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Childéric, Roi des Francs, (tome second)

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LIVRE DIX-HUITIÈME

Taber n'avoit quitté le roi des Francs qu'au moment où il alloit rejoindre Mainfroi, Arthaut, Recimer et Amblar, suivis eux-mêmes de plusieurs guerriers; la joie que ressentirent ces braves à l'aspect de leur maître, ne pouvoit se comparer qu'à celle du prince en retrouvant des sujets dévoués et fidèles. Ils renouvelèrent au roi des sermens gravés dans leurs cœurs, et Childéric les assura à son tour d'une amitié constante et méritée; mais empressé de retrouver Viomade, le roi ne voulut point s'arrêter, et son cœur tressaillit de joie en revoyant sa patrie, ces riches plaines, ce beau royaume conquis par ses pères. Ce fut en 463 que Childéric rentra en France; il avoit alors vingt-cinq ans, étoit le plus bel homme de son siècle, et avoit acquis en peu d'années une connoissance du cœur humain que les rois, nés sur le trône et entourés de ses prestiges, ne peuvent jamais posséder. Ses revers avoient élevé son ame au-dessus du malheur et de la fortune; il savoit sentir l'amitié dont il connoissoit tout le prix, et à qui il devoit son trône… Il se connoissoit lui-même, étude si utile et faite si rarement par ceux que l'on trompe sans cesse, soit pour leur plaire, soit pour les égarer. Childéric avoit à effacer de grandes fautes, mais il lui restoit de grands moyens, et de nombreuses années; l'amour qui avoit séduit sa jeunesse, alloit lui-même s'entendre avec la vertu et la gloire; aucune tache ne devoit plus nuire à cet ensemble heureux de grandeur, de courage, de beauté, de bienfaisance et de sagesse. Childéric avoit déjà passé Strasbourg, il quittoit Saint-Dizier, et s'avançoit vers le terme de son voyage; déjà il apercevoit la haute montagne au pied de laquelle est bâtie cette petite ville fameuse par les ravages d'Attila, plus fameuse encore par son attachement pour son prince, et par la gloire de l'avoir reconnu la première; Childéric, impatient d'embrasser son cher Viomade, pressoit son coursier, qui, secondant les vœux de son maître, s'élançoit avec la rapidité des vents; le soleil couchant faisoit briller au loin les armes étincelantes; une joie délicieuse remplissoit l'ame sensible du roi; la poussière qui s'élevoit dans la plaine lui annonçoit un groupe de cavaliers volant rapidement à sa rencontre; son cœur devine Viomade avant que ses yeux puissent le reconnoître, et en peu d'instans, ils sont dans les bras l'un de l'autre. L'armée entière s'approche en désordre et à pas précipités, chacun veut voir le roi, on l'entoure, on le presse, on tombe à ses pieds; plus de rangs, plus de chefs, plus de soldats, l'amour a tout confondu… Childéric étend ses bras vers eux, leur montre son cœur; il ne peut parler, et laisse sans honte couler ces larmes de reconnoissance, qui honorent le peuple qui les obtient, et le roi qui sait les répandre. Au milieu de ce trouble sublime, une couronne, un sceptre sont apportés; c'est Viomade qui a l'honneur de les présenter lui-même: Childéric, ôtant son casque avec cet air noble et plein de charme qui le distingue, lui dit: Je la tiens de toi, Viomade; et il posa la couronne sur sa tête. Le sceptre étoit ce même javelot, sceptre du grand Pharamond, et teint du sang de Gelimer… Childéric le reçut avec attendrissement, et donna un regret à son ami, un soupir à Talaïs. Le pavois fut apporté; Childéric y monta; c'étoit à qui auroit l'honneur de le porter: ce fut ainsi élevé, et au milieu de ses braves et de son armée, que Childéric entra dans la ville; elle étoit jonchée de fleurs, toutes les femmes en étoient couronnées; les cris mille fois répétés de vive le roi! remplissoient les airs, une musique guerrière achevoit de remuer les ames, les Bardes chantoient à leur tour, des feux étoient allumés, des festins partout étoient préparés. Childéric se disoit tout bas: O Bazine! c'est ainsi qu'il vous aimeront!.. La nuit fut aussi belle que le jour avoit été éclatant; on oublioit la fatigue, on renonçoit au sommeil, et l'aurore aperçut encore les derniers jeux de cette fête mémorable.

Elle est enfin terminée, et le roi reste seul avec son ami; ce moment fut aussi doux pour son cœur que celui de son triomphe, ils avoient l'un et l'autre bien des choses à se dire; à peine Childéric donna-t-il quelques heures au repos. Mais il apprend qu'Egidius marche contre lui vers la Champagne: il ne faut pas lui donner la gloire d'attaquer, marchons à sa rencontre, dit Childéric, assemblons le conseil, tel qu'il étoit composé à mon départ, pressons-nous, et partons. Les ordres sont donnés, et tandis qu'ils s'exécutent, le roi nomme Bazine à son ami, lui parle de ses vertus, de sa beauté, de ses malheurs, du lieu horrible où il l'a laissée captive, et d'Eginard qui veille à ce précieux trésor. Interrompu par l'arrivée du conseil, le roi lui expose la nécessité de marcher à l'instant même contre Egidius; c'étoit l'avis de tous, ce fut celui de l'armée; les anciens grades furent rendus à ceux qui les avoient possédés et mérités, et les Francs poussèrent des cris de joie en marchant contre les Romains, et en voyant le roi à leur tête. Egidius, de son côté, pressoit sa marche. Les deux armées se rencontrèrent entre Langres et Troyes, et la victoire ne fut ni lente ni douteuse. Les Francs, vainqueurs, poursuivirent l'ennemi qui fuyoit devant eux; Childéric suspendit le carnage, s'assura de Langres, de Metz, de Verdun, de Vilita ancien, de Cambrai, et s'arrêta à Tournay, sa capitale: ce fut là qu'il retrouva de nouveaux témoignages de l'amour et du zèle de ses sujets depuis long-tems séparés de lui; ce fut là que de nouvelles fêtes lui répétèrent qu'il étoit aimé, et que les troupes triomphantes lui firent l'hommage de leur gloire. Le roi, au milieu de son peuple, jouissoit de cette satisfaction délirante que donne une vive sensibilité; il ne cessoit de regarder autour de lui, et chaque regard lui offroit un sujet fidèle. Oppressé par son bonheur, accablé des torrens d'amour et de joie qui inondoient son cœur, il doute si ses forces pourront suffire à une félicité plus qu'humaine; mais Bazine ne la partage pas!.. Cette idée donne le change à ses transports, et vient la calmer. Childéric n'oublioit point ce qu'il devoit aux dieux et à Diticas; en s'arrêtant à Tournay il s'étoit promis de célébrer sa reconnoissance par un pompeux sacrifice; il fut ordonné, et jamais encore on en avoit offert de plus grand, de plus solennel; l'armée entière y assista, le roi y donna des marques d'une piété profonde; il témoigna au grand prêtre une vénération, un respect mêlé de reconnoissance; Diticas lui adressa un discours flatteur, félicita le peuple et l'armée, invoqua pour elle la protection divine, l'en assura: il se retira dans son temple, emportant dans son cœur un attachement plus vif encore pour un roi qui se montroit à tous les yeux paré de tant de vertus nouvelles. Childéric, en mémoire des bienfaits des dieux, ordonna que l'on bâtît un temple dans la ville même; il fait encore de nos jours partie de la cathédrale de Tournay; sa nef est entièrement ancienne, et présente au souvenir un monument de la reconnoissance de ce grand roi. D'autres soins l'appeloient encore; il avoit espéré en vain recevoir des nouvelles d'Eginard; inquiet, désolé de son silence, il fit partir secrètement Valamir; et sachant que les Romains se rassembloient à Cologne, il marcha contre eux, les défit, s'empara de la ville, prit également Trèves, et forcé par la mauvaise saison à mettre bas les armes, il rentra dans Tournay, où il ne trouva point encore Valamir de retour. Childéric donna au bonheur de son peuple un tems qu'il ne pouvoit consacrer à sa gloire; il diminua les impôts, réforma plusieurs abus, récompensa les guerriers, augmenta le nombre de ses braves, créa ces lois sages et répressives, dont le citoyen paisible n'a rien à craindre, et qui contiennent le méchant; écouta les plaintes du malheureux, de l'innocent, fut toujours juste, et quelquefois clément; enfin il fit aimer son empire autant qu'il avoit fait respecter ses armes.

De ce peuple heureux, Childéric étoit le roi, le père, l'amour et le modèle; mais lui seul gémissoit en secret; il versoit le bonheur sur les autres, l'inquiétude, la douleur le déchiroient. Valamir ne revenoit point; l'hiver s'écouloit dans cette mortelle attente, Childéric ne savoit plus la supporter; Viomade ne pouvoit concevoir le silence d'Eginard, la longue absence de Valamir; il craignoit qu'ils ne fussent arrêtés, et on alloit envoyer un nouvel émissaire, lorsqu'enfin Valamir parut; le roi lui témoigna son étonnement sur le tems qu'avoit duré son voyage. Mon frère étoit mourant, lui dit-il; je n'ai pu le quitter, qu'assuré de sa vie; d'ailleurs je ne savois rien sur le sort de la princesse… Eh bien! qu'avez-vous appris? répondit impatiemment Childéric. – Qu'elle est épouse de Bazin, et qu'elle règne sur la Thuringe. – Ciel! que dites-vous? – La vérité, et si vous daignez m'écouter, je vous rendrai compte de tous les événemens qui se sont passés depuis votre départ. – J'écoute, reprit le roi avec la plus vive émotion; parlez, Valamir.

Le roi de Thuringe, blessé par les muets qu'il avoit appostés dans votre appartement avec ordre de vous assassiner, donna les ordres les plus sévères contre la princesse, soupçonna Théobard, et se livra à une fureur insensée qui pensa lui coûter la vie. Vendorix, à qui il avoit confié la garde de la roche sombre, plaça des troupes dans le bois et au pied de la caverne; on ne pouvoit plus en approcher que du côté du torrent, et il falloit alors le traverser, ce qui étoit dangereux et pénible, surtout dans la saison qui grossissoit déjà ses eaux. Pendant que ces précautions se prenoient avec précipitation, Eginard s'étoit rendu dans la forêt de Thuringe, au temple du grand-prêtre Hirman, s'en étoit fait reconnoître à l'aide de Taber et des tablettes d'Humfroi; et le vénérable Druide, touché des malheurs de celle qu'il avoit promis de secourir, prit les précautions nécessaires pour pénétrer dans la caverne, et partit suivi d'Eginard, de deux Druides et de Taber; mais en approchant, ils aperçurent des tentes et des armes; ils s'arrêtèrent, et, découvrant un nombre considérable de soldats, ils furent forcés de renoncer à leur projet: traverser le torrent étoit une entreprise au-dessus des forces et du grand âge d'Hirman; d'ailleurs l'entrée de la caverne étoit du côté des gardes, et c'étoit s'exposer sans aucun avantage; leur douleur fut grande, mais il fallut céder pour le moment; chacun cependant emportoit dans son cœur le désir et l'espérance de vous servir. Eginard, inconsolable de son mauvais succès, passa une nuit cruelle, le lendemain il ne fut pas plus heureux; quoiqu'il vit Berthilie, le plaisir de se retrouver étoit détruit par le souvenir des dangers dont la princesse étoit entourée. Eginard ne peut y résister, et, dût-il y perdre la vie, il voulut voir Bazine: cependant il cacha son projet, dans la crainte d'effrayer le cœur déjà si triste de la sensible Berthilie, et à peine le jour étoit-il près de finir, qu'il étoit déjà de l'autre côté du torrent, et cherchoit la place la moins dangereuse; appuyé sur son épée, il parvint, non sans peine, à le traverser, et gravit le rocher du côté de l'ouverture, évitant de se laisser voir, et se tenant toujours caché derrière la roche; il faisoit nuit, les captives ne l'attendoient pas, elles étoient dans le fond de la caverne; appeler étoit une imprudence; il attendit quelques instans sans savoir quel parti prendre; bientôt il redescendit, ramassa plusieurs cailloux, gravit de nouveau et fit couler ces cailloux le long du roc en-dedans et par son ouverture; les captives les entendirent, et se préparoient à s'approcher, lorsqu'un grand bruit effraya mon frère, et arrêta les préparatifs que faisoit Eusèbe: un moment après, la trappe s'ouvrit avec fracas, retomba de même, et Eginard vit entrer, à la lueur de plusieurs flambeaux, Théobard que suivoit Vendorix; à la vue de cet odieux capitaine, mon frère trembla pour la princesse et pour Théobard. Ils remirent d'abord à Eusèbe des provisions, des vêtemens, des tapis, car la caverne devenoit humide et froide. Eginard écoutoit, mais les paroles se perdoient dans le rocher; il distinguoit seulement le son des voix, et les accens si doux de celle de Bazine frappoient davantage quand ils succédoient aux accens durs et effrayans de Vendorix. La nuit étoit avancée; Eginard, craignant d'être découvert, se retira, redescendit quelques pas, traversa de nouveau le torrent, et revint chez Taber; quoiqu'il n'eût pas entièrement réussi, il étoit moins malheureux, le torrent n'étoit plus pour lui un obstacle insurmontable; avec des efforts et de la prudence, il pouvoit parler à la princesse, recevoir ses ordres, et lui faire passer des nouvelles, vous en donner à vous-même; c'étoit beaucoup. Après s'être reposé un jour, il résolut de revoir Berthilie, de lui apprendre son heureuse entreprise, et de savoir d'elle ce dont il falloit qu'il instruisît la princesse; il la trouva accablée de douleur; Eusèbe étoit malade, et la princesse, alarmée pour sa chère nourrice, avoit paru à Théobard pâle et souffrante elle-même; l'air de la caverne devenoit mal-sain; le peu d'exercice, l'humidité, la longue captivité qu'éprouvoient les prisonnières, sembloient altérer également leur santé; Eusèbe surtout éprouvoit les symptômes d'une destruction prochaine, et Bazine désolée ne savoit comment la secourir. Eginard fit part à Berthilie du chemin dangereux qu'il avoit parcouru, se promit de retourner porter des consolations aux infortunées, et de consulter Hirman avant de rien entreprendre. Berthilie fut de cet avis, et lui apprit encore que son père n'alloit plus seul à la roche, que Bazin se proposoit de faire mourir la princesse, si vous veniez la demander à main-armée. Berthilie écrivit à Bazine une longue lettre qu'Eginard devoit passer par l'ouverture, en cas qu'il ne pût lui parler, et elle la lui remit en le conjurant d'user de prudence; ils se séparèrent, mon frère regagna sa retraite avant le jour. Le lendemain il fut au temple, et dépeignit à Hirman l'état affreux de la malheureuse fille d'Humfroi, la sévérité, les menaces de Bazin, la maladie d'Eusèbe, l'impossibilité dans laquelle se trouvoit Théobard de rien entreprendre… Hirman l'écouta, et réfléchit… Consultons les dieux, dit-il; le moment est terrible, je n'ose prononcer sur ce qu'il faut faire encore, la circonstance doit peut-être l'emporter… A ces mots, Hirman sortit, et laissa Eginard dans l'attente. Il le demanda au bout de quelques heures, et le conduisit derrière un superbe autel qui portoit trois statues de marbre; là, il vit un tombeau et les apprêts d'un sacrifice. Ici repose Humfroi, s'écria le Druide en versant des pleurs…; ici repose le meilleur des rois; invoquons son ombre, et qu'elle nous éclaire sur la destinée de Bazine! Puisse sa volonté se manifester à mon cœur, et sa grande ame m'inspirer pendant le sacrifice! Hirman, les bras étendus vers la tombe, debout et les cheveux épars, sembloit pénétré d'un mouvement divin. Après la cérémonie, il fit conduire Eginard dans une chambre écartée; plusieurs heures s'écoulèrent avant que personne ne vînt le trouver: Hirman le fit servir avec soin, mais seul, et vers le soir il le demanda. Voilà, lui dit-il, les tablettes d'Humfroi; j'ai écrit au bas des caractères même du roi les conseils que je donne à regret, mais les seuls qui puissent sauver la princesse; voici, ajouta-t-il, une liqueur qui conservera la vie à Eusèbe; j'y joins une chaîne d'or que vous pourrez aisément attacher au fer qui traverse l'ouverture de la roche; vous aurez soin de suspendre à l'autre extrémité ce coffret, dans lequel vous placerez le vase et les tablettes: il fit ensuite observer à Eginard qu'il étoit tombé beaucoup de pluie, et que le torrent seroit extrêmement grossi, l'engagea à se munir d'une forte lance qu'il lui présenta, et sur laquelle il pouvoit s'appuyer sans crainte; lui indiqua plusieurs moyens d'échapper aux flots irrités, applaudit à son courage, et lui promit d'invoquer les dieux pendant son voyage pénible. Eginard marchoit avec intrépidité; la lune n'éclairoit plus notre hémisphère, et mon frère remercioit les cieux des ténèbres épaisses dont ils couvroient son entreprise. Arrivé au bord du torrent, il est étonné de ses progrès, de son fracas terrible, de sa fureur. O nayades! dit-il, appaisez-vous; ce n'est point un méchant, un coupable, qui va se livrer à vos ondes!.. O Berthilie! tendre Berthilie!.. Il hésite… O mon roi! dit-il… et il se précipite dans les flots… Cependant, aussi prudent que courageux, il oppose à l'onde qui l'entraîne force et adresse, résiste, combat, triomphe, et saisit déjà les branches du buisson qui croît au pied du rocher, et que battent les eaux du torrent; mon frère, dont les vêtemens étoient pleins d'eau et les membres refroidis, eut plus de peine à monter sur la roche qu'il ne l'avoit cru d'abord; plusieurs fois ses forces l'abandonnèrent; cependant il eut assez de courage pour se soutenir jusqu'au but de son entreprise. La nuit étoit fort avancée, les captives étoient endormies, les tapis rendoient inutiles tous moyens de se faire entendre; mon frère se contenta d'accrocher la chaîne au barreau de fer, et de descendre à l'autre bout les tablettes d'Hirman, auxquelles il avoit joint celles de Berthilie, et le vase qui renfermoit la liqueur précieuse; il attendit quelque tems; mais ne voyant aucun mouvement dans la caverne, se sentant glacé sous ses vêtemens humides, craignant de manquer de force pour regagner l'autre bord, il redescendit de la roche, et traversa de nouveau l'onde en furie; déjà fatigué, moins prudent peut-être, parce qu'il ne songeoit plus qu'à lui, il lutta long-tems, et plusieurs fois il fut renversé, entraîné même; une plante, une pierre élevée, les dieux protecteurs qui n'abandonnent pas l'être vertueux qui se confie à leur puissance, le soutinrent contre tant d'obstacles, et il regagna l'autre bord; mais le froid de la nuit l'avoit pénétré, il avoit encore une longue route à faire, et il se sentoit foible et souffrant; cherchant à ranimer ses forces, il se hâta, et arriva chez Taber au lever du jour. Sa longue absence avoit jeté l'alarme dans toute la maison, un grand feu étoit allumé, un repas l'attendoit; il but promptement une liqueur qui le ranima, changea de vêtemens, se mit à table, et fit à Taber le récit exact de tout ce qu'il avoit éprouvé, entrepris, exécuté; tout-à-coup il devint d'une pâleur mortelle, sa tête se troubla, il croyoit être encore au milieu du torrent, et il tomba évanoui. Taber le fit promptement mettre au lit, lui prodigua tous les secours; il revint à lui, mais avec un frisson violent, une fièvre délirante, une agitation terrible. Taber effrayé envoya consulter Hirman qui vint lui-même, répondit des jours de mon frère, mais prédit que sa maladie seroit longue; il ordonna tout ce qu'il falloit faire, resta un jour entier près du malade, et repartit, en assurant de nouveau que la maladie étoit sans danger; cet espoir rassura Taber. J'arrivai quelques jours après; mon frère ne me reconnut point, j'étois désespéré, et, malgré les promesses d'Hirman, je tremblois pour les jours d'Eginard: occupé de lui seul, lui donnant tous mes soins, je ne savois à quoi attribuer son accablement; mais Taber me raconta fidèlement tout ce que je viens de vous dire; je crus devoir en instruire Théobard. Taber s'en chargea; il envoya Elénire, qui, sous prétexte de porter à Berthilie des oiseaux fort rares et qu'elle avoit élevés, sut pénétrer jusqu'à elle. Au récit des dangers qu'avoient couru mon frère, Berthilie, troublée, fit appeler son père qui ne s'affligea pas moins qu'elle, et feignant de chasser, ainsi que Berthilie, ils vinrent l'un et l'autre, dès le lendemain, à la maison de Taber. Je ne pus voir sans attendrissement la pâleur extrême de cette jeune et charmante fille; mais, par un effet singulier du hasard ou de la beauté, à peine se fût-elle approchée de mon frère, à peine l'eût-il regardée, à peine lui eût-elle parlé, que, sortant comme d'un long sommeil, il reconnut tous ceux dont il étoit entouré; il sembloit qu'il attendît Berthilie pour se réveiller; il m'embrassa avec tendresse, s'étonna, eut de la peine à comprendre comment nous nous trouvions tous auprès lui; sa tête, encore foible, s'égara quelquefois; il vous nommoit, nous défendoit de vous laisser passer le torrent; son cœur étoit toujours le même, son imagination seule erroit encore. Théobard, dont on surveilloit toutes les actions, fut obligé de se retirer. Eginard s'endormit profondément, et le lendemain il nous parut beaucoup mieux. Théobard m'avoit donné des nouvelles de la princesse; il la voyoit toujours, mais jamais seul; rien ne sembloit adoucir sa position, rien ne l'agravoit. Je n'avois à vous annoncer rien d'important; je crus devoir attendre encore, et emporter au moins la satisfaction de laisser mon frère rétabli. Théobard et Berthilie revinrent le voir; il étoit levé, encore pâle et foible, mais il ne ressentoit aucune douleur. Nous parlions sans cesse de vous, de la princesse, de sa captivité, lorsqu'un soir Taber me fit signe de le suivre; son agitation m'alarma; je sortis après lui: Qu'est-il arrivé? lui dis-je… D'étranges événemens, reprit-il; gardons-nous qu'ils parviennent encore jusqu'à votre frère; la princesse a cédé à la barbare persécution du roi, elle accepte sa main, le jour de l'hymen est fixé; elle vient d'être conduite au palais de Bazin dans toute la pompe des reines. J'avois peine à en croire Taber, mais Elénire avoit reçu l'ordre de se rendre auprès de sa mère. Je voulus cependant m'assurer moi-même de ces nouvelles, et je courus à la ville; par-tout l'alégresse publique me confirma des événemens nouveaux; je vis les pompeux apprêts des fêtes: les temples s'ouvroient, l'encens fumoit, on ornoit de fleurs les flambeaux d'hymenée. J'ai fui ces lieux qui ne m'offroient qu'un spectacle déchirant pour mon cœur, et, prenant congé de mon frère, je suis parti pour vous annoncer qu'un lien éternel vous enlève à jamais Bazine.

 

Childéric, immobile et accablé, croyoit à peine ce qu'il venoit d'entendre; sa raison, son cœur se refusoient à une conviction trop cruelle; il lui sembloit qu'un horrible songe troubloit ses esprits, il cherchoit à l'écarter; mais plus il s'appesantissoit sur sa pensée, plus il sentoit la vérité terrible pénétrer et déchirer son cœur… Ah! Bazine, que sont devenus votre amour, votre constance, et cette douce fermeté qui faisoit tout mon espoir?.. Mais Hirman avoit parlé, elle avoit respecté en lui et les dieux et son père… Cette idée porte quelque douceur à l'ame du roi; il respecte jusqu'à l'infidélité de son amante; il n'est pas tout-à-fait malheureux, puisqu'en perdant ce qu'il aime, le plaisir d'aimer lui reste encore.

Le printems couronné de verdure, suivi de Flore et des zéphirs, descendoit lentement vers la terre; la nature, à son aspect, oublioit les maux d'un long hiver, et déjà, parée de fleurs, sourioit au dieu qu'elle adore; les oiseaux, sortis des antres secrets où les frimas les tenoient renfermés, déployoient leurs ailes légères, essayoient leur doux ramage, et chantoient leurs prochaines amours; Mars, s'arrachant des bras de Vénus, reprenoit son casque et sa brillante armure; les grâces effrayées se cachoient dans le sein de la déesse de Cythère, dont l'amour essuyoit les larmes, et Mars appeloit aux combats les amans, les vieux guerriers… Les Francs, ses plus chers favoris, répondoient par des cris de joie au signal du dieu; c'est contre les Saxons qui se sont alliés aux Romains qu'ils vont marcher; c'est Angers et les villes de dessus la Loire qu'ils vont attaquer; le jour du départ est déjà choisi. Childéric, occupé de ce grand projet, le méditoit profondément avec Viomade et Ulric, lorsqu'on vint lui annoncer plusieurs Bardes chantant sa gloire: en effet, une troupe de chanteurs s'avancèrent; ils tenoient des lyres dont ils s'accompagnoient; mais à peine Childéric a-t-il entendu ces mots:

 

Chantons ce roi jeune et vaillant, La gloire et l'honneur de la France,

qu'il a déjà reconnu celle qu'il étoit si loin d'espérer… Un cri de joie lui échappe… Dieux puissans! s'écrie-t-il, est-ce bien elle!.. Et tombant aux genoux de la princesse, il ne cessoit de répéter: Vous, Bazine! vous, dans ces lieux! Moi-même, répondit-elle en se dégageant de la chevelure noire et du voile qui la déguisent; je suis venue vers vous, parce que je vous en crois le plus digne; s'il étoit dans l'univers un plus grand roi, j'eusse traversé les mers pour aller le joindre! Childéric a reconnu la charmante Berthilie et Eusèbe; la princesse lui nomme Elénire; il s'avance vers Taber; Eginard est dans les bras d'Ulric. Childéric alloit à son tour nommer Viomade, mais le cœur de Bazine l'avoit deviné… O mon père! lui dit-elle, en lui tendant la main… Ce nom si doux et si tendre transporta de bonheur celui qui l'avoit si bien mérité. Au bout de quelques momens, la princesse demanda au roi la permission de se retirer avec ses compagnes pour quitter leurs vêtemens, et prendre un costume plus convenable. Elles furent conduites dans les plus riches appartemens, et Eginard reçut à son tour les témoignages de tendresse que lui devoit son roi. Impatient d'aller embrasser son frère Valamir, il sortit avec son père; et Childéric, resté seul avec Viomade, ne se lassoit point d'admirer son bonheur, ce bonheur qu'il étoit si loin d'espérer. Mais pourquoi Valamir l'a-t-il si cruellement trompé?.. La beauté de Bazine enchantoit Viomade, parce qu'elle annonçoit une ame, parce qu'elle étoit plus belle de l'expression de ses traits que de leur régularité; sa voix portoit au cœur ses moindres paroles; son sourire étoit celui de l'innocence, il étoit encore celui de la bonté; Bazine étoit enfin l'épouse que Viomade souhaitoit à son roi, et la reine qu'il désiroit à la France.

Les voyageuses reparurent, elles n'étoient point parées et en étoient plus belles; les cheveux argentés de Bazine flottoient à demi-relevés par un rang de perles; ceux de Berthilie, tressés autour de sa tête, étoient renoués sur son front; Elénire, aux regards mélancoliques, à la démarche négligée et voluptueuse, portoit un voile transparent qui ajoutoit encore à sa beauté touchante. Valamir ne put la voir sans désirer de lui plaire, et Elénire, pour la première fois, entendit avec plaisir dire qu'elle étoit belle. Un festin étoit préparé, les voyageurs en avoient besoin; Eginard, encore foible, n'avoit plus ses fraîches couleurs; Berthilie croyoit l'en aimer davantage. On se mit à table; chacun se plaça suivant son cœur; Childéric cependant voulut que son cher Viomade fût près de Bazine, et qu'Ulric fût placé près de lui; Berthilie, qui n'a point oublié l'aimable repas qu'elle a fait en Thuringe, s'assied en riant près d'Ulric; Taber et Eusèbe étoient vis-à vis de leur chère élève, Elénire près de sa mère, et Valamir près d'Elénire. Ce repas fut gai, fut long; jamais, peut-être, autant de cœurs parfaitement heureux ne s'étoient trouvés réunis. Childéric demanda à Berthilie si elle n'avoit pas quelque inquiétude sur la cassette qu'elle lui avoit remise. Vraiment oui, lui répondit-elle, et je suis venue exprès la chercher. – Et si je l'ai perdue? – Eh bien! comme j'aime passionnément les fleurs, vous m'en donnerez un gros bouquet, et je vous tiendrai quitte. – C'est un bon marché que je ferai là, dit le roi, et je l'accepte; mais il faut encore me rendre un service. – Volontiers, reprit Berthilie. – Il faut annoncer à Eginard que je le nomme capitaine de mes gardes, et à Valamir, que je l'admets au rang des braves… Berthilie rougit d'abord; puis, prenant son parti avec grâce, elle se leva, et alla annoncer gravement à chacun des deux frères la bonté du roi. A votre tour, dit-il à Eginard et à Valamir, offrez cette boîte à Berthilie. Elle renfermoit une parure superbe: tandis qu'elle l'examinoit, Childéric s'adressant à Valamir, lui dit avec bonté: Je devrois vous en vouloir, vous m'avez causé de grands tourmens, et j'ignore encore qui a pu vous abuser au point de vous persuader que la princesse étoit unie au roi de Thuringe… Il ne s'est point trompé, interrompit la princesse, il ne vous a pas trompé vous-même! vous voyez en moi l'épouse de Bazin, la reine de Thuringe!.. Grands dieux! s'écria Childéric, vous, vous, l'épouse de Bazin! – Oui, moi-même; mais ne vous troublez pas, et écoutez-moi sans inquiétude.

Vous savez ce que j'ai souffert, et à quel excès de rigueur fut portée ma captivité, les maux qu'éprouvoient ma chère Eusèbe, l'ignorance dans laquelle je vivois sur votre destinée, l'abandon forcé de mes amis, et l'impossibilité où se trouvoit Théobard d'obéir à son cœur et à son zèle… J'avais du courage contre ce qui n'accabloit que moi, j'en manquai pour les douleurs de ma bonne nourrice, et pour la première fois, je versai des larmes. Cependant, je fus surprise agréablement un matin en apercevant accroché à l'ouverture de la roche un coffret richement orné; il renfermoit une liqueur destinée à Eusèbe, dont Hirman assuroit l'effet; je la lui présentai à l'instant même, et je retirai ensuite les tablettes. Je les reconnus toutes deux, et j'ouvris d'abord celles de Berthilie. J'espérois, prince, qu'elle me parleroit de vous; en effet, elle m'annonçoit votre arrivée en France, sans entrer cependant dans aucun détail; elle m'instruisoit qu'une garde nombreuse entouroit la roche, que l'on ne pouvoit en approcher qu'en traversant le torrent; enfin elle me parloit d'une amitié dont je ne doutois pas, et du désespoir qu'éprouvoit Théobard de ne pouvoir rien faire, ni même rien entreprendre pour moi.. J'espérois trouver plus de consolation dans la lettre d'Hirman; elle étoit écrite à la suite de celle de mon père, que je relus d'abord; mais jugez, prince, de quel étonnement je fus frappée, lorsque je vis que le grand-prêtre m'ordonnoit, au nom des dieux et de mon père, d'accepter la main du roi de Thuringe! mon étonnement fit place à la douleur; l'amour et la haine me défendoient d'obéir, et je m'abandonnai d'abord à leurs conseils. La liqueur qu'avoit envoyée Hirman avoit ranimé Eusèbe; sa santé se rétablissoit, mon sort en étoit adouci. Je voyois toujours Théobard, il ne me parloit point d'hymen; Vendorix, qui l'accompagnoit, se taisoit aussi; rien ne pressoit ma destinée, et l'espoir rentroit dans mon cœur. Mais le breuvage salutaire étoit épuisé, on ne venoit point en rapporter d'autre; Eginard aussi m'abandonnoit; l'idée la plus cruelle s'offrit à ma pensée: s'il avoit été victime de son zèle… si les gardes l'avoient aperçu… si l'onde furieuse du torrent l'avoit entraîné… Je ne quittois plus l'ouverture du roc, et sans cesse les yeux fixés sur les flots, qui, dans leurs bonds écumeux, frappoient le rocher, je leur redemandois Eginard, et je versois des pleurs. Eusèbe, privée de la liqueur bienfaisante, retomboit dans sa première foiblesse; elle cherchoit en vain à me cacher ses souffrances, hélas! mon cœur les devinoit toutes… Une nuit, je l'entendis se plaindre; je volai vers elle, elle étoit mourante: jugez de ma douleur, seule et sans secours: Eusèbe, ma chère Eusèbe, ma nourrice, mon amie, ma mère, la fidèle compagne de mes maux, le second auteur de ma vie! Je la pressois dans mes bras, je la réchauffois sur mon cœur, je versois des larmes brûlantes… Ah! me disois-je, les dieux ont parlé, et j'ai méconnu leur voix! ils ont ordonné, j'ai désobéi! ils me punissent! ils vont m'enlever Eusèbe, et j'aurai causé sa mort! Appaisez-vous, dieux vengeurs! m'écriai-je… O mon père! appaisez-vous! et je portai mes yeux vers la chaîne sur laquelle j'avois juré de consulter Hirman… Dans l'instant même, elle se détacha du roc, et vint tomber à mes pieds… Depuis long-tems je travaillois à la desceller, son propre poids sans doute l'avoit entraînée; mais cet effet inattendu frappa de respect et de crainte mon imagination troublée… J'obéirai! j'obéirai! répétai-je avec anxiété; sauvez Eusèbe!.. Quelques momens après, elle r'ouvrit les yeux, et soupira foiblement; j'essayai de lui faire avaler un peu de vin; insensiblement elle reprit ses sens, mais elle étoit extrêmement foible; le jour paroissoit à peine, et je souhaitois déjà la nuit; j'étois impatiente de revoir Théobard, d'arracher Eusèbe de ces lieux, de lui procurer des secours qui, à chaque instant, devenoient plus nécessaires. Je m'exagerois le danger: soupiroit-elle, je croyois recevoir son dernier soupir; s'endormoit-elle, je m'en croyois privée pour jamais; j'interprétois ses mouvemens, sa tranquillité, sa plainte, son silence; j'interrogeois son teint pâle, ses yeux fermés, son souffle; les minutes étoient des heures de souffrances; jamais jour ne me parut plus long, jamais nuit ne fut si ardemment désirée; elle parut enfin, et mon impatience croissant avec l'espoir, les instans devenoient plus pénibles… Je croyois déjà avoir passé l'heure de revoir Théobard, déjà je m'imaginois qu'il ne viendroit point; cette idée glaça mon sang: je me jetai à genoux, j'invoquai les dieux, je conjurai mon père… J'entendis enfin s'ouvrir la trappe depuis si long-tems objet de mes vœux; Théobard et Vendorix entrèrent; je leur en donnai à peine le tems, et volant au-devant d'eux: Eusèbe se meurt, leur dis-je; courez promptement vers le roi, allez lui demander des secours qui ne peuvent lui être refusés! Vendorix s'avança: Princesse, me dit-il, il ne tient qu'à vous de quitter cette retraite, et d'en faire sortir Eusèbe; vous connoissez les volontés du roi, acceptez sa main, et bientôt traitée en reine, vous commanderez au lieu de gémir… Allez, lui répondis-je; annoncez à Bazin que je suis prête à marcher au temple, mais sauvez Eusèbe!.. Théobard surpris ne répondit rien, Vendorix m'assura de son zèle; tous deux se retirèrent promptement; je les rappelai, et les priai de ramener, s'il étoit possible, Elénire, fille d'Eusèbe; Vendorix m'assura que tous mes ordres seroient exécutés. Eusèbe étoit si accablée, qu'elle n'avoit aucune idée de ce qui se passoit autour d'elle; ce fut un bonheur, car elle eût éprouvé le plus grand désespoir, et se seroit sûrement opposée à mon sacrifice; elle étoit alors toute mon occupation, elle réunissoit toutes mes pensées; je m'oubliois entièrement, et le terrible consentement que je venois de prononcer disparoissoit de mon souvenir. Quelques heures s'étoient à peine écoulées, qu'un grand bruit se fit entendre; je ne doutai pas que l'on ne vînt nous chercher; mais je ne m'attendois pas à un plaisir bien grand, et que je dus aux tendres soins de Théobard, celui de voir d'abord ma chère Berthilie; elle me serroit dans ses bras, tandis qu'Elénire soutenoit la tête languissante de sa mère, et lui faisoit avaler un breuvage dont l'effet fut prompt et souverain. Le plaisir de revoir Berthilie fut si grand pour moi, que j'en augurai même le bonheur; ce charmant visage, qui le premier s'offroit à mes yeux, sembloit me promettre un doux avenir… Prête à partir, elle voulut rattacher mes cheveux, remédier au désordre de ma parure, à laquelle je n'avois pas songé; mais il me tardoit de revoir les cieux, de faire respirer à Eusèbe un air plus pur. Nous l'enveloppâmes soigneusement, dans la crainte que le grand jour ne la saisit; moi-même je mis un voile, et je ne partis point sans cette chaîne précieuse, le plus cher de mes trésors. Deux chars nous attendoient: Eusèbe fut transportée avec soin; Elénire et le médecin qu'elle avoit amené, montèrent sur le même char, et la placèrent entre eux deux; je montai avec Berthilie dans le char royal. Un cortège immense nous entouroit; la joie éclatoit dans tous les yeux, on applaudissoit à ma liberté; les cris de vive Bazine! vive la fille d'Humfroi! me tirèrent tout-à-coup de l'espèce d'enchantement que j'avois éprouvé; les crimes de Bazin se retracèrent à ma mémoire, et le funeste hymen auquel j'étois condamnée me fit horreur… Nous étions aux premiers jours du printems, et nous traversions lentement le bois qui me séparoit depuis si long-tems du monde, ce bois qu'Eginard avoit découvert, que Berthilie avoit parcouru seule et pendant la nuit, ce bois encore empreint de la trace de vos pas!.. Et c'étoit pour m'unir à un autre! c'étoit pour renoncer à jamais à vous que je revoyois ces lieux tous remplis pour moi de votre image et de vos souvenirs! Je succombois à ces tristes pensées, et pour m'y arracher un moment, je fis arrêter le char, et demandai des nouvelles de ma chère Eusèbe. L'élixir qu'elle avoit pris, le mouvement et l'air lui avoient fait un bien infini; Elénire, qu'elle aimoit tendrement, lui avoit caché à quelle horrible condition nous devions notre liberté; elle en jouissoit sans mélange. Enfin nous arrivâmes: un peuple entier m'attendoit aux portes du palais; le roi lui-même s'avança. A sa vue, mon courage alloit m'abandonner; la joie publique, le nom d'Humfroi que j'entendis répéter autour de moi, me rappelèrent à moi-même. J'avois quitté mon voile, ravie de voir les cieux, dont j'étois privée depuis mon entrée dans ma caverne; mes cheveux flottoient épars, mes vêtemens étoient ceux d'une captive; mais Bazin, sans s'arrêter au désordre de ma parure, me prit la main, et posant la couronne sur ma tête: Peuple! dit-il, voilà votre reine!.. Des cris d'alégresse lui répondirent, et la douceur d'être aimée se fit sentir à mon cœur. Bientôt je fus conduite à l'appartement des reines; je redemandai mon palais; on m'avertit que je ne devois plus y retourner: il étoit occupé par la jeune Amalabergue. Eusèbe fut couchée; Taber, Elénire, le médecin ne la quittèrent pas; d'heure en heure elle se trouva mieux, et ce fut pour moi la joie la plus vive et la plus sensible. Je ne vous parlerai point des fêtes qui se succédèrent, des hommages qui me furent adressés, du discours de Bazin, des souffrances de mon cœur, des efforts que je faisois pour les cacher et les vaincre… J'appris la maladie d'Eginard, il étoit hors de tout danger, mais encore foible… Son nom me fit rougir et trembler; je priai mon amie de ne plus le prononcer que mon sort ne fût accompli… Eusèbe apprit enfin à quel supplice j'étois destinée; elle eut peine à supporter cette nouvelle, mais j'eus la force de la consoler moi-même en lui paroissant moins affligée… Bazin ayant voulu que je l'accompagnâsse dans une promenade qu'il avoit ordonnée, je traversai la ville, assise près de lui dans son char, et le peuple, toujours empressé, couroit au-devant de nos pas. Je crus apercevoir dans la foule un étranger; sa ressemblance avec Eginard me frappa; il paroissoit surpris, l'indignation, la tristesse se peignoient sur son visage; je le fixai, mon cœur palpita, ce n'étoit point Eginard; mais sans doute vous aviez envoyé en Thuringe cet étranger, et il alloit vous annoncer que dans deux jours Bazine seroit l'épouse du meurtrier de son père, de celui qui avoit médité votre mort! L'étranger se perdit dans la foule, je ne le revis plus. Seule avec Berthilie, je lui fis part de cette rencontre; elle m'apprit alors que Valamir, frère d'Eginard, étoit chez Taber depuis plus d'un mois. Hélas! lui dis-je, que va-t-il annoncer à Childéric? Mais, ajoutois-je, puisque Valamir est en Thuringe, tu sais sans doute tout ce qui est arrivé à son maître; je te conjure de me raconter les événemens de son retour; le jour n'est pas loin où je ne pourrai le nommer sans crime; jouissons du peu d'instans qui nous restent. Ce fut alors que j'appris vos victoires, et tous les glorieux commencemens de votre nouveau règne. La vue de Valamir, l'entretien que j'avois eu avec Berthilie, les pensées cruelles que je ne pouvois écarter, la douleur que vous causeroit mon hymen, le mépris peut-être qu'il vous inspireroit, tous les tourmens d'un cœur qui se sépare à jamais de ce qu'il aime, l'idée, plus terrible encore, d'appartenir à ce qu'il ne peut que haïr, me plongeoient dans la plus profonde tristesse. Contrainte à la dévorer, privée même des conseils d'Hirman, à qui j'avois inutilement envoyé Taber, je vis naître le funeste jour qui devoit m'enchaîner à jamais, m'enlever l'espérance, dernier bien de l'infortune, me défendre mes souvenirs, me faire un crime de mes larmes. Déjà les éclatantes parures des reines brilloient éparses autour de moi; déjà des mains empressées et importunes préparoient les riches habits dont la douloureuse victime alloit être ornée… Mon cœur étoit foible et palpitant; je relus les ordres de mon père, ceux du vénérable conseil qu'il m'avoit choisi lui-même; j'admirai la santé qui commençoit à reparoître sur les joues pâles de ma chère Eusèbe, et prenant des forces dans tous ces objets, je me ranimai avant de livrer ma tête aux vains ornemens qui devoient bientôt la fatiguer; je repris la chaîne révérée, je me courbai sous ses lourds anneaux, et je demandai aux dieux le courage qui sied aux reines, la paix du cœur qu'une épouse doit à ses liens sacrés. L'heure terrible approchoit, et Berthilie vint me l'annoncer; ma dernière larme tomba sur son sein, et je repris le calme d'une douleur résignée. Promptement parée, j'embrassai Eusèbe, trop foible encore pour me suivre au temple; elle étoit baignée de pleurs;… je les entendis… mais n'osai leur répondre. Le roi m'attendoit; il me présenta ses fils, dont j'allois être la mère. Nous marchâmes au temple; une terreur secrète glaçoit mon sang; les victimes étoient prêtes, l'encens fumoit, les flambeaux d'hymen étoient allumés, un espoir vague soutenoit cependant mon cœur. Tout-à-coup je fus frappée d'une idée terrible; le songe que j'avois fait dans la caverne revint à mon esprit; c'étoit le même temple, le même autel, c'étoit encore les mêmes Druides… Il me sembloit que l'ombre d'Humfroi erroit dans le temple, planoit sur ma tête, et alloit m'enlever de l'autel… Cependant la cérémonie s'achevoit en silence; Bazin satisfait, n'éprouvoit ni remords, ni crainte; le grand-prêtre prit ma main tremblante, l'unit à cette main coupable; je me sentis défaillir… les sermens d'hymen furent prononcés; rien n'en troubla l'auguste engagement; c'en étoit fait, j'étois l'épouse du meurtrier de mon père!.. Mais Hirman parut… A son aspect Bazin trembla, et l'espoir rentra dans mon cœur. Roi, dit-il, et vous peuples qui m'écoutez, vous n'avez pu oublier le prince Amalafroi, mort à la fleur de l'âge, et à qui la nouvelle reine avoit été promise dès sa naissance; les justes respects dûs à une perte aussi grande, à un engagement aussi solennel, ont décidé sa veuve à se conformer à nos usages, et par le sacrifice expiatoire dû à ses mânes irritées, c'est mon temple qu'elle a choisi pour y passer le mois de larmes; je viens la réclamer au nom des dieux. Pendant ce discours mon ame se remplissoit de joie, le roi contenoit à peine sa fureur; il craignoit Hirman, n'osoit l'irriter, redoutoit un peuple superstitieux et extrême; il n'osa s'opposer à un usage aussi sacré, et dont j'aurois pu m'exempter comme n'étant pas réellement l'épouse d'Amalafroi. Mais Hirman savoit les crimes de Bazin; sa vue avoit suffi pour le troubler; il se tut, et laissa les prêtresses m'enlever le bandeau royal et me couvrir d'un voile. Berthilie demanda à me suivre; Hirman y consentit; elle fut comme moi revêtue d'un long voile; les prêtresses nous entourèrent, et je marchai ainsi au temple d'Hirman. J'ignorois encore ses projets, mais j'étois séparée de Bazin; mon songe se réalisoit; c'étoit du pied des autels, c'étoit mon père qui m'enlevoit à lui; je pressois en silence la main de Berthilie, et nous entrâmes dans le temple. Hirman me conduisit, ainsi que mon amie, près d'un tombeau. C'est là, me dit-il, que repose votre père; c'est du fond de la tombe qu'il a veillé à votre bonheur, et vous a délivrée; offrez-lui votre reconnoissance et vos larmes. A ces mots, il nous quitta, et nous restâmes seules près de l'ombre protectrice; j'arrosai de mes pleurs le marbre insensible, et j'élevai mon ame vers les cieux. Hirman nous ramena dans la partie du temple destinée à recevoir les prêtresses. Vous resterez ici quelques jours, me dit-il; reposez-vous sur moi de votre destinée: votre courage vous a mérité ce bonheur; les dieux sont satisfaits, et leur toute-puissance achèvera d'assurer votre repos. Pendant plusieurs jours je ne revis point Hirman; mais j'étois avec mon amie; je n'avois rien à redouter du roi, qui n'eût osé, avant le terme encore éloigné, venir réclamer son épouse. Je pensois à vous, j'en parlois, je parlois aussi d'Eginard; une espérance douce et paisible, que l'amitié partageoit, embellissoit ma vie; j'étois heureuse, Berthilie ne l'étoit pas moins. Plus des trois quarts du tems que m'accordoit l'austère loi des Druides étoit expiré, lorsqu'Hirman parut. Princesse, me dit-il, j'ai tout préparé; vous partirez cette nuit même pour vous rendre chez Taber, où vous trouverez des déguisemens; Eusèbe et Elénire s'y rendront également; vous partirez tous pour la France la nuit suivante, et vous vous rendrez à la cour du roi Childéric. Théobard permet à sa fille de vous suivre, et vous remet sur elle tous les droits d'un père. Je n'ai pu vous faire partir plutôt, à cause de la foiblesse d'Eusèbe, et d'Eginard; mais tous deux maintenant sont en état de vous accompagner. Taber courroit des risques s'il restoit ici: emmenez-le… Partez! ajouta-t-il, épouse du roi de Thuringe; ces nœuds formés aux pieds des autels sont sacrés, et vous ne pouvez disposer de votre main que lorsqu'ils auront été rompus dans le même temple où ils furent prononcés. Laissez au tems et à mes soins vous acquérir votre liberté; respectez les dieux qui vous ont si visiblement protégée.