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Childéric, Roi des Francs, (tome second)

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CHILDÉRIC.
LIVRE QUATORZIÈME

SOMMAIRE DU LIVRE QUATORZIÈME

Bazine se livre à ses heureuses pensées. Berthilie les interrompt pour lui annoncer que Trasimond, à la tête d'une armée nombreuse, est entré dans la Thuringe, et que Childéric commande les troupes. Elle le croit déjà vainqueur. Eginard lui présente une bague de la part du roi; elle lui envoie un baudrier brodé par elle. Berthilie pleure et donne un bouquet à Eginard. Childéric revient après avoir vaincu l'ennemi et accordé la paix. Eginard apporte ces glorieuses nouvelles à la princesse. Berthilie est heureuse. Eginard ne se défend plus qu'avec peine de l'amour qu'il éprouve malgré lui. Une fête magnifique se prépare. Bazine y paroît éclatante de beauté; le roi de Thuringe en est frappé pour la première fois.

LIVRE QUATORZIÈME

Bazine n'a point quitté son palais; heureuse de plaire et d'aimer, seule avec son cœur et sa tendresse, elle jouit de ce bonheur qui fut toujours le charme de sa pensée: son ame avoit besoin d'amour; mais il falloit à sa délicatesse un choix dont elle pût s'applaudir, à son rang un égal, à sa flamme généreuse et pure un amant non moins pur, non moins généreux; il falloit que des traits nobles et majestueux annonçâssent dans son amant l'heureux vainqueur de Bazine; il falloit encore que ces traits, réguliers et fiers, fussent adoucis par la bonté, et sûssent exprimer l'amour. Des revers étoient des titres qui touchoient l'ame de la princesse; la douceur de consoler étoit pour elle un charme de plus; elle eût aimé Childéric sur le trône, mais elle partageroit avec transport son infortune, et le suivroit dans quelque désert qu'il fût contraint d'habiter. La couronne n'étoit plus rien pour elle sans son amant; les obstacles, l'absence, le tems, les dangers, toute la puissance du monde ne pouvoient rien contre cet amour extrême; il a tracé la destinée entière de Bazine; elle ne jouit plus que du sentiment qu'elle éprouve et de celui qu'elle inspire, tout autre objet a cessé d'exister pour elle. Livrée à toutes ces pensées, elle a vu s'écouler la soirée, une partie même de la nuit, quand elle entend un léger bruit, et croit reconnoître la voix de son amie; la princesse s'étoit couchée depuis quelques heures, mais elle n'avoit pu trouver le sommeil; et, surprise d'entendre Berthilie au milieu de la nuit, elle appela ses femmes, et donna ordre qu'on la fît entrer. Les amans croient l'univers occupé de leur flamme, tout les effraie sur leur bonheur, et déjà Bazine va nommer Childéric; mais voyant couler les pleurs de Berthilie, elle pressent qu'un autre objet les excite, et elle se tait. Son amie ne voulant pas prolonger son inquiétude, lui raconte que Trasimond, roi des Vandales, voulant venger ses sujets si cruellement sacrifiés aux mânes d'Amalafroy, s'est joint à Théodoric, roi des Ostrogoths, et est entré en Thuringe à la tête d'une puissante armée; qu'ils exercent d'affreux ravages, et font de si rapides progrès, que l'effroi est général. Bazin, à qui sa blessure ne permet pas encore de combattre, a assemblé son conseil; Childéric, qui s'y est rendu, a offert ses services, ils ont été acceptés avec une vive reconnoissance; une voix générale lui a confié le commandement de l'armée; tous les ordres sont donnés, dans quelques heures il partira. Théobard, chargé des préparatifs, a déjà quitté sa fille; elle-même lui a présenté ses armes, et ses pleurs les ont baignées. Bazine apprend avec joie que Childéric combat pour elle; déjà sûre de la victoire, elle ne craint plus les ennemis; son amant sera vainqueur: le doute est une injure, elle ne croit pas qu'on puisse le former; mais il partira sans la voir, elle en soupire; le jour va paroître, et c'est l'heure fixée pour le départ. Eusèbe annonce un message de la part du roi; Bazine se lève promptement. Eginard est introduit: plusieurs flambeaux éclairent la chambre; Eginard remet à Bazine des tablettes, elles renferment les adieux du roi; un anneau, dont une pierre gravée fait l'inestimable prix; cette pierre représente Childéric couronné, et tenant pour sceptre un javelot; on lit autour de cet anneau: Childerici regis. Tandis que Bazine lit les adieux et y répond, le guerrier est près de Berthilie: la fierté noble qui soutient Bazine est loin de raffermir le cœur de la fille de Théobard; elle craint les armes, redoute la guerre; et les attraits d'une gloire si pénible l'effraient, loin de la séduire. Berthilie ne voit que les dangers et l'absence, elle verse des larmes, et nomme son père en regardant Eginard: un bouquet s'échappe de son sein, il est baigné de pleurs; le jeune guerrier ose lui demander ce premier bienfait; il va partir, il est si tendre, Berthilie si désolée, que l'idée d'un refus ne lui vient pas; elle présente les fleurs flétries; Eginard pose un genou en terre, porte le bouquet à ses lèvres, le place sur son cœur, se lève promptement, et paroît brillant de joie et enflammé d'un nouveau courage. Dans ce moment, Bazine lui remit ses tablettes et un riche baudrier brodé par elle, destiné au roi, et le congédia. Seule avec son amie, elle se sentit moins de fermeté, mais elle se le reprocha; jamais la Thuringe ne lui parut plus en sûreté que depuis que Childéric va la défendre; jamais les troupes n'auront été plus victorieuses; un tel héros doit enflammer tous les cœurs, exalter toutes les ames; la fortune n'oseroit le trahir, il commande aux destins même. Ce qu'avoit prévu l'exaltation de l'amour fut dépassé par le courage. Childéric, voulant épargner les Thuringiens, et sachant que les armées combinées étoient plus nombreuses que la sienne, eut recours à la feinte; il évita le combat, eut l'air de fuir, afin d'être poursuivi, et attira l'armée dans un défilé entouré de bois, où il plaça une partie de ses troupes: en un instant les ennemis furent cernés. Effrayés du nombre qu'ils ne pouvoient connoître, puisque de nouveaux renforts sortoient à chaque instant des forêts, ils se virent enfermés de tous côtés. Childéric pouvoit faire prisonniers les deux rois, il leur en épargna la honte, et se contenta de sa gloire, à laquelle une si grande modération ajouta encore. Ses ennemis vaincus ne purent refuser leur admiration à ce trait noble et généreux; ils demandèrent la paix, et offrirent, pour gage de leur sincérité, et pour resserrer à jamais les liens d'amitié qu'ils alloient former avec Bazin, de donner en mariage, à Hermanfroy, Amalabergue, fille de Trasimond, et de la trop belle et trop célèbre Amalafrède, sœur du roi Théodoric. Childéric ayant envoyé rendre compte de ses triomphes au roi de Thuringe, ainsi que des propositions de paix, celui-ci les accepta sur-le-champ. Amalabergue, encore enfant, fut remise aux vainqueurs, et conduite à la cour de Bazin, où elle resta jusqu'à son mariage, qui se fit au bout de quelques années. Childéric ramena l'armée triomphante; le peuple vola à sa rencontre: on l'admiroit, il gagnoit tous les cœurs; mais, loin de s'enorgueillir, il reportoit aux généraux et à l'armée tout le mérite de la victoire. Bazin le reçut en libérateur de ses états: une foule immense l'entoura, mais Childéric n'envioit point l'hommage de ce peuple, ni la pompe des fêtes; un seul regard a plus de prix pour son cœur que ces honneurs importuns. Que ne peut-il s'y dérober! que ne peut-il échapper à la gloire pour connoître et sentir un instant de bonheur! Mais Bazin le retient près de lui au milieu de ses généraux, et le seul objet que désire son cœur, que souhaite son impatience, le seul qui puisse embellir sa victoire, ne paroît point. Bazine, éperdue de joie, de bonheur et d'amour, n'ose quitter sa retraite; là, sans témoins qui puissent contraindre son cœur, elle presse dans ses bras l'heureuse Berthilie; mais elle n'ira point à travers cette foule indifférente ou curieuse, déguiser sa pensée, modérer ses transports, et défendre à ses regards même de s'exprimer. Childéric triomphant! Childéric de retour! que de biens à-la-fois la ravissent! Elle attendra que, libre des lois qui asservissent la grandeur, il puisse venir à ses pieds déposer ses armes, et lire dans ses yeux un triomphe plus doux. Mais Childéric, impatient de l'absence de la princesse, inquiet même, ordonne à Eginard de se rendre près d'elle, et de lui porter tous les détails de sa victoire. Chargé d'un ordre d'autant plus doux qu'il espère trouver Berthilie près de la princesse, Eginard parvient promptement au palais. Berthilie, en l'apercevant, veut se lever, mais ses forces lui manquent; elle retombe sur son siége, et une mortelle pâleur se répand sur tous ses traits; elle peut à peine respirer; Eginard qui voit son trouble, oublie un moment ce qu'il venoit dire; mais les roses ayant promptement reparu sur le visage charmant de Berthilie, il se remit lui-même, et offrit à la princesse, attentive et émue, les hommages de ce grand roi qui les obtenoit tous. Eginard n'oublia aucun des détails glorieux d'une aussi importante victoire. Bazine, tour-à-tour flattée, attendrie, jouit de tout ce qui élève son amant. Berthilie ne compte que le retour, ne connoît point d'ennemis, ne désire qu'une conquête; sa patrie est toute entière dans son père, la princesse et son amant. Théobard n'est pas encore arrivé; il accompagne la jeune Amalabergue, mais il n'a pas été moins heureux que ne le désire sa tendre fille. Eginard avoit déposé aux pieds de Bazine, l'épée triomphante du roi, lui-même lui parloit à genoux, et Berthilie étoit assise près de la princesse. Eginard, dans sa précipitation, n'a peut-être pas bien choisi la place, car un indifférent même supposeroit qu'il est aux pieds de Berthilie, que même c'est elle qu'il a regardée en parlant à la princesse; mais le sentiment n'observe point; Bazine ne s'en douta pas, son amie ne fit aucune réflexion, et la princesse, oubliant Eginard, ne s'occupa bientôt plus que de Childéric et s'abandonna à sa rêverie. Berthilie, moins distraite, releva le guerrier, et respectant les pensées auxquelles se livroit son amie, elle s'approcha d'une fenêtre ouverte qui donnoit sur une terrasse ornée de fleurs; elle regarda Eginard, il osa la suivre; leur entretien fut timide; mais après tant de dangers, un jeune héros est devenu bien cher; on a tremblé pour ses jours, on a si souvent pleuré, qu'il est juste qu'à son tour il console. Berthilie a tant de fois gémi… sur son père, il est sauvé, elle est heureuse! Ah! s'il pouvoit, content de l'aimer, borner à elle seule tout son bonheur, ne plus exposer des jours… qui sont les siens, une vie qui est la sienne… Eginard assure que pour lui il n'a eu rien à craindre, qu'il avoit là, sur son cœur, une défense certaine… et il tire de son sein le bouquet, gage de ses adieux. Berthilie rougit de joie et de pudeur, devint tremblante, baissa les yeux, et sentit qu'il étoit tems de rejoindre la princesse… Cependant elle n'obéit pas sans regret à cette loi sévère, et soupira en voyant s'éloigner celui qu'elle n'avoit quitté qu'alarmée du plaisir que lui causoit sa présence. Eginard a rejoint son maître; il sait qu'une fête magnifique se prépare, que Bazine a reçu l'ordre du roi, son oncle, d'en venir faire les honneurs, et Childéric voit avec plaisir les somptueux apprêts qui lui annoncent enfin celle qu'il adore. Des flambeaux éclairent les salles, on entend déjà le bruit des instrumens, lorsque Bazine paroît. Childéric ne l'a jamais vue que sous ses habits de deuil, ou dans la parure négligée qui sied si bien à sa fraîcheur; mais c'est en reine qu'elle se présente à ses yeux, qui, éblouis de tant de charmes, cherchent et retrouvent avec délices, les grâces modestes que tant d'éclat semble relever encore. Etrangère à la richesse qui la décore, Bazine cache en vain la sérénité de son noble front sous le bandeau de rubis; en vain ses cheveux, rattachés par de magnifiques nœuds de diamans, ne peuvent plus flotter avec grâce sur le beau sein renfermé dans le vêtement de pourpre et d'or; si les yeux étonnés méconnoissent un moment que c'est Bazine, le cœur dit bientôt que c'est elle; superbe et cependant charmante, la princesse s'approche du roi de Thuringe, qu'elle félicite sur le succès de ses armes, adresse à Childéric des paroles non moins flatteuses, mais qu'un doux regard et une rougeur plus douce encore accompagnent; elle ne fut pas moins gracieuse pour tous les généraux; pas un trait de courage ou de clémence ne fut oublié par elle. Ah! princesse, lui dit le plus ancien chef de l'armée, vous voulez donc nous faire tuer tous! La fête fut brillante, et tous les cœurs s'ouvrirent au plaisir; Bazine dansa avec cette inimitable perfection attachée à chacun de ses mouvemens; Childéric, si jeune, si agile, ne fut pas moins admiré; Berthilie sembla voltiger, Eginard la poursuivre et la dépasser. Le jour termina les plaisirs.

 

Théobard arriva bientôt, conduisant la petite Amalabergue avec plusieurs femmes de sa suite. Le soin de la recevoir, et les fêtes qu'occasionnèrent son arrivée, occupant le roi de Thuringe, Childéric et Bazine s'étoient trouvés seuls plusieurs fois. Au bonheur de s'aimer, ils avoient enfin ajouté celui de se le dire; mais Childéric attend des nouvelles de Viomade, et ce n'est qu'après les avoir reçues, et au moment de retourner dans ses états, qu'il demandera la main de la princesse; jusques-là, heureux de se voir, et mille fois heureux, ils s'aimeront en silence: tel est leur projet; c'est de lui qu'ils s'entretiennent, c'est à lui qu'ils pensent, et c'est en lui qu'ils espèrent. Que ne peuvent-ils passer ainsi toute leur vie!.. Mais Bazin va troubler des jours si beaux, un bonheur si pur, et punir la princesse de cette rare beauté, dont, jusque-là, il n'avoit point éprouvé l'empire.

FIN DU LIVRE QUATORZIÈME

CHILDÉRIC.
LIVRE QUINZIÈME

SOMMAIRE DU LIVRE QUINZIÈME

Portrait du roi de Thuringe: il est amoureux. Portrait de Théobard, chef du conseil. Bazin assemble son conseil, et lui expose les raisons politiques qui lui font souhaiter la main de Bazine; il est approuvé. La princesse reçoit l'ordre de se rendre le lendemain au conseil; elle obéit avec effroi. Le roi lui offre le trône qu'elle refuse avec modestie. Bazin lui donne quelques jours pour se préparer à l'hymen qu'il va ordonner: elle se retire et confie sa douleur à Eusèbe; mais elle est prisonnière dans son palais. Berthilie lui annonce qu'elle n'en sortira que pour marcher au temple. Ces nouvelles se répandent. Childéric ne peut contenir son indiscrète douleur. Bazin ordonne une fête; la princesse est contrainte d'y paroître; l'espoir d'y voir Childéric la soutient; elle est pâle et mourante. Bazin, jaloux, épie les amans, surprend leur secret, et prépare sa vengeance; il reconduit Bazine vers son palais, la confie à Théobard, rentre dans la salle des jeux, et jouit de l'inquiétude de Childéric jusqu'au moment où Théobard reparoît; alors il donne le signal qui termine la fête. Théobard a conduit Bazine et Eusèbe dans la roche sombre: elles y sont enfermées. Désespoir d'Eusèbe; elle raconte à la princesse l'histoire de la roche sombre, et celle de la mort d'Humfroi son père.

LIVRE QUINZIÈME

Bazin avoit près de soixante ans, une santé robuste, un extérieur noble, un regard farouche, le cœur altier, et jusqu'alors insensible à l'amour; l'orgueil de commander l'avoit privé du charme d'obtenir; jamais il n'avoit rien sollicité, rien attendu, rien espéré; il régnoit au sein même des plaisirs, qui s'en effarouchoient et fuyoient loin de lui, ne lui laissant que le dégoût.

Ces faveurs involontaires n'avoient offert à ses sens que d'imparfaites jouissances; son cœur, resté froid, n'avoit jamais palpité; son épouse, toujours soumise et tremblante, n'avoit connu de l'hymen que les devoirs; elle étoit morte en donnant le jour à Berthier, et n'avoit point regretté la vie. Bazine, née sous les yeux du roi, et sortant à peine de l'enfance, n'avoit point encore touché son cœur; mais cette belle et tendre fleur commençoit à s'épanouir; chaque jour lui donnoit une grâce ou une perfection nouvelle, et Bazin, étonné de tant de charmes qu'il n'avoit point même devinés, s'enflamma tout-à-coup d'impétueux désirs inconnus encore à son ame. A peine en a-t-il senti l'ardeur dévorante, qu'impatient il assemble son conseil; là, il rappelle à ceux qui le composent combien il leur avoit toujours semblé nécessaire au repos du peuple et à l'intérêt de ses fils, de confondre ses droits avec ceux que Bazine conservoit au trône, comme fille unique de son frère aîné, dont la mort mystérieuse avoit seule fait passer la couronne sur sa tête; c'étoit le motif qui avoit décidé le mariage de la princesse avec Amalafroi; le second fils de Bazin étoit trop jeune, et d'ailleurs il étoit promis à Amalabergue. Bazine, soit qu'elle s'alliât à un prince étranger, soit qu'elle se fît un parti dans la Thuringe, pouvoit un jour revendiquer ses droits, chasser ses fils ou diviser le royaume, et le livrer à toutes les horreurs d'une guerre intérieure. Son union seule avec le roi pouvoit éviter de tels maux, et il la proposa comme essentielle à la paix et au bonheur de tous. Le conseil approuva un projet si politique et si heureux en apparence. Bazine étoit adorée, on regrettoit encore son père, dont l'inflexible et sanguinaire successeur n'avoit pu faire oublier le règne trop court. Théobard reçut l'ordre de prévenir la princesse qu'elle devoit se rendre au conseil le lendemain, mais sans lui expliquer les intentions du monarque. Théobard, ministre et ami de son roi, n'a jamais approuvé ses injustices, lui seul n'a jamais tremblé devant lui, lui seul a opposé la vérité à la puissance. Bazin respecte son caractère inaltérable, sa vertueuse témérité; il s'en étonnoit quelquefois, mais lui résistoit en l'admirant, et le préféroit même en secret à ses lâches flatteurs; il avoit en lui seul une confiance sans bornes. Théobard, incapable de le trahir, mettoit à le servir un zèle infatigable, et étoit à-la-fois son juge le plus sévère, son plus intrépide défenseur; l'estime de tous justifioit celle du monarque. Cet homme courageux et sensible avoit servi le père de Bazine; il portoit à la princesse un attachement bien naturel; l'hymen projetté la replaçoit sur son trône, et donnoit aux Thuringiens une reine aussi douce que belle, et dont les vertus et les charmes captivant le roi, ôteroient sans doute à son caractère cette violence qui ternissoit son règne; ces idées mettoient le comble au bonheur de Théobard; il voyoit déjà Bazine sur le trône et le peuple heureux; il ne sentoit donc que les avantages de cet hymen, sans prévoir combien, au contraire, il alloit entraîner de malheurs. C'est ainsi bien souvent que le monde décide en aveugle et distribue le blâme ou l'éloge, sans savoir ce qui a déterminé son choix.

Tandis que ces événemens se préparoient, l'objet qu'ils intéressoient étoit bien loin de les imaginer. Bazine, sans envier à son oncle le rang qu'il alloit lui offrir, satisfaite d'un seul hommage, oubliant toute autre grandeur, n'apprit qu'avec trouble qu'elle devoit paroître au conseil. Un rien inquiète l'amour, un rien alarme le bonheur. La princesse frémit d'un danger qu'elle ne peut ni concevoir, ni définir; elle sent qu'elle est heureuse, que tout changement va devenir un malheur; mais elle ne peut s'attendre à celui qui la menace, et pour éviter à ceux qu'elle aime le partage de ses craintes, elle les renferme dans son cœur, et attend, en tremblant, l'heure qui va confirmer ou détruire ses alarmes. Suivie seulement d'Eusèbe, Bazine quitte son palais, et entraînée par cette puissance magique qui anime seule la vie, elle s'approche de la fontaine, revoit le bocage et le gazon, témoins discrets de ces entretiens chéris dont le souvenir fait couler ses larmes. Bazine semble dire un éternel adieu à ces champêtres abris; elle soupire et les quitte, comme avertie par son cœur qu'elle ne doit jamais les revoir. Surmontant une douleur qu'elle même accuse de foiblesse, Bazine se rend au palais; elle y est reçue avec des honneurs qui, jusque-là, ne lui furent pas accordés; elle s'étonne, et marche jusqu'au conseil, suivie d'une garde nombreuse. Bazin, en l'apercevant, descend de son trône, s'avance au-devant d'elle, la conduit en silence, et la place à ses côtés; le cœur de la princesse palpite avec violence, sa main tremble dans celle du roi; elle s'assied et baisse les yeux. Bazin admire un moment son maintien noble et timide, ses grâces, sa délicatesse, et l'embarras qui semble encore l'embellir; enfin, d'une voix qu'adoucit l'amour: Bazine, lui dit-il, mon peuple, mon conseil et mon cœur vous appellent au trône; acceptez ma main et régnez… A peine ces paroles ont-elles été prononcées, qu'une mortelle pâleur couvre le front de la princesse; mais rappelant tout-à-coup ce caractère élevé, cette ame qu'elle a reçue de la nature, et à qui l'amour imprime un nouveau courage: Grand roi, dit-elle, vos bontés pour moi commencèrent avec ma vie; je n'ai connu que vous pour souverain, pour bienfaiteur et pour père; je vous aime de ce filial amour, qui, mêlé de respect et de reconnoissance, de soumission et de crainte, n'admet point d'autres sentimens; accoutumée à trembler devant vous, je ne puis voir en votre auguste personne qu'un père et qu'un roi. Je sens combien votre choix m'honore; mais, confondue parmi vos sujettes, je me contente d'obéir à vos lois, et borne mes vœux à ma paisible destinée. Bazine se tait, et voit sans effroi le courroux se peindre sur le front du roi; elle attend avec sécurité sa réponse, en conservant cet air doux et tranquille qui désarme. Cependant le monarque, après un moment de silence: Je conçois, lui dit-il, que l'offre inattendue que je vous ai faite, ait effrayé votre jeunesse, accoutumée à la dépendance; l'éclat de ma grandeur vous étonne, vous n'osez l'envisager, et la majesté qui m'environne trouble votre innocente timidité; rassurez-vous, ne voyez plus que mes bontés et mes empressemens. Allez réfléchir en liberté sur l'heureux sort que je vous destine; dans dix jours je vous conduis aux autels. A ces mots, Bazin se lève, et ramène la princesse vers la porte d'entrée: là, elle retrouve la garde qui l'avoit accompagnée. Elle retourne dans son palais au milieu d'un nombreux cortége; vingt femmes nouvelles, des gardes à toutes les portes, tout enfin, lui rappelle ce qu'elle vient d'entendre, et déjà lassée de sa grandeur, elle cherche l'asile solitaire où elle pourra échapper à des soins qui l'importunent: elle est seule enfin, et se retrace avec effroi l'offre ou plutôt l'arrêt terrible qu'elle vient d'entendre. L'amour lui défend de l'accepter… l'amour lui fait craindre un refus… ce roi puissant et cruel l'entendroit-il sans se venger sur son rival? Bazine seroit-elle la cause des dangers auxquels son amant succomberoit sans doute? Mais n'est-il donc aucun moyen d'échapper à sa destinée terrible, sans que Childéric soit victime de lâches fureurs? ne peut-il s'y soustraire en s'éloignant? ne peut-il retrouver un autre asile? Ah! s'il étoit absent, si Bazine cessoit de craindre pour lui, qu'elle auroit de courage pour elle-même! Elle le verra du moins, elle exigera qu'il parte, elle l'obtiendra sans doute… Plus rassurée par cette espérance, elle demande Eusèbe, et lui annonce ce qui s'est passé au conseil… Jamais, répond avec horreur la bonne nourrice… ah! jamais! et elle paroît tourmentée d'une pensée profonde, d'un secret important. Bazine, préoccupée, ne s'aperçoit pas de son trouble; la nuit vint, mais le sommeil ne la suivit pas; la princesse voyoit se perdre en un instant les flatteurs projets de l'amour, qui, se confiant dans l'avenir, attend tout de lui et de la constance; ces rêves charmans d'une félicité lointaine, s'évanouissoient, et ce héros vivement souhaité par son imagination, plus vivement aimé par son cœur, alloit s'éloigner d'elle et peut-être renoncer à elle pour jamais! La veille encore elle étoit heureuse et rendoit grâce à l'amour; aujourd'hui elle s'abandonne à sa douleur; le jour fut sans distraction pour elle, comme la nuit avoit été sans repos. Berthilie, désirée et attendue, vint enfin lui porter les douces consolations de l'amitié. Que leur réunion fut tendre! Appuyées sur le sein l'une de l'autre, étroitement enlacées, leurs larmes se mêlèrent, leurs soupirs se confondirent, et leurs caresses adoucirent un moment des peines également senties. Berthilie donne des conseils prudens… elle cesse d'être légère, vive, étourdie, quand il s'agit de son amie; elle craint, et elle a raison de craindre: quelques mots échappés à Théobard, la défense bien cruelle, mais bien absolue, de se rapprocher d'Eginard, l'air sombre du roi, les préparatifs de son hymen, la douleur indiscrète que Childéric ne peut maîtriser, tout alarme la tendre fille de Théobard, et tout a bien droit de l'alarmer. Elle annonce à la princesse qu'elle ne pourra quitter son palais sans en avoir reçu l'ordre, que prisonnière, elle ne peut y recevoir que le roi, Théobard et elle seule. Comment revoir Childéric, lui faire part de ses inquiétudes, lui exprimer ses désirs?.. Berthilie, elle-même, n'a obtenu de venir la joindre qu'en recevant la défense de la quitter; Eusèbe ne peut pas plus s'éloigner qu'elle. Bazin a des soupçons… Bazin est amoureux, et l'amour lui apprend à sentir la jalousie… S'inquiéter, espérer malgré tant de maux, aimer encore plus celui pour qui on les éprouve, détester celui qui les cause, former cent projets, les rejeter, y revenir, s'affliger, espérer encore, ainsi se passèrent plusieurs jours. Le terme fatal approchoit, il redouble la douleur et les alarmes des deux amies.

 

Tandis qu'elles gémissent dans une égale détresse, Childéric, au désespoir, ne sait ce que l'amour attend de lui, ce qu'en exige la prudence. Que peut-il hasarder? que doit-il entreprendre? Où est son sceptre? où sont ses armes? qu'a-t-il à opposer à son rival? que lui reste-t-il même à offrir à la beauté?.. Doit-il lui enlever un trône, incertain de le lui rendre? le désirer même n'est-il pas un crime, n'est-ce pas une offense, n'est-ce pas sacrifier à son amour l'objet divin qui le lui inspire?.. Ah! le bonheur fuit sans cesse devant lui, et lorsqu'il est près de l'atteindre, il lui échappe toujours!.. Telles sont les pensées qui agitent le jeune roi… Viomade même semble l'abandonner; les hommes, la fortune et l'amour, tout trompe ses vœux et son espérance.

Mais le roi de Thuringe ne peut vivre si long-tems loin de Bazine; jamais encore il n'avoit connu le charme de la résistance, le tourment délicieux des désirs; ce trouble le ravit et l'étonne; son cœur, tout rempli, d'une douce image, remercie tout bas la sévère Bazine des plaisirs inconnus qu'il éprouve, de ceux qu'il espère. Cependant il veut éblouir ses yeux d'un fastueux hommage, il veut lui plaire, il veut l'étonner du spectacle de son pouvoir. Une fête où l'amour s'unit à la magnificence, est préparée; Bazine l'apprend et frémit… Cependant elle reverra Childéric, et dans le tumulte, ils pourront se rejoindre, s'entendre et fixer leur sort. Eginard reverra Berthilie; il y pense, il a senti son absence, elle a affligé l'aimable inconstant… Son maître est si malheureux, et Berthilie peut lui être si utile…! Eginard ne veut plus s'occuper que d'elle, ils uniront leurs soins et leurs cœurs… Eginard aime trop Childéric pour ne pas chercher la seule Berthilie… Sans doute, il se promet même de n'aimer qu'elle et de l'aimer toujours… oui, toujours! il l'a prononcé ce mot effrayant, et il étoit loin d'elle; il s'avoue même que s'il est flatteur de plaire, il est peut-être plus doux d'aimer; que le cœur gagne à réunir le souvenir de la veille au plaisir du jour, à l'espoir du lendemain; et souriant à des projets si nouveaux, il s'écrioit: O l'heureux changement! C'est dans les vastes jardins que la fête est préparée; des flambeaux, placés avec art, forment un jour éclatant, qui ravit à la nuit tout son empire; des festons de fleurs, suspendus aux arbres, soutiennent les chiffres unis du roi et de l'infortunée dont ils annoncent le malheur. Ornée par d'importunes mains, auxquelles elles s'abandonne tristement, elle laisse à leurs soins l'art facile de l'embellir; cependant, les inquiétudes, les douleurs, les larmes ont effacé les roses brillantes de son teint; une pâleur plus touchante peut-être les remplace, et jamais, dans tout l'éclat de sa fraîcheur, elle n'a paru plus digne d'amour; ses yeux, chargés d'une tendre mélancolie, et encore humides de pleurs, attendrissent l'ame; on la prendroit pour une statue d'albâtre, représentant l'innocence qui implore le secours des dieux. Elle s'avance, et les cœurs volent au-devant d'elle. Childéric l'aperçoit; il est ému, agité, au désespoir; l'orgueilleux Bazin s'empare de la main tremblante de la princesse, il la place lui-même sur un trône de fleurs; les jeux commencent, et les Bardes chantent la beauté de Bazine, la gloire du roi et l'union fatale, dont la seule pensée donne la mort à l'infortunée qui en est victime. Les instrumens se font entendre; les danses vont commencer; c'est l'instant que l'amour espère, et qu'attendoit secrètement la jalousie… Ah! des yeux moins clairvoyans que les siens se seroient aperçus du trouble qui saisit Childéric et Bazine en s'approchant l'un de l'autre, de leur bonheur, en se pressant la main, de leurs regards, lorsque séparés par les autres danseurs, ils se cherchoient, s'apercevoient, voloient l'un vers l'autre, et s'enlaçoient de leurs bras; ces mouvemens pleins de grâce et d'amour n'échappent point au jaloux observateur, qu'ils irritent; il veut pourtant s'assurer d'un malheur qu'il ne fait encore que craindre, et qu'il peut attribuer au plaisir ou à la jeunesse; mais il prépare déjà sa vengeance. Bazin disparoît; sa vue ne contraint plus des amans qui peut-être ne pourront plus renouer cet entretien trop important pour le différer; ils laissent la danse, et vont s'asseoir à quelque distance des jeux, sous un dais de feuillage et de fleurs: là, trop loin pour être entendus, et seulement accompagnés d'Eusèbe, ils se confient leurs douleurs; mais Bazine n'a point accepté la main du roi, elle ne l'acceptera jamais; rien n'effraie son ame, hors les dangers de son amant; qu'il s'éloigne, et elle saura se conserver pour lui. Childéric est bien loin de consentir à un tel sacrifice. Quoi! lui roi détrôné, sans asile et presque sans espérance, étendroit sur elle ses malheurs! Il combat avec force une telle résolution, il conjure la princesse d'accepter la main du roi, et refuse de partir… Eh! quoi, lui disoit Bazine, vous voulez que ce cœur tout plein de vous aille jurer à un autre un sentiment dont vous seul l'avez pénétré; qu'infidèle en pensée, Bazine prononce, aux pieds des autels, un serment trahi d'avance! Ah! prince, pouvez-vous seulement en concevoir le désir perfide? pouvez-vous me condamner au parjure et au malheur? oubliez-vous que je vous aime de cet amour qui a décidé de ma vie? Princesse, reprenoit ce généreux amant, il est dans le rang qui vous attend, une jouissance qui remplira bientôt toute votre ame; celle qui peut tout a tant de bien à faire, que la sensible Bazine trouvera, sur le trône, des jouissances dignes d'elle: en voyant un infortuné, vous vous rappellerez Childéric; en secourant sa douleur, vous calmerez la vôtre, et vous vous direz: puisse une main consolatrice adoucir aussi la tienne, prince malheureux! Tous deux versoient des larmes, chacun vouloit mourir; Childéric jura de ne point s'éloigner que Bazine ne fût reine: elle prioit, ordonnoit en vain, lorsque Théobard vint l'arracher à ce douloureux et tendre combat, pour la ramener à la fête où Bazin l'appeloit. On voyoit encore la trace de ses pleurs, elle ne chercha point à les cacher; bientôt l'infortunée les répandra sans témoins. Bazin a tout entendu, appuyé contre les arbres qui le déroboient aux amans; il n'a plus de doute; son amour a tous les projets de la haine, mais la haine n'a pas éteint son amour. Qu'elle est belle! se disoit-il, mais que son cœur est ingrat! Obtenons, de la crainte et du malheur, ce qu'elle refuse à mes soins; punissons qui me brave; n'hésitons pas à m'en séparer. Bazin, rapproché de la princesse, et observant sa pâleur, son abattement, lui dit avec une feinte douceur: Reine, car vous l'êtes déjà pour mon peuple et pour moi, ces jeux vous lassent; cessez de vous contraindre; retirez-vous; venez, que je vous ramène jusqu'à ce palais que vous quitterez bientôt: et en disant ces mots, il entraînoit l'infortunée. Ces momens, disoit-elle, sont peu faits pour une explication, cependant je vous conjure de m'écouter. – Je vous entendrai, Bazine, soyez-en certaine; mais voici Théobard qui va vous reconduire; souffrez que je vous confie à lui, et veuillez le suivre. A ces mots, le roi s'éloigna; Bazine étonnée, inquiète, se trouva entourée d'une suite nombreuse, et entrainée pour ainsi dire dans son palais; les portes en étoient gardées; on la laissa seule avec Eusèbe. Ma chère nourrice, lui dit la princesse, on trame quelque chose contre nous; qu'allons-nous devenir? que prétend le roi? à quoi suis-je destinée? Eusèbe, plus effrayée encore, se taisoit. On apercevoit des fenêtres l'éclat de la fête; on entendoit les chants, on distinguoit le bruit des instrumens; Bazine contemploit ces témoignages d'allégresse, et son cœur abattu en étoit douloureusement affecté. Childéric est là, se disoit-elle; le plaisir semble s'agiter autour de lui, et la mort s'y cache peut-être! O dieux! ne permettez pas le crime; prenez seulement mes jours. Bazine ne sait ce qu'elle redoute, et la tristesse saisit son ame; de sinistres et vagues pensées l'oppressent; elle se jette dans les bras d'Eusèbe et l'arrose de ses larmes. Des pas précipités se sont fait entendre; les appartemens s'ouvrent tout à coup, et Théobard paroît. Bazine attend ce qu'il vient lui annoncer; Eusèbe a jeté un cri d'effroi. Princesse, dit Théobard avec attendrissement et respect, je viens, par ordre du roi; vous voudrez bien sans doute me suivre dans les lieux où j'ai ordre de vous conduire, et être sans crainte avec Théobard: alors il pressa Eusèbe de rassembler promptement tout ce dont elles pourroient avoir besoin toutes les deux, dans le séjour éloigné où il alloit les mener lui-même, et ordonna à quatre muets dont il étoit suivi, de se charger de ce qu'Eusèbe voudroit emporter: mais le trouble de la nourrice est si grand, qu'elle entend à peine ce que Théobard lui dit; tout échappe à sa main tremblante; en vain elle s'efforce d'obéir, et Bazine, qui veut la rassurer, fait elle-même tous les apprêts dont sa nourrice n'est plus capable. Mon voyage sera-t-il long? dit la princesse. Il ne tiendra qu'à vous de l'abréger, et si vous daignez en croire un sujet fidèle… C'est assez, Théobard: mais étoit-ce à vous de remplir un si rigoureux devoir? Hélas! reprit-il avec la plus vive émotion, falloit-il vous livrer, princesse, à des mains perfides ou cruelles? Je vous entends, Théobard; pardonnez un injuste reproche. Bazine prit sa lyre, dont elle prévit qu'elle auroit souvent besoin, et ayant rassemblé à la hâte ses vêtemens, annonça que l'on pouvoit partir; les muets se chargèrent de tout ce que la princesse résolut d'emporter. Elle sortit, et donna le bras à Eusèbe qui pouvoit à peine se soutenir; un char les attendoit; elles y montèrent; Théobard le conduisit, les muets le suivirent sur des chevaux; ils s'éloignèrent rapidement. La nuit étoit belle, quoique sombre; le char parcouroit les magnifiques allées qui entouroient le jardin, et les feux qui éclairoient les lieux de la fête, frappèrent de nouveau la triste Bazine. C'est là qu'elle laisse Childéric; c'est là, qu'entouré de plaisirs qui l'abusent, il attend et espère son retour, tandis qu'une main barbare les sépare! O cher prince! se disoit elle, peut-être vous croyez-vous encore heureux, et votre amante est déjà frappée! Et toi, chère Berthilie, demain quelle sera ta douleur! A ces pensées cruelles, la princesse répand des pleurs, et ceux qui coulent en abondance des yeux d'Eusèbe, retombent encore sur son cœur. Quoi, disoit-elle, dois-je donc ainsi rendre malheureux tout ce qui s'intéresse à mon sort? dois-je donc coûter des larmes à tout ce qui m'aime? Après une marche rapide et assez longue, on entra dans un bois; les muets allumèrent des flambeaux pour le traverser; il étoit épais, et sans aucune route tracée. A ce spectacle, le désespoir d'Eusèbe est à son comble; Bazine la caresse et la rassure, mais elle gémit douloureusement. Après deux heures de marche, on sortit du bois: à son extrémité s'élève une chaîne de montagnes informes et de rochers amoncelés, qui offrent aux yeux leurs masses gigantesques, effrayantes et bizarres; les flambeaux qui jettent sur ces tristes lieux leur lumiere vacillante, ont confirmé les craintes d'Eusèbe. Barbares! dit-elle, où conduisez-vous l'illustre fille d'Humfroi. O ciel! ô princesse infortunée! c'est à la roche sombre que l'on va nous renfermer. Ah! Théobard, s'écrioit Eusèbe, sauvez votre reine, la mienne, celle de toute la Thuringe, ou que les justes dieux vous punissent! Hélas! il étoit ému, mais il sentoit la nécessité d'obéir; Bazine restoit confiée à ses soins, et il savoit bien qu'alors sa vie au moins seroit en sûreté. Un mot d'ailleurs pouvoit la délivrer; elle montoit sur son trône, et assuroit une longue paix à son royaume. Théobard espéroit que le séjour de l'affreuse caverne la décideroit promptement à un hymen nécessaire, et qu'elle renonceroit à un amour qu'il regardoit comme une erreur de son âge. Ils avançoient, livrés chacun à leur pensée; mais la route, semée de pierres, de cailloux, d'éclats de rochers, est devenue impraticable; il faut abandonner le char, et marcher sur ces pierres, qui blessent les pieds délicats de la princesse; Théobard la soutient, tandis qu'elle-même soutient Eusèbe désolée. Enfin ils arrivent tous auprès de ces roches énormes; une d'elle est creusée; les muets passent les premiers; Théobard, qui prend les flambeaux, guide Bazine et Eusèbe dans un souterrain étroit; une trappe de fer est levée; ils entrent alors dans une vaste caverne, où les muets ont d'avance placé des siéges et des lits. Il étoit tems d'arriver, Eusèbe ne pouvoit plus se soutenir; elle jeta un cri en entrant: Oui, c'est ici, dit-elle, et elle tombe évanouie. La princesse, aidée de Théobard, la place sur un siége et lui donne tous les secours qu'elle peut trouver autour d'elle; Eusèbe reprit ses sens, et demeura silencieuse et désespérée; les muets transportèrent ce qu'ils avoient placé dans le char; par ordre de la princesse, ils allumèrent des flambeaux. Théobard supplia respectueusement Bazine de demander tout ce qui pourroit adoucir sa captivité, osa l'inviter à en sortir promptement, et à rendre à sa cour sa présence désirée. Il lui promit de revenir la nuit suivante, et s'éloigna promptement, sachant avec quelle impatience son roi attendoit son retour. Bazine, restée seule avec Eusèbe, entendit se refermer la trappe de fer; un silence terrible règne alors au fond de la roche; le bruit seul d'un torrent, habitant furieux de ce sauvage séjour, en trouble la sombre tranquillité. Eusèbe, baignée de larmes, ose à peine lever les yeux, et les détourne avec horreur d'une longue chaîne de fer scellée dans le roc, et que la princesse n'avoit point d'abord aperçue; la bonne nourrice se tait et réfléchit; sa physionomie altérée, son regard sinistre annoncent une ame profondément blessée. Bazine s'apercevant de sa désolation, l'embrasse tendrement. Ma chère amie, lui dit-elle, avec cette douceur et ce charme inconcevable qui a tant d'empire sur les cœurs, ta peine ajoute à mes maux: si tu m'aimes, prends pitié de toi-même et de ton enfant. Ne murmurons pas, chère Eusèbe, nos jours appartiennent aux dieux, c'est à eux qu'il faut les abandonner. Un mot, une caresse, un sourire de sa chère élève, faisoient le bonheur d'Eusèbe; sa douleur ne tint pas contre un langage si doux; elle essuya ses pleurs, et parut plus tranquille. Ah! ma princesse, dit-elle tristement, le ciel sait que ce n'est pas pour moi que je gémis: puissé-je rester ici toute ma vie et vous en voir échapper; mais, hélas! il n'en existe aucun moyen, et Bazin est seul maître de votre destinée. Cette retraite affreuse n'est connue que d'un seul Druide, le vieil Hirman, retiré dans la forêt de Thuringe, du roi, de Théobard et des muets. O malheureuse! l'entrée en est entièrement cachée par plusieurs pierres énormes que l'on ne peut enlever qu'avec de grands efforts; le souterrain se ferme par une trappe de fer que l'on n'ouvre qu'à l'aide d'un secret que personne ne pourroit trouver; ici, dans le haut de cette caverne, est pratiquée avec art une ouverture qui donne de l'air et du jour: mais afin d'éviter les vents, les pluies, elle est faite de manière que la roche avançant en saillie, cache le ciel et prive ces lieux, déjà horribles, des rayons du soleil; cette ouverture ne s'aperçoit point au dehors, et donne sur le torrent dont vous n'entendez que foiblement le murmure, parce que dans ce moment ses eaux sont peu abondantes; mais lorsque grossi par les pluies et les orages, il gagne le pied de la roche que nous habitons, il la heurte avec fracas, et remplit ces lieux d'un bruit sinistre et terrible; personne alors n'oseroit approcher, et nul mortel sans doute ne croiroit que ces roches fussent habitées. O ma princesse! qui protégera votre jeunesse opprimée? qui osera vous secourir, vous défendre? cette chaîne surtout me désespère: ô ma fille! si on osoit… A ces mots, Eusèbe retomba dans sa profonde tristesse. M'enchaîner, ma bonne nourrice; ne le craignez pas, jamais Théobard n'y consentiroit; moins je puis m'échapper de cette prison, moins j'ai à redouter une barbarie inutile. D'ailleurs, nous pourrions aisément détacher cette chaîne du roc où elle est fixée, et la jeter dans le torrent par cette ouverture élevée; mais que pourrions-nous attendre? Les dames portoient alors des poignards à leur ceinture; Bazine se promettoit d'essayer la pointe aiguë du sien sur le roc, et d'en détacher l'objet des craintes d'Eusèbe: surprise de ce que la nourrice pût aussi bien décrire des lieux ignorés, elle lui demanda comment elle avoit pu en acquérir une aussi parfaite connoissance. Eusèbe pâlit, hésita, pria la princesse de lui épargner un récit qui dans cet instant lui seroit trop pénible; Bazine n'insista pas, consentit même à se coucher, mais put à peine s'endormir. Eusèbe, non moins agitée, ne goûta qu'un repos interrompu. Le jour éclairoit depuis long-tems ces tristes lieux, quand les captives se levèrent; toutes les deux offrirent au ciel leurs vœux et leur soumission; le repas fut préparé par Eusèbe; Bazine sourit en l'invitant à manger; mais la pauvre nourrice ne peut s'accoutumer à ce séjour, bien moins encore à y voir renfermée la fille d'Humfroi. Des pleurs baignent sans cesse ses yeux; elle ne mange point; Bazine s'efforçoit de la distraire, elle avoit pris sa lyre, elle avoit chanté des airs qui plaisoient tous à Eusèbe. Elle avoit plusieurs fois examiné la bague chérie qui représentoit son amant; mais voyant retomber Eusèbe dans son silence douloureux: Chère amie, lui dit-elle, si tu veux m'obliger, tu me feras à l'instant même le récit des évènemens qui déjà sans doute t'amenèrent dans ces lieux; ne me refuse pas plus long-tems. Un désir de Bazine étoit toujours une loi pour la sensible nourrice; elle se recueillit un moment comme pour surmonter son attendrissement. Rien, dit-elle à la princesse, ne me défend de vous parler aujourd'hui; je le dois même, et les motifs qui m'ont forcée au silence m'ordonnent à présent de vous confier le secret que j'ai si long-tems renfermé dans mon sein. Mais ne vous livrez point à la douleur, je vais vous dévoiler de grands crimes; je voulois différer encore dans la crainte que ces lieux ne vous devinssent trop odieux; mais vous l'ordonnez, et je dois obéir.