird écossais. En revanche, ils n'ont aucun soin de leur propre personne et aucune recherche de confort dans leurs habitudes. Un Hollandais bien carrément assis dans un fauteuil, la pipe aux lèvres, une bouteille de skédam à la portée de sa main, ressent tous les plaisirs qu'il rêve dans les délices du paradis. En fumant, il regarde par sa fenêtre ce qui se passe dans la rue, et pour éviter de salir sa maison, il jette sa salive au dehors. Un malheureux débit de cette espèce, venant de la croisée d'une maison hollandaise, tomba un beau jour sur le front du chef malais. Après avoir vainement cherché l'auteur de cet affront, le Malais, ivre de colère, tira son poignard du fourreau, en courant comme un fou dans toutes les rues de la ville; il massacra sans pitié les inoffensives personnes qui se rencontrèrent sur sa route. Les Hollandais se ruèrent sur l'intrépide chef; toute la garnison le poursuivit de ses coups et de ses clameurs; il ne tomba pas. Sa vengeance accomplie, quinze ou seize personnes étaient mortes; il se précipita et gagna son bateau à la nage.

Une autre fois, et peu de temps après cet événement, un vaisseau de Bombay ayant jeté l'ancre à la hauteur de la côte où son père était chef, fit avec le vieillard l'échange de plusieurs armes, telles que mousquets de Birmingham, haches, doloires, contre des produits du pays. Le propriétaire du vaisseau avait certifié au vieux chef que les armes étaient toutes en bon état. Confiant en ses paroles, le Malais se servit du mousquet pour chasser des oiseaux. Le mousquet éclata entre les mains du chef, et un morceau du canon, entré dans sa cervelle, le tua. Le fils de la victime fit assembler tous les gens de la maison de son père, aborda le vaisseau pendant la nuit, s'en rendit maître, et, de sa propre main, massacra tout l'équipage. Après cette horrible revanche, il fit élever un bûcher sur le vaisseau même, plaça sur ce bûcher le corps de son père, et y mit le feu après avoir entouré le mort de trente cadavres.

Cependant, la première journée de notre chasse, je fus témoin d'un exploit de cet être irascible.

Un Tiroon, qui remplissait le rôle de mahout (conducteur) auprès du petit éléphant sur lequel Zéla était assise, fit signe à l'intelligente bête de tuer un pauvre malheureux qui sortait, pour mendier un secours, des ruines d'une citerne.

L'éléphant obéit au mahout.

Je causais avec le chef lorsque la voix de Zéla me fit tourner la tête. Ma femme me montrait du regard un sale lépreux dont le corps était tellement couvert d'ulcères, que le malheureux n'avait plus de ressemblance avec un être humain.

Le Tiroon mahout appartenait à une race qui se plaît à verser le sang, car ils font journellement des sacrifices à leurs dieux et à la femme qu'il aiment. Un Tiroon ne peut se marier qu'après avoir présenté à sa fiancée une tête sanglante; peu importe de quelle manière il l'a conquise: ruse, force, adresse, lâcheté, tout moyen est bon; le résultat le justifie. Il faut donc que le cadeau de noce soit une vie humaine, et l'amoureux qui présente à la femme de son choix un bouquet de têtes voit toujours sa demande parfaitement accueillie. Aussitôt que le chef malais se fut aperçu de l'odieuse conduite du mahout, il saisit un bâton et bondit sur lui en le frappant avec une extrême violence. Le Tiroon prit à sa ceinture une flèche empoisonnée, dont il essaya de se faire une arme; mais le chef la lui arracha des mains, jeta le mahout contre un arbre et l'y maintint à l'aide de ses pieds. Livré sans défense à la fureur de son maître, le Tiroon tomba pour ne plus se relever. Il est impossible de se faire une idée de la furieuse exaspération du Malais. Ses yeux brillaient comme des diamants, tout son corps frémissait de rage: il ressemblait tout à fait à un démon vengeur.

– Je vais préparer ma carabine, dis-je à de Ruyter; cet homme est ivre de colère, bien certainement il va tout à l'heure s'attaquer à nous.

Quand le chef se fut assuré de la mort du Tiroon, il jeta son corps auprès de celui du lépreux, puis regarda le ciel.

– Les voici! hurla-t-il d'un ton de triomphe sauvage, en montrant, avec sa main rougie par le sang, un faucon aux longues ailes occupé à se battre avec un corbeau, que l'odeur du sang avait attiré près nous.

Le chef nous déclara positivement que le faucon était l'âme du lépreux, et le corbeau celle du Tiroon.

Les deux oiseaux se battaient avec acharnement; d'abord ils dirigèrent leur vol oblique vers la terre, puis il gagnèrent le sommet des arbres, puis enfin ils montèrent dans l'espace et furent pour nos regards aussi peu visibles que les atomes perdus dans un rayon de soleil; mais les yeux d'aigle du chef suivaient les combattants, ils ne perdaient aucune des péripéties de cette lutte aérienne.

– Le lépreux triomphe! s'écria le Malais; il descend sur l'âme de son noir assassin.

En effet, le faucon tomba comme la foudre sur sa victime, l'enveloppa de ses ailes, et tous deux tombèrent à terre.

Le chef se frotta joyeusement les mains et courut à l'endroit où étaient tombés les deux oiseaux. Ce fut avec une sorte de cri sauvage que le Malais nous apprit le résultat de la victoire. Le corbeau était bien mort; quant au faucon, triomphalement perché sur la branche d'un arbre, il parut attendre notre départ pour commencer son repas.

C'était donc sous la protection de ce fougueux personnage que nous étions placés; mais je dois dire qu'à part les rages insensées dont il se sentait quelquefois invinciblement atteint, c'était un brave et bon compagnon. Doué d'une très-grande sagacité, le chef était un excellent guide et nous faisait prendre toutes les précautions possibles afin d'éviter la rencontre des peuplades dont nous traversions les districts.

Un constant exercice avait rendu les sens du Malais excessivement fins; il pouvait distinguer les objets, leur forme et leur couleur, avant même que nous les eussions aperçus, et son ouïe était plus vive que celle d'un chien.

Nous marchions malgré nous avec une désespérante lenteur, et les éléphants étaient obligés de nous creuser des chemins à travers les jungles. Rien ne révélait dans ces solitudes profondes le voisinage des hommes, car il n'y avait ni blé ni culture, et quoique le paysage fût toujours le même, nous rencontrions à chaque instant des animaux inconnus et des oiseaux étrangers à nos souvenirs et à nos regards.

LXXXVII

Pendant la chaleur de la journée et le soir, nous nous exercions à tirer avec une seule balle sur les daims, les sangliers et les paons sauvages, car ces derniers voltigeaient par milliers au-dessus de nos têtes pour aller chercher leurs juchoirs dans les bois. Autant que possible, nous avions soin de chercher du repos loin des arbres, et surtout à une assez grande distance des jungles. Si la nécessité nous mettait dans l'obligation de coucher près des savanes, le chef malais en faisait incendier une partie, afin de chasser les bêtes venimeuses et de purifier l'air.

Quand nous quittâmes les bois, ce fut pour traverser une grande étendue de plaine, couverte d'énormes roseaux, entremêlés de cannes aussi hautes que de jeunes sapins. Si les éléphants sauvages ne s'étaient pas créé un chemin que nous suivions sur leurs traces, il nous eût été impossible de traverser ce sauvage désert.

En face de nous s'élevaient des montagnes dont toute la hauteur était ombragée par des arbres d'une prodigieuse force; à notre gauche s'étendait un massif de rochers, et du centre de ces rochers on voyait surgir une élévation de terre semblable à une île entourée de récifs. Les Malais nous dirent que sur cette élévation de terre se trouvaient les ruines d'une grande ville moresque, nommée autrefois la Ville des Rois.

Le soir du cinquième jour de notre marche, nous approchâmes du lieu de la chasse, sur la côte, au sud-est de l'île. L'atmosphère était chargée de miasmes si impurs, que nous étions obligés, par précaution, de fumer sans cesse. Zéla imitait mon exemple, et le mahout, assis sur le cou de mon dromadaire, portait devant lui un pot de charbon de terre allumé et un grand sac de tabac. Le tabac me préserva de la fièvre, car tous ceux qui, malgré mes conseils, dédaignèrent de s'en servir, eurent le vertige, des maux de cœur et crachèrent le sang.

Nous arrivâmes enfin au massif de rochers au bas duquel s'étendait vers le nord, et beaucoup plus bas que la plaine que nous venions de traverser, un immense et fétide marais. Nous avions encore une journée de marche à faire pour arriver à la colline verte et boisée vers laquelle nous nous dirigions. Une terrible et profonde obscurité couvrait le marais, sur la surface duquel ondoyaient les noires et soyeuses touffes des roseaux, et cependant l'air était tellement calme que les feuilles des arbres restaient dans la plus complète immobilité. Quand la nuit fut venue, quand le vent de la terre passa sur le marais, des éclairs faibles et d'un bleu pâle illuminèrent ce noir séjour du mal. Ce spectacle me donna le frisson, car il me fit songer au malheur qui avait failli m'atteindre lorsque la tempête m'avait jeté sur ces bords.

 

Après avoir disloqué ma mâchoire dans l'infructueuse tentative de manger un paon sauvage à moitié cuit, je me couchai dans ma tente, sur une peau de tigre, en mettant ma carabine sur ma tête. Zéla vint se nicher auprès de moi, et nous nous couvrîmes avec une peau d'élan tannée. Au milieu de la nuit, je fus réveillé par Zéla. La vie sauvage et dangereuse que la jeune fille avait menée depuis son enfance était cause qu'elle se réveillait au moindre bruit. Je lui ai vu très-souvent ouvrir les yeux au léger bourdonnement que faisait entendre un moustique en voltigeant au-dessus de nous.

Zéla venait donc d'être réveillée par un petit bruit sourd; en se levant pour en chercher la cause autour d'elle, la jeune femme aperçut un grand serpent venimeux qui rampait tranquillement sur mes jambes nues.

Le profond sommeil dans lequel j'étais plongé immobilisait tellement mon corps, que je ressemblais plutôt à un cadavre qu'à un être vivant.

Avec un admirable sang-froid, la jeune fille suivit, à la lueur du feu qui brûlait devant la tente, tous les mouvements du reptile, qui, attiré par la chaleur, se glissa doucement vers le feu. Si j'eusse fait le moindre mouvement, ou si Zéla eût donné l'alarme, le serpent m'aurait mortellement blessé.

Quand il fut tout à fait en dehors de la tente, Zéla me réveilla. Je sautai aussitôt hors du lit pour courir vers mes compagnons, qui dormaient à quelques pas de nous, et, avant de les réveiller, je suivis le serpent, qui marchait lentement vers le feu.

Mon approche fit lever la crête du reptile, et il tourna la tête pour me regarder. Ce mouvement me donna l'idée de décharger sur lui ma carabine, remplie de balles de plomb. Un homme endormi près du feu se leva vivement et retomba bientôt sur la terre: je crus l'avoir tué.

Le chef malais donna l'alarme et s'élança vers moi suivi de tous ses gens; je lui montrai le monstre qui se débattait au milieu des charbons.

– Vous tirez un coup de carabine contre un chichta, me dit le chef d'un air presque courroucé; vous avez tort, monsieur, d'user votre poudre et de troubler pour si peu de chose le sommeil de vos hommes. Il y a ici des milliers de ces vers ennuyeux, et voici comment on les tue.

En achevant ces mots, le chef perça la tête du serpent avec sa lance et le maintint dans la braise.

Le serpent entortilla son corps autour de la lance jusqu'à ce que sa queue atteignît la main du chef.

– Si vous voulez le faire rôtir, me dit le Malais, vous trouverez que sa chair est aussi bonne que celle du meilleur poisson.

Quand le serpent fut tout à fait mort, le chef le jeta dans le feu, le couvrit avec des cendres, et me dit encore:

– Nous le mangerons au réveil; bonsoir, je vais essayer de me rendormir.

Peu désireux d'être encore interrompu par des êtres si désagréables, j'engageai Zéla et de Ruyter à finir la nuit avec moi auprès du foyer.

Notre conversation tomba bientôt sur la chasse aux tigres, et de Ruyter, qui avait non-seulement une passion très-vive pour ce plaisir, mais qui s'était rendu célèbre par ses exploits dans les provinces supérieures de l'Inde, nous dit en terminant:

– La chasse aux tigres, de la manière dont on la fait dans l'Inde, est moins dangereuse que celle qui a pour but la destruction des renards. Pour chasser le tigre, une vingtaine d'hommes se réunissent et s'entourent d'une prodigieuse quantité d'éléphants. Enfermés dans les houdahs avec une douzaine de mousquets, qui sont vite rechargés par des domestiques, les chasseurs sont dans une position aussi sûre qu'un homme perché sur un arbre et tirant sur un daim. Il arrive quelquefois qu'un mahout est égratigné, car il court un peu plus de danger que son maître; mais le héros du combat, c'est le noble éléphant: il fait face au tigre, et tout le succès dépend de son courage, de sa vaillance et de sa fermeté. Si l'éléphant ne veut pas rester, s'il a peur, s'il se sauve, la vie du chasseur est en péril; car un bœuf enragé, ou notre Malais en colère, ne sont rien en comparaison d'un éléphant en révolte.

Le plus admirable spectacle du monde, reprit de Ruyter, est celui qu'offrent les lions en chassant les animaux dont ils font leur principale nourriture. Bien différents des lâches et cruels tigres, les lions ne se cachent pas pour surprendre leur proie. Pendant les heures silencieuses de la nuit, ils dorment, mais ils se lèvent avec l'aurore, et donnent la chasse aux premiers animaux qu'ils rencontrent, en faisant trembler la forêt au bruit de leur voix de tonnerre.

Un jour, il y a longtemps de cela, étant allé à la rencontre d'un prince de la famille de Bolmar-Singh, près de Rhatuk, dans le voisinage duquel j'avais été retenu pour quelques jours, je dirigeai ma marche vers Ramoon, pays des montagnes Himalaya, et habité par une race sauvage qu'on nomme Silks. J'avais à ma suite un très-petit nombre de domestiques, et une demi-douzaine d'éléphants des montagnes.

Nous traversâmes par des chemins secrets et détournés une grande étendue de terrain couverte d'arbres et de jungles. Je n'ai jamais passé tant de jours sans voir le soleil depuis l'époque où j'ai traversé les sombres chemins de ce pays d'ombrages. Ni le soleil ni le vent n'avaient pu pénétrer le mystère de ces charmilles vierges.

Dans la solitude de ces éternelles ténèbres gambadaient d'énormes hiboux et des chauves-souris vampires, et les rares animaux que nous rencontrions avaient la couleur terne des plantes moussues et moisies.

Le poil des lièvres, celui des renards et des chacals était d'un gris terne, et il y avait dans le fourré des champignons qui, par leur couleur et par leur force, ressemblaient à des lionnes reposant avec leurs petits. Cette ressemblance était si frappante, que, sachant la forêt peuplée de bêtes féroces, nous fîmes à cette vue des préparatifs de défense.

De pauvres plantes rampantes, qui, comme moi sans doute, désiraient un peu d'air, avaient plongé si profondément leurs racines dans la terre, que leur tronc avait atteint la grandeur d'un teah (arbre). Sur ce tronc, elles avaient grimpé de jour en jour pour étaler au soleil leurs fleurs cramoisies.

LXXXVIII

Je ressentis un véritable plaisir quand je pus m'échapper de ce séjour de mort, quand je vis resplendir au-dessus de ma tête l'éblouissant rayonnement du soleil. La scène ressemblait à un lac entouré de forêts; vers l'est, les montagnes s'élevaient à une hauteur étonnante; elles bordent l'empire chinois.

Après avoir traversé un ruisseau, nous arrivâmes à la source d'un torrent des montagnes. Le torrent, rendu aride par l'extrême chaleur, se divisait en petits lacs d'eau saumâtre, et, au milieu d'une couche de gravelle, entremêlée de fragments de rochers, se trouvait une petite île, couverte de mousse, de fleurs et d'arbrisseaux.

La beauté du lieu, la sécurité de la position, nous engagèrent à le choisir pour y prendre quelques heures de repos.

À cette époque, mon cher Trelawnay, j'étais aussi jeune et aussi romanesque que vous; il ne vous sera donc pas difficile de comprendre que le lendemain, au réveil, je songeai, en fumant ma pipe, à ne jamais abandonner la solitude de ce magnifique désert. La transition de la nuit au jour s'opéra si doucement, que j'y fis à peine attention.

Vers le matin, un troupeau de buffles sauvages vint paître à quelques pas de nous. Pendant que j'examinais leur forme surnaturelle, un bruit confus, qui ressemblait au sourd grondement de l'orage, se fit entendre dans la forêt.

Les chacals, les renards et les daims marquetés s'élancèrent hors du bois, et le troupeau de buffles noirs cessa de paître et se tourna vers la place d'où venait le bruit. Une foule de brillants paons voltigea au-dessus de nos têtes en jetant de grands cris, et un pélican, qui venait de prendre une couleuvre, laissa tomber sa proie et s'envola lourdement. Nos petits éléphants, qui mangeaient les arbrisseaux autour de nous, s'effrayèrent tellement, qu'ils firent la tentative d'échapper à leurs gardiens pour grimper sur les rochers.

Tout à coup, un mohr de la race des élans sortit de la forêt: sa taille dépassait celle qui est ordinaire à ces animaux, et ses cornes entortillées étaient aussi longues que la lance d'un Malais. Après l'apparition du mohr, un rugissement clair, sonore, terrible comme un éclat de tonnerre, annonça le lion chasseur suivi de quatre lionceaux; il se creusa un chemin à travers les buissons et les ronces. En entrant dans la plaine, le lion chercha la piste en posant son nez pointu sur la terre. Quand il l'eut trouvée, il poussa un second rugissement, et ce cri de triomphe fut répété par sa royale escorte. Le lion se remit à la poursuite du cerf, suivi de sa bande; cette bande formait une ligne, et je fis la remarque qu'il n'était point permis de devancer le roi, car au premier mouvement d'insubordination, il s'arrêtait court, et sa voix se faisait entendre plus sonore et plus tonnante.

Avec la vitesse d'un aigle, l'élan se dirigeait vers le lac. Mais, en essayant de franchir d'un bond un morceau de rocher, il tomba dans l'eau; promptement relevé, il suspendit un instant sa course haletante et parut écouter la voix rugissante de son ennemi. Après ce court instant de repos, le cerf gravit le talus et se glissa dans le lit du torrent.

J'ai oublié de vous dire, mon cher Trelawnay, que le troupeau de buffles, en s'écartant pour livrer passage aux lions, n'en parut nullement effrayé. Mes guides m'assurèrent que ces animaux sont plus forts que le lion, et qu'ils peuvent se rendre facilement maîtres de plusieurs tigres. Quand le lion traversa la ligne formée par ces énormes bœufs, sa crinière droite et terrible, sa queue raboteuse ondoyèrent au-dessus d'eux. Évidemment le lion chassait par l'odeur et non par la vue, car, au lieu de traverser la rivière dans la plus proche direction de l'endroit où le cerf était tombé, il suivit le cours de l'eau, grimpa sur le talus, et, toujours sur la piste de sa proie, il traversa la source du torrent.

Selon toute probabilité, le pauvre cerf avait été blessé dans sa chute, car la vitesse de sa fuite diminua de rapidité, tandis que celle du lion augmentait de minute en minute. Suivi de près par les lions, le cerf avait rasé la base du rocher sur lequel j'étais debout. De mon poste, je pus parfaitement distinguer tous les acteurs de ce drame: le premier lion était vieux, décharné, sa peau noire luisait à travers ses poils minces, étoilés et rougeâtres; sa queue était nue, sale, et les poils de sa crinière étaient en mottes; la longue et énorme mâchoire de ce vieux roi des forêts était abaissée et sa langue pendait en dehors comme celle d'un chien fatigué. Le cerf fit des efforts terribles pour monter le banc, il semblait vouloir gagner les jungles; mais la terre n'était pas solide et il perdait pied à chaque instant. Quand la pauvre bête eut franchi les trois quarts de l'élévation escarpée, elle tomba et fut incapable de se relever; les rugissements du lion étaient magnifiques lorsqu'il sauta sur le cerf à l'aide d'un puissant élan. Alors, une patte posée sur le corps du vaincu, il gronda les lionceaux qui voulaient approcher, et fit, avec lenteur, les préparatifs de son festin. La famille dut se contenter des membres du cerf et des os que le vieux lion jetait royalement derrière lui.

Mais voilà notre sauvage chef, finissez de boire votre café, Trelawnay, et partons pour la Ville des Rois; j'entends, en imagination, un concert de rugissements.