Pour Toi, Pour Toujours

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Elle ouvrit la boîte en carton, et une odeur de poussière s’en échappa. Comme la plupart des boîtes, celle-ci était remplie de peluches. Emily fut surprise de voir que Charlotte en avait possédé autant. Elle n’avait presque aucun souvenir de sa sœur jouant avec des ours ou des poupées. Elles avaient passé la plupart de leur temps à imaginer des mondes et à faire semblant. À part leurs poupées de chiffon jumelles et l’ours préféré de Charlotte, Andy Pandy, Emily ne se souvenait pas du tout qu’elles aient un déjà joué avec de tels jouets.

Mais alors qu’elle sortait un jouet rose délavé, Emily sentit soudain une vague de souvenirs monter en elle. Elle retourna le jouet dans ses mains et vit qu’il s’agissait d’une licorne, dont la corne à paillettes, autrefois brillante, était maintenant terne.

— Diamant, murmura-t-elle à haute voix. Le nom du jouet lui était revenu avant même que son esprit ne se soit mis en marche.

Soudain, elle ressentit une sensation familière, un tourbillonnement, qu’elle n’avait pas ressentie depuis très longtemps. Elle glissait dans le passé, dans ses vieux souvenirs.

Les flashbacks avaient commencé dès son retour à l’hôtel. Au début, ils avaient été terrifiants, des souvenirs effrayants comme la nuit où Charlotte était morte et les disputes entre ses parents. Mais avec le temps, au fur et à mesure qu’elle intégrait ces souvenirs refoulés, Emily avait commencé à éprouver certains des plus agréables. Des moments où Charlotte et elle avaient joué ensemble ; avaient été insouciantes. Ce souvenir emplissait Emily d’une sensation de calme, et elle savait qu’il allait être plaisant.

Elle et Charlotte étaient dans le grenier, dans l’une des pièces que son père avait remplies d’objets anciens. Sur le sol à côté d’elles se trouvait un globe terrestre en bronze, et Charlotte le faisait paresseusement tourner avec un doigt. À côté de Charlotte, il y avait Diamant, la belle licorne. Flambant neuf, rose, soyeuse, avec une corne pailletée.

— Diamant est triste, dit Charlotte à Emily.

— Pourquoi ? demanda Emily, curieuse, en entendant une voix d’enfant sortir de sa gorge.

— Parce qu’elle est la dernière licorne, explique Charlotte. Elle n’a pas d’autres amis licornes.

— C’est triste, répondit Emily. Peut-être que tu devrais l’entraîner dans une aventure pour lui remonter le moral ?

Charlotte semblait se redresser à cette suggestion.

— Où veux-tu aller, Diamant ? lui demanda-t-elle. Puis elle fit tourner le globe doré et l’arrêta avec un doigt tendu. C’était une petite île à l’est du continent américain. Diamant veut aller sur une île, dit Charlotte à Emily.

Emily hocha de la tête.

— Dans ce cas, on ferait mieux de monter sur le bateau.

Elles sortirent de vieilles chaises et de vieilles tables basses, dérangeant la poussière et remuant l’odeur de moisi, puis les arrangèrent de manière à satisfaire leur imagination et à construire un bateau. Puis elles se servirent d’un rideau élimé comme d’une voile et montèrent dans leur bateau avec Diamant.

Emily pouvait presque sentir le vent dans ses cheveux tandis qu’elles traversaient l’océan vers un rivage lointain. Charlotte utilisait un kaléidoscope comme longue-vue, balayant la pièce comme si elle cherchait quelque chose.

— Terre en vue ! s’écria-t-elle soudain.

Emily jeta l’ancre – qui était en fait un cintre en bois attaché à un cordon de rideau. Puis elles sautèrent du bateau et nagèrent jusqu’à la rive.

Haletant sous l’effort, les deux filles commencèrent à explorer l’île, fouillant dans les piles d’antiquités, en prétendant que c’était un volcan.

— Regarde là-dedans, cria Charlotte à Emily. Dans le volcan !

Emily regarda derrière le porte chapeau que Charlotte montrait du doigt.

— Je n’y crois pas ! s’exclama-t-elle, jouant le jeu.

Les yeux de Charlotte étaient écarquillés.

— C’est le reste des licornes, dit-elle. Puis elle parla hâtivement à Diamant. Son visage se décomposa. Diamant veut descendre le volcan pour être avec elles, dit-elle à Emily.

— Oh, dit Emily, un peu triste. Même si ça veut dire nous quitter ?

Charlotte regarda sa chère licorne et hocha de la tête.

— Elle dit que c’est son île natale. Qu’elle lui manque beaucoup, ainsi que tous ses amis. Elle veut vivre ici. Mais on a le droit de venir lui rendre visite.

— C’est bon alors, dit Emily.

Elles nouèrent les manches de leurs cardigan pour faire une balancelle pour Diamant. Puis elles firent descendre la licorne derrière les meubles et la laissèrent là.

— Tu es triste de lui dire au revoir ? demanda Emily à Charlotte alors qu’elles remontaient dans leur bateau de fortune.

Charlotte secoua la tête.

— Non. Parce que je sais que je la reverrai.

Emily revint soudain au présent. Elle tenait fermement Diamant contre sa poitrine, et la tête du jouet était mouillée de ses larmes. D’une part, elle se sentait désespérément triste, car elle savait que Charlotte n’avait jamais eu la chance de revoir Diamant. Mais une autre partie d’elle débordait de joie. Le jouet était un signe de Charlotte, Emily en était certaine. Diamant avaient été laissée sur cette île, à l’arrière des meubles, complètement oubliée jusqu’à ce moment, peut-être même spécifiquement pour ce moment.

Elle serra Diamant dans ses bras, puis la plaça, de façon émouvante, sur l’étagère surplombant le berceau de la petite Charlotte. Elle sentait que le cercle de la vie se poursuivait, et elle souriait en sachant qu’une fois Charlotte arrivée, un ange gardien veillerait sur elle pendant son sommeil.

*

Emily se blottit dans son lit à côté de Daniel. La journée avait été longue et fatigante, et elle s’était rapidement assoupie.

— Je n’arrive pas à croire que nous possédions une île, murmura-t-elle dans l’obscurité alors qu’elle commençait à s’endormir. Mon avenir n’a plus rien à voir avec ce que j’avais en tête avant.

Daniel laissa échapper un rire endormi.

— Comment ça ?

— Eh bien, je n’aurais jamais cru être mariée et enceinte. Je n’aurais jamais cru avoir Chantelle, ou cette hôtel. Elle caressa la poitrine de Daniel pendant qu’elle se levait et retombait lentement.

— Je n’aurais jamais pensé que j’aurais Chantelle ou l’hôtel non plus, répondit-il.

— Mais tu es heureux de les avoir ?

— Bien sûr.

— Tu es content qu’on ait une autre fille ?

Il l’embrassa sur le front.

— Je suis très heureux, lui dit-il.

— Et que notre fille retourne à l’école demain, où elle réussit fabuleusement bien ?

Daniel rit encore.

— Oui. Je suis content que Chantelle réussisse à l’école.

Emily sourit, satisfaite. Le sommeil semblait prêt à la cueillir.

— Je ne suis triste que pour une chose, dit-elle.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Le fait que mon père ne sera pas là pour profiter de tout ça avec nous.

Daniel se tut alors. Elle sentit ses bras se serrer autour d’elle.

— Je sais, dit-il. Moi aussi, je suis triste pour ça. Mais profitons au maximum du temps que nous avons avec lui. Faisons en sorte que chaque jour soit aussi bon que possible. Faisons en sorte que chaque jour compte.

Emily acquiesça d’un signe de tête.

— Je pense que nous avons fait en sorte qu’aujourd’hui compte, dit-elle en baillant. Nous avons acheté une île, après tout. Ce n’est pas tous les jours que ça arrive.

Elle sentit le thorax de Daniel trembler de rire. Elle se serra encore plus contre lui, emplie de joie et débordant d’amour. Enlacés dans les bras l’un de l’autre, leurs battements de cœur se synchronisèrent. Ils s’endormirent à l’unisson, en parfaite harmonie, deux personnes unies par l’amour.

CHAPITRE QUATRE

Emily prit une dernière gorgée de son café décaféiné et posa la tasse sur la table de la cuisine. Elle avait dormi profondément, mais s’était réveillée groggy – en partie parce que le réveil était réglé une heure plus tôt que ce à quoi elle s’était habituée pendant l’été, et un peu de caféine aurait vraiment pu lui être bénéfique. C’était probablement ce qu’elle attendait avec le plus d’impatience une fois que Charlotte serait arrivée, ce qui lui manquait le plus et ce qu’elle désirait le plus. Elle regardait Daniel avec envie pendant qu’il buvait le sien de l’autre côté de la table.

— Bien, chérie, dit Emily en regardant Chantelle. C’est l’heure d’aller à l’école.

Chantelle était assise, la tête inclinée sur un tas de pièces d’horlogerie, la langue tirée au coin de la bouche, en pleine concentration. Son bol de céréales vide était à côté d’elle, écarté n’importe comment afin qu’elle puisse poursuivre sa tâche.

— Je ne peux pas avoir cinq minutes de plus ? demanda-t-elle, si absorbée par sa tâche qu’elle ne leva même pas les yeux. J’ai juste besoin de déterminer où mettre ce rouage.

Depuis son retour d’Angleterre, Chantelle était déterminée à faire une horloge comme Papa Roy. Emily trouvait très gentil que Chantelle ait été si inspirée par son grand-père, mais cela lui brisait aussi le cœur en même temps. Elle et Daniel n’avaient pas encore annoncé à Chantelle la nouvelle de la maladie de Papa Roy ; la jeune fille serait complètement anéantie quand elle l’aurait perdu. Ils le seraient tous.

Daniel prit alors les commandes.

— Non, désolé, chérie. Tu dois arriver à l’heure pour rencontrer ton nouvel instituteur et tes nouveaux camarades de classe.

Chantelle posa son tournevis avec un soupir réticent.

 

— D’accord.

Emily aurait aimé pouvoir convaincre Chantelle de faire son travail sale et huileux dans un endroit plus approprié – le garage, ou la remise, ou à peu près n’importe tant que ce n’était pas la table de la cuisine, vraiment. Mais Chantelle ne voulait pas en entendre parler. Papa Roy réparait des horloges sur la table du petit-déjeuner, alors Chantelle devait faire de même !

Ils se dirigèrent tous ensemble vers la camionnette. Daniel prit le volant, car Emily trouvait qu’il était trop inconfortable de caler son ventre en pleine expansion derrière le volant. Chantelle sauta à l’arrière sur son siège auto.

— J’ai hâte que la petite Charlotte vienne avec nous à l’école, dit-elle en jetant un coup d’œil au siège bébé qu’ils avaient récemment installé (sur l’instance d’Amy, bien sûr, car on ne sait jamais quand le bébé pourrait décider d’arriver et la dernière chose à faire serait de trafiquer avec un siège complexe tout en étant aux prises avec des contractions pénibles).

— Moi aussi, dit Emily en posant ses mains contre son ventre tendu. Il semblait devenir de plus en plus inconfortable à chaque jour qui passait.

— D’abord, elle ne fera qu’accompagner pendant le trajet, mais elle ne tardera pas à franchir ces portes avec toi, dit Daniel en gloussant. Elle sera en maternelle avant même qu’on s’en rende compte.

Emily se sentit pensive à cette idée. Elle savait ce que Daniel voulait dire, que le temps passait vite, qu’ils devaient apprécier chaque instant car il disparaîtrait comme le sable s’écoulant dans un sablier. Mais l’avenir auquel Daniel faisait allusion était aussi celui dans lequel son père était décédé depuis longtemps. Il ne serait pas là quand Charlotte entrerait en maternelle. Il ne verrait jamais les nombreuses photos qu’Emily prendrait des deux filles allant à l’école ensemble, main dans la main. Cet avenir, bien qu’elle ait hâte de le vivre d’un côté, serait aussi plein de chagrin de l’autre. Elle serait une personne différente, changée irrémédiablement par la perte de Roy.

Ils empruntèrent les routes familières de Sunset Harbor et se dirigèrent vers le parking de l’école. Il était déjà très occupé avec des parents impatients de déposer leurs enfants après les longues vacances d’été.

— C’est Bailey ! s’écria Chantelle en montrant du doigt l’endroit où sa meilleure amie jouait dans l’herbe. Les cheveux de Bailey, normalement indisciplinés et auburn, avaient été coiffés en deux longues tresses. Emily ne l’avait jamais vu aussi présentable. Mais avec qui est-elle ? ajouta Chantelle.

Bailey jouait avec une enfant qui ne lui était pas familière, une fille très maigre et pâle aux cheveux blonds longs et lisses.

— Je ne sais pas, dit Emily. Je ne l’ai jamais vue avant.

Daniel se gara et ils sortirent de la camionnette. Emily remarqua Yvonne, appuyée contre son 4x4, bavardant avec Holly, une autre des mamans qu’elle connaissait bien.

— Pourquoi tu n’irais pas lui dire bonjour, lui dit Daniel. Je peux m’occuper de Chantelle et la laisser à l’institutrice.

Emily réfléchit. Elle voulait rencontrer la nouvelle enseignante, mais elle avait envie de renouer avec les amis dont la compagnie lui avait manqué pendant l’été.

— Je serai super rapide, lui dit-elle, en déverrouillant d’une main la portière côté passager et en l’ouvrant.

Daniel gloussa et se dirigea vers les marches où tous les enseignants étaient rassemblés pour surveiller la récréation du matin.

Emily alla voir Yvonne et fit un gros câlin à son amie. Puis elle étreignit aussi Holly.

— Comment s’est passé votre été ? demanda Emily.

Holly rougit alors. Yvonne semblait retenir un sourire en coin.

— C’était génial, dit Holly à Emily. Logan et moi avons emmené les enfants à Vancouver pour rendre visite à de la famille.

— Et… la poussa Yvonne.

Emily fronça les sourcils, regardant d’une femme à l’autre.

— Et… dit Holly, qui rougissait de plus en plus. Je suis enceinte.

Emily écarquilla les yeux.

— Tu plaisantes ! s’exclama-t-elle.

Holly secoua la tête. Elle avait l’air timide, mais ravie.

— Je suis si heureuse pour toi, s’écria Emily en l’embrassant à nouveau. Nos bébés pourront s’amuser ensemble.

— Avec Robin, ajouta Holly, faisant allusion au nouveau fils de Suzanna, qui n’avait que deux mois.

— Ils pourront être un petit gang, ajouta Emily en riant.

Yvonne fit alors la moue.

— Argh, je suis jalouse. J’aurais aimé en avoir un autre.

— C’était prévu ? demanda Emily à Holly. Tu rougis comme si ce n’était pas le cas !

— Non, lui dit Holly. C’était une surprise. Bienvenue, mais Minnie n’a même pas encore un an, alors on ne pensait pas que c’était possible ! Mais à Vancouver, les enfants étaient gâtés par la famille et nous avons pu nous reposer et sortir ensemble et, eh bien, une chose en entraînant une autre.

Tout le monde rit. Emily se sentait heureuse d’être de nouveau en compagnie de certains des autres parents d’élèves. Même si Yvonne était une de ses meilleures amies, et Suzanna dans une moindre mesure, le cercle plus large de parents amis dépendait beaucoup du contexte. Elle réalisa alors que leur compagnie lui avait manqué, qu’avoir des gens avec qui partager les épreuves et les tribulations de la paternité et de la maternité lui manquait aussi.

— Regardez ma petite Bailey, dit Yvonne en jetant un coup d’œil vers la cour de récréation. Elle a pris la nouvelle fille sous son aile.

Emily regarda et les vit toutes les deux filer autour de la cour de récréation. Chantelle, remarqua-t-elle, ne jouait pas avec elles. Au lieu de cela, elle était avec les garçons, Toby, Levi et Ryan, engagée dans un jeu beaucoup plus brusque. Elle se demandait pourquoi ils ne jouaient pas tous ensemble.

À couvert, Yvonne murmura :

— J’espère qu’elle ne l’invitera pas à venir pour les goûters. J’ai rencontré la mère ce matin. Elle a l’air aussi aigrie que sa fille. Et la gamine s’appelle Laverne.

Emily ne put s’empêcher de rire. C’était si bon d’être de nouveau avec ses amis parents, aux portes de l’école. La dernière fois qu’elle avait fait ça, tout était nouveau et étrange. Chantelle était sortie de nulle part et avait bouleversé la vie d’Emily. Mais elle n’aurait pas voulu changer les choses maintenant. Devenir maman avait été la meilleure expérience de sa vie, et elle aimait ce sentiment, les possibilités que cela lui avait offertes et les gens qu’elle avait rencontrés grâce à cela.

Elle se retourna et vit Suzanna s’approcher, le petit Robin attaché contre sa poitrine, ses petits pieds s’agitant à chaque pas qu’elle faisait. Ce serait bientôt Emily, réalisa-t-elle, le cœur gonflé à cette idée – à la fois d’excitation et d’anxiété. Charlotte allait à nouveau tout changer, comme Chantelle l’avait fait. Et Roy ne serait pas là pour la soutenir pendant tout ce temps. Mais en regardant de Suzanna à Yvonne en passant par Holly, elle savait qu’elle avait à ses côtés les meilleures personnes au monde pour la protéger. Elle pourrait le faire. Elle pouvait tout faire avec l’aide de ses amies.

Elle se rendit alors compte qu’elle avait été tellement occupée à prendre des nouvelles de toutes ses amies qu’elle avait perdu la notion du temps.

— Je ferais mieux d’aller rencontrer la nouvelle institutrice, leur dit-elle en se tournant vers les marches.

Mais au même moment, elle remarqua Daniel qui s’approchait. Il regardait sa montre avec une expression alarmée.

— Daniel ! s’écria Yvonne avec enthousiasme.

— Bonjour tout le monde, dit-il en se faufilant jusqu’au groupe de mamans. J’ai peur de ne pas pouvoir m’arrêter pour bavarder, je dois aller travailler. Il se tourna vers Emily. Je te dépose toujours chez Joe ?

— Puis-je d’abord me présenter à l’institutrice ? demanda Emily.

Daniel regarda sa montre, tendu.

— Euh… eh bien… dit-il, un peu agité.

Emily pouvait sentir qu’il avait clairement hâte de faire bonne impression à son nouveau poste au travail. Elle décida de laisser tomber et de ne pas faire d’histoires.

— Ne t’inquiète pas, lui dit-elle en cédant. Je peux rencontrer la nouvelle institutrice au moment de récupérer Chantelle.

Elle dit au revoir à chacune de ses amies, triste d’être arrachée à leur merveilleuse compagnie, et se dirigea vers la camionnette avec Daniel.

— Nous rattraperons bientôt le temps perdu, dit-elle par-dessus son épaule, en faisant signe de la main pendant qu’ils remontaient à l’intérieur.

En claquant la portière de la voiture, Emily se tourna vers Daniel.

— Rappelle-moi de ne pas prendre de café avec Amy les jours d’école. Du moins, pas avant d’avoir repris le volant de ma propre voiture !

La liberté qu’elle avait avant sa grossesse lui manquait. Le fait de ne pas avoir rencontré l’enseignante la faisait se sentir mal. Elle espérait ne pas avoir fait mauvaise impression à cause de cela. Elle ne voulait pas avoir l’air d’un parent désintéressé, distrait et égocentrique.

Daniel sortit du parking, en direction de la ville.

— Alors, comment était l’institutrice ? lui demanda Emily.

— Mademoiselle Butler, l’informa Daniel. Il haussa les épaules, comme s’il n’y avait pas prêté beaucoup d’attention. Elle semblait un peu plus sévère que mademoiselle Glass. Un peu plus vieille, un peu moins complaisante.

— Je me demande comment Chantelle va s’adapter à elle, s’interrogea Emily. La petite fille avait parfois du mal avec les figures d’autorité. L’approche douce fonctionnait bien avec elle, mais l’essentiel pour Chantelle était vraiment de connaître les limites. Tant qu’elle savait ce que l’on attendait d’elle, elle pouvait exceller. Elle espérait simplement que cette nouvelle institutrice plus sévère avait la patience nécessaire pour y arriver.

— Gail était là aussi, dit Daniel. Elle sera encore la thérapeute de Chantelle cette année.

— C’est un soulagement, répondit Emily en repensant à son père. Chantelle aurait plus que jamais besoin de l’aide de Gail cette année. Non seulement à cause de la constance que Gail lui donnait, mais aussi à cause des expériences à travers lesquelles elle aurait besoin d’être guidée cette année.

— Alors de quoi toi et Amy allez-vous discuter aujourd’hui ? demanda Daniel.

Sa question tira Emily de sa rêverie angoissée.

— Je ne suis pas sûre, mais je pense de Harry. As-tu remarqué quelque chose d’étrange entre eux sur l’île ?

— Pas du tout, dit Daniel, déconcerté.

Cela ne surprenait pas vraiment Emily que Daniel n’ait pas remarqué les nuances dans le comportement d’Amy. Amy était sa meilleure amie après tout ; elle la connaissait par cœur et savait lire les moindres signes dans son expression.

— Il vaudrait mieux qu’ils ne se séparent pas, dit Daniel avec sévérité alors qu’il s’engageait sur une route secondaire. Nous sommes sur le point d’ouvrir le restaurant. Je ne veux pas qu’Harry sale la soupe avec ses larmes !

Emily gloussa.

— Je suis sûr que ce n’est pas ça. C’est probablement le contraire, je pense. Amy est prête à l’épouser mais elle veut que je lui dise qu’elle ne va pas trop vite. Tu te souviens de ce qui s’est passé avec Fraser ?

— Comment pourrais-je oublier, dit Daniel avec une grimace.

Ils arrivèrent au restaurant de Joe et Daniel se gara. Il embrassa Emily, et elle glissa de son siège hors de la camionnette, ne pouvant plus sauter d’un bond comme elle l’avait fait avant de prendre sept kilos avec sa grossesse.

— Passez une bonne journée au travail, lui dit-elle.

Il sourit et agita la main, puis s’éloigna. Emily entra dans le restaurant.

— Tiens, voilà Emily Mitchell, s’exclama Joe en entrant. Je ne t’ai pas vu depuis longtemps !

Elle la serra dans ses bras.

— C’est Emily Morey maintenant, n’oublie pas, lui dit-elle.

— Bien sûr, dit Joe en riant. Et dire que vous avez passé votre premier rendez-vous ici. Il rayonnait. Café ?

Emily se caressa le ventre.

— Un déca, s’il te plaît.

Joe partit faire du café pendant qu’Emily trouvait le box où Amy était déjà assise.

— C’est comme au bon vieux temps, n’est-ce pas ? dit Amy en embrassant son amie. Prendre un café avant le travail, chaque fois que nous le pouvions, bien sûr. Petits déjeuners, déjeuners et cocktails le soir.

— Des cocktails ! s’exclama Emily en se tapotant l’estomac. Ne me rappelle pas ça. Elle rit. C’est merveilleux de t’avoir plus souvent dans les parages. Et tu as raison, c’est comme au bon vieux temps, sauf qu’il n’y a pas de gratte-ciels ou de rangées de taxis jaunes. Elle sourit en se souvenant de leur ancienne vie à New York. Cela faisait si longtemps maintenant. Alors, c’est quoi le problème ? demanda-t-elle à Amy. Comment ça va ?

 

Amy se mordillait la lèvre comme si elle se demandait si elle allait se confier. Elle décida clairement de ne pas se retenir et se lança dans le vif du sujet.

— C’est Harry. On se dispute.

— Oh, dit tristement Emily. C’est vraiment dommage. Je suis désolée.

Amy haussa les épaules et poussa son petit carré blond derrière ses oreilles.

— C’est inévitable, n’est-ce pas ? La distance. Le fait que nous venons de mondes différents. Je veux dire, je plaisante sur le fait que les choses sont comme elles l’étaient à New York, mais elles ne pourraient pas être plus différentes. Je ne sais pas si je peux m’engager à vivre ici. Comment as-tu fait ?

Emily réfléchit à la question.

— Honnêtement, je pense que New York n’avait plus rien à m’offrir.

— Oh merci, dit Amy en faisant la moue.

— Je ne parle pas de toi ! s’exclama Emily en faisant marche arrière. Je veux dire, sur le plan de la carrière et des relations. La situation avec maman était horrible. Puis Ben était un abruti et fuir m’a semblé être la bonne chose à faire. Venir ici m’a forcé à affronter beaucoup de choses. Tu sais, avec mon père et la mort de Charlotte. C’était juste logique que je me retrouve ici. Puis il y a eu Daniel. Elle sourit en se rappelant l’avoir rencontré pour la première fois. L’hésitation qu’elle avait ressentie, la résistance à se laisser séduire par quelqu’un de nouveau. Mais les risques pris avaient tous porté leurs fruits.

— Donc, en gros, tu dis que je dois rénover une vieille maison, monter une entreprise et me trouver moi-même, dit Amy en gloussant.

— Et tomber amoureuse, ajouta Emily. Donc tu as coché une case.

Amy soupira.

— Je sais, je sais. Ça rend les choses plus difficiles. Je ne veux pas m’éloigner de ce que j’ai avec Harry, mais je ne sais pas si je peux être heureuse ici.

Emily tendit la main de l’autre côté de la table et prit celle de son amie.

— Est-ce à cause de ce qui s’est passé avec Fraser ? Je ne veux vraiment pas que cette mauvaise expérience vienne gâcher ça. Parce que je suis sûre que tu peux dire que c’est complètement différent. Ce que toi et Harry avez est mille fois mieux que ce que toi et Fraser aviez.

— C’est vrai ? dit Amy d’une voix tendue. Au moins, Fraser et moi venions des mêmes mondes. Nous voulions des choses similaires. Vacances, carrières et maison. Des enfants, mais il y aurait une nounou pour aider, évidemment. Harry est le contraire de ça. Il est… Je ne sais pas. Rustique ? Il est….

— ….il est Sunset Harbor, dit Emily avec un signe de tête résolu. Elle savait exactement où Amy voulait en venir. Mais dois-je te rappeler que Fraser était infidèle ? Harry ne ferait jamais ça. Il est honnête, gentil et loyal. C’est ce qu’on a avec un homme de Sunset Harbor.

Joe arriva avec leurs gaufres et le café d’Emily. Les deux amis s’installèrent, poursuivant leur conversation.

— Le truc, ajouta Amy, c’est que tu n’as jamais eu à t’inquiéter pour ça. Par exemple, Daniel et toi n’aviez pas à débattre à propos de la distance ou pour savoir qui déménagerait où. Ça allait de toute manière être ici. Mais Harry et moi en parlons sans cesse. Pourrions-nous être un couple à distance ? Puis-je vraiment laisser ma vie derrière moi, mon affaire, pour un homme ? C’est contre tout ce que je défends !

Emily sourit et soupira.

— Amy, c’est vraiment ce qui te retient ? Ou est-ce autre chose ?

Amy mâchait lentement sa gaufre.

— Honnêtement, je ne sais pas. Je suis tellement indécise.

— Tu crois qu’il serait possible que tu aies juste peur ? demanda Emily. Je sais que tu n’as pas peur, que tu es une femme d’affaires sûre d’elle et pragmatique, mais y a-t-il une petite chance que tu aies peur du fait que Harry t’adore et qu’il puisse être le bon, et que si tu déménages ici et prends ce risque, tu puisses être heureuse ?

— Je suppose, dit Amy. Mais ce n’est pas du bonheur dont j’aie peur. C’est du contenu. C’est….l’ennui.

Elle regarda Emily d’un air désolé. Emily savait qu’Amy était en train de suggérer que la vie à Sunset Harbor était ennuyeuse, mais elle s’en fichait. Elle ne changerait pour rien au monde. Si ça était ennuyeux, elle le choisirait plutôt que n’importe quelle journée excitante !

— Peut-être que je devrais retourner en ville un moment, dit Amy. Me vider la tête. Faire le point avec l’entreprise. Me souvenir de mes racines, tu vois ?

— Si tu penses que ça peut aider, dit Emily. Elle embrocha un morceau de gaufre et le mit dans sa bouche. Je ne suis pas retournée à New York depuis des lustres.

Amy écarquilla alors les yeux.

— Oh mon Dieu ! Viens avec moi !

Emily la regarda, surprise.

— Hum…

— S’il te plaît, Em, ajouta Amy. On peut passer un long week-end ensemble. Je vais t’organiser une baby shower, puisque la dernière a été un fiasco.

Emily rougit en se souvenant qu’elle s’était enfuie maladroitement de la fête prénatale qu’Amy avait organisée pour elle. Elle ne pouvait s’empêcher d’hésiter.

— S’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît, poursuit Amy. Tu mérites un peu de temps libre. Et le pic d’activité de l’été est terminé. Je suis sûre que l’hôtel peut survivre sans toi pendant quelques jours. Amy claqua alors des doigts. Et si on organise une baby shower à New York, ta mère peut venir !

Emily eut instantanément un mouvement de recul.

— D’accord, maintenant je ne veux vraiment pas venir, dit-elle, se souvenant de l’énorme dispute qu’elle et Patricia avaient eu la dernière fois qu’elles s’étaient parlées. En fait, à chaque fois qu’elles se parlaient.

— Em, dit Amy sur un ton maternel. Elle est sur le point de devenir grand-mère pour la première fois. Combien de temps va durer ce fossé entre vous ?

— Pour toujours, dit Emily, maussade. Tu as rencontré ma mère, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle avec ironie.

Mais en y réfléchissant, elle se rendit compte qu’il y avait une chose de très importante dont elle devait parler à sa mère, quelque chose qui ne pouvait pas être fait par téléphone. Et c’était la maladie de Roy. Elle devait savoir.

— En fait, dit Emily, je n’ai que trop tardé pour me rendre à New York. Peut-être que ma mère sera moins pénible sur son propre territoire.

Amy frappa dans ses mains.

— Vraiment ? Ce week-end ?

Emily haussa les épaules.

— J’imagine que oui.

Quand était-ce le bon moment pour dire à sa mère que son ex-mari allait mourir ? Il ne semblait pas y avoir de solution pour Emily, alors le week-end qui approchait était un moment aussi bien qu’un autre.

Amy faisait des bonds sur sa chaise, excitée.

— Ça va être tellement amusant. Je vais le dire à Harry.

Elle prit son téléphone portable et tapa son numéro. Au même moment, celui d’Emily se mit à sonner.

Elle le sortit de sa poche et répondit en même temps qu’Amy. C’était vraiment comme à l’époque de New York !

— Est-ce madame Morey ? demanda la voix à l’autre bout.

— Oui, qui est-ce ?

— C’est mademoiselle Butler, la professeure de Chantelle. Désolé de vous déranger, mais il y a eu un incident. Je pense que vous devriez venir.

Emily se leva.

— Quel genre ? Est-ce que Chantelle va bien ? Elle est blessée ?

— Elle va bien, répondit mademoiselle Butler. C’est un incident comportemental.

Emily fronça les sourcils. Qu’est-ce que cela voulait dire ?

— J’arrive, dit-elle en raccrochant et en glissant son portable dans son sac à main.

Amy discutait avec Harry au téléphone, mais elle leva les yeux vers Emily, utilisant son incroyable capacité à être multitâche pour poursuivre une conversation sans paroles avec son amie sans manquer un seul instant de son appel téléphonique.

— Chantelle, dit Emily. L’école. Elle mima le fait de conduire. Daniel avait la voiture, alors Amy était son seul moyen de s’y rendre.