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La vie de Rossini, tome II

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Il va sans dire que toutes ces critiques du système de Rossini ne s'appliquent nullement aux temps heureux où il écrivait:

 
Ecco pietosa!..
Di tanti palpiti…
Pien di contento il seno;…
Non è ver mio ben, ch'io mora…
Se tu m'ami, o mia regina, etc.
 

Ce qu'il y a d'affreux, c'est que s'il eût continué à marcher dans la même route, probablement il eût fait encore mieux que ces airs sublimes. Il est un peu revenu vers le temps de sa jeunesse dans quelques airs de la Donna del Lago; il a été vraiment ossianique. Mais cet opéra est beaucoup plus épique que dramatique.

Ai-je besoin de répéter que Velluti, le prince des chanteurs actuels, tout en exécutant les difficultés les plus étonnantes, abuse souvent de ses moyens au point d'opprimer les chants du maestro, et de les rendre fort difficiles à reconnaître? Jamais Velluti ne donne le plaisir d'entendre un chant simple. Il ne chante presque jamais la musique de Rossini. Velluti veut avant tout voir des transports d'admiration dans la salle; il y est accoutumé. Or, il ne peut pas, par exemple, exécuter les scale in giù (les gammes en montant), ornement si facile à mademoiselle Colbrand et si prodigué pour elle. Il suit de là que toute la musique écrite pour mademoiselle Colbrand ou ne peut être exécutée par Velluti, ou ne produirait qu'un effet médiocre, et n'aurait pour tout résultat qu'un succès d'estime.

CHAPITRE XXXIV
QUALITÉ DE LA VOIX

Un cor de chasse s'entend dans les montagnes d'Écosse, bien au delà de la portée de la voix de l'homme. Voilà le seul rapport sous lequel l'art soit parvenu à surpasser la nature, la force du son. Sous le rapport bien autrement important de l'accentuation et de l'agrément, la voix de l'homme est encore supérieure à tous les instruments, et l'on peut même dire que les instruments ne plaisent qu'à proportion qu'ils parviennent à se rapprocher de la voix humaine.

Il me semble, que si dans un moment de tranquillité pensive et de douce mélancolie, nous voulons interroger notre âme avec soin, nous y lirons que le charme de la voix provient de deux causes:

1º La teinte de passion, qu'il est impossible qu'une voix ne porte pas dans ce qu'elle chante. La voix des cantatrices les plus froides, mesdames Camporesi, Fodor, Festa, etc., exprime toujours, à défaut d'autre sentiment, une certaine joie vague. Je ne cite pas madame Catalani; sa voix miraculeuse produit cette sorte d'impression qui remplit l'âme à l'aspect d'un prodige. Ce trouble de notre cœur nous empêche d'abord d'apercevoir la belle et noble impassibilité de cette cantatrice unique. On peut se figurer, par plaisir, la voix de madame Catalani réunie à l'âme passionnée et au talent dramatique de madame Pasta. En suivant un instant ce roman, on trouvera des regrets, mais en revanche on restera convaincu que la musique est le plus puissant des beaux-arts91.

2º Le second avantage de la voix, c'est la parole; elle indique à l'imagination des auditeurs le genre d'images qu'ils doivent se figurer.

Si la voix humaine, comparée aux instruments, a moins de force, elle possède à un degré bien autrement parfait le pouvoir de graduer les sons.

La variété des inflexions, c'est-à-dire, l'impossibilité pour la voix, d'être sans passion, l'emporte de beaucoup à mes yeux sur l'avantage de prononcer des paroles.

Les mauvais vers qui forment un air italien, d'abord, par l'effet des répétitions de paroles, ne sont pas entendus comme vers; c'est de la prose qui arrive à l'oreille des spectateurs92: ensuite ce ne sont pas les mots les plus forts, tels que je vous hais à la mort, ou je vous aime à la folie, qui font la beauté d'un vers; ce sont les nuances, soit dans la position des mots, soit dans les paroles elles-mêmes, qui prouvent la vérité de la passion et qui réveillent notre sympathie: or, les nuances ne peuvent pas être admises, faute de place, dans les cinquante ou soixante mots qui forment un air italien; donc les paroles ne peuvent jamais être qu'un simple canevas; c'est la musique qui se charge de le couvrir de brillantes couleurs.

Exigez-vous une nouvelle preuve que les paroles ne sont dans la musique que pour y remplir des fonctions très secondaires, et pour n'y servir en quelque sorte que comme étiquettes du sentiment? Voyez un air chanté avec l'accent de la passion, par madame Belloc ou mademoiselle Pisaroni, et le même air chanté un instant après par quelque savante serinette du Nord. La chanteuse froide prononcera les mêmes paroles: io fremo, mio ben, morir mi sento; le tout sans dissiper la glace qui pèse sur nos cœurs.

Une fois que nous avons saisi deux ou trois mots qui nous apprennent que le héros est au désespoir, ou au comble du bonheur, fort peu importe que nous entendions bien distinctement les paroles du reste de l'air; l'essentiel, c'est qu'elles soient chantées avec l'accent de la passion. De là vient qu'on assiste avec un sensible plaisir à un opéra bien chanté, quoique les paroles soient dans une langue étrangère; il suffit qu'une personne de la loge vous donne le mot des principaux airs. C'est ainsi que l'on peut voir avec plaisir un excellent acteur tragique jouant dans une langue dont on comprend à peine quelques paroles. Je conclurai de ces observations que l'accent des paroles a beaucoup plus d'importance en musique que les paroles elles-mêmes.

L'expression est le premier mérite d'un chanteur.

Tous les succès que l'on peut obtenir dans l'art du chant, sans ce genre de mérite ou avec une faible part d'expression, sont de peu de durée, ou peuvent se rapporter à une partialité accidentelle de la part des spectateurs, et qui provient de quelque cause étrangère à l'art: la beauté d'une actrice, ses bons sentiments politiques, etc.

On cite en Italie des prophéties singulières, et dont l'accomplissement a été ponctuel. Un amateur de Naples parlant de deux cantatrices, l'une portée aux nues par le public, l'autre à peine tolérée, s'écria au milieu du parterre de San-Carlo, dans un de ces mouvements d'indignation passionnée et d'enthousiasme qui ne sont pas rares en ce pays: «Encore trois ans, et vous mépriserez ce que vous applaudissez; encore trois ans, et vous porterez aux nues ce que vous négligez.» A peine dix-huit mois s'étaient écoulés, que la prophétie était accomplie; la cantatrice qui chantait avec expression l'avait entièrement emporté sur celle qui avait reçu de la nature une beaucoup plus belle voix. C'est à peu près comme dans la société un très bel homme et un homme d'infiniment d'esprit. La même révolution dans le goût du public napolitain aurait eu lieu, quoique moins rapidement, si la cantatrice sans expression, au lieu d'une voix superbe (don gratuit du hasard) avait chanté di bravura (avec beaucoup d'acquis).

CHAPITRE XXXV
MADAME PASTA

Je cède à la tentation d'essayer un portrait musical de madame Pasta. On peut dire qu'il n'y eut jamais d'entreprise plus difficile; le langage musical est ingrat et insolite; à chaque instant les mots vont me manquer; et quand j'aurais le bonheur d'en trouver pour exprimer ma pensée, ils présenteraient un sens peu clair à l'esprit du lecteur. D'ailleurs il n'est peut-être pas un dilettante qui n'ait sa phrase toute faite sur madame Pasta, et qui ne soit mécontent de ne pas la retrouver ici; et dans la juste admiration que cette grande cantatrice inspire au public, le lecteur le plus bienveillant trouvera son portrait sans couleur, et mille fois au-dessous de ce qu'il attendait.

Rossini n'a jamais écrit pour madame Pasta. Le hasard lui fit rencontrer l'aimable et gracieuse Marcolini, et il fit la Pietra del paragone; la magnifique Colbrand, et il composa l'Elisabeth; le passionné et terrible Galli, et nous eûmes à admirer des personnages tels que le Fernando de la Gazza ladra, et le Mahomet du Maometto secondo.

Si le hasard offrait à Rossini une actrice jeune, belle, remplie d'âme et d'intelligence, ne s'écartant jamais dans ses gestes de la simplicité la plus vraie et la plus suave, et cependant toujours fidèle aux formes du beau idéal le plus pur; si, avec des talents aussi extraordinaires pour le théâtre, Rossini trouvait une voix qui à chaque instant reproduit parmi nous les ravissements que donnaient jadis les chanteurs de la bonne école, une voix qui sait rendre touchante la plus simple parole d'un récitatif, ou dont les accents puissants forcent les cœurs les plus rebelles à partager l'émotion qu'ils expriment dans un grand air; sans doute nous verrions Rossini oublier sa paresse comme par miracle, étudier de bonne foi la voix de madame Pasta, et chercher à écrire dans ses cordes. Inspiré par les talents sublimes de sa prima donna, Rossini retrouverait l'ardeur qui l'enflammait à son début dans la carrière, et les chants délicieux et simples qui commencèrent sa gloire. Quels chefs-d'œuvre ne viendraient pas alors illustrer le théâtre Louvois? et avec quelle rapidité Paris ne prendrait-il pas, dans l'opinion de l'Europe, le rang musical qu'occupent seuls aujourd'hui les publics de Naples et de Milan?

 

Après avoir entendu la prière de Roméo et Juliette, épreuve décisive pour le talent d'une cantatrice; après avoir reconnu comment madame Pasta sait chanter di portamento, comment elle nuance les ports de voix, comment elle sait accentuer, lier et soutenir avec égalité un long période vocal, je ne fais nul doute que Rossini ne consente à lui sacrifier une partie de son système, et à élaguer un peu la forêt de petites notes qui surchargent ses cantilènes.

Pleinement convaincu de la sagesse et du bon goût dont madame Pasta fait preuve dans les fioriture de son chant, et sachant combien l'effet des agréments est plus sûr quand ils naissent de l'émotion et de l'invention spontanée du chanteur, Rossini s'en remettrait sans doute pour les ornements à l'inspiration de cette grande cantatrice.

Les vrais dilettanti qui paraissent à Louvois, non pas parce que ce théâtre est à la mode, mais parce qu'ils y trouvent des émotions profondes, et que je suppose, je crois avec raison, sensibles à tous les genres de beauté comme à toutes les sortes de gloire, réfléchiront à ce qu'ils éprouveraient si, accoutumés dès longtemps à n'entendre à la tribune nationale que des discours écrits, il leur était donné tout à coup d'y voir paraître un Mirabeau ou un général Foy, improvisant avec tout l'abandon du génie. Eh bien! la différence est au moins aussi frappante entre une cantatrice chantant du mieux qu'elle peut une musique écrite pour une autre, et qui ne lui laisse aucune liberté, aucun moyen de donner jour à ses inspirations, et cette même cantatrice exécutant des cantilènes composées pour sa voix, c'est-à-dire non-seulement dans ses cordes, mais encore dans la couleur et la physionomie générale de son talent.

Parmi tous les opéras dans lesquels madame Pasta a eu des rôles depuis qu'elle est à Paris, je ne vois que les second et troisième actes de Roméo qui conviennent à peu près bien aux conditions de sa voix et de sa manière de la conduire. En cherchant dans tous les autres ouvrages qu'elle a chantés ici, j'aurais peine à nommer trois morceaux qui remplissent exactement ces conditions nécessaires; et cependant madame Pasta charme tous les cœurs avec cette musique qui, à chaque instant, contrarie sa voix et demande des tours de force93! Il ne s'est peut-être jamais rencontré de cantatrice qui ait acquis et mérité de la gloire sous de telles conditions. Figurez-vous maintenant, ô vous qui savez aimer les vrais charmes de la musique, Rossini composant avec conscience pour un tel talent!

C'est alors seulement que l'on pourra juger de tout ce que peut être madame Pasta. On voit combien son amour-propre gagnerait à parcourir les divers théâtres d'Italie, maintenant que Paris l'a fait connaître à l'Europe. Si quatre ou cinq fois par an elle chantait des opéras nouveaux, et composés exprès pour sa voix, je ne fais pas de doute qu'en deux ou trois ans son talent ne parût doubler. Avec la renommée dont elle jouit déjà, on peut juger si les maestri, pour mériter qu'elle adoptât leurs opéras et qu'elle fît leur gloire, seraient attentifs à lui plaire et à étudier, pour s'y conformer, la nature de sa voix et sa manière habituelle de la conduire94.

Je demande maintenant au lecteur de redoubler de patience; je vais, de mon côté, redoubler d'efforts pour être lucide, et d'ailleurs je promets d'être court.

La voix de madame Pasta a une étendue considérable. Elle donne d'une manière sonore le la sous les lignes, et s'élève jusqu'à l'ut dièse et même jusqu'au aigu. Madame Pasta a le rare avantage de pouvoir chanter la musique de contralto comme celle de soprano95. J'oserai dire, malgré mon peu de science, qu'il me semble que la véritable position de sa voix est le mezzo-soprano. Le maestro qui écrirait pour elle devrait placer le tissu ordinaire de ses chants dans la voix de mezzo-soprano, et se servir ensuite en passant, et par occasion, de toutes les autres cordes de cette voix si riche. Beaucoup de ces cordes non seulement sont fort belles, mais produisent une certaine vibration sonore et magnétique qui, je crois, par un mélange d'effet physique non encore expliqué jusqu'ici, s'empare avec la rapidité de l'éclair de l'âme des spectateurs.

Nous arrivons à une particularité bien singulière de la voix de madame Pasta; elle n'est pas toute d'un seul metallo, comme on dirait en Italie (d'un même timbre), et cette différence dans les sons d'une même voix est un des plus puissants moyens d'expression dont sait se prévaloir l'habileté de cette grande cantatrice.

Les Italiens disent de cette sorte de voix qu'elle a plusieurs registres96, c'est-à-dire des physionomies différentes, suivant les diverses parties de l'échelle musicale où elle vient se placer. Quand beaucoup d'art et surtout une exquise sensibilité ne servent pas de guides dans l'usage de ces divers registres, ils ne paraissent que comme des inégalités dans la voix, et forment un défaut choquant qui repousse par la dureté tout plaisir musical. La Todi, Pacchiarotti, et un grand nombre de chanteurs du premier ordre, ont montré jadis comment on pouvait changer en beautés des désavantages apparents, et en tirer des effets d'une originalité séduisante. L'histoire de l'art tendrait même à faire croire que ce n'est pas avec une voix également argentine et inaltérable dans toutes les notes de son extension que l'on obtient le chant vraiment passionné. Jamais une voix d'un timbre parfaitement inaltérable, ne pourra atteindre à ces sons voilés et en quelque sorte suffoqués qui peignent avec tant de force et de vérité certains moments d'agitation profonde et d'angoisse passionnée.

Des dilettanti fort instruits qui voulurent bien, à Trieste, m'admettre dans leur société, m'ont répété plusieurs fois que la Todi, l'une des dernières cantatrices du grand siècle97, avait une voix et un talent tout à fait analogues à celui de madame Pasta.

La Todi eut à lutter avec un miracle de l'art et de la nature; la Mara ne possédait pas seulement une voix extrêmement belle et molta bravura (un art infini), mais elle était encore remarquable par une excellente école et beaucoup d'expression. Toutefois, par le suffrage des gens nés pour les arts, lesquels, après un an ou deux, ne manquent jamais de faire partager au public leur manière de voir, la Todi l'emporta sur sa rivale; son chant avait été plus souvent l'écho de leurs sentiments.

C'est avec une étonnante habileté que madame Pasta unit la voix de tête à la voix de poitrine; elle a l'art suprême de tirer une fort grande quantité d'effets agréables et piquants de l'union de ces deux voix. Pour aviver le coloris d'une phrase de mélodie ou pour en changer la nuance en un clin d'œil, elle emploie le falsetto jusque dans les cordes du milieu de son diapason, ou bien alterne les notes de falsetto avec celles de poitrine. Elle fait usage de cet artifice avec la même facilité de fusion, dans les tons du milieu comme dans les tons les plus aigus de sa voix de poitrine.

La voix de tête de madame Pasta a un caractère presque opposé à sa voix de poitrine; elle est brillante, rapide, pure, facile et d'une admirable légèreté. En descendant, la cantatrice peut avec cette voix smorzare il canto (diminuer le chant) jusqu'à rendre en quelque sorte douteuse l'existence des sons.

Il fallait des couleurs aussi touchantes à l'âme de madame Pasta et des moyens aussi puissants pour qu'elle pût atteindre à la force d'expression que nous lui connaissons, expression toujours vraie, et, quoique modérée par les règles du beau idéal98, toujours pleine de cette énergie brûlante et de cette force extraordinaire qui électrisent tout un théâtre. Mais que d'art il a fallu à cette aimable cantatrice, que d'études lui ont été nécessaires pour retirer ces effets sublimes de deux voix tellement opposées!

Cet art se perfectionne sans cesse; les effets qu'il obtient sont tous les jours plus étonnants, et la puissance de ce grand talent sur les auditeurs ne peut désormais que s'accroître; car depuis longtemps la voix de madame Pasta a surmonté tous les obstacles physiques qui pouvaient s'opposer à l'apparition du plaisir musical; elle séduit aujourd'hui l'oreille de ses heureux auditeurs comme elle sait électriser leurs âmes. Ils lui doivent à chaque nouvel opéra des émotions plus vives, ou des nuances nouvelles du même plaisir. Elle possède l'art d'imprimer une couleur musicale nouvelle, non pas par l'accent des paroles et en sa qualité de grande tragédienne, mais comme cantatrice, à des rôles en apparence assez insignifiants, par exemple le rôle d'Elcia dans Mosè99.

 

Comme toutes les voix humaines, la voix de madame Pasta rencontre, de temps à autre, certaines positions incommodes dont elle ne peut surmonter la difficulté, ou dans lesquelles tout au moins elle perd ce pouvoir, tellement habituel chez elle, de produire le plaisir musical, et, par le plaisir de l'oreille, l'entraînement des cœurs. Ces occasions fort rares font désirer encore plus vivement de l'entendre une fois au moins dans un opéra écrit pour sa voix.

Je regarderais comme presque impossible la tâche d'indiquer un ornement mis en usage par madame Pasta qui n'ait pas toutes les grâces de la bonne école et qui ne puisse servir de modèle. Fort modérée dans l'usage des fioriture, elle ne les emploie que pour augmenter la force de l'expression; et remarquez que ses fioriture ne durent jamais que juste le temps pendant lequel elles sont utiles. Je n'ai jamais rencontré dans son chant de ces longs agréments qui rappellent un peu les distractions des grands parleurs, et durant lesquels il semble que le chanteur s'oublie, ou que, chemin faisant, il change de pensée. Le public nommera pour moi des chanteurs à réputation, chez lesquels se reproduit fort souvent ce défaut assez plaisant à observer. Je ne veux pas troubler le plaisir des demi-connaisseurs par qui je vois applaudir ces agréments avec transports. Souvent un gorgheggio commence d'une manière légère et rapide et dans le style tout à fait bouffe, pour finir bientôt après par la tragédie, et par tout ce qu'il y a de plus sérieux et de plus emporté; ou bien, après avoir commencé avec toute la gravité et le sérieux possibles, ne sachant plus que faire à moitié chemin, on voit le chanteur se jeter dans la légèreté bouffe. Le même manque d'âme inspire ces fautes au chanteur, et empêche le spectateur de s'en apercevoir. C'est une des meilleures épreuves que je connaisse pour juger les amateurs à goût appris. Lorsque je vois applaudir ces gorgheggi dans la Gazza ladra ou dans Tancrède, je me rappelle l'anecdote d'un seigneur fort connu faisant son travail avec un grand roi, et pendant une heure lui lisant un long rapport sur les attributions de sa charge; le roi semblait prendre grand plaisir à cette lecture, en apparence assez peu amusante: c'est que le seigneur tenait le papier à l'envers, et dans le fait ne savait pas lire. Tel paraît, à mes yeux, un dilettante qui applaudit avec transport un agrément qui a deux sens opposés, et qui ne dit blanc au commencement que pour dire noir à la fin. La position du personnage est triste ou gaie, et dans les deux cas l'applaudissement est également absurde.

De quels termes pourrais-je me servir pour parler des inspirations célestes que madame Pasta révèle par son chant, et des aspects de passion sublimes ou singuliers qu'elle sait nous faire apercevoir! Secrets sublimes, bien au-dessus de la portée de la poésie, et de tout ce que le ciseau des Canova ou le pinceau des Corrège peut nous révéler des profondeurs du cœur humain. Peut-on se souvenir sans frémir, du moment où Médée attire à elle ses enfants en portant la main sur son poignard, puis les repousse comme agitée par un remords? Quelle nuance ineffable, et qui, ce me semble, mettrait au désespoir le plus grand écrivain!

Rappellerai-je la réconciliation d'Enrico avec son ami Vanoldo, dans le fameux duetto

È deserto il bosco intorno100;

et la manière dont est amené le sentiment qui fait que Enrico pardonne:

Ah! chi può mirarla in volto

E non ardere d'amor!

J'aurais dix passages à noter dans chacun des rôles de madame Pasta. Les douze mesures qu'elle chante dans Tancrède, lorsqu'elle paraît sur le char, après la mort d'Orbassan, ne sont rien comme musique, et cependant quelle nuance admirable! comme ce chant est différent de tout autre! comme on y voit bien le calme triste qui suit une victoire qui ne donne pas le bonheur à Tancrède, ne prouvant pas l'innocence d'Aménaïde! comme on y discerne bien l'absence de cette vie, de cette animation qui soutenait le jeune guerrier avant le combat, lorsque la nécessité de vaincre pour sauver la vie d'Aménaïde l'enflammait, et lorsqu'un peu de doute de la victoire l'empêchait en quelque sorte de voir toute l'horreur de son sort!

Pour madame Pasta, la même note dans deux situations de l'âme différentes n'est pas, pour ainsi dire, le même son.

Voilà tout simplement le sublime de l'art du chant. J'ai vu trente représentations de Tancrède, et le chant de la cantatrice suit de si près les inspirations actuelles de son cœur, que je puis dire, par exemple, du tremar Tancredi, que madame Pasta l'a dit quelquefois avec la teinte d'une douce ironie; d'autres jours, avec l'inflexion de l'homme brave, qui assure qu'il n'y a rien à redouter et qui engage à rassurer la personne qui a des craintes: quelquefois c'est une désagréable surprise déjà accompagnée de ressentiment, mais Tancrède songe que c'est Aménaïde qui parle, et la nuance de colère fait place au sourire de la réconciliation.

Ne trouvant pas de langage pour rendre les nuances du chant, l'on voit que j'essaie de prouver leur existence par les nuances du jeu. Je supprime sept à huit longues pages qui m'étaient nécessaires pour faire remarquer trois nuances de chant différentes à chaque représentation de Tancrède. Les personnes qui auraient eu la patience de lire ces huit pages distingueront d'elles-mêmes ces nuances, et bien d'autres qui m'ont échappé. Cette brochure aura quelques exagérations de moins aux yeux de la partie prosaïque de la société. Ces nuances-là, qui, chez madame Pasta, changent à chaque représentation de Tancrède, sont l'infiniment petit qu'aucun maestro ne peut parvenir à noter. Et quand il essaierait de l'écrire comme l'a fait Rossini depuis son arrivée à Naples en 1815, il est évident que tel mordente, tel agrément fort bon en lui-même, ne convient pas à l'état où se trouvent la voix et l'âme de l'actrice le soir du 30 septembre. Dès lors, il est de toute impossibilité qu'elle excite les transports du public101, en exécutant cet agrément à cette représentation du 30 septembre.

Le vulgaire des amateurs veut l'agrément accoutumé à tel passage, et, de quelque manière qu'il soit exécuté, il applaudit. Je ne parle ni de ces gens-là ni à ces gens-là102. Je suis convaincu que même hors de l'Italie, et dans les pays où l'on chante faux à la messe, il y a des dilettanti pour qui un esprit délicat est, si j'ose parler ainsi, comme un microscope qui leur fait voir nettement les moindres nuances du chant.

A de telles personnes je n'ai point d'excuses à faire pour mon enthousiasme. J'aurais bien des pages à écrire si je voulais noter toutes les créations de madame Pasta. J'appelle créations de cette grande cantatrice certains moyens d'expression auxquels il est plus que probable que le maestro qui écrivit les notes de ses rôles n'avait jamais songé.

Je citerai pour premier exemple l'accent placé sur ce vers,

Avro contento il cor,

dans l'air ombra adorata aspetta de Roméo, et le mouvement plus rapide103 imprimé à la cantilène. C'est aussi une belle création que l'inflexion donnée aux vers précédents qui appartiennent à la même scène:

Io ti sento, mi chiami

A seguirti fra l'ombre, etc.

Tous les dilettanti de Louvois se rappellent la soirée où madame Pasta employa, pour la première fois, ces nouveaux artifices de chant, et le saisissement, bien plus flatteur104 que des applaudissements, qu'ils excitèrent dans le public; et pourtant, à chacune des vingt ou trente représentations du même opéra qui avaient précédé, les spectateurs auraient juré que cette charmante cantatrice avait atteint dans ce rôle le dernier degré de la perfection.

Ce même soir, au moment où madame Pasta employait avec le plus de bonheur l'artifice de l'opposition de ses deux voix, un aimable Napolitain, connu par son goût pour la musique et par ses succès, me dit, avec un feu que je donnerais tout au monde pour pouvoir reproduire ici: «Ces changements de sons dans cette voix sublime me rappellent une sensation de bonheur tendre que j'ai trouvée quelquefois durant les nuits si pures de notre malheureuse patrie, lorsque des étoiles scintillantes se détachent si bien sur un ciel d'un bleu foncé; c'était lorsque la lune éclaire ce paysage enchanteur que l'on aperçoit de cette rive de Mergelina que je ne verrai plus. L'île de Capri se détachait dans le lointain au milieu des flots d'argent d'une mer mollement agitée par la brise rafraîchissante de minuit. Insensiblement une nuée légère vient voiler l'astre des nuits, et sa lumière semble, durant quelques instants, plus suave et plus tendre; l'aspect de la nature en est plus touchant, l'âme est attentive. Bientôt l'astre se montre de nouveau plus pur et plus brillant que jamais, inondant nos rivages de sa lumière vive et pure; et le paysage reparaît aussi dans tout l'éclat de sa vive beauté. Eh bien! la voix de madame Pasta, dans ces changements de registres, me donne la sensation de cette lumière plus touchante et plus tendre qui se voile un instant pour reparaître bientôt mille fois plus brillante105.

«Au coucher du soleil, lorsqu'il disparaît derrière le Pausilippe, notre cœur semble se laisser aller naturellement à une douce mélancolie; je ne sais quoi de sérieux s'empare de nous; notre âme semble se mettre en harmonie avec le soir et sa tranquille tristesse. Ce sentiment, je viens de l'éprouver, mais avec un mouvement plus rapide, quand madame Pasta a dit:

Ultimo pianto!

«C'est aussi le sentiment qui s'empare de moi, mais d'une manière plus durable, aux premières journées froides de septembre, suivies d'une brume légère sur les arbres qui annonce l'approche de l'hiver et la mort des beautés de la nature.»

En sortant d'une représentation dans laquelle madame Pasta nous a transportés, l'on ne peut se rappeler autre chose que l'extrême et profonde émotion dont elle nous a saisis. C'est en vain que l'on chercherait à se rendre un compte plus distinct d'une sensation si profonde et si extraordinaire. On ne sait où se prendre pour admirer. Cette voix n'a point un timbre (metallo) extraordinaire; elle ne doit point ses effets à une flexibilité surprenante; ce n'est point non plus une extension inaccoutumée; c'est uniquement et tout simplement le chant qui part du cœur,

Il canto che nell'anima si sente,

et qui séduit et entraîne en deux mesures tous les spectateurs qui ont pleuré en leur vie pour autre chose que de l'argent ou des croix.

Je pourrais faire une assez longue énumération de toutes les difficultés que la nature avait opposées à madame Pasta, et qu'elle a dû surmonter pour que son âme pût, au moyen du chant, électriser celle des spectateurs. Tous les jours nous la voyons remporter de nouveaux triomphes et se rapprocher de la perfection; chacun de ses pas est marqué par une de ces petites créations dont je parlais naguère. Je m'étais fait dicter par un musicien savant une énumération que je supprime parce qu'elle exigerait du savoir technique pour être comprise; ce n'est point en anatomiste, mais, si je puis, en peintre que je veux parler de la beauté, et, dans mon ignorance, ce ne sont point les savants que je prétends endoctriner.

On a demandé aux amis de madame Pasta quel avait été son maître comme actrice. Elle n'en eut jamais d'autre qu'un cœur propre à sentir vivement les moindres nuances de passion, et une admiration passionnée et allant jusqu'au ridicule pour le beau idéal. A Trieste, un pauvre enfant de trois ans qui s'approche d'elle, et qui demandait l'aumône pour sa mère aveugle, la fait fondre en larmes sur le port où elle se promenait avec quelques amis; elle lui donne tout ce qu'elle avait. Les amis qui étaient avec elle parlent de charité, se mettent à louer la bonté de son cœur, etc. Quand elle a essuyé ses larmes: «Je n'accepte point vos louanges, leur dit-elle. Cet enfant m'a demandé l'aumône d'une manière sublime. J'ai vu en un clin d'œil, tous les malheurs de sa mère, la misère de leur maison, le manque de vêtements, le froid qu'ils souffrent bien des fois. Je serais une grande actrice si, dans l'occasion, je pouvais trouver un geste exprimant le profond malheur avec cette vérité.»

Ce sont, je crois, des milliers d'observations de ce genre, dont madame Pasta avait la conscience dès l'âge de six ans, qu'elle se rappelle distinctement, et dont elle se sert à la scène dans le besoin, qui lui valurent son talent et lui ont servi de modèle. J'ai entendu dire à madame Pasta qu'elle a les plus grandes obligations à de'Marini, l'un des premiers acteurs d'Italie, et à la sublime Pallerini, l'actrice formée par Viganò pour jouer dans ses ballets les rôles de Myrrha, de Desdemona et de la Vestale.

91Quels plaisirs ravissants ne devrions-nous pas à Romberg par son violoncelle, s'il avait l'âme passionnée de Werther au lieu de l'âme candide et honnête d'un bon bourgeois allemand! Mademoiselle de Schauroth, âgée de neuf ans, et pianiste célèbre, annonce toute la folie du génie.
92Transcrire dans la partition des Horaces, les paroles de l'air célèbre: Quelle pupille tenere, telles qu'elles sont chantées.
93C'est un tour de force qui fait, a chaque fois, l'étonnement des dilettanti, que de voir la même voix chanter un soir Tancrède, et trois jours après Desdemona.
94Je pense que madame Pasta est destinée à faire la fortune du compositeur qui fera pâlir l'étoile de Rossini. Elle est sublime dans le genre simple, et c'est par là qu'il faut attaquer la gloire de l'auteur de Zelmire.
95C'est ce qu'elle a prouvé en chantant Tancrède et le rôle de Curiazio dans les Horaces de Cimarosa: Roméo et Médée.
96La clarinette, par exemple, a deux registres. Les sons bas ne semblent pas de la même famille que les sons aigus. Je placerai ici un fait d'histoire naturelle observé à Londres cette année: les sons aigus de la clarinette et du piano ne troublent nullement les animaux féroces, le lion, le tigre, etc., tandis que les sons bas les font entrer en fureur sur-le-champ. Il semble que pour l'homme l'effet contraire aurait lieu. Peut-être les sons bas ressemblent-ils à des rugissements. Voir les expériences faites au Jardin-des-Plantes vers 1802; on donna un concert aux éléphants. Je ne sais si les naturalistes eurent assez de bon esprit pour rapporter avec simplicité les résultats de cet essai, et pour laisser échapper une si belle occasion de faire de l'éloquence. Ce sont de terribles gens quand ils veulent être sublimes, et qu'ils voient une croix de plus au bout d'une phrase sonore.
97Madame Todi chanta à Venise en 1795 ou 1796, et à Paris en 1799. Il y a, comme vous savez, des gens qui soutiennent que la musique la plus nouvelle est toujours la meilleure, et l'on est bien loin d'être d'accord sur l'excellence de la musique des diverses époques du dernier siècle. Tout le monde pense, au contraire, que de 1730 à 1780, le chant a atteint le plus haut degré de perfection; cet art délicieux n'existait plus que chez des gens fort âgés, à la fin du XVIIIe siècle. Aujourd'hui il y a plusieurs belles voix, et cinq ou six talents pour le chant: Velluti, madame Pasta, Davide, mademoiselle Pisaroni, madame Belloc, etc. Leur goût est plus sage et plus pur, et peut-être leur habileté moins grande que celle des soprani qui florissaient vers 1770.
98Cette pacatezza des gestes et du chant distingue madame Pasta de toutes les grandes actrices que j'ai vues.
99Le maître à chanter de madame Pasta, M. Scappa de Milan, est dans ce moment à Londres, où sa méthode a le plus grand succès.
100Soirée du 2 octobre 1823; jamais peut-être madame Pasta n'a eu dans son chant des inspirations plus sublimes; j'ai reconnu dans la Rosa bianca plusieurs agréments de la prière de Desdemona.
101Dans l'amour-passion, on parle souvent un langage qu'on n'entend pas soi-même; l'âme se rend visible à l'âme, indépendamment des paroles employées. Je soupçonnerais qu'il y a souvent un effet semblable dans le chant; mais comme en amour le naturel est indispensable, il faut que la vois exécute une chose inventée pour elle, qui ne la gêne pas, et que l'âme du chanteur trouve délicieuse, au moment où il chante.
102Voir le Corsaire du 3 octobre 1823.
103C'est envers de tels artifices de chant que l'imperturbable et savante rigidité de l'orchestre de Louvois est cruelle. Cet orchestre, composé de gens cent fois plus habiles que les symphonistes italiens de 1780, eût rendu impossibles Pacchiarotti et Marchesi. Il contrariera tous les grands chanteurs que nous pourrions avoir à Paris; et pour peu que ceux-ci soient intimidés par la science trop réelle de nos symphonistes, nous ne verrons jamais la partie improvisée du beau chant.
104Les sots applaudissent quand la majorité applaudit; mais pour être transporté d'admiration, il faut avoir une âme, chose rare.
105Le beau idéal dans tous les genres n'a qu'une mesure raisonnable; c'est le degré de notre émotion.