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Le chat de misère

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LE GARDE CHAMPÊTRE

On vient de juger les singuliers gredins qui déguisés, l'un en séducteur, l'autre en garde-champêtre, avaient extorqué à une pauvre femme, honteuse d'un commencement de péché, la somme fabuleuse de 700.000 francs. Tant d'argent que cela pour s'être assise au pied d'un chêne et avoir peut-être laissé dégrafer son corsage par une main savamment inexperte! Le crime ne fut pas poussé beaucoup plus loin, sans doute, car les séducteurs de cette espèce sont gens de sang-froid qui, convoitant d'un œil fort distrait les charmes de la dame, prêtent une oreille attentive à l'approche certaine, trop certaine du garde-champêtre. Il arriva enfin, car cela aurait pu tout de même mal tourner et les opérations suivantes en auraient été entravées. Moyennant une cinquantaine de mille francs, le garde-champêtre, ayant écrit un redoutable procès-verbal, d'où s'en suivaient au moins trois écus d'amende, consentit à le déchirer. Sauver, non pas sa vertu, mais sa réputation à ce prix-là, sembla à la dame une très bonne affaire, au séducteur aussi, non moins au représentant de la loi. Tout le monde se félicita. Cependant les deux compères, devant tant de naïveté, décidèrent de mener l'affaire jusqu'au bout et de chantage en chantage, toute la fortune de la dame, qui en valait la peine, y passa. Ce ne fut qu'après le versement de ses derniers louis qu'elle surmonta sa honte et porta plainte. Pauvre femme et pauvre psychologie féminine! Quelle pitié! Mais elles sont presque toutes comme cela. Dès qu'elles ne tiennent pas outre mesure à leur vertu, elles se rattrapent, sur la réputation. Cette malheureuse fit preuve d'un respect vraiment héroïque des jugements du monde. A sa manière, c'est vraiment une victime du devoir féminin, qui est la dissimulation.

LE CHARMEUR D'OISEAUX

Le charmeur d'oiseaux des Tuileries est menacé de devenir aveugle. On le soigne aux Quinze-Vingts. Mais s'il ne peut plus voir, il entendra encore ses petits amis ailés, car il compte bien revenir parmi eux aux heures habituelles. Il paraît que les premiers jours qu'il leur manqua, moineaux et colombes étaient fort désemparés. Sans doute, ce qu'ils regrettaient surtout, c'était les miettes de pain, mais c'était aussi la main qui les distribuait, la voix qui leur parlait, la silhouette de cet homme qui, tout entier, était bon pour eux. Car les animaux les plus craintifs et même les plus farouches ont une sympathie pour qui les aime. Ils savent entre tous le reconnaître; ils lui sont familiers avec bonheur. Mais tous ceux qui aiment les animaux, ne sont pas aptes à les apprivoiser. C'est un don, mais c'est aussi un art que l'état de charmeur d'oiseaux. Il y a beaucoup d'oisifs méthodiques dans les squares et dans les jardins; ils voudraient bien se montrer à la foule des promeneurs entourés d'un essaim piaillant de moineaux, mais ils n'ont pas le charme. Les moineaux picorent le pain, mais gardent leur méfiance. Ils arrivent en sautillant dans l'herbe, happent la miette et filent. Le vrai charmeur n'a qu'à se montrer, même sans provisions de bouche, et les oiseaux de tous côtés accourent, non plus en se dissimulant et avec des gestes apeurés, mais franchement et avec joie. C'est une fort jolie chose et qu'on regarde toujours avec plaisir. Je ne connais guère le charmeur des Tuileries, mais je me suis bien des fois arrêté à quelques pas de celui du Luxembourg. Il ne faut pas s'approcher de trop près, quand on n'est pas de la carrière. Les oiseaux ne donnent pas leur confiance au premier venu.

L'HÉRITAGE DE DICKENS

On vient d'apprendre que les quatre petites-filles de Charles Dickens sont, sinon dans la misère noire, car elles ont de petites occupations, du moins dans un état fort précaire. Cela n'est pas sans faire songer aux sommes immenses que, tant du vivant du romancier que depuis sa mort, éditeurs, dramaturges et autres, ont tirées de son œuvre, et l'on s'étonne un peu. Je ne sais pas quelle est la législation anglaise en matière de propriété littéraire, mais comme il n'y a pas encore quarante-deux ans que le romancier est mort, si les choses se passaient en Angleterre comme en France, ses héritiers toucheraient encore de notables revenus. Il faut croire qu'il en est autrement, ou que l'héritage a été vendu, ou dilapidé, ou encore que Dickens vendait ses œuvres sans en réserver les droits futurs. Enfin, le fait semble exact, les petites-filles d'un écrivain anglais aux œuvres nombreuses et populaires sont dans une situation qui les oblige de recourir à leurs amis: cela surprend presque douloureusement l'opinion. On va sans doute à ce propos reparler sans ménagement de cette propriété à temps qu'est la propriété littéraire et se redemander si un droit ne devrait pas être prélevé, au profit des descendants des auteurs, sur la vente des livres anciens, comme sur celle des livres nouveaux. Il y eut, voici peu d'années, de nombreuses discussions à ce sujet, qui n'aboutirent qu'à de trop généreux projets. Généreux? Pour les héritiers, sans doute, mais pour le public. Se souvient-on de la phrase par laquelle débutent les Caractères de La Bruyère: «Je rends au public ce qu'il m'a prêté…»? On peut y trouver ce sens, que si la forme d'une œuvre de l'esprit appartient à celui qui l'ordonne, la matière est du domaine de tous et qu'elle doit un jour ou l'autre être rendue à tous. D'ailleurs, dans la plupart des cas la propriété de l'œuvre littéraire au bout d'un certain nombre d'années, a perdu toute espèce de valeur et l'extension de sa durée ne profiterait qu'à un très petit nombre de privilégiés. Tout de même, à bien réfléchir, on sent une injustice dans la loi actuelle. Sans doute, mais la question est de savoir si la transformation de la propriété temporaire en propriété perpétuelle ne serait pas d'une injustice plus grande encore.

LA DANSEUSE NUE

On a vu ici même hier que la danseuse, Adorée Villany, fut récemment poursuivie pour avoir dansé en public sans voile et que son procès ne put avoir lieu, la police n'ayant pu découvrir, parmi près de trois mille spectateurs, un seul plaignant. Cela s'est passé à Munich. Si je reviens sur cette histoire, c'est que je crois bon d'y ajouter quelques réflexions et d'appuyer un peu sur le désaccord qu'on y voit entre la morale officielle et courante et celle qui régit les groupes les plus intelligents de la société moderne. Il y a aujourd'hui, et il y eut peut-être toujours, même sous le règne du christianisme le plus sévère, quantité de gens auxquels il est impossible de faire comprendre qu'il est salutaire et moral de contempler une statue nue, mais malsain et immoral de regarder à l'état de nature le modèle de ladite statue. De plus, ils sont absolument convaincus, quoi qu'en pensent les extraordinaires moralistes, suscités peut-être par la corporation des tailleurs et chemisiers, que l'être humain vient au monde tout nu, que le nu est donc son état de nature, qu'il ne peut apparaître dans sa vraie beauté qu'à l'état de nu, et que le spectacle de la beauté étant réconfortant, il n'est rien de meilleur pour l'homme que la vue de soi-même à l'état de perfection, car je consens sans peine à ce qu'on ne dévoile que le nu parfait ou qui donne l'illusion du parfait. On comprenait encore cela il y a trois ou quatre siècles et, dans les fêtes solennelles, les magistrats commandaient aux plus belles femmes de bonne volonté de se montrer nues au peuple. Cela est rapporté, par exemple, dans le récit de l'entrée de Charles-Quint à Anvers. A la même époque il n'y avait pas encore à Paris de grandes fêtes sans l'exhibition de belles filles nues. Le Moyen Age, qui est, à bien des points de vue, spectacles, jeux, bains publics, le continuateur des mœurs antiques, ne professait nullement l'horreur du nu, et les hommes n'avaient pas encore l'hypocrisie de protester contre un spectacle que presque tous désirent dans leur cœur. Mais que les pudibonds le sachent bien, les mœurs à ce sujet sont en train de revenir aux vieux usages. A elle seule, l'anecdote de Munich le prouverait. Il y en eut de pareilles chez nous.

LE COUP DE GRACE

On contait hier cette histoire. Sur une route, collision entre une voiture et une automobile. Le cheval est massacré. On le roule vers un fossé, on envoie quérir l'équarisseur, et on attend. C'est loin, enfin il arrive. Mais alors on se ravise. Il faut que l'agent d'assurance constate l'état de la bête. L'équarisseur s'en retourne navré, non de n'avoir pas fait son métier, mais d'abandonner à sa souffrance le pauvre cheval, car cet équarisseur est une manière d'homme sensible. Enfin passe un monsieur encore plus sensible qui ne peut pas supporter ce spectacle et prend sur lui de faire achever la bête qui durait toujours et haletait toujours. L'équarisseur revient, donne le coup de grâce. Sans doute, si cela avait été un animal humain, on l'eût porté à l'hôpital; mais il n'aurait pas eu l'aumône du coup de grâce. Les chirurgiens seraient arrivés, auraient recreusé son corps, l'auraient recousu, retapé, prolongé, qui sait? peut-être remis en état de se faire traîner dans un petit chariot. Figurez-vous le réveil du monsieur qui s'aperçoit qu'il n'a plus de jambes, que son corps est scié au ras du ventre. Vaudrait-il pas mieux qu'il ne se réveillât pas du tout? C'est dans les souvenirs du baron Larrey, je crois, qu'on trouve l'histoire de ce malheureux dont un boulet avait emporté la moitié de la figure, toute la face avec les yeux, le nez, la bouche, la langue et qu'on réussit à faire vivre dix-sept jours! Il mourut de saisissement, en passant la main sur ce qui lui restait de tête. Cette humanité n'est que de la cruauté. La vie n'a aucune valeur en soi, et quand elle ne peut plus être qu'une souffrance de tous les instants, les hommes devraient avoir le courage de se l'abréger mutuellement. En vérité, l'animal dont je viens de dire la fin a encore été relativement heureux. S'il s'était agi d'une créature humaine, elle souffrirait encore, elle souffrirait sans espoir.

 

LE FLEUVE DE LAIT

J'aime beaucoup à m'arrêter un instant devant les faits qui montrent clairement la solidarité de toute la nature, des nuages et de l'herbe, de l'homme et des saisons. Un peu de pluie en excès, un peu de chaleur de trop et on s'aperçoit aussitôt avec quelle étroitesse l'homme dépend de la terre. Ses inventions, ses conquêtes ne sont rien si, au cours d'une année, le soleil a brillé vingt ou trente jours de plus que d'habitude. Il peut construire des machines volantes et les diriger à peu près, il ne peut créer un verre de lait. Le lait coule des nuages avant de jaillir au pis de la vache. Sans nuages, pas de pluie; sans pluie, pas d'herbe; sans herbe, pas de lait. Les plantes sont ingénieuses à extraire de la terre la plus desséchée l'eau dont elles se nourrissent, mais la volonté des racines a des limites au delà desquelles vient la résignation au destin, puis la mort. Et quand l'herbe meurt, les enfants meurent aussi, car ils se nourrissent de lait, que leur mère, trop civilisée, ne peut pas toujours leur fournir. C'est tout ce qui n'est pas civilisé qui maintient d'abord la vie, c'est l'eau, c'est l'herbe, ce sont les animaux. Le fondement de tout est tout ce que nous méprisons. Nous croyons que le génie naît de la civilisation. Elle le cultive seulement et encore c'est la nature seule qui lui fournit les éléments de cette culture, et nous ne sommes jamais que son humble collaboratrice. Tout ce qui nous fait vivre est né d'un peu d'argile détrempé d'un peu d'eau; le fleuve de lait qui menace de tarir n'a pas d'autre origine. C'était à peine un mythe que l'histoire de la première fabrication de l'homme. La vie naquit le jour où la première goutte d'eau tomba sur le sable qui l'attendait.

LE TYMPANON

Hier, dans une soirée originale (il n'y a rien qui ne le soit en cette rare maison), nous eûmes un concert de harpe et de tympanon. Les deux instruments ne se connaissent pas assez pour marier leurs sons. Ils se sont fait entendre l'un après l'autre et, malgré le charme de la harpe, la sympathie allait au tympanon. C'est quelque chose comme l'âme du clavecin avant qu'elle n'eût trouvé le corps d'érable ou de bois de rose où elle s'emprisonne, l'âme toute nue et qui vibre éperdument dans la fraîcheur de sa sincérité mélodieuse. Même disposition de fils et de cordelettes métalliques, mais ce ne sont pas encore des marteaux qui les frappent et les font résonner; ce sont de petits maillets très légers, gantés de peau, dont une main habile dose le poids et la touche. Pincé ou râclé avec le plectre, avec l'ongle, l'appareil du tympanon a des sons de cythare. Frappé, il donne des sons de clavecin ou de piano lointain, très doux et un peu cristallins, que renforce une table de résonnance. Bref, le tympanon a le charme des instruments de musique qui ne sont pas trop perfectionnés et dont les sons, nettement divisés, ne s'unissent que furtivement grâce à la dextérité de l'exécutant. Les harmoniques se développent avec franchise en petites arabesques dont on suit le dessin grêle et charmant. L'instrument même que nous entendîmes est ancien, don, nous disait l'artiste, de Louis XIV à un de ses ancêtres. Lulli l'a peut-être essayé. Jouait-il du tympanon? Sa musique semble faite pour cela autant que pour le violon. Je réclame un air de tympanon quand on reprendra le Bourgeois Gentilhomme, ou telle autre comédie d'alors comme Arlequin, empereur de la Lune, où il est question du tympanon, comme d'un instrument à la mode. Il le fut hier pour ceux qui l'entendirent et qui s'étonnaient qu'il ait pu être si oublié. Que de choses anciennes nous croyons ainsi avoir remplacées, sans nous douter que rien ne se remplace. Les choses, comme les gens, se succèdent, voilà tout.