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Childéric, Roi des Francs, (tome second)

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Déjà parvenu avec adresse dans ce temple qu'il révère, Eginard, osant à peine respirer, compte les instans, et soupire après l'heure fortunée si chère à son espérance. Sa jeune tête s'étourdit, s'enflamme, l'attente l'agite, le désole, et son cœur palpite avec violence. Un bruit éloigné l'émeut; il ne reconnoît à ce fracas qui l'épouvante, ni la timidité, ni l'amour… Dieu! s'il étoit surpris!.. Ce n'est pas la mort qu'il craint, c'est d'exposer son amie, c'est surtout de perdre cette heure charmante dont il est si enivré. Des portes s'ouvrent; il entend marcher dans une chambre voisine: doit-il franchir cette fenêtre? doit-il s'éloigner de ce lieu qui lui est si cher? Deux voix s'élèvent et se confondent; il a reconnu celle du roi, celle de Théobard; ils ont nommé Bazine… il écoute… qu'a-t-il entendu?.. Le chef du conseil déplore le sort de la princesse, presse le roi de lui rendre la liberté; il lui peint ses grâces se flétrissant dans sa retraite ténébreuse; sa douce fermeté, sa patience, sa résignation. Bazin, qu'irritent ces vertus qui semblent braver ses cruautés, s'abandonne à sa fureur. L'amour seul, dit-il, peut lui inspirer un courage au-dessus de son âge et de son sexe; cette idée le tue, et il jure de nouveau que Bazine ne sortira de la roche sombre que pour marcher au temple. Théobard lui observe qu'avec un aussi grand caractère, une ame si élevée, si fière, les moyens violens sont mal sûrs; que Bazine rougiroit de leur céder, qu'elle se fait un devoir même de leur résister… Eh bien! dit le roi, retourne à la roche sombre la nuit prochaine; dis à l'ingrate que cette roche abandonnée ne peut être connue, qu'aucun mortel ne sauroit y parvenir, qu'elle ne peut espérer aucun secours, que si elle persiste plus long-tems, je te défendrai, à toi-même, d'y pénétrer; enfin, annonce à la rebelle que les jours de Childéric sont dans mes mains. Que dites-vous, interrompit Théobard? les jours d'un roi qui s'est confié à vous, qui vous a sauvé la vie! – Ceux d'un rival. – Du vainqueur des Vandales! – D'un rival, te dis-je, et c'en est assez! Je connois ton cœur, tes vertus; je te pardonne un zèle indiscret, mais toujours sincère: adieu; vas trouver demain cet objet de haine et d'amour, et reviens; ta réponse sera plus importante qu'elle ne le croit elle-même. A ces mots, Bazin s'éloigna, Théobard sortit quelques momens après. Tout ce qu'a entendu Eginard le glace d'épouvante; les jours de son maître sont menacés. A cette seule idée, il va franchir la fenêtre, et voler le lui annoncer: mais Bazine, captive dans la roche sombre, demande aussi les soins d'Eginard, et Berthilie, sans doute, connoît cette prison inaccessible. Qu'alloit-il faire? Que son zèle étoit imprudent, inconsidéré! il va donc attendre avec une impatience!.. ah! bien vive et bien naturelle!.. Que d'instans s'écoulent, et qu'ils sont longs! Le murmure du vent, un léger bruit, tout lui apporte une heureuse espérance; cent fois trompé, il s'abuse encore. Que son sang parcourt rapidement ses veines! il croit la nuit près de finir; elle commence à peine, et il redoute déjà l'aurore. Quel feu l'agite!.. il brûle, languit et se consume… Mais un pas léger comme le murmure du zéphir, agite foiblement ces lieux; une main furtive entr'ouvre doucement plusieurs portes; ce bruit charmant approche; l'oreille attentive d'un amant peut seule l'entendre; l'air se remplit tout-à-coup du parfum des roses, il annonce Berthilie. Eginard respire avec délice cet air embaumé d'amour; quelle ivresse il porte à son cœur et à ses sens! Cependant Berthilie s'arrête, la pudeur ralentit encore sa marche déjà si timide; elle n'ose avancer. Eginard, à genoux, l'appelle à voix basse; elle chancelle, et peut à peine respirer. Viens à moi, lui disoit-il, viens, ô ma bien-aimée! que crains-tu? Ah! je ne suis point un ravisseur; n'es-tu pas maîtresse de ton sort et du mien? Ton innocence n'est-elle pas pour moi ta plus belle parure, mon trésor comme le tien? O rose du matin, et non encore épanouie! approche, ne redoute pas celui qui t'aime; je te jure, sur mon épée, de te respecter autant que je t'adore. Ces mots rassurèrent l'innocente créature; elle avança d'un pas lent, et pouvant à peine se soutenir, elle tomba sur un siége à demi-évanouie. Eginard étoit à ses genoux, aussi ému, aussi tremblant qu'elle-même; il demeura long-tems muet et ravi de son bonheur. Passant ses bras autour de la taille charmante de sa douce amie, il l'attiroit foiblement à lui, il respiroit son haleine parfumée: il étoit heureux, et tous deux jouissoient de cette félicité qui ne coûte ni pleurs à l'innocence, ni remords à celui qui ose la séduire. Une si belle nuit devoit s'écouler rapidement, et néanmoins ceux à qui elle étoit si chère, en offroient le partage à l'amitié. Sans cesser de sentir leur bonheur, ils ne s'occupent que des illustres amans, dont ils plaignent les infortunes; mais Berthilie rassure Eginard sur les jours de Childéric. Théobard en répond, puisqu'il sait qu'ils sont menacés; sa vertu veille. Que Berthilie aime à louer ainsi son père, à faire passer dans le cœur de son amant une partie de l'admiration et de la tendresse qu'elle a pour lui! Amans purs et délicats, qui dans le premier de vos rendez-vous, songez à l'amitié, et parlez ainsi d'un père, ah! que vous méritez d'être heureux! vous l'êtes en effet, rien n'altère votre bonheur. Berthilie ignore où est la roche sombre; jamais elle n'en entendit parler; mais elle se promet d'interroger Théobard dès le lendemain; elle se jettera à ses pieds, aura recours aux larmes; enfin, n'épargnera rien pour tout découvrir: la nuit suivante, dans le même lieu, à la même heure, Eginard viendra prendre ses instructions. Déjà l'aurore doroit l'horison, il fallut promptement se séparer. Eginard demande le bouquet de rose qui lui avoit annoncé sa bien-aimée, il le reçut, baisa avec transport la main qui le lui donnoit, et soupira… Pourquoi ce soupir, jeune amant? ah! jouissez sans regret de vos sacrifices. Encore un dernier effort, et il est dans le jardin; mais les portes du palais sont encore fermées, il s'enfonce dans le bosquet en attendant le réveil des gardiens. Là, il erre quelques instants, s'approche du banc de gazon et de la fontaine qui lui retracent de si doux souvenirs; admire l'éclat de l'aurore, les lumineux progrès du jour. Qu'il est heureux! Son ame se livre à tout le charme d'un mutuel amour. Que Berthilie est belle, modeste, timide et sensible! combien il s'applaudit de l'avoir laissée calme, heureuse! Le cœur pur d'Eginard s'épanouit, il respire l'air parfumé du matin, sourit au jour qui l'éclaire; il lui semble qu'à son approche, toute la nature s'embellit et l'accueille. O jouissance de la vertu! vous seule êtes sans mélange.

Mais le laborieux matin a déjà marqué l'heure du travail; on entend de tous côtés son bruyant signal; Eginard quitte les frais ombrages, et vole auprès de son maître, à qui il porte ses espérances et ses alarmes. Il lui remet ces tablettes chéries; le roi les reçut avec l'empressement de l'amour, et n'écouta Eginard qu'après les avoir relues cent fois: il ne craint pas pour lui les menaces de Bazin, mais c'est pour ce qu'il aime que Childéric frémit… Elle est captive, hélas! et c'est lui qui attire sur elle ce redoutable courroux; sans sa fatale présence, elle vivroit encore heureuse et paisible; elle eût accepté sans effort cette main qui aujourd'hui l'opprime; reine adorée, elle feroit le bonheur des peuples soumis à ses lois! Ah! pourquoi a-t-il répandu sur elle une partie de ses malheurs? Que peut-il faire? comment la secourir, la délivrer? dans quel asile digne d'elle pourroit-il la conduire? Son désespoir est à son comble: Eginard le calme cependant en lui répétant qu'il saura découvrir la roche sombre. Mais Eginard ne parle ni de l'heure, ni du lieu où il a vu, où il reverra Berthilie; présente, absente, il la respecte également. Dans ce temps-là on étoit discret, le bonheur suffisoit à l'amour; plaire étoit un triomphe égal entre les amans, et cette douce gloire se partageoit comme le plaisir. On rougissoit ensemble d'une faute commise de moitié; on n'accusoit pas un seul des coupables, encore moins le plus tendre, le plus délicat, le plus foible, celui qui, toujours attaqué, avoit à se défendre et de lui-même, et d'un objet aimé… Il y avoit bien à cela un peu de justice: cependant ne nous plaignons pas; si les hommes n'avoient pas reconnu que nous leur sommes supérieures, ils ne nous auroient pas donné tant de devoirs à remplir; n'accusons point d'exigence ce qui est sans doute un hommage.

Déjà l'heure fortunée qui doit réunir Eginard et Berthilie, s'approche et va briller pour ces amans heureux. La modeste fille de Théobard, moins inquiète que la dernière nuit, attend avec plus d'impatience; elle désire davantage celui dont elle ne craint plus rien; l'effroi ne partage plus son cœur, il se livre entièrement au bonheur. Ils sont encore dans cette paisible retraite; ils se retrouvent moins tremblans et plus satisfaits; ils causent ensemble, et se livrent à ce doux parler d'amour, qui rassemble tous les souvenirs délicieux et prévoit tous les plaisirs. Ils s'entretiennent long-tems du premier jour où ils s'étoient vus; c'étoit un bien beau jour que celui-là! puis d'un autre non moins important, de la chasse… du bouquet donné… On se gronda un peu, car Berthilie avoit été coquette, et l'aimable Eginard long-tems incertain. Il avoua que jusqu'à ce jour il avoit été léger, inconstant même; à présent le voilà fixé pour toujours. Berthilie le crut sans peine; elle en disoit autant, et sentoit qu'elle disoit vrai. Les peines passées devinrent de nouveaux titres au bonheur, et le tems s'envola cette nuit encore plus vîte que la nuit dernière. Mais Bazine, mais Childéric ne sont pas oubliés; Berthilie s'est jetée aux pieds de son père et l'a conjuré de la conduire à la roche sombre, où elle sait qu'est renfermée son amie. Théobard lui a répondu qu'il a fait serment de ne pas découvrir le lieu où elle est située, et que la crainte seule que la garde de cette illustre infortunée ne fut confiée à un autre, avoit pu le décider à le prononcer; mais qu'enchaîné par un serment, il ne pouvoit plus lui rien confier; Berthilie alors avoit cessé une prière inutile, et donné un libre cours à ses larmes. Théobard, ému de sa douleur et pour la calmer, lui avoit offert de se charger de porter à la princesse tout ce qu'elle voudroit lui envoyer, et lui avoit dit de tenir ses commissions prêtes pour le lendemain au soir. Je n'y vais pas seul, avoit-il ajouté: le roi, depuis qu'il m'a confié un secret qu'il sait que je désapprouve, craint mon zèle pour la fille d'Humfroi. Je suis si fidèlement observé, que mes pas sont tous suivis. Cette défiance devroit peut-être me dégager d'une partie de mes sermens, si Théobard croyoit que quelque chose pût en dégager. Vous voyez, dit alors Berthilie, qu'il n'est aucun moyen d'obtenir de mon père un tel aveu; mais puisque nous sommes instruits du moment qu'il doit prendre pour aller à la roche, il est facile de suivre ses pas, quoique je pense qu'il doive être à cheval; mais en mesurant votre marche sur la sienne, il doit être facile de ne pas être découvert. Alors Berthilie indiqua à Eginard l'endroit où il devoit se cacher et attendre, lui recommanda la plus grande prudence, dans la crainte que les gens dont Théobard seroit accompagné, ne vinssent à le découvrir; l'engagea à se pourvoir de quelques provisions en cas qu'il vînt à s'égarer; lui recommanda de nouveau la prudence, tant pour lui que pour son père, qu'il exposeroit comme lui. Un premier et délicieux baiser scella leurs adieux… Il tourna entièrement la tête d'Eginard, qui s'enfuit précipitamment, en se promettant de ne plus en cueillir de pareil. Berthilie n'avoit pas même l'idée du désordre qu'elle venoit de causer, du danger qu'elle avoit couru, elle alla retrouver sur sa couche virginale un doux sommeil, d'heureux songes, un réveil pur et animé comme sa pensée.

 

Eginard crut devoir cacher son projet à son roi; ce seroit lui qui voudroit l'exécuter, et ces dangers qui n'effraient point le guerrier pour lui-même, le frappent tous lorsqu'il s'agit de son maître; cependant il lui a promis de l'instruire de ce qu'il auroit découvert, il ne sait pas feindre… Le roi devineroit le mensonge sur son front humilié; que doit-il faire? Il évitera Childéric, et passera le jour entier loin de lui… Il a exécuté ce projet, et déjà il attend Théobard: à peine s'est-il écoulé quelques instans, que le bruit de plusieurs chevaux le lui annonce; l'obscurité ne lui permet pas de le reconnoître, mais il caresse son cheval du geste et de la voix; Eginard est sûr de ne pas s'être trompé; il suit de loin les cavaliers, règle ses pas sur les leurs, et guidé par le bruit des chevaux, ne craint point de se perdre, quoiqu'il demeure en arrière. Après une marche assez longue, le bruit qui lui sert à se conduire cesse tout-à-coup; il s'arrête, écoute, cherche, ne voit ni n'entend plus rien… Que sont-ils devenus? Eginard s'avance lentement, écoute de nouveau, il croit entendre au loin hennir les chevaux, il marche encore, et se trouve au milieu d'un bois… Voilà sans doute ce qui est cause du silence qui tout-à-coup lui a fait perdre ses guides; les chevaux, en marchant sur l'herbe, n'ont pu être entendus, et lui-même maintenant ne sait quelle route il doit tenir; des branches l'arrêtent à chaque pas, l'épaisseur du feuillage ajoute à l'obscurité: que doit-il faire? retourner!.. Il ne sait s'il pourra seulement reconnoître sa route, la continuer, c'est peut-être s'égarer: attendre le jour, dans un bois inconnu, et par une nuit si profonde… Voilà pourtant ce qu'Eginard a de mieux à faire; il s'y décide, et attachant son cheval à un arbre, il se couche sur le gazon, et s'afflige de n'avoir pas mieux réussi dans ses recherches; pour se consoler, il pense à Berthilie; un amant n'est jamais seul, il retrouve dans son cœur l'objet qu'il aime, le bonheur, l'amour et l'espérance. O momens! les seuls vraiment heureux de la vie, où tout est charme autour de nous, comme dans nous-même, en jouir est la vraie félicité, s'en souvenir embellit encore nos pensées: ce n'est plus le soleil dans tout son éclat, mais c'est encore ce couchant moins dévorant et plus doux, qui nous flatte sans nous consumer…

En pensant à Berthilie, en se disant qu'il l'adore, tout-à-coup Eginard se rappela Grislidis; ce souvenir l'attrista, il se reprocha les chagrins que sans doute lui causoit son inconstance. Jamais pourtant, se disoit-il, il ne l'avoit aimée comme il aimoit Berthilie; il n'avoit alors qu'une fantaisie, qu'un goût; à présent c'est une passion, une vraie passion… Grislidis m'aimoit, disoit-il, elle étoit douce et sensible; mais elle n'avoit pas cette piquante étourderie, cet air coquet et léger qui plaisent à mon imagination. Grislidis, toujours tendre, toujours la même, ne me faisoit jamais trembler pour mon bonheur; étrange caprice de mon cœur! il veut craindre, afin d'être rassuré; il veut du tourment pour mieux sentir le bonheur. Ah! Grislidis, simple et bonne Grislidis, oublie un ingrat! qu'il ne te coûte pas un soupir, car hélas! il ne peut t'aimer, son cœur s'est donné pour toujours; oui, pour toujours! répéta-t-il, comme pour s'en assurer lui-même.

Tandis qu'Eginard s'occupe aussi heureusement, Théobard est parvenu à la roche sombre; il n'avoit pas revu la princesse depuis son dernier entretien avec le roi, celui qu'Eginard avoit entendu; ce qu'il avoit à annoncer à Bazine l'affligeoit; il la trouva si belle, si paisible et si touchante, que son courage l'abandonna; il resta muet et interdit. Quelle triste nouvelle venez-nous donc m'annoncer, Théobard, lui dit la princesse? je vous trouve l'air agité. – Je n'ai, répondit-il, rien à vous apprendre, car vous devinez bien que Bazin s'irrite de votre résistance, et vous n'avez pas oublié que votre liberté est dans vos mains… A ces mots Théobard se jeta aux genoux de la princesse, et il la conjura d'avoir pitié d'elle-même, lui répéta que braver un monarque puissant, à qui elle ne pouvoit plus échapper, c'étoit exposer sa vie même et celle de son amant; employa pour l'attendrir larmes, prières, lui représenta combien son règne seroit cher au peuple, aux infortunés, lui nomma Berthilie, enfin lui-même. La princesse, émue par les preuves si répétées d'un attachement sincère, crut devoir y répondre par sa confiance, et avoua à Théobard le meurtre de son père, lui fit voir les tablettes qui contenoient ses dernières volontés, lui montra la chaîne, dont de fratricides mains avoient chargé son roi, et demanda alors à Théobard si Bazine devoit être le prix d'un tel crime… Le vertueux chef du conseil, glacé d'horreur à ce récit, sembloit anéanti… Après un long silence, il s'écria: O dieux! ne permettez pas ce fatal hymen. Puis se jetant à genoux, baisant avec amour et respect la chaîne qu'avoit porté Humfroi… Fers augustes, dit-il, je jure par vous, et par l'ombre sacrée que j'invoque, de servir à jamais la princesse Bazine, de lui obéir, de conserver ses jours, de la délivrer au péril même de ma vie. Alors se relevant, il conjura la princesse de lui donner ses ordres. Elle lui répondit que son intention étoit d'abord de consulter Hirman; elle alloit entrer dans de plus grands détails, lorsque les deux muets qui avoient accompagné Théobard, et qui d'ordinaire restoient au pied de la roche, entrèrent pour lui faire signe qu'il étoit l'heure de se retirer; comme ils restoient à l'attendre, il fut contraint de sortir sans autres instructions, mais se promettant de venir bientôt en reprendre de nouvelles. Bazine et Eusèbe, qui comptoient sur son zèle, eurent un moment d'espérance, qui bientôt fut suivi d'un plaisir plus vif et plus inattendu. Théobard reprenoit lentement le chemin du bois, consterné de ce qu'il venoit d'apprendre, et cherchant dans sa pensée comment il pourroit délivrer la fille de son légitime souverain, dans quel lieu il pourroit la conduire, comment il échapperoit lui-même aux yeux observateurs dont il étoit sans cesse environné. Eginard, averti de son approche, s'étoit enfoncé dans le bois, observoit sa marche qu'éclairoient foiblement les premiers rayons du jour, et se promettoit de suivre le chemin par lequel il le voyoit venir, et d'examiner la trace que laisseroient les pieds des chevaux. A peine eût-il vu s'éloigner les cavaliers, et se fut-il assuré qu'il ne pouvoit en être aperçu, que prenant son cheval par la bride, et marchant avec précaution, il continua sa route jusqu'à la lisière du bois; là, il s'arrêta, étonné du spectacle qui s'offroit à sa vue; un chemin rude et rocailleux conduisoit au milieu de rochers informes et déserts… C'est là sans doute que la barbarie a plongé sa douce et belle victime. Eginard s'avance, un silence affreux règne autour de lui, rien n'annonce qu'un être vivant puisse habiter ce séjour horrible… la trace des chevaux n'a pu s'imprimer sur les pierres et les cailloux qui couvrent ces lieux. Eginard jette de grands cris que répètent au loin le creux des cavernes: il avance, monte, redescend, gravit, interroge la sauvage nature, qui refuse de lui répondre. Las d'une recherche inutile et désespérante, attiré par le bruit d'un torrent, il tourne ces roches silencieuses, et va se reposer près de l'onde agitée; là, il s'assied, considère les objets inanimés et terribles qui l'entourent, admire l'aspect sauvage de ces monts, que l'industrie humaine n'a point essayé d'adoucir: puis étendant ses bras vers les flots tumultueux, il s'écria: O divinités de ces lieux sauvages! hamadryades solitaires, nayades courroucées, écoutez-moi, venez et daignez m'ouvrir le sein de vos roches inaccessibles; enseignez à un sujet fidèle où il doit porter ses pas, inspirez-moi… Eginard eut recours aux provisions qu'il avoit apportées, et fatigué, il se reposa sur le sable au bord de l'onde jaillissante; mais bientôt il promena de nouveau ses regards. Les derniers rayons du soleil couchant donnoient sur un buisson qui croissoit au pied d'un de ces énormes rochers, et faisoient briller comme un point lumineux un objet dont Eginard ne distinguoit pas la forme; tout intéresse quand un grand sentiment anime, un léger indice peut conduire à une importante découverte; Eginard s'approcha du buisson, en retira l'objet dont la vue l'avoit frappé, et reconnut, avec la plus vive joie, la bague qu'il avoit remise à la princesse de la part de Childéric, lorsqu'il partit pour combattre les Vandales. Cette rencontre terminoit presque ses incertitudes; c'est là sans doute, c'est dans cette roche que gémit l'infortunée; c'est là qu'il doit s'arrêter. Plein d'une heureuse confiance, il examine de nouveau la roche immense, essaie de la gravir; elle est haute et glissante, mais plusieurs saillies offrent un appui, et diverses plantes sauvages qui croissent dans les fentes du rocher, lui prêtent un flexible soutien… Mais tout-à-coup son oreille est frappée des sons d'une lyre, ils s'échappent du sein même de la roche, ils lui indiquent une ouverture élevée, qu'il n'avoit point aperçue, et que dérobent aux regards les pampres qui la recouvrent de leurs festons légers. Une voix mélodieuse, qu'Eginard reconnoît avec transport, mêle ses sons enchanteurs à ceux de l'instrument sonore, et suivant cette douce harmonie qui le guide si heureusement, il parvient à l'ouverture. Telles étoient les paroles que chantoit Bazine.

LA ROCHE SOMBRE
ROMANCE
 
Fille des dieux, ô divine harmonie!
Calme mes maux, viens adoucir mes fers;
De tes accords, la tendre mélodie,
Peut seule, hélas! embellir ces déserts.
Triste et captive en cette sombre enceinte,
Où m'enferma la jalouse fureur,
Lorsque j'unis des accens à ma plainte,
Mes tourmens ont moins de rigueur.
 
 
Tyran cruel, assassin de mon père,
Viens, apparois au fond de ce rocher;
Mais tu frémis, son ombre tutélaire,
De ce séjour me défend d'approcher.
J'y suis du moins sous sa garde terrible,
Je ne crains point ton aspect odieux,
Et ce rocher pour moi n'est plus horrible,
Puisqu'il me dérobe à tes yeux.
 
 
Et toi, héros! à blonde chevelure,
A l'œil d'azur, au front majestueux,
Qui te dira ma touchante aventure?
Qui t'apprendra le chemin de ces lieux?
Ah! bien plutôt, modère ta vaillance,
Crains un jaloux: crois moi, brave guerrier,
Pour le héros qui manque de prudence,
L'avenir n'a point de laurier.
 

Ainsi chanta la princesse, et Eginard arrivoit à l'ouverture de la roche comme elle finissoit de chanter; il avoit avec effort saisi les pampres qui flottoient au-dessus, et un pied appuyé sur une saillie, l'autre retenu à une plante sauvage, suspendu sur des pierres amoncelées, un geste, un mouvement pouvoient lui coûter la vie et le précipiter dans le torrent; mais Eginard oublie le danger; pour ne pas effrayer la princesse, il l'appelle plusieurs fois avant de passer sa tête à l'ouverture. A peine la belle captive a-t-elle reconnu sa voix, qu'elle s'écria: Eginard, quel dieu bienfaisant vous envoie? Mais alarmée du danger qu'il court, Bazine prend son voile et celui d'Eusèbe, et les attachant fortement au barreau de fer qui traverse l'ouverture du rocher, elle lui offre ainsi un soutien qui ne peut céder, et ne blesse point ses mains. Satisfaite et tranquillisée, Bazine s'informe de tout ce qui l'intéresse. La princesse, depuis quelques jours, fatiguée de l'air épais de sa caverne, avoit rassemblé plusieurs meubles sous l'espèce de fenêtre pratiquée dans la hauteur du roc, et s'élevant ainsi jusqu'à l'ouverture, elle respiroit un air plus frais, et chantoit avec plus de plaisir; c'est à ce stratagème qu'Eginard devoit le bonheur de l'avoir entendue, car les sons de sa voix se seroient perdus dans l'intérieur de la roche: il lui dut aussi le plaisir de la voir et un entretien facile; il lui remit la bague chérie dont elle déploroit la perte; elle s'étoit échappée de ses doigts, lorsqu'elle écartoit les pampres qui lui déroboient le jour. Bazine, en échange, fit présent à Eginard d'un bracelet des cheveux de Berthilie… C'est en attendant, lui dit-elle avec grâce, que la main qui vous l'offre puisse un jour vous faire un présent plus doux… Eginard entendit ce que ces paroles lui permettoient d'espérer; sa reconnoissance égala son bonheur. Bazine le chargea de dire au roi qu'elle l'attendoit le lendemain. La lune devoit reparoître après sa périodique absence; aux premiers rayons du plus pur des astres, Childéric, suivi d'Eginard, devoit partir du palais, et se rendre à la roche. Après être convenus ainsi de leurs faits, la princesse, instruite de tout ce qui regardoit son amant et sa chère Berthilie, congédia Eginard, qui, dans l'obscurité, eut peine à retrouver sa route; cependant il arriva à Erfort avant le jour: ayant trouvé les gardiens des portes encore levés, il se précipita chez son maître, qui, tourmenté de sa longue absence, devina sur son visage une partie de son bonheur. Le récit qu'il fit au roi remplit son cœur d'espérance et de tristesse; il auroit voulu voler à l'instant même à la caverne; mais Eginard est fatigué, Bazine a fixé l'heure… Il faut, malgré lui, que Childéric modère une si juste et si vive impatience: tandis que son fidèle ami va se reposer, livré à ses pensées, Childéric ne songe qu'au lendemain, ses vœux pressent le tems rapide.

 

Eginard, jeune, vif, amoureux, ne dormit pas long-tems; déjà levé, il parcouroit le jardin, et regardoit avec amour, désirs, reconnoissance, cette fenêtre chérie que le jour lui défend d'approcher. Ah! combien il accuse ce jour si pur et si beau! En vain il murmure, en vain il pense qu'il ne sera pas mieux traité par la nuit qui doit succéder à cet éclat importun, il suivra Childéric, et les amans ont trop de choses à se dire pour qu'il espère un prompt retour. Eginard s'afflige sérieusement, car il y a un siècle qu'il n'a vu Berthilie, et il lui semble qu'il doit s'en écouler mille avant qu'il ne puisse la revoir. Mais l'amour, touché peut-être de la vérité de ses regrets, conduisit celle qui en étoit l'objet vers cette fenêtre bienfaitrice; elle avoit vu son amant, et avoit joui de l'impatience qui l'agitoit; elle crut lui en devoir la récompense et parut à ses yeux. Cependant elle devine à quelques signes, au bracelet sur-tout qu'il lui montra de loin, et qu'elle reconnut, qu'il lui apportoit des nouvelles de la princesse; cédant à l'amitié, rassurée par le sentiment pur qui la conduit, Berthilie descendit dans le jardin, et feignit de cueillir des fleurs; mais distraite, elle prenoit sans choix le muguet ou la pensée; Berthilie même alloit dérober au gazon la marguerite inodore qu'Eginard venoit d'apercevoir; leurs mains se rencontrèrent près de la modeste fleur; il étoit bien naturel qu'Eginard préférât la main de Berthilie à la marguerite sauvage, qu'il la pressât avec tendresse, et que son amie la lui abandonnât quelques instans. On peut nous observer, dit-elle, hâtez-vous, donnez-moi des nouvelles de la princesse. Eginard s'empressa de la satisfaire, lui montra le présent qu'il avoit reçu, l'entretint de l'espoir plus doux encore dont Bazine avoit flatté son amour, lui dépeignit son asile, le chemin qui y conduisoit, et enfin lui fit part du rendez-vous du soir. Berthilie, rassurée sur son amie, heureuse de connoître sa retraite, charmée du zèle et des succès de son amant, se retira pour ne donner aucun soupçon. Eginard, qui n'osoit la suivre, s'enfonça dans le bocage, se livrant aux douces pensées de l'amour. Mais il fut bientôt arraché à ses aimables rêveries, par l'ordre qu'il reçut de se rendre promptement près de Childéric, qui le faisoit chercher depuis long-tems; il se hâta d'obéir, et sa surprise égala sa joie, lorsqu'il aperçut Ulric, son père, son frère Valamir, et qu'il se trouva dans leurs bras. Childéric mit le comble à son ivresse, en lui montrant réunies les deux moitiés de la pièce d'or, heureux signal de sa gloire et de sa puissance. Eginard voulut se jeter à ses pieds, le roi l'arrêta, et lui prenant la main, ainsi qu'à Ulric: Amis de mes disgrâces, leur dit-il, soyez encore ceux de ma fortune. Mais, ajouta-t-il, ton arrivée a interrompu le récit des évènemens mémorables auxquels je dois mon retour; si Ulric veut le recommencer pour toi, nous sommes prêts à l'écouter. A peine, dit le brave, Egidius étoit-il sur le trône, qu'il en écarta tous ceux qu'il savoit vous être attachés; dépouillés de leurs biens, de leurs emplois, persécutés, le soupçon et la vengeance planoient sur leurs têtes; désignés par Egésippe, ils étoient aussitôt sacrifiés; néanmoins leur fidélité fut toujours inébranlable. Valérius, odieux aux Francs, fut nommé premier ministre et favori du nouveau roi; le conseil ne se composa que des seuls romains; tous les postes leur furent confiés, l'ancien fisc de Rome fut rétabli, nos druides calomniés, nos temples déserts, nos sacrifices interdits; enfin, on n'osoit plus nommer ses dieux ni son roi; la crainte étouffoit le murmure; un avilissant esclavage détruisoit jusqu'à l'indomptable courage d'une nation entière. Viomade avoit reparu; Egidius, pour se l'attacher, lui rendit ses biens, et lui offrit de reprendre sa place au conseil; il la refusa. Il vouloit vous servir sans s'avilir par une trahison, et préféra le simple rang qui lui laissoit sa liberté: il en profita pour voir secrètement ceux qui vous étoient restés fidèles; leur nombre étoit grand; il nous distribua dans toutes les villes; partout nous trouvâmes l'effroi, le remord, la douleur; partout le nom des Romains étoit odieux. Assuré de l'armée, Viomade la convoqua, et lui adressa ce discours:

«La renommée nous apprend l'heureux changement qui s'est fait dans Childéric: combien il s'est formé à l'école du malheur! combien il en a médité les grandes leçons! Où est-il? pourquoi nous sommes-nous séparés de lui? Si notre faute est grande, couvrons-la d'un repentir plus grand encore; vengeons-nous de nos ennemis, chassons ces maîtres étrangers, ramenons celui qui seul doit régner sur la France, et nous lui arracherons sans peine le pardon de tous nos crimes.»2

Ce discours fit sur tous les cœurs une impression profonde: le remords, la crainte, la vengeance se réunirent pour vous rappeler; tous vos sujets aujourd'hui s'empressent de voler au-devant de vous pour vous demander l'oubli du passé; ils se félicitent déjà de votre retour. Viomade les réunit à Bar, et c'est là qu'il nous attend: hâtons-nous de nous y rendre, partons sans délai; ne laissons pas à Egidius le tems de revenir de sa surprise, et d'appeler encore l'étranger à son secours; tombons sur l'ennemi étonné, brisons encore une fois les fers de l'orgueilleuse Rome. Ainsi parla Ulric. Le roi admire ce noble courage que les années n'ont pas altéré; il brille dans son geste animé, sur sa physionomie guerrière, dans son maintien noble et fier: déjà Childéric voudroit voler vers ce peuple dont le retour le touche, vers cet ami dont le zèle prudent et infatigable l'emporte encore sur sa destinée; mais un intérêt bien cher l'arrête… Bazine, Bazine si aimée, si digne de l'être, captive et malheureuse, réclame aussi ses soins et son bras… Il la verra, il lui confiera sa destinée; il connoît sa vertu, il sait que la belle princesse n'exigera rien dont la gloire ait à se plaindre. En attendant l'heure de se rendre au conseil de Bazin, Childéric s'entretient avec ses braves; il leur parle de Viomade, les interroge sur les forces que peut opposer encore Egidius, sur la prochaine arrivée de ses autres braves; il apprend qu'ils sont aux environs d'Eisnach, à une journée et demie d'Erfort. Instruit de tout ce qui le touche, le roi se rend au conseil, suivi d'Ulric et de ses fils, qu'il présenta d'abord au monarque; il remercia le roi dans les termes les plus nobles et les plus touchans, de l'honorable hospitalité qu'il avoit reçue dans ses états, jura de ne l'oublier jamais, et lui annonça, ainsi qu'au conseil, le retour de son peuple vers lui, son prochain départ. Mes braves, dit-il, m'attendent à Eisnach, et mon armée entière à Bar-sur-Aube. Tandis qu'il parloit, Bazin, pâle et les yeux étincelans de fureur, contenoit à peine les mouvemens de rage qui le dévoroient; mais, reprenant tout-à-coup un air calme et ouvert, il témoigna au roi des Francs une feinte satisfaction, le félicita, lui offrit ses services, et dissimula; mais Théobard, dont il évitoit en vain les regards, avoit lu ses projets dans son désordre et dans ce calme trompeur. C'étoit déjà l'heure du repas, et Bazin affecta une grande gaîté, une grande liberté d'esprit; Childéric y fut trompé, et sans les malheurs de la princesse, il eût aimé le monarque qui partageoit si franchement son bonheur. Berthilie, assise à table près d'Ulric, avoit pour lui ces soins aimables qui flattent la vieillesse et lui rendent encore un beau jour; elle remplissoit des meilleurs vins la coupe souvent vidée du brave; il sourioit à des soins dont il devinoit la cause; un regard d'Eginard, la vive rougeur de Berthilie, lui avoient appris en un moment le secret de ces deux cœurs, prêts à s'épancher dans le sien, et Ulric traitoit déjà en fille chérie celle qui en secret le nommoit son père. Valamir la trouvoit plus jolie que toutes les autres dames, qui cependant s'occupoient de lui; il le disoit à Eginard, à Eginard, heureux des éloges que son frère prodiguoit à son amie, et du consentement qu'il lisoit dans le sourire de son père! Sa joie, son bonheur ne sont même plus troublés. Grislidis n'a pas été plus constante; tandis qu'il se reprochoit ses larmes, elle unissoit à jamais son sort au jeune Amblar. Dans ce tems-là, on mouroit quelquefois d'amour; c'est bien ce qu'il y a de mieux à faire; quelquefois pourtant on se consoloit, même, et quoique rarement, on changeoit aussi; voilà ce que l'on a peine à croire aujourd'hui: on aime presque autant ce qui n'est plus, que ce qui n'est pas encore; la mémoire est reconnoissante, le désir embellit tout, les yeux sont toujours mécontens et sévères. Ah! soyons plus vrais, plus sages, et nous serons plus heureux! Tout n'est peut-être pas mieux qu'au bon vieux tems si regretté, mais rien n'est plus mal, et le présent dont nous jouissons vaut mieux que le passé fini pour nous, et que cet avenir imaginaire auquel nous n'atteindrons peut-être jamais.

2Ces paroles sont telles que Viomade les prononça.