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Childéric, Roi des Francs, (tome second)

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HISTOIRE DE LA ROCHE SOMBRE

Vous n'ignorez pas que nos pères descendus de la la Pannonie, s'emparèrent de ce beau pays qui faisoit partie des Gaules; long-tems repoussés, puis vainqueurs, ils s'établirent enfin en conquérans, et se choisirent des chefs. Leurs mésintelligences entraînant les oppressions et la guerre, le peuple, lassé d'être victime de leurs passions, se choisit un roi; ce roi fut votre illustre père. Trop attaché à son frère, l'odieux Bazin, il l'associa à son empire, lui confia le commandement des armées, lui fit élever un palais, non moins beau que le sien même, dont il étoit voisin; enfin il lui donna toutes les marques d'une grande tendresse. Bazin feignoit d'y répondre; mais l'ardente soif de régner le dévoroit, et il voyoit avec envie la puissance qu'un tendre frère aimoit à partager avec lui. Humfroi, juste et généreux, aimé de son peuple, en paix avec ses voisins, eût été le plus heureux des rois, sans l'inquiétude où le plongeoit sans cesse la santé de son épouse qu'il aimoit avec passion. Un mal secret minoit depuis long-tems sa vie; Humfroi, désespéré, offroit aux dieux de pompeux sacrifices; l'encens fumoit sur tous les autels, et le peuple entier prioit pour sa reine; elle devint grosse, et cette révolution devoit lui être favorable, ou terminer ses jours; Humfroi redoubloit ses hommages aux dieux. Les Gaulois, dont nous suivons la religion, adoroient des divinités champêtres, surtout celles qui présidoient aux rochers et aux torrens. Ces asiles de la crainte les remplissoient d'une religieuse terreur; ils aimoient à s'y abandonner, et leurs ames, alors fortement agitées, adoroient ces dieux qu'ils redoutoient. Parmi ces temples formés par la nature elle-même, et habités par ces divinités farouches, on comptoit la caverne qui nous renferme. Radegonde, votre mère, conjura le roi d'y offrir pour elle un sacrifice secret. Bazin, présent à cette prière, forma sur le champ le plan odieux qu'il n'a que trop facilement exécuté. Quelques jours après cet entretien de la reine, les deux frères étant à la chasse, Bazin s'approcha d'Humfroi, et l'engagea à le suivre et à abandonner un moment les chasseurs. Inquiet comme toi, mon cher frère, lui dit-il, sur les jours précieux de Radegonde, j'ai fait préparer le sacrifice qu'elle demande; viens avec moi, nous rejoindrons ensuite la chasse. Humfroi, sensible à cette offre de son frère chéri, le suivit. Mon mari étoit attaché au service particulier de votre père, et il n'en étoit pas éloigné, lorsqu'il les vit quitter les autres chasseurs; il crut devoir accompagner son maître; mais n'en ayant pas reçu l'ordre, il se tint à quelque distance, et vit les deux frères descendre de cheval et entrer ensemble dans la roche sombre; il savoit qu'Humfroi devoit y offrir un sacrifice, il se retira par respect, et vint rejoindre la chasse. Au bout de quelques heures, Bazin, qui s'étoit mêlé aux chasseurs, reprit le chemin de son palais, et témoigna la plus profonde tristesse: son frère Humfroi, disoit-il, avoit tout-à-coup disparu, le cheval seul étoit de retour: on fit promptement des recherches dans la forêt, elles furent inutiles, et chacun forma ses conjectures, son plan, son histoire. Ces bruits accablèrent de douleur mon cher Taber; il se rappela le moment où son maître s'étoit éloigné des siens, la route qu'il avoit prise; et résolu de s'assurer de son sort, et de vérifier ce qu'il soupçonnoit, il se rendit dans ces mêmes lieux; mais il n'aperçut aucune ouverture à ces roches si semblables entr'elles, et après une recherche inutile, désespéré de son mauvais succès, il se hâta d'aller trouver le grand prêtre Hirman, et de lui confier ses pensées et ses indices. Hirman frémit à l'idée d'un fratricide, et ayant parlé à trois Druides qu'il admit à le suivre, il se rendit à la roche sombre, emportant tous les apprêts d'un sacrifice, en cas qu'ils fussent surpris. Ils ôtèrent d'abord les pierres qui fermoient la roche, et en déguisoient si bien l'entrée, que Taber n'avoit pu la deviner; ils ouvrirent ensuite la trappe de fer, dont Hirman connoissoit le secret, et ils entrèrent dans la caverne, suivis de Taber, qui parcouroit rapidement ces lieux, certain d'y trouver les traces d'un meurtre. De quel effroi furent-ils saisis! peignez-vous ce qu'ils éprouvèrent tous, en voyant leur roi encore vivant, mais pâle, mourant et attaché, hélas! à cette chaîne, à cette chaîne, objet de mon respect et de ma crainte! La faim, la soif, mille douleurs dévoroient le roi; il s'évanouit en reconnoissant Hirman et Taber; ils lui donnèrent de prompts secours, l'enveloppèrent du manteau de mon époux, lui firent avaler quelques gouttes des liqueurs qu'ils avoient apportées pour le sacrifice, et transportèrent le malheureux Humfroi jusques dans leur temple. Hirman, très-versé dans les sciences, étoit surtout fort habile en médecine; il employa toutes les ressources de son art pour rendre la santé à Humfroi: mais il s'aperçut que le monarque étoit empoisonné, et que l'effet du poison pouvoit seulement être tempéré, qu'enfin sa mort étoit prochaine. Il en avertit le roi, qui dès lors le pria de tenir secrète toute cette aventure horrible; ensuite il chargea Taber de se rapprocher du palais, et de venir la nuit suivante lui apporter des nouvelles de Radegonde. Taber obéit et vint me trouver; j'étois au service de la reine depuis mon enfance, c'étoit elle qui avoit fait mon mariage, et je nourrissois ma fille Elénire. Au récit de Taber, je sentis mon sang se glacer dans mes veines; cependant je l'engageai à cacher ces affreux évènemens à votre sensible mère; elle étoit à la fin de sa grossesse, et si languissante, qu'une révolution aussi violente auroit pu lui coûter la vie. Taber, la nuit suivante, devoit retourner au temple; je lui dis que l'on cachoit à la reine tout ce qui regardoit Humfroi; qu'on lui avoit persuadé que la chasse le retenoit encore pour quelques jours. Bazin s'étoit emparé du gouvernement, prêt à remettre, disoit-il, le sceptre à son frère dès qu'il paroîtroit; mais, se flattant sans doute que la nouvelle inattendue de sa mort le délivreroit encore de Radegonde, et du fruit que portoit son sein, et dont les droits légitimes l'effrayoient, il alla, pendant que je parlois à Taber, instruire brusquement la reine de la perte de son époux, qu'il supposa avoir été dévoré par un sanglier. A cette nouvelle, Radegonde jeta de grands cris, et s'évanouit, mais les douleurs de l'enfantement la rappelèrent à la vie; j'étois revenue près d'elle avec les femmes et tous les secours nécessaires. Bazin, feignant la plus vive douleur, ne voulut point quitter la chambre; il assuroit que l'enfant qui alloit naître ne pouvoit vivre, et je me préparois à ne pas le quitter des yeux, persuadée que son intention étoit de l'étouffer. Vous naquîtes bientôt; aux premiers sons de votre petite voix à-la-fois douce et forte, je le vis pâlir. Mais à peine sût-il que c'étoit une fille à qui la reine venoit de donner le jour, qu'il changea entièrement de physionomie, il embrasse la reine, et après vous avoir caressée et appelée sa fille, il se retira pour assembler promptement le conseil: là, il déclara votre naissance, ajouta que, pour assurer vos droits au trône, et satisfaire à sa tendresse envers son frère, il vous adoptoit pour sa fille, vous nommoit de son nom, et vous destinoit à Amalafroi, son fils, âgé de deux ans. Ces marques de son amour pour Humfroi enchantèrent tous les cœurs; la Thuringe entière y applaudit avec transport; votre mère, malgré sa douleur et sa foiblesse, s'en félicita, et vouoit une tendre reconnoissance au barbare qui causoit son malheur et sa mort. La reine m'aimoit tendrement, et m'avoit fait promettre de vous nourrir; ma fille étoit assez forte pour se passer de mon lait; dès que vous naquîtes, je la confiai à ma mère; je vous présentai le sein sur le lit même de Radegonde; vous le prîtes aussitôt, et votre mère en sourit: mais elle se sentoit si foible, qu'elle ne pouvoit se flatter de vivre long-tems; elle ne le désiroit point; privée de son époux, tranquille sur vos jours, elle attendoit avec calme l'instant qui devoit finir ses maux. En effet, peu de momens après, elle s'affoiblit de plus en plus, me remit pour vous tout ce qu'elle possédoit de plus précieux, me fit jurer de ne vous quitter jamais, et expira dans mes bras sans aucune marque de souffrance. Bazin, à cette nouvelle, donna de grands témoignages de douleur. Je rejoignis un moment Taber, que j'instruisis de tous ces détails; il partit dès qu'il fit nuit, et arriva au temple où Humfroi l'attendoit impatiemment. A son récit, votre père s'écria: Chère Radegonde! nous ne serons pas long-tems séparés. En effet, ses douleurs ne lui laissoient aucun espoir; et dès lors il désira avec ardeur que le crime de son frère demeurât à jamais inconnu. Il fit sentir à Hirman, ainsi qu'à Taber, que son frère sans doute sauroit bientôt qu'il étoit sauvé; que tant qu'il le croiroit vivant, il se feroit un otage de sa fille, dont les jours lui deviendroient nécessaires; tandis que s'il étoit sûr de sa mort, il vous feroit mourir peut-être pour anéantir vos droits au trône. Cette pensée étoit juste, Hirman l'approuva, et toute cette funeste histoire fut soigneusement cachée. La mort de votre père n'arriva pas aussitôt qu'on l'avoit craint d'abord; il vécut plusieurs mois, mais dans des souffrances continuelles, causées par l'effet du poison, dont tout l'art d'Hirman ne parvint qu'à retarder l'effet et à calmer les douleurs. Ce bon roi, ce tendre père brûloit du désir de vous voir; il l'exprima à Taber, qui m'en fit part; cette démarche étoit difficile. Bazin, qui feignoit pour vous la plus grande tendresse, m'envoyoit chercher chaque jour; j'étois contrainte et observée, je ne pouvois m'échapper. Taber seul alloit porter de vos nouvelles; ce qu'il disoit de vous ajoutoit encore au désir qu'éprouvoit Humfroi. J'eus enfin le bonheur de le satisfaire. Bazin, que l'idée de son crime poursuivoit, désirant sans doute en enlever les traces, ordonna une chasse du côté de la roche, et se hasarda seul pour l'examiner. Surpris de la trouver ouverte, il osa avancer dans le souterrain, la trappe étoit restée levée; il ne trouva point sa victime, et ne put voir sans effroi les apprêts d'un sacrifice non consommé, qu'avoit apportés et abandonnés Hirman. A ce spectacle, Bazin crut son frère sauvé, son crime découvert; il accusa Hirman, se promit une éclatante vengeance, et sortit en furieux de cet asile divin, dont il avoit fait l'antre du crime; cependant il lui restoit l'espoir qu'au moins votre père étoit mort avant le sacrifice. Pour s'en assurer, il résolut de voir le sage Hirman, et rejoignit la chasse, pâle, rêveur, agité. Le lendemain, il fit demander au vénérable Druide un entretien secret; Hirman lui fit réponse qu'il ne le verroit qu'à la roche sombre. Bazin, qui crut entendre le reproche et la menace dans ce peu de mots, entra dans une si violente colère, qu'il ne put en maîtriser les transports. Cette rage inutile s'exhala en mouvemens impétueux qui enflammèrent son esprit, et en peu d'heures il tomba dans un délire frénétique; une fièvre ardente le dévoroit; il appeloit Humfroi, Hirman, Radegonde, et se rouloit par terre comme un insensé. Ceux qui avoient les premières places autour de lui, éloignèrent tous les témoins qui pouvoient publier ses paroles dangereuses; j'eus défense de vous porter au palais, sous prétexte que la maladie du roi étoit contagieuse: me trouvant libre alors, j'en profitai, et je dis à Taber de m'amener un char au bout des allées; le soir venu, je vous enveloppai soigneusement, et vous portant dans mes bras, j'allai joindre Taber qui m'attendoit. Je montai sur le char, vous tenant sur mon sein; le mouvement vous ayant endormie, je vous portai ainsi jusqu'à votre père, qui vous reçut avec transport; il osoit à peine vous caresser de peur de vous réveiller, mais au bout de quelques minutes vous ouvrîtes les yeux, et vous le regardâtes; ce moment, à ce qu'il nous répéta plusieurs fois, fut le plus doux de sa vie; ce regard l'avoit charmé; il vous couvrit de ses baisers et de ses pleurs. Nous passâmes ainsi toute la nuit; votre père remercia les dieux qui lui accordoient encore tant de jouissances; il me témoigna une reconnoissance au-dessus de mes services, et vit venir le jour avec regret: mais Taber pensa que je pouvois rester jusqu'à la nuit suivante. Il retourna dans votre palais, afin de répondre en cas que je fusse demandée; votre père vous garda constamment dans ses bras, et ce fut alors qu'il me raconta comment son barbare frère l'avoit attiré dans la roche.

 

Vous savez, me dit-il, que Radegonde désiroit que j'offrisse pour elle un sacrifice aux divinités champêtres. Bazin, feignant de satisfaire ce désir, m'engagea, pendant une chasse, à me rendre au temple sauvage, où, disoit-il, on n'attendoit plus que moi; je le suivis avec la plus sensible reconnoissance; il entra le premier; j'aperçus plusieurs druides, et je déposai mes armes selon l'usage. Dès que l'on me vit désarmé, les faux druides, que je reconnus alors pour les muets chargés ordinairement des exécutions, se jetèrent sur moi, m'attachèrent à la chaîne de fer destinée à retenir les victimes offertes en sacrifice… J'appelai mon frère à mon secours; il avoit fui le cruel! On me laissa des vivres, et, en un moment, je me vis enchaîné dans une horrible caverne… J'entendis se fermer avec fracas une trappe; je me trouvai seul et abandonné à mon horrible destinée; l'image de Radegonde, prête à me rendre père, s'offrit à ma pensée et m'attendrit; je sentois que ma perte entraîneroit la sienne; l'ingratitude d'un frère tendrement aimé m'affligeoit plus encore que sa cruauté ne m'effrayoit; la mort avoit pour moi moins d'horreur que la haine de Bazin: mais l'impossibilité de changer rien à mon sort me rendit tranquille. J'offris mes jours aux dieux; j'osai descendre dans mon cœur, en sonder tous les replis, en interroger tous les sentimens; satisfait d'eux, en paix avec moi-même, je n'attendis plus qu'une mort douloureuse, mais qui m'ouvroit une autre vie. J'invoquai les dieux pour Radegonde, pour le fruit de notre amour; je leur recommandai mon peuple; je pardonnai à Bazin, et repoussant les alimens qui eussent retardé le sacrifice de ma vie que je venois de faire, je m'endormis profondément. Un doux songe m'offrit Radegonde, mère d'une fille déjà belle, et déjà la vive image de la reine. Je m'éveillai tranquille, soumis, adorant les dieux, et plein de calme. Les heures s'écouloient; la faim, dont je ressentois les vives atteintes, croissoit avec elles; bientôt les momens devinrent des supplices: tourmenté du plus horrible besoin, je lui résistai long-tems; je détournois la vue des alimens que je m'étois promis de ne pas toucher; mais la nature l'emporta; je dévorai cette dangereuse nourriture, qui par une juste punition du ciel, auquel je m'étois donné, auquel je venois de chercher à me dérober, porta dans mes entrailles la souffrance et la mort. Si plus dévoué, plus fidèle à mes sermens, j'eusse repoussé avec constance des secours perfides, récompensé de ma force, de ma vertu, je serois aujourd'hui sur mon trône, je jouirois du bonheur d'être père et de l'amour de mon peuple heureux. Voilà, chère Eusèbe, ajouta-t-il, comme les justes dieux me punissent: apprenez à ma fille à respecter leur volonté, à leur immoler sans regret cette vie que nous tenons d'eux, et citez-lui mon exemple, si les évènemens vous forcent à lui révéler ma funeste histoire. Mais, Eusèbe, n'oubliez jamais que j'en exige le secret, tant que mon frère respectera les jours et les droits de ma chère Bazine, tant qu'il ne changera rien au projet de l'unir à Amalafroi. J'approuve cette union; elle assure à ma fille un trône paisible; mais si cet hymen étoit rompu, alors parlez, et ordonnez de ma part à ma fille de consulter le sage Hirman sur les moyens à employer pour revendiquer son trône. Je le répète, tant que ses droits seront respectés, tant qu'elle sera traitée en héritière de la couronne de son père, épargnez son cœur, et dérobez-lui les crimes d'un frère auquel j'ai pardonné, auquel je pardonne encore au nom de Bazine.

Tels furent, princesse, les ordres que je reçus de votre père; je les ai observés fidèlement, soit en gardant le silence, soit en vous parlant aujourd'hui. Votre hymen avec votre oncle vous plaçoit encore au rang de reine de Thuringe; mais je ne pouvois voir sans effroi cette alliance, et votre main devenir la proie de l'assassin de votre père: cependant, n'osant déterminer mon devoir dans une circonstance que le roi n'avoit pu prévoir, je fis chercher Taber à la maison de chasse où il commande, et je l'envoyai consulter Hirman. Il m'a ordonné de vous faire connoître toute cette affreuse histoire, et j'obéis: mais il me reste à terminer le récit de la mort du roi. Je le quittai la seconde nuit et vous ramenai dans votre palais. Grâce à la maladie de Bazin et à l'adresse de Taber, mon absence fut ignorée; je retournai même plusieurs fois au temple. Un jour, je venois de vous y conduire, et de vous déposer dans les bras de votre père; vous lui sourîtes, c'étoit votre premier sourire, il lui causa une joie inexprimable; vous aviez alors près de deux mois; je le trouvai extrêmement pâle et affoibli. Eusèbe, me dit-il, je ne vous reverrai plus, et ce premier sourire de Bazine sera le dernier dont mes yeux paternels auront joui. N'oubliez pas tout ce que je vous ai recommandé: si jamais vous êtes forcée de parler de ma mort à ma fille, remettez-lui ces tablettes, cette bague gravée, et qui porte l'empreinte du nom et des traits de sa mère. Il me présenta alors ces dons précieux; je prononçai le serment de vous consacrer ma vie; Taber m'imita; le roi vous pressa contre son cœur, vous embrassa avec tendresse, et ne pouvoit vous quitter; il sentoit, hélas! qu'il ne vous reverroit plus; mais la prudence exigeoit mon retour; je m'arrachai à regret d'auprès de lui. La maladie de Bazin étoit moins violente; son délire ne duroit plus que quelques instans; il demanda même à vous voir, vous caressa, m'accabla de riches présens, et enfin il se rétablit. Mais hélas! le vertueux Humfroi n'existoit plus. Vous parûtes chaque jour plus chère à son barbare successeur; vous grandissiez sans connoître les malheurs qui avoient précédé votre naissance. Amalafroi me sembloit digne de vous; je jouissois de votre bonheur en pleurant secrètement les auteurs de vos jours, lorsque la mort prématurée du fils aimable et vertueux du plus cruel des rois, a changé votre destinée et mes devoirs. Recevez cette bague et ces tablettes, dit alors Eusèbe, en les présentant à Bazine, qui pendant son récit, attentive et muette, avoit donné un libre cours à ses larmes. L'arrivée de Théobard la força de les essuyer; Bazine n'avoit point un faux orgueil, mais elle ne vouloit pas que l'on se méprit sur ses sentimens, ni que l'on attribua à la foiblesse l'hommage offert à la tendresse et à la nature.

FIN DU LIVRE QUINZIÈME

CHILDÉRIC.
LIVRE SEIZIÈME

SOMMAIRE DU LIVRE SEIZIÈME

Douleur de Childéric. Berthilie découvre l'enlèvement de la princesse; elle espère tout d'Eginard, qui ne compte que sur elle. Songe de Bazine. La chaîne. Eginard obtient de Berthilie un rendez-vous nocturne; ce qu'il entend, son entretien avec Berthilie, l'espoir qu'il conçoit. Il le partage avec son maître. Nouveau rendez-vous projeté. Eginard l'exécute, découvre la roche sombre, et trouve Bazine. Il vole en instruire Childéric, et bientôt après Berthilie. Deux étrangers paroissent chez son maître; ce sont Ulric, son père, et son frère Valamir. Ils apportent au roi le vœu de son peuple, et le signal promis par Viomade. Récit d'Ulric. Combats qu'éprouve le roi. Il ira cette nuit même à la roche sombre; en attendant, il se rend au conseil, et fait part au roi de Thuringe de son bonheur. Bazin feint une fausse joie. Théobard qu'elle inquiète se promet de le deviner.

LIVRE SEIZIÈME

Tandis que la princesse, entraînée par les ordres du roi, avançoit vers la roche qui devoit ensevelir tant de charmes; tandis qu'elle se soumettoit courageusement à son sort, ou qu'elle écoutoit avec attendrissement le récit d'Eusèbe, Childéric l'a vue disparoître de cette fête, où elle lui avoit semblé aussi sensible que belle; il a vu naître le jour destiné pour l'hymen funeste, et cependant tous les apprêts en sont suspendus. Bazin se tait, mais l'inquiétude secrète qui le dévore se décèle malgré lui. Eginard s'informe des motifs qui ont retardé la cérémonie; personne ne lui répond, et Berthilie, qui a reçu la défense de se rendre auprès de la princesse, en conçoit trop d'ombrage pour obéir; elle n'attend que la nuit pour braver ce roi qui fait tout trembler: et sans rien craindre de sa vengeance, malgré son inquiétude, elle sourit en pensant au plaisir de le tromper. A peine les voiles du soir déroboient-ils aux regards la démarche téméraire de l'amitié, que Berthilie s'avance légèrement vers le palais; les gardes n'en défendent plus l'entrée; elle s'en étonne, et s'approchant d'une petite porte, dont par bonheur elle a la clef, elle ouvre, s'élance par des détours qui lui sont connus, et parvient aux appartemens, éclairée d'une petite lampe qu'elle a apportée. Ils sont déserts, et le désordre qui y règne encore annonce un départ précipité. O ciel! qu'est-elle devenue? où l'a donc conduite ce roi barbare? quelle est sa destinée? qui pourra en instruire son amie? comment la secourir? que va devenir Childéric qui la croit renfermée dans son palais? comment le prévenir? C'étoit l'instant de penser à Eginard; elle y pensa… mais elle a craint d'exposer son père adoré aux soupçons, au courroux du roi; elle a défendu à son amant de se rapprocher d'elle; et comment servir ceux qu'ils aiment, s'ils ne peuvent ni se réunir, ni se parler? La désolée fille de Théobard quitte ces lieux déserts et douloureux, regagne son appartement et s'afflige; que peut-elle espérer? que peut même entreprendre Childéric? La douleur est peinte sur ce beau visage, dont l'expression douce et mélancolique attendrit tout, excepté le rival qui en jouit. Seul, dans une cour soumise à son ennemi, ses pas sont épiés, ses discours répétés, ses moindres démarches observées. Tandis que Berthilie se livre à ses pénibles pensées, Childéric ne se désespère pas moins qu'elle, quoiqu'il ignore une partie de ses malheurs. Ah! que le silence de Viomade lui semble affreux, qu'il l'effraye maintenant! Si du moins, assuré de sa puissance, il osoit parler en roi et en amant préféré: qu'il est humilié de sa dépendance! Qu'est devenu le tems où il donnoit des lois; où, à la tête d'une puissante armée toujours triomphante, il eût fait trembler Bazin lui-même? Ce roi a-t-il donc oublié que lui seul lui a sauvé la vie, que son bras l'a délivré des Vandales et des Ostrogoths? Ne doit-il donc rien à son amitié, à sa vaillance? Ah! l'amour, l'amour n'obéit qu'à ses caprices, et ne reconnoît aucune loi; mais Bazine l'aime, son choix est tout; elle rejette la main et le trône qui lui sont offerts: n'est-elle donc pas maîtresse de son cœur?.. Childéric, indigné de céder en silence à son rival, réprime avec peine les mouvemens de son amour, de sa fierté, de son courage.

 

Mais Théobard se trouvoit presqu'aussi malheureux que ces illustres victimes du courroux et de l'amour de son roi. Il ne pouvoit voir sans honte et même sans remords, la fille d'Humfroi dans une si odieuse captivité. Il avoit aperçu sur cette figure charmante, des traces de pleurs, il n'avoit pu résister à ces preuves de sa souffrance. Entraîné par sa sensibilité, il s'étoit jeté aux pieds de la princesse, et l'avoit conjurée, les larmes aux yeux, de céder à sa destinée, de ne pas s'exposer à des malheurs plus grands encore. Bazine, touchée des marques d'un attachement aussi pur, lui en témoigna sa reconnoissance, mais l'assura, avec autant de fermeté que de douceur, que rien ne pourroit la déterminer à l'hymen odieux qui lui étoit offert; elle le pria de ne lui en parler jamais, l'exigea même, et le vertueux chef du conseil alloit se retirer au désespoir, lorsque Bazine le conjura, avec cet air et ces grâces auxquels on ne pouvoit rien refuser, de remettre à Berthilie des tablettes sur lesquelles elle écrivit, devant lui, quelques lignes. Je connois vos devoirs, lui dit-elle, et les dangers auxquels vous seriez exposés; je n'écrirai rien qui indique mon funeste sort, mais accordez-moi la permission de la rassurer. Théobard eût sacrifié sa vie pour la princesse; il ne vouloit trahir ni le secret confié par son roi, ni le serment d'obéissance qu'il avoit prononcé; cependant il s'en rapporta à la princesse, et se chargea de remettre les tablettes à Berthilie. Bazine écrivit, et le chef du conseil s'éloigna, emportant le précieux écrit, et pénétré de respect, d'amour, d'attendrissement pour celle qu'il regardoit comme sa reine.

Le départ de Théobard laissoit à Bazine la liberté de lire les dernières volontés de son auguste père; elle se livra toute entière à cette douce et tendre occupation. Humfroi, dans cet écrit, lui retraçoit rapidement ses malheurs, les services d'Eusèbe, qu'il la conjuroit d'aimer tendrement, et finissoit par lui ordonner, en cas que ces tablettes lui fussent remises, de n'entreprendre aucune démarche, de n'accepter aucun époux, sans consulter le pieux, le sage Hirman, s'il vivoit encore; s'il n'existoit plus, on devoit trouver sur le tombeau d'Humfroi un écrit d'Hirman, qui indiqueroit à la princesse ce qu'elle auroit à entreprendre. Bazine, après avoir lu plusieurs fois l'écrit révéré, après avoir examiné et couvert de ses baisers et de ses larmes la belle image de Radegonde, passa la bague à son doigt, auprès de celle qui représentoit son amant, et se jetant dans les bras d'Eusèbe, qu'elle accabla de ses caresses: O ma chère nourrice! lui dit-elle, je ne connoissois pas encore la moitié de tes bienfaits. Eusèbe, suffoquée par ses larmes, ne put répondre, et toutes deux enlacées dans les bras l'une de l'autre, demeurèrent en silence. Mais les flambeaux qui commençoient à s'éteindre, annonçoient qu'ils brûloient depuis long-tems, et que la nuit étoit fort avancée. Eusèbe, inquiète pour la santé de sa chère enfant, la supplia de se coucher; Bazine ne voulut pas l'affliger par un refus, et sûre de ne point dormir, elle céda aux instances de sa nourrice. La fatigue l'emporta sur l'agitation de ses esprits; elle s'endormit vers le matin, et un songe la conduisit aux autels d'hyménée; Bazin en prononçoit l'irrévocable serment, lorsque l'ombre d'Humfroi, s'élevant entre eux, les sépara. Bazine, éveillée par le trouble qu'excitoit dans son cœur cette auguste apparition, vit que le jour éclairoit déjà toute sa caverne, et elle promena ses regards dans ces lieux qu'avoit habités son père; combien ils sont devenus chers et sacrés pour elle! Bazine respiroit l'air qu'il avoit lui-même respiré. Bientôt levée, ainsi qu'Eusèbe, que réveilloit un mouvement, un soupir de celle qui occupoit toute son ame et toute sa pensée, Bazine s'approcha de la chaîne, et chercha la place où son père, prosterné, s'étoit offert aux dieux pour son épouse et pour son enfant; elle s'y précipita à son tour, jura d'accomplir ses volontés, de chérir Eusèbe, d'obéir à Hirman, avoua qu'elle aimoit Childéric, que lui seul avoit son amour, que lui seul pouvoit faire son bonheur, mais elle promit qu'Hirman seul disposeroit de sa main. Alors se relevant, et touchant avec respect cette chaîne dont le poids accabla son père, elle cherche à reconnoître les anneaux qui ont pressés ses bras, elle y attache les siens; il lui semble que ces fers ont conservé quelques parties de lui-même; elle croit les recueillir et s'en pénétrer, sa bouche se pose avec ardeur sur les traces que son cœur devine. Oh! disoit-elle, chaîne plus précieuse pour moi que mes éclatantes parures, jamais je ne me séparerai de toi; si les dieux me conservent la vie, me rendent ma liberté et me placent au rang des reines, chaque jour, me dépouillant des marques de l'orgueil de la grandeur, je viendrai, me courbant humblement devant toi, me rappeler ce qu'a souffert mon vertueux père… Bazine, pressée par les fers douloureux qu'elle arrose de ses larmes, parut à Eusèbe digne de l'amour et de l'admiration de l'univers; elle invoqua les dieux pour le bonheur de cette fille de ses soins et de son cœur: et la prière de la vertueuse Eusèbe parvint au trône de l'éternel.

C'est dans cette occupation pieuse, animée, que la belle et tendre captive passoit ses jours. Théobard venoit, de deux nuits l'une, lui apporter des provisions, prendre ses ordres, et adoucir, autant que sa sévère obéissance le lui permettoit, une captivité qui l'affligeoit plus que celle qui en étoit la victime; il avoit placé les tablettes de la princesse dans un lieu où il étoit sûr qu'elles seroient trouvées par Berthilie; en effet, l'aimable fille les avoit découvertes, et brûloit de les communiquer à Childéric, à qui elles paroissoient être adressées comme à elle. Voici ce qu'elles contenoient: «Mes jours sont en sûreté, mais je suis loin de vous; c'est vous que j'aime plus que ma vie». Berthilie cherchoit l'occasion favorable pour s'approcher du prince ou d'Eginard; elle avoit placé dans ses cheveux la guirlande de fleurs, signal dont ils étoient convenus pour s'annoncer une nouvelle importante, et s'étoit rendue près de Bazin. Son amant a vu le signal; il a lui-même cent choses à communiquer à Berthilie; mais ce n'est pas au milieu de mille témoins, et sous les yeux soupçonneux du roi, qu'il peut avoir un aussi long entretien. Il n'est qu'un seul moyen de se voir librement et sans danger: peut-être effrayera-t-il Berthilie. Ah! que peut-elle avoir à craindre d'un amant si soumis et si tendre? n'est-elle pas en sûreté sous la garde de l'amour et de l'honneur?.. Il est jeune et amoureux ce guerrier charmant, mais il respecte l'innocence. Décidé à tout obtenir de la confiante tendresse de son amante, mettant dans ses yeux tout ce qu'il a d'amour et de franchise, il s'approche d'elle, et lui dit avec précipitation: Et moi aussi j'ai à vous confier les secrets les plus importans; la vie, peut-être, de ceux à qui nous sommes dévoués, en dépend. Ces lieux sont peu propres à une aussi longue explication; laissez demain votre fenêtre ouverte; j'attendrai que l'on ne puisse m'apercevoir: ne craignez rien, ajouta-t-il, en levant ses regards vers les cieux, posant une main sur son cœur et l'autre sur son épée. Alors il s'éloigna promptement, pour ôter à sa timide amie l'embarras de lui répondre. Berthilie, émue et tremblante, resta immobile. Qu'ose-t-il me demander, se disoit-elle? Non, sans doute, je n'ouvrirai point cette fenêtre; il est vrai que de la terrasse on peut parvenir à ce cabinet où je brode et où personne ne m'interrompt; il est vrai qu'il est essentiel, indispensable même… Mais la nuit, car ce sera la nuit, et cette idée fait rougir la modeste fille. Cependant a-t-elle besoin que les rayons du jour l'éclairent pour être pure et respectée? Il est si vertueux, celui qu'elle aime! Toutes ces pensées la troublent. Eginard, qui voit ses combats, l'en estime et l'en aime davantage; elle évite ses regards, et pourtant elle les rencontre et détourne promptement les siens; l'amant délicat entend ce murmure de la pudeur alarmée; il cherche à la rassurer; son air noble et soumis, sa contenance modeste et fière, tout dit à Berthilie de cesser de le craindre; elle ose l'espérer, elle fixe sur lui des yeux tendres et supplians; un geste expressif, un serment prononcé du fond de l'ame, lui répondent, elle se calme, et un torrent de délices inonde le sensible cœur du jeune guerrier. On se sépare, mais la nuit n'apporte à Berthilie ni repos, ni conseils; tous les dangers d'un rendez-vous nocturne s'offrent confusément à sa pensée. Hélas! il faut pourtant qu'elle entretienne Eginard, et elle ne peut choisir ni le lieu ni l'heure. Quel embarras! elle se lève, court à ce petit cabinet qui donne sur la terrasse; il est vrai qu'en montant sur cette pierre, et soutenu par cet arbre, on parvient en un instant, et sans danger, à cette fenêtre: voilà du moins de quoi se rassurer, et Berthilie retourne dans son lit; son embarras, son incertitude l'y suivent; l'heure de rejoindre son père la surprend dans ses agitations pénibles; à sa vue, tout son courage l'abandonne; jamais elle n'a caché à Théobard ni ses actions, ni ses moindres pensées; elle l'embrasse, rougit; ses pleurs vont la trahir; mais on le demande promptement, et il quitte sa fille sans s'être aperçu de son trouble. Voilà de nouveau l'amitié, l'amour, la prudence, la nécessité qui tourmentent, en sens contraire, le jeune cœur qui les renferme; les heures s'écoulent dans ces pénibles irrésolutions. Cependant Berthilie, rassurée par l'éclat du jour, a ouvert sa fenêtre. Sans doute, si elle eût attendu la nuit, jamais sa modeste main n'eût osé… Elle se retire, et fuit ces lieux qui l'agitent de trop de craintes; pendant qu'elle s'inquiète, s'applaudit, s'accuse, veut retourner sur ses pas refermer cette fenêtre qui la charme et la désole, l'heureux Eginard se plaint du jour, il accuse de lenteur la déesse qu'il implore; qu'elle s'empare lentement des cieux au gré de l'impatient guerrier! qu'il souffre dans cette mortelle attente! Enfin elle approche cette nuit désirée; déjà elle paroît silentieusement assise sur son char d'ébène; elle traîne languissamment à sa suite le sommeil, les songes, la paix, la volupté, la mollesse, les douces faveurs, les heureux larcins, et l'amour, en traversant les airs, sourit à son aimable cortége.