Za darmo

Childéric, Roi des Francs, (tome second)

Tekst
Autor:
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Mais Childéric parle de son arrivée dans la grotte, de ses plaisirs, de Gelimer, de Talaïs. A ce nom, Childéric s'est troublé, et son trouble n'a point échappé à la princesse qu'il inquiète; ce n'étoit pas que Childéric se sentît coupable, ce n'est pas qu'il se fût livré au sentiment que Bazine croit lire dans son embarras, mais il n'ose peindre, à la chaste beauté qui l'écoute, l'amour tel que l'éprouva Talaïs. La princesse repousse en vain le mouvement jaloux qu'elle éprouve; son cœur palpite; elle est inattentive et rêveuse. Effrayée de son émotion, elle n'ose plus fixer sur le roi des yeux qui peut-être trahiroient son secret; mais ne pouvant vaincre son trouble, elle donne l'ordre de se séparer; Childéric obéit, et la princesse agitée, rentre dans son palais. Il faisoit encore grand jour; on pouvoit jouir encore long-tems de la fraîcheur des ombrages; Bazine trouva son appartement triste; Berthilie assura qu'il y faisoit une chaleur étouffante; la princesse prit sa broderie et l'abandonna; elle devint rêveuse, et Berthilie ne fut point aimable. La soirée parut longue; Berthilie revint de bonne heure rejoindre ce tendre père, qu'elle consoloit de la perte d'une épouse chérie.

Bazine, destinée au trône, avoit été élevée avec plus de soin que l'on n'en donnoit d'ordinaire à l'éducation des femmes. Belle sans coquetterie, princesse sans orgueil, elle réunissoit encore tous les talens qui ajoutent à la beauté, et que possédoient rarement alors les personnes de son rang; elle dansoit bien, savoit écrire, et chantoit avec expression les airs simples de ce tems, qu'elle accompagnoit des accords d'une lyre à cinq cordes. Berthilie avoit une voix légère, elle mêloit souvent ses accens aux accens plus purs et plus doux de la voix de Bazine. Le roi de Thuringe se plaisoit à les écouter, et pendant sa maladie, il les invita souvent à le distraire de ses souffrances, par le plaisir de les entendre. Bazine y consentit toujours. Parmi les romances qu'elles chantèrent, la suivante s'est conservée: la princesse, après avoir pris la lyre, commença le premier couplet, Berthilie le second, et Bazine reprit le troisième.

Bazine
 
Non, non, je ne veux point connoître
Ce fol enfant, qu'on nomme amour;
Du cœur dont il se rend le maître,
La douce paix fuit sans retour;
Dans ce dangereux esclavage
Le soupçon détruit le bonheur,
Et ce doute qui nous outrage,
D'un tendre amant fait le malheur.
 
Berthilie
 
Quoi! votre ame à l'amour rebelle,
Prétend ne jamais s'enflammer?
C'est pour plaire que l'on est belle,
Et doit-on plaire sans aimer?
Le soupçon même a quelques charmes:
Heureux qui sait nous l'inspirer!
Il est doux de causer nos larmes,
Et plus doux de nous rassurer.
 
Bazine
 
En aimant, que d'inquiétude!
Sans son amant plus de repos,
Loin de lui, tout est solitude,
Il fait notre joie ou nos maux.
On ne jouit qu'en sa présence,
On ne croit rien que ses discours.
O mon heureuse indifférence!
Puissé-je te chanter toujours!
 
Berthilie
 
Douce image de la tendresse,
Venez dissiper sa froideur;
Amour, de ta brûlante ivresse,
Fais-lui connoître le bonheur.
L'univers éprouve ta flamme,
Et par toi seul, pour être heureux,
Tout renaît, jouit, prend une ame,
Et sent le charme d'être deux.
 

La princesse, pressée de nouveau par Bazin, chanta seule la romance suivante:

LE PRINTEMS,
Romance
 
Tout renaît, les fleurs, la verdure,
Tout nous annonce le plaisir,
Et chaque souffle du zéphir,
Semble un soupir de la nature.
Seule au milieu d'un si beau jour,
Dois-je languir sans espérance,
Quand il me reste encore l'amour,
La douce amitié, l'innocence?
 
 
La feuille mobile et légère
Périra sous les noirs hivers;
Les vents déchaînés dans les airs,
Détruiront la fleur passagère,
Chaque saison, à son retour,
Détruit ou donne l'espérance;
Tout varie, excepté l'amour,
La douce amitié, l'innocence.
 
 
L'air embaumé de ce bocage,
Ces verds gazons, ce beau ruisseau,
Qui, dans le cristal de son eau,
Réfléchit le ciel et l'ombrage,
Tout dans ce champêtre séjour,
M'invite encore à l'espérance;
Tout me dit, conserve l'amour,
La douce amitié, l'innocence.
 

Childéric écoutoit avec ravissement les sons mélodieux de cette voix qui pénétroit son cœur; un modeste embarras embellissoit encore la princesse, et sa timidité étoit une grâce de plus. Childéric aimoit avec passion les airs simples et les paroles plus simples encore qu'elle chantoit. Alors les poëtes ne célébroient que la gloire et l'amour, leurs chants n'étoient point un travail, une étude; mais un épanchement ou un souvenir. L'objet de ces vers, plus sentis que bien exprimés, en recueilloit seul toute la gloire, le nom du poëte étoit oublié. Il a fallu sans doute que l'amour-propre et le désir de la célébrité changeassent bien les hommes, puisqu'ils sont parvenus à faire parler leur esprit sans le secours de leur cœur, et à emprunter de leur imagination seule et le sentiment qu'ils expriment, et la beauté qu'ils peignent. Si Bazine en chantant, s'est embellie de sa timidité, Berthilie, inquiète du succès de sa voix, a promené ses regards autour d'elle; ce regard, rapide et prompt, a cependant atteint Eginard comme un trait brûlant, il en est effrayé, et l'image de Grislidis s'offre à sa pensée… il en a reçu des cheveux, un anneau, il a promis! et dans ce tems un serment fait à la beauté étoit sacré, on rougissoit de le trahir… Le fidèle Eginard, chaque fois que le regard le blesse, porte à ses lèvres l'anneau chéri… Ce talisman d'amour calme son cœur, et il reprend son air léger, indifférent même. Berthilie le voit, et soupire; jeune, simple encore, elle a cru jouer avec l'amour, et ce jeu est devenu, sans qu'elle s'en doutât, le destin de toute sa vie.

Le roi des Francs avoit repris son récit, il avoit parlé de Viomade, ses discours étoient remplis de feu et d'éloquence. Sa physionomie brilloit d'une si tendre expression, que Bazine n'avoit pu, sans rougir, fixer des yeux qui seroient trop dangereux pour elle s'ils parloient d'amour: elle fit cette réflexion légèrement; mais Childéric, dans cet instant, réfléchissoit lui-même, et ne fut pas moins troublé que la princesse. Que va-t-il lui dire? Jusqu'à ce moment il n'a paru que sous ces beaux dehors qui ont illustré ses premières années. Il a vu naître à son récit, des sentimens qui font son bonheur; il a reçu des éloges qui font sa gloire. Hélas! que lui reste-t-il à raconter? Faut-il se dégrader lui-même auprès de cet objet de son culte, de son idolatrie! Doit-il lui parler d'Egésippe? osera-t-il lui avouer avec quel délire il a désiré une beauté qui n'étoit point Bazine; qu'il lui a sacrifié ses peuples, son ami, le soin de sa gloire? Que pensera de lui cette ame pure et sensible qui ne croit point à l'inconstance? Cependant il ne la trompera pas; il se croit aimé; il a su d'elle qu'Amalafroi n'avoit pas touché son ame; qu'elle est encore sans amour… Peut-être un jour il pourra disposer d'une couronne, et il va lui-même détruire l'espoir dont il ose jouir en secret! Non, non, il se taira; il fuira Bazine s'il le faut, mais il ne lui dira point: je fus ingrat et j'ai aimé.

Mais, tandis qu'abandonné à ses pensées, Childéric se tait, la princesse étonnée de son silence, baisse les yeux et soupire; elle n'ose demander au roi quel sentiment l'agite; cependant elle est inquiète. Berthilie, qui s'étoit aperçue de leur mutuel embarras, imagina un léger prétexte pour interrompre leur entretien. La princesse tremblante, alarmée, lui sut gré de l'avoir rendue à elle-même.

Bazine ne s'est point trompée sur ses premières émotions, mais cependant elles l'étonnent; elle avoit deviné l'amour, mais l'amour dans son cœur est encore plus pur, plus céleste, plus puissant que dans son imagination; Bazine croyoit connoître son ame, cependant elle y découvre chaque jour de doux secrets qui l'agitent, la tourmentent et lui plaisent. Elle jouit du bonheur d'aimer sans oser encore s'y livrer, et la tendre résistance qu'elle apporte elle-même au sentiment qui l'entraîne, est un charme de plus qui la ravit. Bazine aime enfin, elle en jouit sans oser à peine se l'avouer, et ce moment est enchanteur pour elle. Sa pensée ne s'égarera plus dans de vagues souhaits, dans de chimériques espérances; elle n'attendra plus dans la solitude d'un cœur sans objet qui l'occupe, un héros dont elle n'a qu'une idée furtive; tout est délice pour elle, parce que tout devient amour; aimer est toute sa vie; elle seule connoît encore le trouble heureux qui l'enivre si délicieusement; elle le dérobe, le renferme au fond de son cœur; elle craindroit de le laisser deviner. Cependant Berthilie la pénètre, mais elle se tait; elle a aussi son secret, et l'instant des doux aveux n'est pas encore venu.

Childéric, accablé de ses souvenirs, fuyoit de bonne foi l'occasion de reprendre son récit; voir Bazine au palais, l'admirer, s'enivrer de sa présence, suffisoit à son cœur, trop délicat pour n'être pas sincère, trop grand pour chercher de vaines excuses, trop vrai même pour en trouver: décidé à se taire, à se contenter du bonheur de passer près d'elle une partie de sa vie, le roi ne cherchoit plus ces momens si chers à l'amour et qu'il avoit tant souhaités. Bazine craignoit presqu'autant de se trouver près de lui; elle trembloit, rougissoit à son approche; elle sentoit son secret errer sur ses lèvres, elle se défioit de ses regards: tous deux s'évitoient donc également. Bazine, loin de s'en plaindre, admiroit la réserve de son amant; elle sentoit qu'elle étoit aimée; les yeux du roi, son embarras, ce respect soumis que l'amour seul peut faire naître, son propre cœur qui l'avertissoit, tout disoit à l'heureuse princesse qu'elle étoit payée de retour.

 

L'été mûrissoit les blonds épis, le soleil embrâsoit les airs, et les roses mourantes penchoient leurs tiges desséchées; les nuits, presqu'aussi brûlantes que les jours, ne calmoient point la chaleur; le sommeil fuyoit les mortels: mais un orage, suivi d'une douce pluie, avoit rafraîchi les fleurs, le feuillage et les gazons. Bazine, que l'orage a agitée, et que ses inquiètes pensées tourmentent encore, lorsque toute la nature est calmée; Bazine, qu'un trouble plus doux que le repos, ravit au sommeil, se lève avec l'aurore, et admire l'amante de Céphale; les gouttes de la pluie, encore suspendues aux fleurs, aux brins d'herbes, se changent en perles, en saphirs, en émeraudes. Les premiers rayons du jour brillent sur cette humide vapeur, et l'écharpe d'Iris s'étend sur toute la nature. Les premiers chants des oiseaux ne troubloient qu'avec douceur la tranquillité des airs; une si belle aurore promettoit une riante matinée: la princesse désire en jouir, et s'égarer sous les voûtes de feuillage qu'elle aperçoit dans une prairie que borde l'Elbe, fier de ses eaux; une longue chaîne de montagnes borne l'horizon. C'étoit en cet endroit que Bazine vouloit aller respirer l'air pur et balsamique des prés et des bocages; mais elle ne peut jouir d'aucun plaisir s'il n'est partagé, et elle envoie promptement chercher Berthilie, qui demeuroit avec son père dans le palais du roi de Thuringe; elle vint promptement, demi-éveillée, demi-parée, et applaudit au projet de la princesse: la vertueuse et bonne Eusèbe, qui ne quittoit jamais sa chère élève, fut aussi de la promenade, et suivit de loin ces nymphes légères, qui, courant sur les fleurs sans les fouler, n'y laissoient que la trace passagère qu'y eûssent imprimée les zéphirs. Berthilie avoit retrouvé toute sa gaieté; Bazine jouissoit mieux de sa douce mélancolie, et toutes deux s'abandonnoient à leurs pensées, admiroient le spectacle de ces beaux lieux, que le jour en se levant leur faisoit mieux distinguer. Eusèbe, prudente, point curieuse et discrète, jouissoit en silence de la pure joie des aimables amies, et l'on parvint ainsi au petit bois, but de leur course matinale. Ce bois, l'une des belles promenades d'Erfort, étoit divisé en superbes allées et semé d'un gazon que la fraîcheur de l'ombre rendoit toujours verd; les eaux d'une cascade naturelle, mais que l'art avoit embellie, serpentoient en ruisseau bordé de fleurs, et son doux murmure ajoutoit, par son bruit monotone, à la mélancolie, au charme de ces lieux. Bazine quitta son voile, et s'assit sur l'herbe; Berthilie se reposa à ses côtés, et la prévoyante Eusèbe plaça devant elles une petite corbeille de fruits. Bazine la remercia, et lui présenta les meilleurs; Eusèbe auroit bien voulu ne pas les recevoir, mais comment refuser Bazine? Après ce léger repas, Berthilie, qui aimoit passionnément les fleurs, s'enfonça dans le bois pour en cueillir; Bazine bientôt l'entendit jeter un cri, se leva promptement pour aller à son secours: mais que devint-elle en apercevant Childéric, suivi d'Eginard, que Berthilie conduisoit vers elle. A leur aspect si inattendu, Bazine rougit et demeura interdite; un doux sourire succéda à l'étonnement; on oublia que l'on vouloit s'éviter; on ne songea pas même à se demander la cause d'une rencontre si imprévue, on se contenta d'en jouir. Bazine cependant alloit proposer de retourner au palais, quand elle se rappela heureusement que le récit du prince n'étoit pas achevé; elle fut ravie d'avoir trouvé un si bon emploi du tems, un prétexte si naturel pour ne pas quitter encore le bocage charmant où elle jouissoit d'un si vrai bonheur. Décidée, elle fut se rasseoir au bord du ruisseau; Eusèbe étoit près d'elle, Childéric à ses pieds, et placé de manière qu'il la voyoit devant ses yeux, et dans le ruisseau limpide qui répétoit encore sa douce image. Eginard osa s'asseoir près de Berthilie; il l'aida à faire une guirlande et un bouquet, et souvent, en présentant la fleur qu'attendoit Berthilie, sa main trop prompte ou seulement maladroite, rencontroit une main charmante qui se retiroit trop vite, pour qu'Eginard ne se doutât pas que cette main étoit sensible.

Le jeune roi, enchanté de son bonheur, restoit muet aux pieds de Bazine. Depuis si long-tems il ne l'a vue que… tous les jours, mais au milieu d'une cour nombreuse; elle est là sans parure, et dans un séjour paisible et discret. Ce bois, sa fraîcheur, cette eau même qui lui retrace les traits qu'il adore, les doux zéphirs, le parfum des violettes, un dieu plus doux encore, et qui règne sur toute la nature comme dans son cœur, écartent de lui toute autre pensée que celle de son bonheur. Le vent agitoit les boucles de sa blonde chevelure; le désordre de son cœur donnoit à ses traits une expression enchanteresse; jamais Bazine ne l'avoit vu si beau, jamais il ne l'avoit trouvé si belle; tous deux oubliant l'univers, s'oubliant eux-mêmes, demeurèrent en silence. Bazine, rougissant du muet aveu qu'elle venoit de faire, reprit pourtant plus d'empire sur elle-même, et d'un seul mot arracha le roi au rêve de félicité qui remplissoit toute son ame; elle demande, elle exige le fatal récit. Déjà les belles couleurs que le plaisir répandoit sur la figure animée du roi, se sont effacées; il baisse les yeux et soupire. Vous exigez, princesse, dit-il avec émotion, que je vous retrace une partie de ma vie, qu'il m'eût été trop doux de taire et d'oublier: je dois vous obéir, et peut-être m'en punirez-vous, quoique déjà je sois sans doute bien malheureux, puisque je suis coupable, et puisqu'il faut vous le dire;… peut-être allez-vous me haïr! Le roi prononça ces mots d'un air si triste, d'un ton si tendre, que Bazine en fut touchée. Parlez, prince, lui dit-elle avec douceur, je vous jugerai peut-être moins sévèrement que vous-même. Childéric fixa un moment ses yeux sur la princesse, et ce regard suppliant sembloit solliciter sa grace; elle étoit au fond du cœur de Bazine; il alloit déchirer ce tendre cœur, mais non le forcer à changer. Bazine se livre un moment au dangereux plaisir d'écouter les regards éloquens du roi; mais trop émue, elle baissa ses yeux si ravissans, soit qu'ils se laissâssent voir, soit que ses longues paupières en voilâssent la beauté! C'est d'Egésippe cependant qu'il faut entretenir la princesse; il faut lui avouer que ce cœur n'est pas pur comme le sien, n'est pas sans souvenirs, n'est pas enfin digne d'elle. Comment lui peindre un amour que lui-même aujourd'hui a peine à concevoir! Bazine pâlit en écoutant, et ne peut retenir ses larmes. Childéric voit sa douleur, elle le tue. Oh! que n'ose-t-il s'interrompre, tomber à ses pieds et lui dire: O Bazine! je ne brûlois que des feux du désir; cet amour impétueux n'étoit que l'orage des sens; aujourd'hui j'aime du fond de l'ame, et de toutes les puissances de mon cœur; l'amour que j'éprouve a reçu ses traits de l'objet même qui me l'inspire. Tel seroit le discours que tiendroit le roi, si ses revers ne lui défendoient de se déclarer. Résistant au trouble qui le dévore, il continua son récit, et fit l'aveu des premières fautes de son règne; il ne parla pas sans regret de son injustice envers Ulric, et montrant alors Eginard, à qui il tendit la main: Vous voyez, dit-il, comme les braves se vengent. Eginard prit la main de son maître et la posa sur son cœur; Childéric lui tendit les bras. Ce mouvement de sensibilité émut la princesse et Berthilie. Elles proposèrent au prince de laisser cet entretien qui les agitoit tous si vivement; il s'y refusa. Non! reprit-il, achevons cette tâche douloureuse; si vous me pardonnez, je me croirai absous de tout l'univers; si vous méprisez un roi malheureux, du moins je ne devrai plus à votre seule ignorance une estime non méritée. Enfin, il a prononcé cet aveu qui lui coûte tant d'efforts, et son repentir et son désespoir l'ont élevé dans le cœur de la princesse bien au-dessus de ses fautes. Childéric ne se plaignit point des revers qui suivirent de si près ses erreurs: mais avec quel chaleur il parla de son séjour chez les Druides, des soins mystérieux qu'il y reçut, de sa joie en retrouvant son cher Viomade, ce Viomade toujours fidèle, quoique persécuté, toujours sensible, enfin, toujours Viomade! Childéric alors tira de son sein la moitié de la pièce d'or qu'il a reçue du brave; il fait part à la princesse de ses espérances, et de ce que doit lui annoncer l'autre moitié qu'il attend. Dans ce moment, où il se flatte de reprendre bientôt le chemin de ses états, de reconquérir sa couronne, un désir plus fort que la raison et la prudence saisit son cœur; toute son ame est dans ses yeux; une idée qu'il n'ose expliquer, une espérance qu'il n'ose exprimer, se peignent d'elles-mêmes sur son visage; Bazine l'entend, et semble ne s'occuper que de la pièce d'or qu'elle tient. Mais le roi revenant à lui-même, lui dit avec tristesse: Vous m'avez ordonné de vous faire connoître mon enfance, ma jeunesse, mes égaremens, mes malheurs; maintenant, prononcez mon arrêt, bannissez loin de vous un coupable prêt à vous obéir. Voyez-vous donc tant de courroux dans mes regards, lui dit Bazine? et ces pleurs, dont je n'ai pu me défendre, annoncent-elles un cœur insensible à vos remords? me croyez-vous donc moins généreuse que Viomade? Mais, ajoute la princesse d'une voix tremblante et en pâlissant, vous voilà maintenant à l'abri des passions; une aussi fatale expérience en garantira votre ame; et après avoir aimé si vivement, vous n'aimerez plus. Ces derniers mots expirèrent sur ses lèvres. Ne plus aimer! s'écria le roi, ne plus aimer! ah Bazine! Mais, trop heureux sans doute si je n'aimois plus! Est-ce à moi, infortuné proscrit, à oser encore prétendre au bonheur! Si j'aimois, l'honneur ne m'ordonneroit-il pas de le taire, ne m'interdiroit-il pas de téméraires vœux? Ah! que je puisse reconquérir mon trône, m'y montrer avec gloire, et vous saurez tous si j'aime. Sa bouche ne prononça que ces mots, mais ses yeux en disoient bien davantage; l'indifférence auroit pu les interpréter, l'amour sut les entendre et leur répondre. Bazine exprima son bonheur par un silence non moins expressif; tous deux s'interrogent d'un regard, et sont heureux d'un sourire; aveux muets et charmans, doux et premier bienfait de l'amour, vous comblez les désirs des amans sincères, vous êtes la volupté du cœur!

Mais les heures, qui semblent s'arrêter pour Childéric et Bazine, s'envolent rapidement pour le reste du monde, et Eusèbe voit, à la hauteur du soleil, que le jour est avancé; elle craint que l'absence trop longue de la princesse et celle du roi des Francs, n'offense Bazin; elle ose interrompre de si chers instans. Bazine, toujours bonne et sensible, loin de blâmer Eusèbe de sa triste prévoyance, l'en remercia tendrement, et l'on reprit le chemin de la plaine. Il faisoit une chaleur insupportable, dont personne ne se plaignit, et dont peut-être Eusèbe seule s'aperçut. Eginard n'avoit jamais trouvé Berthilie si fraîche et si jolie; mais il n'a pas encore sacrifié Grislidis. N'allons pas plus vîte en infidélité qu'Eginard, et laissons-lui au moins tout le mérite de la résistance. Le soir la cour étoit réunie au palais, mais Bazine ne parut point; Berthilie seule admiroit sur la physionomie du jeune roi les traces de bonheur et d'amour que la rencontre du matin y avoit laissées; elle ne voyoit pas avec moins de plaisir l'air distrait et rêveur d'Eginard: toutes les dames s'aperçurent du changement qui s'étoit fait en eux, elles n'osèrent interroger le roi; mais elles badinèrent Eginard, qui, honteux d'une défaite dont il ne convenoit pas encore avec lui-même, surmonta sa foiblesse, et se livra de bonne grâce à toutes les belles: malgré lui, il étoit inquiet de ce que penseroit Berthilie de son air léger et si différent de celui qu'elle devoit attendre en ce jour;… elle en avoit été vivement blessée, mais elle l'imita. Le roi de Thuringe s'étoit retiré; Théobard l'avoit suivi, et étoit venu de sa part prier Childéric de se rendre au conseil; leur absence donnant plus de liberté à ceux qui restèrent, la gaieté devint plus vive; du badinage on en vint aux chansons; Berthilie, charmée de se venger d'Eginard, consentit volontiers à se faire entendre, et reprenant sa malice, son air étourdi, son maintien agaçant, son regard plein de finesse et de coquetterie, elle chanta ainsi:

CHANSON
 
Sous l'air de l'étourderie,
Cachant ma philosophie,
Sur la scène qui varie
Je sais fixer le bonheur;
Et la raison embellie
Des graces de la folie,
Fait le charme de ma vie,
Et le repos de mon cœur.
 
 
On peut, sans être jolie,
Plaire un moment, faire envie;
A seize ans se voir suivie,
Aussi j'ai mille amoureux.
De leur tendre perfidie,
Par ma gaieté garantie,
Je rirai toute ma vie
De leurs soupirs, de leurs feux.
 
 
Sans trop de supercherie,
Un peu de coquetterie,
Animant la jalousie,
Peut m'amuser un instant;
Mais je quitte la partie,
Si plus tendre fantaisie
De mon heureuse folie
Vouloit faire un sentiment.
 

Eginard se piqua des paroles, et surtout du regard, du sourire de celle qui venoit de chanter; il ne vouloit pas aimer, mais il prétendoit plaire, et peut-être même il aimoit. Il avoit espéré qu'elle chanteroit une romance, qui exprimeroit son inquiétude, sa jalousie, sa crainte; ce ton badin le blessa, l'outra même; il se promit de ne jamais aimer Berthilie, chercha à se venger, et crut y parvenir en chantant à son tour son indifférence.

 
L'INDIFFÉRENCE
 
Depuis que l'indifférence
De mon cœur bannit l'amour,
Si je sens fuir la souffrance,
Le bonheur fuit à son tour;
Sans regret, sans espérance,
Renaît et finit le jour.
 
 
Sans désir, sans rêverie,
J'admire ici le printems;
Mon ame n'est plus ravie,
Mon cœur n'a plus de tourmens.
Amour, ranime ma vie,
Rends-moi mon cœur et mes sens.
 
 
Rends-moi ces momens d'ivresse,
Mon espoir et mes malheurs;
Rends-moi, d'une autre maîtresse,
Les caprices, les rigueurs.
Dieu charmant de la tendresse!
Rends-moi tout jusqu'à mes pleurs.
 

Sans doute les dames alloient plaindre Eginard d'une aussi triste indifférence, peut-être même entreprendre de l'en guérir, mais l'arrivée de Théobard mit fin à ces jeux; il dit à Eginard que son maître l'attendoit dans son appartement, engagea les dames à se retirer, et pressa Berthilie de le suivre. Etonnée, inquiète, elle se précipite sur les pas de ce père tendrement aimé: tout annonçoit une nouvelle extraordinaire; elle alarme la sensible fille de Théobard; son père qui la soutient, la sent trembler et la presse contre son cœur; ce tendre mouvement ajoute encore à son effroi.

FIN DU LIVRE TREIZIÈME