Les naturalistes

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Ill. 4: Portrait de Louis Agassiz réalisé de son vivant, en 1844, sur lequel le scientifique, alors âgé de 37 ans, est mis en scène en tant que spécialiste des glaciers et des glaciations. Les rochers figurant sur sa droite représentent sans doute les surfaces polies des blocs charriés par les glaciers. A l’arrière-plan à droite, on peut voir un paysage de montagnes comportant un glacier et une moraine médiane, nettement reconnaissable. Peinture à l’huile de Frédéric Zuberbühler (1822-1896).

UNE RENCONTRE LOURDE DE CONSÉQUENCES

En 1836, l’assemblée générale de la SHSN à Soleure en 1836 lui fournit l’occasion de discuter de ses réflexions. Il y rencontre alors le naturaliste allemand Karl Friedrich Schimper (1803-1867) et son ami d’études, le spécialiste des fossiles et titulaire de la chaire d’histoire naturelle de l’Académie de Neuchâtel, Louis Agassiz (1801-1872). Charpentier entretenait une correspondance avec ce dernier depuis 1833.32 Comme il avait coutume de le faire avec d’autres naturalistes, il l’invite à passer ses vacances avec sa famille à Bex. Agassiz accepte. Au cours de l’été, Charpentier réussira à le convaincre du bien-fondé de sa théorie des glaciations, bien que Louis Agassiz se soit montré réticent au départ.33 Finalement, Agassiz demandera à Schimper de venir les rejoindre à Bex. En 1833, ce dernier avait déjà supposé un passage d’une phase chaude à une phase froide durant l’histoire de la Terre.34 Durant l’hiver 1836/37, Schimper et Agassiz élaboreront leur propre théorie des glaciations à Neuchâtel. C’est à Karl Friedrich Schimper que l’on doit la métaphore de l’«âge glaciaire» qui résume cette nouvelle théorie.35

En juillet 1837, l’Assemblée générale de la SHSN se tient à Neuchâtel. Elle est présidée par Louis Agassiz, qui profite de l’occasion pour exposer dans son discours d’ouverture la nouvelle théorie développée avec Schimper. Après s’être référé aux enseignements de Venetz et de Charpentier, expliquant que les glaciers suisses étaient jadis beaucoup plus étendus, il fait part de ses propres observations concernant les énormes blocs erratiques, aux arêtes aiguës, que l’on rencontre dans le Jura. Il en conclut que ce massif devait, lui aussi, avoir été jadis recouvert par les glaces. Au contraire de Charpentier, il rejette toutefois l’idée que ces blocs aient pu y être transportés par un gigantesque glacier alpin. Agassiz avance plutôt la thèse selon laquelle l’Europe aurait été couverte d’une couche de glace du pôle Nord jusqu’à la Méditerranée. Lorsque les Alpes se soulevèrent, elles auraient percé cette couche et des débris de roches auraient glissé jusqu’au Jura. Contrairement à Charpentier, Agassiz ne considérait pas que l’augmentation momentanée de l’altitude des Alpes avait joué un rôle décisif dans le refroidissement du climat, 36 mais qu’à la fin de chaque ère géologique, une chute soudaine de la température du globe avait entraîné «un froid glacial», éteignant toute vie sur la planète.37 Celle-ci se serait réchauffée ultérieurement, grâce à des réactions chimiques au niveau du noyau terrestre, et aurait été repeuplée à la suite d’une nouvelle création. Ainsi, des formes de vie primitives, plus anciennes, auraient disparu, laissant la place, selon Agassiz et Schimper, à de nouvelles formes de vie plus développées. Le spécialiste des fossiles Agassiz et le botaniste Schimper rejetaient l’idée d’une transformation des espèces, et donc, il ne leur restait qu’une solution: supposer des catastrophes planétaires pour expliquer la succession toujours plus complexe de formes de vie, selon eux plus développées, au cours de l’histoire de la Terre. Avec la découverte des glaciations, ces catastrophes semblaient identifiées.38 Vingt-trois ans avant la parution de l’ouvrage de Charles Darwin, On the Origin of Species, qui ouvrait de nouvelles perspectives, Agassiz et Schimper croyaient avoir trouvé dans les glaciations une explication à la succession des espèces dans l’histoire de notre planète. Cette explication, influencée par la philosophie de la nature romantique, était, certes, hautement spéculative, mais, aux yeux des deux hommes, elle aurait mérité qu’on s’y intéresse de plus près. Agassiz devait être frustré que le thème de la succession des espèces soit relégué au second plan et que l’on mette plutôt l’accent sur la question d’une glaciation durant la Préhistoire, déjà traitée par Charpentier et Venetz. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il n’a pas particulièrement mis en exergue la contribution de Charpentier à sa théorie et à celle de Schimper, et qu’il s’abstiendra, dans les publications suivantes parues dans la Bibliothèque universelle de Genève, de remercier le directeur des salines de l’avoir instruit à ce sujet. Au contraire, Agassiz se démarquera de la théorie de Venetz et de Charpentier. Il se fondait, certes, sur l’observation précise des moraines et des blocs erratiques, mais affirmait néanmoins qu’il n’avait pas l’intention de défendre les réflexions théoriques de Venetz et de Charpentier.39


Ill. 5: Reconstitution de l’extension du glacier du Rhône à l’ère glaciaire proposée par Charpentier en 1841. La surface en bleu représente la région couverte par le glacier.

L’ESSAI SUR LES GLACIERS ET LA FIN D’UNE AMITIÉ

Alors qu’Agassiz et Schimper s’appuyaient sur les observations de Charpentier pour étayer leur propre théorie, le Genevois Jean-André Deluc (1763-1847) fera, quant à lui, une critique véhémente de sa théorie des glaciations au cours de la même assemblée générale.40 Ainsi que Charpentier le déclare lui-même, cette situation l’incitera à exposer de manière plus précise sa théorie glaciaire dans un livre dont il commencera la rédaction à l’automne 1839.41 A ce moment-là, les choses semblaient évoluer en sa faveur. Ses articles sur l’existence d’un gigantesque glacier alpin avaient suscité un écho international, et il put concilier ses propres réflexions avec les théories du soulèvement des montagnes qui dominaient alors. De plus, deux chercheurs n’appartenant pas au secteur des sciences de la Terre – Schimper et Agassiz – avaient repris sa théorie, même si leur interprétation était un peu particulière. Toutefois, cette situation réjouissante ne devait pas durer.

Entre-temps, Louis Agassiz avait entrepris ses propres recherches et commencé à présenter également sa théorie des glaciations dans un livre qui paraîtra à l’automne 1840. Dans cet ouvrage rédigé à la hâte, il néglige de parler, comme il l’admettra lui-même, de l’apport de Schimper à la théorie des glaciations. Il devancera de quelques mois Charpentier qui travaillait encore à son livre, ce qui lui permettra de s’attribuer le mérite d’avoir publié le premier essai sur ce thème. En formulant la théorie des glaciations comme un phénomène global et en la resituant dans le contexte de ses considérations scientifiques, il lui imprimera sa propre empreinte.

Jean de Charpentier en ressentira de l’amertume. Il s’était apparemment attendu à ce que le jeune professeur lui laisse la priorité. N’était-ce pas lui qui avait initié Agassiz à la recherche sur les glaciers et les glaciations? Finalement, son Essai sur les glaciers et sur le terrain erratique du bassin du Rhône paraîtra en 1841. Il se concentre sur la question de l’origine des blocs erratiques, les mettant en relation avec les régions formées par l’érosion glaciaire et les moraines, qu’il désignait en employant le terme générique de terrain erratique. Dans son ouvrage, il contredit systématiquement les suppositions ou objections des représentants des différentes théories des coulées de boue et d’éboulis. Il réfute également la thèse d’Agassiz et de Schimper, selon laquelle les Alpes seraient nées après la formation d’une calotte polaire. Charpentier démontre que la répartition des blocs erratiques suit le cours des grandes vallées alpines. Cela ne serait pas le cas si les Alpes naissantes avaient dû, à l’instar du pissenlit qui perce l’asphalte, d’abord percer une calotte polaire existante. Il cite en outre ses prédécesseurs, l’Ecossais John Playfair (1748-1819) ainsi que Johann Wolfgang von Goethe (1781-1832), qui, avant lui, avaient fait la relation entre le transport des blocs erratiques et la glace. Apparemment, Charpentier ne connaissait pas Jens Esmark (1763-1839). Le géologue dano-norvégien avait déjà publié en 1824 une théorie des glaciations qui partait du principe de plusieurs phases de refroidissement global, avec à chaque fois une croissance massive des glaciers et des champs de glace, causée par les fluctuations de l’orbite terrestre.42


Ill. 6: Jean de Charpentier vers la fin de sa vie. Lithographie.

Malgré des observations minutieuses et des illustrations d’excellente qualité dues à un dessinateur de l’entourage de Charpentier, l’ouvrage ne connaîtra pas la même notoriété que celui d’Agassiz – ce n’était pas le premier sur le sujet. De plus, il paraît à Lausanne, ce qui allait être un obstacle pour sa diffusion internationale. Il est possible qu’un certain attachement au canton de Vaud ait joué un rôle dans le choix du lieu de publication, ainsi que celui de ses autres objets de recherche et ses publications le suggère. Le fait que Charpentier fit parvenir au gouvernement cantonal un exemplaire spécial avec une dédicace plaide en faveur de cette hypothèse.43 De plus, il n’était pas du genre à veiller à sa publicité au moyen de conférences et d’articles dans les journaux, comme son collègue plus jeune. L’aristocrate saxon n’avait, apparemment, aucune ambition sociale.44 Mais surtout, son activité de directeur des salines devait lui prendre la plupart de son temps.

 

Après la publication de son Essai, Charpentier continuera de s’engager dans la recherche sur les glaciations. En 1842, il publiera un essai sur l’applicabilité de «l’hypothèse de Venetz», ainsi qu’il la nommait, à l’Europe du Nord.45 Ce faisant, il intégrait désormais dans ses réflexions des régions situées hors de l’espace alpin et continuait de se rapprocher des idées proposées par Venetz. Lors d’un congrès à Milan en 1844, il contestera la thèse d’un géologue piémontais, selon laquelle les blocs erratiques des Pyrénées auraient été déposés par des raz-de-marée.46 En 1846 et 1847, Charpentier réfutera encore une fois cette hypothèse dans deux essais qu’il enverra à la Société géologique de France à Paris.47 Ensuite, il semble que, pour lui, la question de l’origine des blocs erratiques était résolue. Dans les années qui suivirent, il se consacrera à nouveau aux gastéropodes terrestres et d’eau douce.

CHARPENTIER, PIONNIER DE LA RECHERCHE SUR LES GLACIATIONS

Naturaliste et savant dont l’activité s’étend sur presque toute la première moitié du XIXe siècle, Jean de Charpentier eut, en outre, le mérite d’avoir dirigé avec succès une mine de sel, cultivé des intérêts scientifiques d’une grande diversité et entretenu des contacts avec des chercheurs du monde entier. La SHSN, dont il est l’un des cofondateurs, servira de plate-forme à cet homme très sociable et aimant voyager pour présenter ses observations et ses nouvelles théories et échanger ses idées avec d’autres naturalistes. Il utilisera également les Actes de la SHSN pour y publier les résultats de ses recherches. Et lorsqu’il souhaitait une diffusion internationale, il les faisait paraître dans d’autres revues scientifiques.

Son rôle de pionnier dans la recherche sur les glaciations présente un caractère quelque peu tragique. Bien que Jean de Charpentier ait été confronté, au plus tard dès 1815, à la question de l’origine des blocs erratiques, il ne l’étudiera qu’à partir du début des années 1830. Il était pourtant parfaitement au courant des théories de son époque concernant l’histoire de la planète. Il essaiera systématiquement de concilier ses observations et celles de Venetz avec l’état de la recherche à son époque. Avec le recul, on peut dire qu’il ne sortait pas des sentiers battus. Ses réflexions ne présentent, pour la plupart, aucune nouveauté conceptuelle. De ce point de vue, les idées non conventionnelles de son ami Ignace Venetz concernant une ère glaciaire en Europe du Nord ou les causes astronomiques48 d’un refroidissement global du climat vont plus loin. Mais aurait-on accordé quelque attention à sa thèse d’un gigantesque glacier alpin sans ces concessions au cadre d’interprétation qui dominait alors dans la recherche de l’époque? Les travaux réalisés auparavant par Esmark n’auraient sans doute eu pratiquement aucun écho dans les pays germanophones et francophones sans de telles références.

En définitive, Charpentier aura vécu une cruelle expérience – Louis Agassiz lui avait volé en effet la vedette en publiant son ouvrage avant le sien. Cela lui permit de formuler la théorie des glaciations selon ses propres conceptions en matière d’histoire naturelle et de l’associer à sa personne. On peut se demander, à ce propos, dans quelle mesure les pratiques de recherche et l’attribution des découvertes scientifiques sont équitables. Jean de Charpentier faisait preuve d’un haut degré d’intégrité et veillait scrupuleusement à saluer les mérites d’autres naturalistes. Il soulignera même parfois le rôle de son ami Venetz, qui lui avait inspiré ses recherches, dans les titres de ses publications. Il exerçait en outre son activité de chercheur en procédant à de minutieuses observations et études sur le terrain.

Dans l’espace anglophone, Jean de Charpentier contribuera au positionnement de ce thème. Ainsi, les vers pathétiques de son ami, le géologue Arnold Escher von der Linth (1807-1872) sonnent-ils parfaitement juste: «Il tourna notre regard vers ces temps lointains où la haute masse de glace atteignait la terrasse des Alpes […] Ce qui au départ semblait présomptueux, il le rendit clair et lumineux à tous.»49

FLAVIO HANER
COMMENT LA NATURE INVESTIT LA VILLE
Augustin Pyrame de Candolle et la création des musées d’histoire naturelle en Suisse

Au début du XIXe siècle, de nouveaux lieux et édifices dans lesquels les habitants pouvaient étudier la nature sans être obligés de quitter la ville furent aménagés ou construits non seulement en Suisse, mais dans toute l’Europe. C’est le cas des jardins botaniques et des premiers musées d’histoire naturelle. Les naturalistes y apportaient les objets qu’ils avaient collectés dans la nature, leur donnaient un nom, les classifiaient et les mettaient en scène. Dans les espaces spécialement créés à cet effet, on s’efforçait de représenter la nature comme un système ordonné. Toutefois, l’aménagement de tels établissements n’allait pas sans difficultés. Tout d’abord, un grand nombre d’objets devaient être transportés de la campagne à la ville. Ensuite, les chercheurs devaient convaincre le grand public, mais aussi les politiciens et la société dans son ensemble, de l’utilité et du sens qu’il y avait à collectionner et à exposer des objets pris dans la nature. En même temps, il s’agissait d’établir l’histoire naturelle comme une science à part entière.1

En Suisse, l’une des principales personnalités à s’engager pour la création de jardins botaniques, de musées d’histoire naturelle, et donc, pour une modernisation des sciences naturelles, sera le célèbre botaniste genevois Augustin Pyrame de Candolle (1778-1841). Dans l’histoire des sciences, il est surtout connu pour avoir développé un nouveau système de classification des plantes auquel Charles Darwin recourra également.2 Dans cet essai, nous nous efforcerons de mettre en lumière le rôle de Candolle dans le développement d’une infrastructure moderne en matière de sciences naturelles en Suisse. Lui et ses contemporains se battront pour que l’histoire naturelle, qui était jusque-là un agréable passe-temps auquel s’adonnaient les familles de patriciens et de magistrats aisés durant leurs loisirs, se transforme en un projet soutenu par le public et l’Etat.

LA SUISSE, JARDIN DE L’EUROPE

Dans le contexte du romantisme et de l’essor de la philosophie de la nature, la Suisse allait devenir, au XVIIIe siècle, l’une des destinations les plus appréciées des amoureux de la nature de toute l’Europe. Ses montagnes difficilement accessibles et leurs glaciers n’étaient plus considérés comme un sujet d’épouvante ou comme des contrées inhospitalières. Le paysage de la Suisse, avec ses vallées profondes, ses collines couvertes de forêts et ses innombrables rivières, ruisseaux et lacs, ainsi que ses plaines alluviales et leurs rives, était peu à peu considéré comme une sorte de paradis sur terre. Vers la fin du siècle, le médecin et géographe allemand Johann Gottfried Ebel note dans son journal de voyage: «Il n’est certainement aucune contrée, aucune partie de notre Globe, qui soit, à tant de divers égards, aussi remarquable et aussi intéressante que la Suisse. […]. Tout ce qu’il y a de grand, de majestueux et d’étonnant, tout ce qu’il y a de plus propre à inspirer l’effroi et même l’horreur, tout ce qu’il y a de beau, de suave, d’attrayant, de douceurs pures et revivifiantes, qui se trouve épars dans la Nature entière, semble ici s’être réuni dans un petit espace, et avoir composé de ce pays le jardin de l’Europe, où tous les adorateurs de la Nature devroient se rendre en pélérinage, sûrs d’y recueillir, pour prix de leur dévotion, une ample moisson de satisfactions et de récompenses.»3


Ill. 1: La nature suisse, sauvage et romantique. Gravure d’un livre du voyageur allemand Christian Hirschfeld en 1776.

La réputation de la Suisse comme paradis naturel se renforcera surtout dans les grandes métropoles européennes. A Paris, par exemple, en 1794, un parc arboré et paysagé récemment ouvert, comprenant des enclos où l’on pouvait voir des animaux, et donc l’un des premiers jardins zoologiques publics du monde, est tout simplement baptisé «la vallée suisse».4 Toutefois, en Suisse également, même les bourgeois aisés apprennent à voir leur pays avec d’autres yeux. Les cabinets des curiosités joueront là un rôle particulier, ainsi que l’explique l’humaniste allemand Christian Cajus Lorenz Hirschfeld en 1777:

«On ne peut pas ne pas louer les Suisses de s’être intéressés non seulement aux curiosités de leur pays, mais de les avoir aussi présentées avec plaisir aux étrangers. Dans des régions montagneuses reculées, de nombreux prédicateurs commencent même à faire de la collection et de l’étude de curiosités naturelles de leur pays une occupation aussi utile qu’agréable.»5

Les voyageurs érudits découvrent des cabinets de curiosités dans les grandes villes comme Bâle, Berne, Zurich, Genève, Lausanne, Neuchâtel ou Lucerne, mais aussi dans des localités plus modestes telles que Schaffhouse, Soleure, Yverdon, Altdorf, Glaris ou La Ferrière. Leurs propriétaires étaient des professeurs, des médecins, des pharmaciens ou des pasteurs, des maîtres d’école ou des artistes. Des banquiers ou industriels fortunés de la région possédaient une petite collection de naturalia.6 Certains se spécialisèrent même dans le commerce de ces objets naturels ainsi que des curiosités. La collection, le commerce et l’échange de naturalia n’était pas simplement un passe-temps agréable. Ces collections constituaient une base indispensable pour l’étude de la nature. C’est ce qu’il ressort de l’entrée sur les cabinets d’histoire naturelle figurant dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert en 1752:

«La science de l’Histoire naturelle fait des progrès à proportion que les cabinets se complètent; l’édifice ne s’élève que par les matériaux que l’on y employe, & l’on ne peut avoir un tout que lorsqu’on a mis ensemble toutes les parties dont il doit être composé. […] Ce n’a guère été que dans ce siècle que l’on s’est appliqué à l’étude de l’Histoire naturelle avec assez d’ardeur & de succès pour marcher à grands pas dans cette carrière. C’est aussi à notre siècle que l’on rapportera le commencement des établissements les plus dignes du nom de cabinet d’Histoire naturelle.»7

Les innombrables cabinets de naturalia qui furent créés au XVIIIe siècle en Suisse, la plupart du temps dans les régions urbanisées, appartenaient à des particuliers. Généralement, ils étaient réservés à l’usage de leurs propriétaires.8 Néanmoins, rendre les collections accessibles à un vaste public était une mesure nécessaire, ainsi que la femme de lettres et poétesse Helen Maria Williams (1761-1827) le fait observer lors de son séjour de six mois en Suisse en 1794:

«Parmi les curiosités de la Suisse qui méritent l’attention des voyageurs, les cabinets d’histoire naturelle sont, de l’avis des autochtones, d’un rang particulier. […] ces collections pourraient conduire un jour à un musée d’une importance considérable et très précieux, si elles étaient rassemblées et mises au service du public.»9