Za darmo

Histoire littéraire d'Italie (3

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Tel était alors, pour ne pas entrer dans des détails fatigants, l'état général de la poésie italienne. Nous avons vu qu'un petit nombre de poëtes luttait cependant contre la corruption et le mauvais goût. Laurent de Médicis et Politien sont au premier rang, mais tellement les premiers, qu'il y a une distance immense entre eux et ceux qui marchent les seconds. On leur adjoint ordinairement, et avec justice, Girolamo Benivieni. Il fut leur ami et celui de Pic de la Mirandole. Ce dernier fit, comme on l'a vu 761, un très-savant commentaire sur la canzone de Benivieni, dont le sujet est l'amour platonique, ou plutôt l'amour divin. Il y a dans cette canzone dans ses sonnets et dans ses autres poésies 762, une clarté, un naturel et une pureté de goût qui appartenait en quelque sorte à l'école de Florence. Il y vécut jusqu'à une extrême vieillesse, et par cette raison il appartient en partie au seizième siècle. Il fut témoin et acteur des révolutions qui agitèrent alors sa patrie, et dont le fanatisme religieux fut le principal mobile. Benivieni fut très-lié avec le moine Savonarole; il faisait, pour seconder les vues de ce prédicant politique, des canzoni a ballo, ou chansons à danser, qui ne ressemblaient plus à celles de Laurent de Médicis; il en commençait une par ces mots:

 
Non fu mai'l più bel solazzo,
Più giocondo ne maggiore
Che, per zelo e per amore
Di Gesù, diventar pazzo.
 

Ce refrain revient douze fois dans la canzone, et le dernier vers de chacun des douze couplets, finit encore par le mot pazzo; et le poëte, en finissant le dernier couplet, veut que ce mot devienne le cri général:

 
Ognun gridi com' io grido
Sempre pazzo, pazzo, pazzo.
Non fu mai più bel solazzo, etc.
 

Mettant à part ces pieuses folies, Girolamo Benivieni écrivit jusqu'à la fin avec le goût simple et la clarté qui l'avaient distingué dès sa jeunesse; mais c'est aux poëtes qui commencèrent à fleurir quand il vieillissait, qu'appartient la gloire d'avoir rendu à la poésie italienne toute sa splendeur.

Le tableau de ce qu'elle fut au quinzième siècle serait incomplet si je n'y ajoutais celui des femmes poëtes. Il y en avait eu dans chaque siècle, depuis la renaissance des lettres, ainsi que des femmes livrées à d'autres études, parmi lesquelles nous avons même trouvé des docteurs et des professeurs en droit. La poésie, il le faut avouer, convient mieux à ce sexe aimable; et Molière lui-même, qui s'est moqué des femmes savantes, qui a fourni contre elles, aux hommes qui pensent comme lui, ce vers passé en adage:

Et les femmes docteurs ne sont point de mon goût;

Molière n'a rien dit contre les femmes poëtes. En Italie, le quinzième siècle en eut un plus grand nombre que les précédents; plusieurs d'entr'elles joignirent à la poésie d'autres connaissances littéraires, sans en être moins aimables; plusieurs même tempérèrent par leur talent poétique des études trop graves pour leur sexe, et peut-être écartèrent d'elles l'anathême lancé par notre grand comique, contre les femmes à chausse de docteur et à bonnet carré. On voit, par exemple, une princesse Battiste, fille d'Antoine de Montefeltro 763, dont on a des poésies, et surtout une canzone pleine d'énergie et de force, adressée aux princes italiens 764, qui harangua en latin, dans plusieurs occasions solennelles, l'empereur Sigismond, le pape Martin V et plusieurs cardinaux, et qui, de plus, professa publiquement la philosophie, argumenta souvent contre les philosophes les plus exercés, et remporta sur eux la victoire. Elle épousa, en 1395, Galeotto ou Galeazzo Malatesta, qui mourut cinq ans après. Restée veuve, elle se fit religieuse dans l'ordre de Sainte-Claire, et y acquit autant de réputation par sa sainteté, qu'elle s'en était fait dans le monde par ses talents.

On ne dit rien de sa fille Elisabeth; mais sa petite-fille Constance, élevée par elle, marcha sur ses traces, non pas, il est vrai, dans la poésie, mais dans la carrière de l'éloquence. Elle donna des preuves de son talent dans une occasion importante pour sa famille. Piergentile Varano, son père, époux d'Elisabeth, était seigneur de Camerino; il avait perdu sa seigneurie par les suites des guerres civiles, et avait laissé, outre sa fille Constance, un fils nommé Rodolphe, qui était privé de ce fief. En 1442, Blanche Marie Visconti, épouse du comte François Sforce, ayant fait quelque séjour dans la Marche, la jeune Constance, qui n'avait que quatorze ans, prononça devant elle un discours latin, pour la prier de faire rendre à son frère Rodolphe le domaine dont il était dépouillé. Cette harangue, composée et prononcée par un enfant, lui fit une réputation qui se répandit dès-lors dans toute l'Italie. Elle écrivit au roi Alphonse, de Naples, pour le même objet, et eut la gloire de réussir. Rodolphe fut rétabli dans sa seigneurie, sans avoir eu d'autre appui que l'éloquence de sa sœur. Elle rentra avec lui à Camerino, et adressa au peuple une autre harangue latine qui eut le même succès que la première. Elle épousa, l'année suivante, Alexandre Sforce, seigneur de Pesaro, qui l'aimait depuis plusieurs années; elle mourut en 1460, n'étant âgée que de trente-deux ans.

Elle laissa une fille nommée Battiste comme sa bisaïeule, et qui, dès l'âge de quatorze ans, comme sa mère, prononça à Milan, où elle était élevée auprès de François Sforce, un discours latin, dont l'élégance remplit tout l'auditoire d'étonnement et d'admiration. Revenue à Pesaro, dans sa famille, elle continua de s'exercer à l'éloquence. Il ne passait, dans cette cour, aucun ambassadeur, prince ou cardinal, qu'elle ne le complimentât en latin, et souvent par des discours improvisés. Devenue, en 1459, épouse de Frédéric, duc d'Urbin, elle harangua un jour le pape Pie II, avec tant d'éloquence, que lui, qui était cependant un homme très-éloquent, protesta qu'il ne se sentait pas capable de lui répondre sur le même ton. Sa mort fut encore plus prématurée que celle de sa mère. Elle mourut à vingt-sept ans, en 1472. Il ne subsiste rien des productions d'un talent si rare; et c'est de son oraison funèbre, prononcée par le célèbre Campano, et imprimée parmi les Œuvres de ce savant évêque 765, que sont tirés ces faits qui ne paraîtront peut-être pas indignes de l'histoire.

Le goût pour l'art oratoire paraît avoir été, à cette époque, aussi commun parmi les femmes que le talent poétique; et il est aisé d'expliquer comment l'éclat que l'on donnait aux succès augmentait l'ardeur pour l'étude, ou plutôt cela n'a pas besoin d'explication. La jeune Hippolyte Sforce, fille du duc François, et destinée au roi de Naples Alphonse II, avait été instruite, dès l'enfance, dans les lettres grecques par le célèbre Constantin Lascaris. Elle prononça dans plusieurs circonstances des harangues latines, entre autres devant le pape Pie II, qui fut ainsi plus d'une fois harangué par des femmes. On sait que notre roi Charles VIII le fut dans la ville d'Asti par une petite fille de onze ans, ce qui lui causa une grande surprise, ainsi qu'aux seigneurs de sa cour, réduits pour la plupart à admirer sans entendre. Cette jeune fille se nommait Marguerite Solari. Jacques Philippe Tomasini a écrit la vie et publié 766 les lettres latines d'une Laura Cereta, de Brescia, qui fut aussi très-célèbre par son savoir. Enfin, Alessandra Scala, fille de l'historien Barthélemi Scala, et femme du poëte Marulle, fut poëte elle-même; et si l'on n'a d'elle ni des vers italiens, ni des vers latins, on en a de grecs, imprimés dans les Œuvres de Politien, dont elle fut aimée.

J'ai parle d'une Isotte, maîtresse et ensuite femme d'un seigneur de Rimini 767, à laquelle les poëtes de son temps firent une réputation de talent poétique, et en voulurent même faire une de sagesse. Une autre Isotte eut des droits plus réels à cette double renommée. Elle était fille de Léonard Nogarola de Vérone. Quand le docte Louis Foscarini, patricien de Venise, était podestat de Vérone 768, Isotte assistait aux assemblées de savants qu'il réunissait chez lui; on y débattait des questions jugées alors très-importantes. On y examinait un jour si la première faute ne doit pas être attribuée à Adam plutôt qu'à Ève. Isotte fut du premier avis, et ce qu'elle dit là-dessus parut si beau, qu'on l'imprima un siècle après à Venise 769, avec une de ses élégies latines. On ne sait si ce furent ses préventions contre Adam qui l'engagèrent au célibat, mais on assure qu'elle mourut fille à l'âge de trente-huit ans. À Ferrare, Blanche d'Este, fille du marquis Nicolas III; à Milan, Domitilla Trivulci, fille d'un sénateur de ce nom, se distinguèrent également par leur beauté, leurs talents pour la musique et pour les arts agréables, et par l'étude qu'elles avaient faite des lettres grecques et latines, au point d'écrire facilement en prose et en vers dans ces deux langues.

 

Mais aucune de ces femmes n'eut alors une réputation si éclatante que Cassandra Fedele, née à Venise, vers l'an 1465. Son père Angiolo Fedeli lui fit apprendre le grec, le latin, l'art oratoire, la philosophie et la musique. Elle y fit de si grands progrès, qu'elle faisait, dès sa première jeunesse, l'admiration des savants. Parmi les épîtres familières de Politien, se trouve la réponse qu'il fit à une lettre que cette jeune Muse lui avait écrite. Elle est remplie des expressions de l'admiration la plus vive. «Vous écrivez, lui dit Politien 770, des lettres spirituelles, ingénieuses, élégantes, vraiment latines, remplies d'une certaine grâce enfantine et virginale, et cependant à la fois pleines de sagesse et de gravité. J'ai lu aussi votre discours, que j'ai trouvé savant, riche, harmonieux, noble, digne de votre heureux génie. J'ai même appris que vous avez le talent d'improviser qui a quelquefois manqué à de grands orateurs. On dit que dans la dialectique vous savez compliquer des nœuds que personne ne peut dénouer, et trouver la solution de ce qui avait été jugé et paraissait devoir rester insoluble; dans les combats philosophiques, vous savez également soutenir vos propositions et attaquer celles des autres;

Et Vierge, vous osez vous mêler aux guerriers 771.

Enfin, dans cette belle carrière des sciences, le sexe ne nuit point en vous au courage, ni le courage à la pudeur, ni la pudeur au génie; et tandis que tout le monde fait retentir vos louanges, vous vous déprimez, vous vous humiliez vous-même. On dirait qu'en baissant les yeux vers la terre avec tant de modestie et de décence, vous voulez rabaisser en même temps l'opinion que tout le monde a conçue de vous, etc.» Voilà certainement une savante fort aimable, et l'on ne voit pas ce que la femme la plus jolie pourrait perdre à ressembler à ce portrait.

Ce qu'il y a de juste et de raisonnable dans la controverse, si souvent renouvelée, sur la culture des sciences et des arts de l'esprit chez les femmes, se réduit à la crainte qu'on a, ou peut-être que l'on feint d'avoir, que cette culture ne leur ôte des vertus et des moyens de plaire, propres à leur sexe. Le vrai secret pour elles de la terminer à leur avantage, c'est de tirer de cette culture même de quoi ajouter aux unes et aux autres. Sans vouloir m'engager dans cette question délicate, je n'ai rappelé ici les noms de plusieurs des femmes célèbres par leur érudition et par leurs talents poétiques ou oratoires, qui fleurirent presque à la fois dans le même pays et dans le même siècle, que pour faire mieux connaître quel était, dans ce siècle et dans ce pays, le mouvement général qui entraînait les esprits, et la direction donnée à l'éducation et aux études.

CHAPITRE XXIII

État des lettres en Italie, à la fin du quinzième siècle; études dans les Universités, Théologie, Philosophie, Droit, Médecine, Astronomie, Astrologie; Voyages, Découverte d'un nouveau monde; Considérations générales.

Engagés depuis long-temps dans l'examen des progrès que firent, pendant ce siècle en Italie, les sciences, les lettres et tous les arts de l'esprit, nous n'avons rien dit encore des trois sciences qui ont occupé tant de place dans le tableau des premiers temps de ce qu'on appelle, un peu gratuitement, la renaissance des lettres. Nous avons annoncé, il est vrai, dans l'histoire du treizième siècle 772, que nous donnerions à l'avenir moins d'attention à la dialectique de l'école, à la théologie, au droit civil et canonique, parce que les lettres proprement dites allaient désormais réclamer cette attention toute entière. Il faut cependant en dire quelques mots, avant de quitter cette époque, et voir, du moins sommairement, si ces trois genres d'étude firent alors quelques acquisitions ou quelques pertes remarquables, si, enfin, dans ce temps où tous les esprits semblaient se diriger vers la lumière qui jaillissait de toutes parts des chefs-d'œuvre de l'antiquité, ce qui avait été presque tout autrefois, était encore quelque chose.

Les Universités, théâtres bruyants et souvent orageux, des combats et des triomphes scholastiques, n'éprouvèrent pas, dans le cours de cette période, les mêmes vicissitudes que dans les précédentes, excepté peut-être celle de Bologne 773; vers le commencement du siècle, elle joignit aux autres facultés, des chaires d'éloquence grecque et latine, et eut pour professeurs Guarino de Vérone, Jean Aurispa, et Filelfo. Elle parut alors reprendre son ancien éclat, mais des troubles s'élevèrent. Bologne secoua le joug des papes 774 et le reprit 775; l'Université se dépeupla, et quand la paix fut rétablie, l'auteur d'une chronique du temps crut annoncer de belles espérances, en disant que le nombre des écoliers s'élèverait bientôt à cinq cents 776. On se rappelle un temps où ils montaient à dix mille. Cependant lorsque Bologne eut pour légat le cardinal Bessarion 777, l'Université se ressentit de son amour pour les lettres, et depuis lors jusque vers la fin du siècle, les Italiens et les étrangers y revinrent avec un concours presque égal à celui de ses meilleurs temps. Christian, roi de Danemarck, la visita en allant à Rome, en 1474. On cite comme un trait honorable pour l'Université, mais qui ne l'est pas moins pour ce roi, l'hommage qu'il y rendit aux sciences. Il voulut que deux de ses courtisans prissent à Bologne le grade de docteur, l'un en droit et l'autre en médecine. On éleva dans l'église de St. – Pierre un théâtre sur lequel étaient placés, selon l'usage, des sièges pour les professeurs qui devaient conférer le doctorat. On en avait disposé un plus élevé et plus magnifiquement décoré pour le roi. Mais il ne voulut point y monter, et dit qu'il regardait comme très-glorieux pour lui de s'asseoir au même rang que ceux qui étaient dans tout le monde en si grande vénération par leur savoir 778.

L'Université de Padoue avait souffert, et du désastre des temps, et de l'érection de quelques écoles dans des villes voisines; quand la république de Venise se fut emparée de cette ville, le sénat lui accorda un privilége exclusif, qui ôtait à toutes les autres écoles de l'état vénitien, le droit d'enseigner les sciences, à l'exception de la grammaire. Venise ne s'excepta pas elle-même de cette loi; lorsque Paul II, né Vénitien, pour se faire un mérite auprès de sa patrie, lui accorda le bienfait d'une université, le sénat décréta que dans ce nouveau gymnase on pourrait bien recevoir ses degrés en philosophie et en médecine, mais qu'en jurisprudence et en théologie, on ne pourrait être reçu qu'à Padoue. Florence au contraire, devenue maîtresse de Pise, laissa d'abord languir l'Université qui y était née dans le dernier siècle. Les Florentins voulurent donner à celle qu'ils possédaient eux-mêmes toutes les préférences et toute la faveur. Ils s'aperçurent bientôt qu'ils avaient fait un faux calcul; ils députèrent quatre de leurs plus illustres citoyens, au nombre desquels était Laurent de Médicis, pour rouvrir l'école de Pise, qu'ils dotèrent convenablement 779. Le pape Sixte IV lui accorda de plus une taxe sur les biens de l'église. Sa prospérité renaissante fut troublée deux fois par la peste 780, qui en écarta les professeurs et les disciples; mais elle le fut bien davantage par l'arrivée de Charles VIII, et par les troubles et les expéditions militaires qui bouleversèrent la Toscane, pendant le reste du siècle. Ce ne fut qu'au retour de la paix qu'elle put respirer et qu'elle reprit l'état florissant, dont elle n'a plus cessé de jouir.

 

Les Universités de Milan, de Pavie, et de Ferrare, prospérèrent constamment sous la domination des Sforce et des princes de la maison d'Este. Celles de Naples, de Rome, de Pérouse, n'éprouvèrent rien de remarquable pendant ce siècle. On distingue entre celles qui prirent alors naissance, l'Université de Turin, fondée, en 1405, par Louis de Savoye, qui n'avait alors que le titre de prince d'Achaïe 781. Amédée VIII, son successeur et premier duc de Savoye, en confirma et en augmenta les priviléges. Elle attira dès-lors un grand concours, et fit tomber celle de Verceil, qui existait depuis le treizième siècle. Elle n'eut point d'autre ennemie que la peste qui la chassa plusieurs fois à Chieri 782, à Savigliano 783], à Montcalier; elle revint enfin à Turin 784, où elle a continué de fleurir jusqu'à nos jours 785.

Nous ne pouvons prendre aucun intérêt aujourd'hui au crédit qu'eurent alors, dans toutes ces universités, les études théologiques. Les grandes occasions que les docteurs, dans la science de Thomas et de Scot, eurent de faire briller leur savoir, dans les conciles de Constance, de Bâle et de Florence, les espérances de fortune attachées à leurs succès, dans ces expéditions brillantes, où l'on voyait les simples ecclésiastiques élevés à la prélature, les évêques au cardinalat, les cardinaux décorés de la tiare, ne pouvaient qu'exciter une grande émulation parmi les jeunes théologiens, qui voyaient ouverte devant eux une si belle carrière. Mais tout ce qui se dit et s'écrivit alors de plus fort et de plus sublime, où, si l'on veut, de plus profondément inintelligible, dans les écoles et même dans les conciles, est également perdu pour nous, malgré le soin qu'en prit quelquefois l'imprimerie qui joignait dès-lors, comme elle le fait encore, à tant et de si grands avantages, l'inconvénient très-grave de multiplier et d'éterniser le mal comme le bien. Nous ne nous arrêterons qu'un instant sur deux questions qui mirent en grande rumeur le monde théologique, et qui serviront à faire connaître quel était dans ce monde-là l'esprit du temps.

L'une de ces questions roula sur un objet qui paraissait fort étranger à la théologie; mais celle-ci a toujours su, quand on le lui a permis, étendre à propos les limites de sa compétence. Les Monts-de-Piété venaient d'être institués par un moine assez peu connu, quoique saint, le B. Bernardin de Feltro, de l'ordre des frères mineurs 786. Trois papes les avaient autorisés 787; et cependant quelques théologiens et quelques canonistes prétendirent que ces établissements, fondés par un saint et brevetés par trois papes, étaient usuraires, et partant illicites. Les Monts-de-Piété eurent des défenseurs. Les deux partis trouvèrent dans l'écriture, dans les pères, dans les conciles, tout ce qu'il fallait pour les attaquer et pour les défendre; la querelle ne se termina qu'en 1515, où Léon X confirma définitivement ces institutions utiles.

L'autre question était vraiment théologique; elle eut encore pour premier auteur un religieux de l'ordre des frères mineurs et un saint 788. S. Jacques de la Marche, prêchant à Brescia, en 1462, affirma positivement que le sang versé par le Christ dans sa passion, était séparé de la divinité, et qu'ainsi on ne lui devait pas un culte de Latrie. Cette proposition parut sentir l'hérésie à un homme fait pour s'y connaître, moine de l'ordre des dominicains, et inquisiteur à Brescia. Il voulut obliger le frère Jacques à se mieux expliquer, ou à rétracter ce qu'il avait dit; mais il ne put obtenir ni l'un ni l'autre. De-là une querelle violente, d'abord entre les deux ordres, et enfin dans toute l'église. Le sage Pie II était alors souverain pontife; il voulut que la question fût débattue contradictoirement devant lui, et devant un certain nombre de théologiens d'élite. Frère Jacques et ses adversaires dirent de si belles raisons, et des choses si utiles pour la foi, que le pape imposa aux deux partis un rigoureux silence. Si l'église avait toujours eu des chefs et des juges aussi éclairés, tant d'autres questions, tout aussi vaines, n'auraient pas troublé et ensanglanté le monde.

Des écrits trop volumineux et trop nombreux parurent alors, soit sur des matières spéculatives, soit sur la théologie morale. Il y eut dans ce dernier genre une Somme angélique de frère Ange de Chivas, une Somme pacifique de frère Pacifique de Novarre, qui eurent les honneurs de l'impression, et qui, selon Tiraboschi, que nous devons croire, gissent aujourd'hui couverts de poussière dans des coins de bibliothèques 789; c'est du moins un grand bien qu'elles n'en sortent plus pour embrouiller les idées, obstruer les cerveaux, ou tenir dans la mémoire une place qui n'est due qu'aux connaissances utiles et aux faits importants.

Ce bon et savant homme veut qu'on en excepte la Somme théologique de saint Antonin, archevêque de Florence, qui a eu un grand nombre d'éditions, et qui en eut même encore deux dans le dernier siècle; on y trouve pourtant, de l'aveu de Tiraboschi lui-même 790, quelques opinions que les théologiens, mieux éclairés, ont ensuite cessé de soutenir; le plus sûr est donc de ne rien excepter, si ce n'est cependant un travail, non sur la théologie, mais sur un livre qui est la base de cette science, et dont on ne peut disconvenir qu'elle ne s'écarte quelquefois, c'est la traduction italienne de la Bible par Malerbi. Cet auteur était vénitien et de l'ordre des Camaldules, où il n'entra qu'à l'âge de quarante-huit ans, en 1470. Sa traduction, la première qui ait été publiée en italien, est écrite en assez mauvais style, tel qu'était celui de ce temps où la langue semblait presque mise en oubli; elle eut pourtant alors un grand succès; elle a même été réimprimée plusieurs fois 791, et ne laisse pas d'être encore recherchée des curieux.

Dans la première partie de ce siècle, la philosophie ne fut que ce qu'elle avait été dans les âges précédents, un aristotélisme corrompu et dénaturé, qui, de concert avec la théologie scholastique, s'établissait guide des esprits pour les égarer dans des ténèbres toujours plus épaisses, et les plonger dans des précipices sans fond. L'étude des lettres grecques, et surtout l'arrivée des Grecs en Italie après la prise de Constantinople, changèrent à cet égard l'état des choses, et n'opérèrent pas une révolution moins importante dans la philosophie que dans les lettres. Avant cette époque on avait vu fleurir presque à la fois à Venise trois dialecticiens du nom de Paul 792, que l'on a souvent confondus l'un avec l'autre dans leur célébrité, et tous trois maintenant confondus dans l'oubli. Le plus fameux de ces Paul vénitiens, qui n'était cependant pas né, mais qui fut seulement élevé à Venise, moine augustin, docteur en philosophie, en théologie et en médecine, professeur dans plusieurs universités, est appelé par plus d'un écrivain de son temps le prince des philosophes, le monarque universel des arts libéraux; il trouva pourtant quelquefois des sujets rebelles, ou plutôt des rivaux audacieux qui lui enlevèrent la palme et lui disputèrent l'empire. C'est ce qui lui arriva dans une occasion solennelle dont il n'est pas inutile de parler. Cela nous fera de plus en plus connaître et apprécier ce que c'était que la philosophie de ces temps-là.

Un autre philosophe de la même trempe, et qui avait à peu près la même célébrité, Niccolò Fava, osa tenir tête à notre Paul, à Bologne, dans un chapitre général de l'ordre des Augustins, devant plus de huit cents de ces moines, et en présence d'un cardinal. Il est vrai qu'un médecin de Sienne 793, qui était pourtant rival et antagoniste de Fava, le voyant dans cette position critique, vint généreusement à son secours. Paul, tout redoutable qu'il était, ne sachant que répondre à leurs arguments, eut recours aux bons mots, ou du moins aux jeux de mots, ce qui n'est pas toujours la même chose; et jouant sur le nom de Fava, dans la chaleur de la dispute, cela, dit-il, sent la fève. N'en sois point surpris, répondit Fava; rien ne convient mieux à des hommes grossiers et dépourvus de sens et d'esprit que des fèves. Et tous les moines d'applaudir, parce que, faisant sans doute peu de cas de ce mets frugal, ils se crurent aussitôt des gens d'esprit. Le sujet de l'argumentation n'avait aucun rapport aux fèves; Paul soutenait le sentiment d'Averroës sur les puissances de l'ame: Fava le combattait corps à corps; il l'enveloppa et le serra si bien dans les nœuds de sa dialectique, que le monarque universel se débattait, se tourmentait, se contredisait, sans pouvoir se débarrasser des mains d'un si puissant adversaire. Le médecin auxiliaire dit en élevant la voix: c'est Fava qui a raison, et toi, Paul, tu es vaincu. Paul, transporté de colère, s'écria sur-le-champ: Bone Deus! Voilà Hérode et Pilate devenus amis! Ce qui parut si plaisant à la grave assemblée, qu'elle éclata de rire, et leva la séance 794; dénouement digne de la pièce, et plus gai que ne l'étaient souvent ceux de ces farces doctorales.

Ce petit échec n'empêcha point que Paul de Venise ne passât toujours pour le docte des doctes, que sa logique ou sa dialectique ne servît de règle pendant sa vie, qu'elle ne fût imprimée après sa mort 795, et qu'encore, à la fin du siècle, elle ne fût lue publiquement dans l'Université de Padoue. On imprima aussi 796 ses commentaires sur plusieurs traités d'Aristote; sur la physique, la métaphysique, les livres du monde, du ciel, de la génération et de la corruption, des météores et de l'ame. Ces ouvrages, qui eurent alors tant de célébrité, ne doivent pas être fort rares; car on en fit en peu d'années plusieurs autres éditions. Ce qui est vraiment rare, c'est qu'on se donne la peine de les chercher, et qu'on ait le désir ou le courage de les lire.

L'introduction de la philosophie grecque en Italie, fit beaucoup perdre de leur prix à ces restes de la philosophie des temps barbares. On connut enfin Aristote, non plus défiguré par les versions infidèles et les interprétations visionnaires d'Averroës et des autres Arabes, mais expliqué par des professeurs qui parlaient sa langue et qui avaient étudié sa philosophie, soit pour la professer, soit pour la combattre. On connut surtout le divin Platon; et si l'on apprit à se perdre avec lui dans des régions qu'on pourrait appeler ultra-intellectuelles, on y gagna du moins de substituer la contemplation du beau moral à la dissection minutieuse des opérations de l'intelligence, et l'élévation des sentiments aux vaines subtilités de l'esprit.

La jurisprudence était toujours, après la théologie, ce qui conduisait le plus sûrement aux distinctions, aux emplois et à la fortune 797. Aussi le nombre des jurisconsultes semblait s'accroître de plus en plus. Les Universités se disputaient les plus célèbres, élevaient à l'envi leurs appointements, comme par une espèce d'enchère, et s'enorgueillissaient de les avoir, comme on triomphe après une victoire. On les voyait souvent passer de leurs chaires au conseil des princes, et devenir les oracles des cours. Les titres pompeux ne leur manquaient pas plus qu'aux philosophes; et si ces derniers étaient les monarques du savoir, les monarques des arts libéraux, les autres étaient aussi les monarques des lois, comme Christophe de Castiglione, conseiller de Jean-Marie Visconti, second duc de Milan; les monarques des jurisconsultes du temps, comme Raphaël Fulgose de Plaisance, et plusieurs autres.

Jean d'Imola fut encore un de ces hommes à immense renommée; le nombre de ses élèves et leur fidélité en sont les preuves; quand il passa de l'Université de Padoue à celle de Ferrare, que le marquis Nicolas III venait de rouvrir 798, trois cents de ses écoliers le suivirent, et six cents autres vinrent de Bologne exprès pour l'entendre 799. Ce Jean d'Imola eut un élève qui ne fut pas moins célèbre que son maître. Il était de la même ville, et quoique son nom fût Alexandre Tartagni, il ne fut connu que sous celui d'Alexandre d'Imola. Il a laissé des ouvrages très-volumineux sur le Code, le Digeste, les Décrétales, les Clémentines, etc. Outre plusieurs titres glorieux qui lui furent donnés selon l'usage du temps, il eut celui de Père de la Vérité. Il faut croire qu'il le mérita; mais il noya cette vérité dans de trop gros et trop inutiles volumes, pour qu'on puisse vérifier le fait. Le droit féodal (puisqu'on est convenu d'appeler ainsi un corps de lois qui blessent tous les droits de la propriété, de la justice et de la raison), le droit féodal eut un interprète, un ré-ordonnateur et un commentateur célèbre dans Antoine de Prato Vecchio, créé comte et conseiller de l'empire par l'empereur Sigismond, et dont on a imprimé plusieurs ouvrages 800.

Mais aucun de ces jurisconsultes n'eut alors une réputation si grande et si universelle que François Accolti d'Arezzo, ville féconde en hommes illustres, qui se firent gloire de substituer à leur nom celui d'Aretino, se trouvant plus honorés de leur patrie que de leur famille. Ce qu'un Azzon avait été au treizième, et un Barthole au quatorzième siècle, François Accolti le fut au quinzième 801. Il professa avec le plus grand éclat dans les Universités de Ferrare, de Sienne, de Milan, de Pise; fut dans une haute faveur auprès du marquis Borso d'Este, et du duc François Sforce; laissa un grand nombre d'ouvrages, consultations et commentaires sur les Décrétales, livres sur les lois romaines, traités sur différentes matières de droit et de jurisprudence; et de plus fut un savant helléniste, et traduisit, du grec en latin, plusieurs homélies de S. Jean Chrysostôme, les lettres attribuées à Phalaris, et celles qu'on attribue aussi à Diogène le Cynique. Quelques critiques avaient imaginé un autre François d'Arezzo, à qui ils donnaient ces productions littéraires, réimprimées plusieurs fois, pour en dépouiller notre jurisconsulte; mais Mazachelli et Tiraboschi lui en ont restitué toute la gloire. Il eut aussi celle de faire des vers et de fournir une preuve de plus que ce talent peut s'allier avec des études graves et des emplois importants.

761Ci-dessus, p 370.
762Florence, héritiers Giunti, 1519, in-8.
763Tiraboschi, t. VI, part. II, p. 164.
764Voy. Crescembeni, t. III, p. 270.
765C'est la dernière de cinq oraisons funèbres qu'on y a recueillies.
766En 1680. Tiraboschi, ub. supr., p. 167.
767Voy. ci-dessus, p. 446.
768En 1451. Tiraboschi, ub. supr., p. 169.
769En 1563.
770Epist., l. III, ép. 17.
771Audetque viris concurrere virgo. (Virgile.)
772Tom. I, p. 374.
773Tiraboschi, t. VI, p. I, p. 57.
774En 1428.
775En 1431.
776Script. Rer. ital. de Muratori, vol. XVIII, p. 641.
777De 1450 à 1455.
778Tiraboschi, ub. supr., p. 60.
779Tiraboschi, ub. supr., p. 65.
780En 1481 et 1485.
781Tiraboschi, ub. supr., p. 75.
7821428; elle y resta huit ans.
7831435; à Turin, deux ans après, d'où elle se transporta encore pour la même cause à Montcalier.
784En 1459.
785Elle en fut encore chassée dès le commencement du siècle suivant, avec les souverains de cet état, et n'y fut ramenée que par Emanuel Philibert. Voy. t. IV, p. 112.
786Tiraboschi, ub. supr., p. 227.
787Paul II, Sixte IV et Innocent VIII.
788Tiraboschi, ibid., p. 223.
789Ub. supr., p. 234.
790Page 235.
791La première édition parut en 1471, Venise, 2 vol. in-fol.; la seconde en 1477, avec une Préface de Squarciafico, où il atteste avoir aidé Malerbi dans son travail; ce qui prouve que Fontanini (Biblioth. ital., p. 673, édit. de Venise, 1737, in-4.), a eu tort de douter que cette traduction fût véritablement de lui.
792Tiraboschi, ub. supr., p. 248.
793Ugo Benzi.
794Tiraboschi, loc. cit., p. 250 et 251.
795Ce fut un des premiers livres imprimés à Milan; il le fut en 1474.
796En 1476.
797Tiraboschi, ub. supr., p. 371.
798En 1402.
799Papadopoli, Hist. Gymn. Palav., vol. I, p. 212.
800Entre autres, Un Répertoire ou Lexique du Droit, Repertorium vel Lexicon juridicum, Milan, 1481, et deux autres Répertoires, sur les Œuvres de Barthole, et sur les Œuvres de Balde, qui ont aussi été imprimés depuis.
801Tiraboschi, ub. supr., p. 394.