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Histoire littéraire d'Italie (1

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Ce poëte conserve dans ses canzoni le même goût pour les comparaisons. Il y en a une qui commence ainsi: «Dans ces régions placées sous l'étoile du nord se trouvent les montagnes d'aimant qui donnent à l'air la propriété d'attirer le fer; mais parce que cet aimant est éloigné, il a besoin du secours d'une pierre de même nature pour le faire agir et diriger l'aiguille vers l'étoile polaire. Vous, madame, vous possédez les sources fécondes de toutes les qualités qui peuvent inspirer l'amour, et l'éloignement n'en détruit pas la force; car elles agissent de loin et sans secours 649». Ce n'est là ni de la saine physique ni de la poésie naturelle; mais cela ne laisse pas d'être ingénieux, et l'on est surtout frappé, en lisant le texte italien, du progrès qu'avait déjà fait cette langue, née depuis moins d'un siècle, et à qui il fallait moins de temps encore pour se perfectionner et se fixer.

Mais ce qui nous est resté de meilleur de Guinizelli est une autre de ses canzoni, dont je ne puis me dispenser de citer les quatre premières strophes 650. «C'est toujours dans un noble cœur que se réfugie l'amour, comme dans une forêt un oiseau, se réfugie sous la verdure 651. La nature ne créa point l'amour avant un cœur noble, ni de cœur noble avant l'amour, c'est ainsi qu'aussitôt que le soleil exista, aussitôt resplendit la lumière, et qu'elle ne fut point avant le soleil; l'amour prend naissance dans la noblesse du cœur, précisément comme la chaleur dans la clarté du feu.

«Le feu d'amour naît dans un noble cœur, comme la vertu cachée dans une pierre précieuse; cette vertu ne descend point des étoiles avant que le soleil ait ennobli la pierre qui doit la recevoir. Après qu'il en a tiré par la force de ses rayons ce qui était vil, les étoiles lui communiquent leur vertu; ainsi quand la nature a rendu un cœur délicat, noble et pur, la femme, comme une étoile, lui communique l'amour.

«L'amour est placé dans un cœur noble comme la flamme au sommet d'un flambleau 652; il brille pour ce qu'il aime d'un feu clair et délicat; il ne pourrait se placer autrement, tant il a de fierté. Une nature rebelle ne peut rien contre l'amour, pas plus que l'eau contre le feu, que le froid rend plus ardent. L'amour fait son séjour dans un cœur noble, parce que ce lieu est de même nature que lui, comme le diamant dans une mine».

Dans la quatrième strophe le poëte perd de vue l'amour, et s'élève par d'autres comparaisons à des sujets moraux d'un autre ordre. «Le soleil frappe la fange pendant tout le jour 653; elle reste vile, et le soleil ne perd rien de sa chaleur. L'homme plein d'orgueil dit: Je deviens noble de race; il ressemble à la fange, et la noble valeur au soleil. On ne doit pas croire qu'il y ait de la noblesse sans courage, même dans la dignité d'un roi, si la vertu ne lui donne pas un noble cœur. Il ressemble à l'eau qui réfléchit des rayons; mais le ciel retient ses étoiles et sa splendeur».

Voilà sans doute un entassement de figures et de comparaisons fatigant et de mauvais goût; mais voilà aussi des pensées nobles, des images vives, une élévation et une force qui dans aucun siècle ne sont communes, et qui, rendues comme elles le sont dans l'original, en strophes de dix vers assez harmonieux et dans un style qui a déjà beaucoup perdu de sa rudesse, doivent paraître fort surprenantes dans un poëte du treizième siècle.

La première forme de ces odes ou canzoni était comme on l'a vu, empruntée des Provençaux; à leur exemple, les poëtes italiens avaient, dès l'origine, donné aux strophes des entrelacements harmonieux de rimes et de mesures de vers; elles étaient dès lors telles à peu près qu'elles sont restées depuis. Il n'en était pas ainsi du sonnet, né sicilien, et qui, au commencement de ce siècle, était encore dans une sorte d'enfance. Les plus anciens poëtes siciliens et italiens avaient d'abord donné ce titre à une espèce particulière de poésie qui varia selon leur caprice. Les uns y employaient deux quatrains suivis de deux tercets; les autres, sous le nom de sonnets doubles, doppii ou rinterzati, mettaient deux strophes de six vers, ou une seule de douze, et ensuite deux autres de six, de cinq ou de quatre vers 654. Il paraît constant que ce fut Guittone d'Arezzo qui leur donna des formes plus fixes, et qui enchaîna par des lois plus sévères la liberté dont les poëtes avaient joui jusqu'alors. C'est à lui et non pas aux rimeurs français, qu'Apollon dicta ces rigoureuses lois, que Boileau, en se trompant sur ce point de fait, a exprimées en si beaux vers 655.

Le Menzini, dans son Art poétique, postérieur de peu d'années à celui de Boileau, a aussi attribué à Apollon l'invention du sonnet, non pour pousser à bout, mais pour soumettre à la plus forte épreuve les poëtes du plus grand génie.

Questo breve poema altrui propone

Apollo stesso, come lidia pietra

Da porre i grandi ingegni al paragone, l. IV.

Guittone d'Arezzo, qui florissait dans le même temps que Guido Guinizzelli, et peut-être même plutôt, est un des poëtes dont la Toscane, s'honora le plus dans ce siècle. On l'appelle ordinairement Fra Guittone, parce qu'il était d'un ordre religieux et militaire qui s'est éteint 656. Il nous reste de lui environ trente sonnets, où l'on peut en effet remarquer plus de régularité dans la forme, et du progrès dans le style. L'amour est, comme à l'ordinaire, le sujet de presque tous; la dévotion, de quelques-uns, et, dans quelques uns aussi, la dévotion et l'amour se trouvent ensemble; par exemple, s'il est arrivé à l'auteur de nier son amour pour sa dame, il espère obtenir le pardon de cette déloyauté, parce que saint Pierre avait renié Dieu tout puissant, et que cependant il a obtenu le Paradis; parce que Paul devint un saint, même après qu'il eut tué saint Etienne 657. On reconnaît dans plusieurs de ses sonnets un goût d'harmonie, une coupe de vers, et aussi un certain tour sentimental qui n'étaient point connus avant lui, et qui sembleraient avoir servi de modèle au style de Pétrarque. Ne dirait-on pas que celui-ci serait un des sonnets de l'amant de Laure 658?

 

«Déjà mille fois pressé par l'amour, j'ai couru pour me donner la mort, ne pouvant résister à la douleur âpre et cruelle que je sens dans mon sein… Mais quand je suis prêt à m'en aller vers une autre vie, votre immense bonté me retient et me dit: Ne presse pas ta fuite prématurée: ta jeunesse et ta fidélité te le défendent; elle m'invite et me prie de rester sur la terre. J'espère donc qu'avec le temps je pourrai goûter le bonheur». En lisant surtout le texte des deux tercets, on est surpris de leur ressemblance avec quelques vers de Pétrarque:

 
Ma quando io son per gire all' altra vita,
Vostra immensa pietà mi tiene, e dice:
Non affrettar l'immatura partita.
La verde età, tua fideltà il disdisce;
Ed a ristar di quà mi priega, e'noita;
Sicch'eo 659 spero col tempo esser felice.
 

Ces tercets d'un autre sonnet y ressemblent peut-être encore davantage. 660:

 
Ben forse alcun verrà doppo qualch'anno
Il qual leggendo i miei sospiri in rima,
Si dolerà della mia dura sorte.
E chi sa sei colei ch'or non mi estima
Visto con il mio mal giunto il suo danno,
Non deggia lagrimar della mia morte?
 

Peut-être, après quelques années, viendra-t-il quelqu'un qui, lisant mes soupirs retracés dans mes vers, plaindra la cruauté de mon sort. Et qui sait si celle qui maintenant ne fait de moi aucune estime, voyant, avec ce que j'aurai souffert, la perte qu'elle aura faite, ne donnera point de larmes à ma mort»?

Trois grandes canzoni, sont jointes à ces sonnets. Le progrès de l'art et celui de la langue y sont moins sensibles. Ce sont des strophes de quatorze, seize et de dix-huit vers de différentes mesures, bien combinés entre eux, et dont les rimes sont disposées assez harmonieusement; mais pour ne dire, en cinq ou six de ces longues strophes, que des choses assez communes, et pour les dire sans mouvement et sans vivacité de style, sans idées piquantes et sans images poétiques. Il est donc inutile d'en rien citer: il vaut mieux dire quelque chose d'un ouvrage plus curieux, du même auteur. On a conservé long-temps manuscrites, et enfin imprimé dans le dernier siècle, environ quarante lettres de Guittone d'Arezzo, sur divers sujets de morale, et quelquefois de simple amitié. C'est un des premiers, peut-être même le premier monument de la prose italienne, et le recueil le plus ancien de lettres que l'on ait rassemblé et publié en langue vulgaire. Elles sont peu importantes pour le fond; mais elles servent à connaître plus particulièrement ce qu'était la langue italienne dans ces premiers temps. Le savant Bottari les a accompagnées de notes très-utiles pour ce genre d'étude 661. Parmi ces lettres, il s'en trouve quelques unes en vers libres, ou rimés avec beaucoup de licence. C'est de la prose un peu plus cadencée, ou de la poésie un peu plus que fugitive.

Un poëte de ce temps, qui eut encore plus de renommée, ce fut Guido Cavalcanti. Sa famille était une des plus illustres et des plus puissantes de Florence. Guido fut un ardent Gibelin, et devint plus ardent encore en épousant la fille de Farinata degli Uberti, alors chef de cette faction. Corso Donati, chef du parti des Guelfes, homme alors fort en crédit en Florence, et personnellement ennemi de Guido, voulut le faire assassiner. Guido l'ayant su, l'attaqua à force ouverte; mais il fut abandonné de ceux qui étaient avec lui; Corso, mieux accompagné, le repoussa et le mit en fuite. La commune de Florence, fatiguée de ces dissensions, exila les chefs des deux partis. Guido Cavalcanti fut relégué à Sarzane, où l'air était très-malsain. Il y tomba malade, et, ayant obtenu son rappel, il mourut à Florence 662 de la maladie qu'il avait gagnée dans son exil. Il était né d'un père 663 qui passait pour philosophe épicurien, et pour athée. Quant à lui, quoique philosophe aussi, un fait démontre que, malgré les bruits publics, il n'était pas de la même secte que son père 664; quand son ennemi voulut le faire assassiner, il allait en pélerinage à Saint-Jacques en Galice, où les Epicuriens ne vont guère. Au reste, tout le fruit que l'on croit qu'il tira de ce pélerinage fut de devenir éperduement amoureux, à Toulouse, d'une certaine Mandetta, dont il fit la dame de ses pensées, et, sans la nommer, si ce n'est peut-être une seule fois, l'objet de ses vers.

Ils ont, comme tous ceux de ce temps-là, pour unique sujet l'amour et la galanterie; mais avec une teinte de mélancolie et quelquefois de bizarrerie poétique qui leur donne un caractère particulier 665. On reconnaît l'une et l'autre à la manière dont est amenée l'idée de la mort dans le sonnet suivant 666: «Madame, avez-vous vu celui qui tenait la main sur mon cœur, quand je vous répondais si faiblement et si bas, par la crainte que j'avais de ses coups? C'était l'amour, qui, vous ayant trouvée, s'arrêta près de moi. Il venait de loin, comme un léger archer de Syrie, qui se prépare à tuer quelqu'un avec ses traits. Il tira ensuite de mes yeux des soupirs, qui se jetèrent avec tant de force hors de mon cœur, que je partis en fuyant et rempli d'effroi. Alors il me sembla que je suivais la mort, accompagné de ces souffrances qui nous consument en nous faisant verser des larmes».

La bizarrerie, il en faut convenir, va souvent jusqu'à l'extravagance; par exemple, il dit, en finissant un sonnet, que son âme affligée et pleine de crainte, pleure sur les soupirs qu'elle trouve dans son cœur; qu'ils en sortent baignés de larmes, et il ajoute: Alors il me semble que je sens tomber dans ma pensée une figure de femme pensive, qui vient pour voir mourir mon cœur 667».

L'auteur est plus naturel et plus simple dans ses Ballades, genre de poésie qu'il semble avoir affectionnée, car on en trouve ici dix à douze. C'est dans l'une de ces ballades qu'il nomme sa jolie Toulousaine. Il était tout occupé de ses pensées d'amour quand il rencontre deux bergerettes qui lui font quelques agaceries. Ne me méprisez pas, leur dit-il, pour le coup que j'ai reçu; mon cœur est mort au plaisir depuis mon voyage de Toulouse 668. L'une des deux se moque de lui, l'autre le plaint. Celle-ci lui demande s'il a conservé un fidèle souvenir des yeux de sa belle: «Je me souviens, répond-il, qu'à Toulouse, je vis paraître une dame élégamment parce, à qui l'Amour donne le nom de Mandetta, etc. 669». Mais il paraît que l'absence eut sur lui son effet ordinaire, et que Mandetta fit place à une autre, ou plutôt à d'autres beautés. Une de ses ballades, qui ressemble tout-à-fait aux pastourelles provençales, nous le représente rencontrant dans un bosquet une bergère plus belle à ses yeux que l'étoile du matin: ses cheveux étaient blonds et légèrement bouclés; son teint, de rose: une houlette à la main, elle menait paître ses agneaux, sans chaussure, et les pieds baignés de rosée, chantant d'une voix amoureuse, ornée enfin de tout ce qui peut inviter au plaisir 670: il l'aborde, il l'interroge: elle répond et avoue que quand les oiseaux chantent, son cœur désire un amant. Ils entrent sous le feuillage: les oiseaux se mettent à chanter; tous deux entendent ce signal, et s'empressent d'y obéir.

 

Celle de ses ballades où il y a le plus de naturel, et même de sentiment, est celle qu'il paraît avoir faite à Sarzane pendant la maladie qui le fit rappeler de son exil, circonstance que je ne crois pas avoir encore été remarquée, et qui contribue à rendre cette petite pièce intéressante. C'est à sa ballade même qu'il s'adresse: «Puisque je n'espère plus, dit-il, retourner jamais en Toscane, va légèrement et doucement trouver ma dame, qui te fera un bon accueil 671; tu lui rendras compte de mes soupirs, pleins de tristesse et de crainte; mais garde-toi d'être vu de personne qui soit ennemi des nobles penchants de la nature: elle en souffrirait elle-même; elle t'en voudrait, et ce serait pour moi un sujet de peine qui me suivrait jusqu'après ma mort. Tu vois que la mort me presse, que la vie m'abandonne, etc.». Il recommande à sa ballade de conduire son âme auprès de sa maîtresse, quand elle s'échappera de son cœur, de la lui présenter, de lui dire: «Cette âme, votre esclave, vient se fixer auprès de vous, ayant quitté celui qui fut esclave de l'amour». Cela est encore excessivement recherché, mais conforme aux idées d'amour et au langage de ce temps.

La canzone de Guido Cavalcanti, sur la nature de l'amour, où il paraît avoir voulu rassembler et professer, pour ainsi dire, tout ce que la doctrine de cette passion avait de plus abstrait 672, eut alors tant de célébrité que plusieurs beaux esprits de son temps l'enrichirent de commentaires. Elles en aurait un peu moins aujourd'hui. C'est une espèce de traité métaphysique. L'auteur en propose le sujet dans une strophe, et le développe méthodiquement dans les quatre autres. Ce sont des définitions et des divisions subtiles, énoncées en termes qui sont plutôt de la langue de l'école que de celle de l'amour 673. C'est une thèse, si l'on veut, et qui méritait, tout autant que bien d'autres, le baccalaureat, ou même le doctorat; mais ce n'est ni du sentiment, ni de la poésie: et comment se passer de l'un et de l'autre, quand on parle d'amour en vers? Si j'en juge par deux des commentaires qui furent faits sur cette pièce, l'un par le cardinal Egidio Colonna, qu'on appelait de son temps le Prince des Théologiens 674; l'autre par le chevalier Paolo del Rosso; il s'en fallut beaucoup que la pièce en devînt plus claire. Elle l'était si peu, qu'il resta indécis si l'auteur y traitait de l'amour naturel ou de l'amour platonique. Philippe Villani, dans sa Vie de Guido 675, est de la première opinion, tandis que Marsile Ficin est de la seconde 676.

La Toscane eut, dans ce même temps, plusieurs autres poëtes, tels que les deux Buonagiunta, l'un séculier, l'autre moine 677; Guido Orlandi, Chiaro Davanzati, Salvino Doni, d'autres encore, parmi lesquels il faut distinguer Dante da Majano, si cher à sa Nina sicilienne. C'est le dernier sur lequel nous nous arrêterons. On nous a conservé un livre entier de ses poésies 678; quarante sonnets, cinq ballades et trois grandes canzoni, ne permettent pas de ne faire que le nommer; mais on serait embarrassé pour trouver dans tant de pièces de quoi justifier la réputation que l'auteur paraît avoir eue pendant sa vie, et le tendre enthousiasme de Nina.

Dans ces poésies, toutes amoureuses, on sent toujours l'effort et le travail, presque jamais le génie poétique ni l'amour. Son premier sonnet annonce le projet de chanter pour prouver son savoir faire 679; c'est plutôt montrer, dès le début, qu'il en manquait absolument. La plupart de ses sonnets ne contiennent que des éloges communs ou exagérés de sa dame, des plaintes de ce qu'il souffre, des prières d'avoir pitié de ses maux; des comparaisons qu'il fait d'elle avec les fleurs, les roses, avec des peintures brillantes, et quelquefois aussi des comparaisons historiques: il l'aime plus que Pâris n'aima Hélène 680; ou bien elle surpasse Iseult et Blanchefleur 681. La fée Morgane était alors en si grande réputation de beauté, comme nous l'avons déjà pu voir, que notre auteur en fait un adjectif, et appelle Gola morganata le cou de sa maîtresse 682. Nous avons aussi vu, sans pouvoir le comprendre, la panthère figurer, pour la bonne odeur qu'elle exhale, dans des comparaisons galantes; la voici employée dans un sonnet, pour la lumière qu'elle répand: «Noble panthère, dit le poëte à celle qu'il aime, quand je pense à votre lumière qui m'a élevé si haut que je suis véritablement monté dans les airs, et que je porte la lumière du monde et l'astre du jour 683»! Exagérations hyperboliques avec lesquelles il est impossible de voir le rapport que peut avoir une panthère. Quelquefois cependant il y a de la délicatesse dans les sentiments et dans les expressions: «Je ne vous demande pas autre chose, dit-il à la fin d'un sonnet, si non qu'il ne vous soit pas désagréable que je vous aime et que je vous sois fidèle: je craindrais d'en demander davantage; mais c'est faire un double don à celui qui est dans le besoin que de lui donner sans qu'il demande 684».

Les ballades et les canzoni du même poëte, n'ont rien de remarquable que cette surabondance de vers et de rimes, vides d'idées, qui n'a été que trop commune même dans de meilleurs temps, mais qui est plus fatigante dans les poëtes de cette première époque, parce qu'ils ne savaient point encore la déguiser par l'harmonie des vers et par les grâces du langage.

En finissant cette revue des premiers essais de poésie italienne, on ne peut se dispenser de faire une réflexion. C'était beaucoup sans doute que d'avoir enfin consacré par la poésie cette langue vulgaire qui jusque-là ne servait qu'à l'usage du peuple, d'avoir abandonné aux écoles, aux tribunaux et aux chancelleries le latin dégénéré qui y était encore admis, et d'avoir, dès le treizième siècle, plié l'idiome naissant à ces formes gracieuses qui devaient nécessairement le perfectionner et le polir; mais quel dommage que, dans ces essais, un peuple si sensible, et en général si susceptible d'affections vives et de passions fortes, environné d'une nature si riche et placé sous un ciel si beau, n'ait pas songé a célébrer les objets réels, les mouvements et les vicissitudes de ces affections et de ces passions; à peindre ce beau ciel, cette riche nature; et, si ce n'est dans des descriptions suivies, à s'en servir au moins dans des comparaisons et dans les autres ornements du style poétique et figuré.

Les Arabes, malgré le désordre de leur imagination déréglée, au milieu de leurs rêveries et de leurs contes extravagants, eurent de la passion et de la vérité; ils peignirent admirablement les objets naturels, et racontèrent de la manière la plus vraie et la plus animée, ou les grandes actions ou les moindres faits. Les Provençaux eurent à peu près les mêmes qualités, autant du moins que le leur permettaient des mœurs moins simples et moins grandes à-la-fois, une langue moins riche et encore inculte, une galanterie plus rafinée. Ils chantèrent les exploits guerriers, les aventures d'amour, les plaisirs de la vie. Ils furent louangeurs adroits, satiriques mordants, conteurs licencieux, mais pleins de sel et de vérité. Les premiers poëtes siciliens et italiens ne furent rien de tout cela. Un seul sujet les occupe, c'est l'amour, non tel que l'inspire la nature, mais tel qu'il était devenu dans les froides extâses des chevaliers, passionnés pour des beautés imaginaires, et dans les galantes futilités des cours d'amour. Chanter est une tâche qu'ils remplissent; toujours force leur est de chanter, c'est leur dame qui l'exige, ou c'est l'amour qui l'ordonne, et ils doivent dire prolixement et en canzoni bien longues et bien traînantes, ou en sonnets rafinés et souvent obscurs, les incomparables beautés de la dame et leur intolérable martyre. De temps en temps, ils laissent échapper quelques expressions naïves, qui portent avec elles un certain charme; mais le plus souvent, ce sont des ravissements ou des plaintes à ne point finir, et des recherches amoureuses et platoniques à dégoûter de Platon et de l'amour. Ils ont sous les yeux les mers et les volcans, une végétation abondante et variée, les majestueux et mélancoliques débris de l'antiquité, l'éclat d'un jour brûlant, des nuits fraîches et magnifiques: leur siècle est fécond en guerres, en révolutions, en faits d'armes; les mœurs de leur temps provoquent les traits de la satire; et ils chantent comme au milieu d'un désert, ne peignent rien de ce qui les entoure, ne paraissent rien sentir ni rien voir.

De tous les sujets traités par les Arabes et par les Troubadours ils n'en choisissent qu'un seul; et dans ce sujet qui appartient à tous les temps et à tous les hommes, ils n'empruntent de leurs modèles que ces pointilleries et ces subtilités vagues qu'il aurait fallu leur laisser, même en imitant tout le reste; ils ne peignent rien de vrai, d'existant; on ne voit point leur maîtresse, on ne la connaît point: c'est un être de raison, une sylphide si l'on veut, jamais une femme. On n'entend point les mots qu'ils se sont dits, les serments qu'ils se sont faits, leurs querelles, leurs raccommodements, leurs ruptures. On ne les voit ni attendre rien de réel, ni jouir, ni regretter; et ils trouvent le moyen de parler sans cesse d'amour, sans les espérances que l'amour donne, sans transports et sans souvenirs.

Ce fut là, pendant tout un siècle, la seule poésie connue en Italie; le goût en étant devenu général, ce fut là aussi ce qui donna aux esprits ce penchant pour l'exagéré, pour le vague et pour le faux, qui s'étendit jusqu'aux opinions sur les choses et sur les faits, qui corrompit l'histoire, écarta long-temps de l'étude de la nature, et ne s'attacha qu'à des questions de mots, à des puérilités et à des riens sonores. À mesure que la langue et le style se perfectionnaient, l'oreille apprit à jouir seule, sans que l'esprit fût intéressé par des idées justes et claires, ni l'âme par des sentiments vrais. Dans la suite, l'esprit et l'âme eurent aussi leurs jouissances, mais peut-être toujours un peu subordonnées à celles de l'oreille; et si, du moins en poésie, il y eut trop souvent dans les plus beaux génies et dans les plus beaux siècles, quelque chose dont un goût pur et sévère ne peut s'accommoder, quelque chose d'étranger à ce beau simple et naturel que les anciens seuls ont connu, et qu'ils nous apprennent à préférer à tout, il faut, pour en trouver la cause, remonter jusqu'à ces premiers temps, et chercher dans ces premiers hommes de la poésie italienne la tache originelle dont leurs descendants ont eu tant de peine à se laver complètement.

649In quelle parti sotto tramontanaSono li monti della calamita,Che dan virtute all' aere778Di trarre il ferro; ma perchè lontana,Vole di simil pietra aver aita,A far la adoperare,E dirizzar lo ago in ver la stella.Ma voi pur sete quellaChe possedete i monti del valore779Onde si spande amore:E già per lontananza non è vano,Che senza aita adopera lontano.
650C'est celle qui se trouve dans le neuvième livre du Recueil de Giunti.
651Al cor gentil ripara sempre amoreSi come augello in selva a la verdura:Non fe amore anzi che gentil coreNe gentil core anzi ch' amor, natura.Ch' adesso com' fu'l soleSi tosto lo splendore fue lucente;Nè fue davanti al' sole:E prende amore in gentillezza luoco,Cosi propiamenteCom' il calore in clarità del foco.Fuoco d'amore in gentil cor s'apprendeCome vertute in pietra preziosa;Che da la stella valor non discendeAnzi che'l sol la faccia gentil cosa, etc.
652Amor per tal ragion sta in cor gentilePer qual lo fuoco in cima del doppiero:Splende a lo suo diletto, clar, sottile,Non li staria altra guisa, tanto è fiero, etc.
653Fere lo sol lo fango tutto il giorno,Vile riman; ne'l sol perde colore.Dice huomo alter: nobil per schiatta torno;Lui sembra'l fango, e'l sol gentil valore.Che non dè dare huom fèChe grandezza sia fuor di coraggioIn degnità di Rè,Se da vertute non ha gentil core.Com' aigua porta raggio,E'l ciel ritien le stelle e lo splendore.
654Voy. sur ces formes irrégulières du sonnet, à son origine, Fr. Redi, Annotazioni al Ditirambo, édit. de Florence, 1685, in-4. p. 99-109.
655On dit, à ce propos, qu'un jour ce dieu bizarre (Apollon)Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois,Inventa du sonnet les rigoureuses lois;Voulut qu'en deux quatrains de mesure pareille,La rime avec deux sons frappât huit fois l'oreille,Et qu'ensuite six vers, artistement rangés,Fussent en deux tercets par le sens partagés.
656C'était l'ordre des Cavalieri Gaudenti. Son origine est funeste. Il fut institué en Langudoc, en 1208, pendant la croisade barbare contre les Albigeois. Mais quand Guitton y fut admis, la croisade était finie, et l'hérésie éteinte, c'est-à-dire, les hérétiques exterminés. L'ordre des Gaudenti, des Jouissants, fut sans doute ainsi nommé, parce qu'on y jouissait en effet de la vie, et qu'il n'imposait aucune privation. Il n'avait de sévérité que pour les preuves de noblesse. C'est le premier ordre où les dames furent admises, sous les titres de Militisse et de Cavalleresse. Giamb. Corniani, i Secoli della letter. ital. etc. t. I, p. 154.
657Se di voi, donna, mi negai servente,Pero'l mio cor da voi non fù diviso:Che san Pietro nego'l padre potente,E poi il fece haver del Paradiso;E santo fece Paulo similmenteDa poi santo Stefano have' occiso, etc. Racolta de' Giunti, 1527. Tout le huitième livre de ce Recueil est de Fra Guittone d'Arezzo.
658Già mille volte quando amor m'ha stretto, Eo son corso per darmi ultima morte, etc.
659Eo pour io.
660En y joignant les deux quatrains qui les précèdent, on a un sonnet tout-à-fait petrarquesque, du moins pour le tour des pensées, si ce n'est pour le style. Quanto più mi destrugge il meo pensiero,Chè la durezza altrui produsse al mondo,Tanto ogahor, lasso, in lui più mi profondo,E co'l fuggir de la speranza spero.Eo parlo meco, e riconosco in veroChè mancherò sotto si grave pondo:Ma'l meo fermo disio tant'è giocondoCh'eo bramo e seguo la cagion ch'eo pero.Ben forse alcun, etc.
661Lettere di fra Guittone d'Arezzo con note. Roma, 1745, in-4°. Le volume est de 330 pages: les lettres n'en occupent que 93: les notes philologiques et grammaticales remplissent tout le reste.
662En 1300.
663Il se nommait Cavalcante de' Cavalcanti.
664Boccace dit plaisamment de lui, qu'étant sans cesse plongé dans des méditations philosophiques, et passant pour épicurien, le peuple disait que ses méditations n'avaient pour objet que de chercher si l'on pouvait trouver que Dieu n'existait pas. Si diceva fra la gente volgare, che queste sue speculazioni eran solo in cercare se trovar si potesse che Idio non fosse. Decam. Giorn. VI, nov 9.
665V. le Recueil, déjà cité, des Giunti. Les poésies de Guido Cavalcanti en remplissent le sixième livre.
666O donna mia, non vedestù colui Che sù lo core mi tenea la mano, etc.
667L'anima mia dolente e paurosaPiange ne i sospiri che nel cor trovaSi che bagnati di pianto escon fora.Allor mi par elle nella mente piovaUna figura di donna pensosaChe vegna per veder morir lo core.
668Era in pensier d'amor: quand' io trovaiDue forosette nove:L'una cantava: e' pioveGioco d'amor in noi: etc…Deh! forosette, non mi haggiate a vilePer lo colpo ch'io porto;Questo cor mi fu mortoPoich e'n Tolosa fui.
669Io dissi: e' mi ricorda, che'n TolosaDonna m'apparve accorelata e stretta,Amore la qual chiama la Mandetta.
670In un boschetto trovai pastorellaPiù che la stella bella a'l mio parere;Capegli havea biondetti e ricciutelli;E gli occhi pien d'amor, cera rosata:Con sua verghetta pastorava agnelli,E scalza, e di rugiada era bagnata:Cantava come fosse innamorata;Era adornata di tutto piacere, etc.
671Perch'io nò spero di tornar già mai,Ballatetta, in Toscana,Và tù leggiera e piana,Dritta à la donna mia,Cher per sua cortesiaTi farà molto honore.Tu porterai novelle de' sospiriPiene di doglia e di molta paura;Ma guarda che persona non ti miriChe sia nemica di gentil natura.…Tu senti, Ballatetta, che la morteMi stringe sì, che vita m'abbandona, etc.
672Elle commence par ces vers: Donna mi priega; perch'io voglio direD'uno accidente che sovente è fero,Ed è si altero ch' è chiamato amore.
673Vien da veduta forma, che s'intende,Che prende nel possibile intelletto,Come in suggetto, luoco e dimoranza.In quella parte mai non ha posanzaPerchè da qualitate non discende, etc. C'est sur ce ton que la pièce entière est écrite, et c'est encore là un des endroits les moins obscurs.
674Mazzuchelli, Vite d'uomini illustri fiorentini, note 9, sur la vie de Guido Cavalcanti.
675C'est la vingt-neuvième et dernière de ses Vite d'uomini illustri fiorentini, traduites et publiées par le comte Mazzuchelli, et citées plusieurs fois dans ce chapitre.
676Dans son Commentaire sur le Convito du Dante.
677Le séculier était de Lucques, et son nom de famille était Urbicciani; Buonagiunta Urbicciani da Lucca.
678Le septième du Recueil de 1527.
679Convemmi dimostrar lo meo savereE far parvenza s'io saccio cantare.
680Ond'eo di core più v'amo che Pare780. On a dit depuis Paride. Non fece Alena 781. Pour Elena. co lo gran plagiere 782. Dont on a fait ensuite piacere, plaisir..
681Nulla bellezza in voi è mancata,Isotta ne passate e Blanzifiore.
682Viso mirabile e Gola morganata. On sait que nos vieux romanciers appelaient cette fée Mourgue, ou Morgain.
683Quando haggio a mente, nobile pantera,Vostra lumera, che m'ha si innalzatoChe son montato in aria veramenteE de lo mondo porto luce e spera.
684Onde humil priego voi, viso gioioso,Che non vi grevi e non vi sià pesanzaS'eo son di voi fedele e amoroso:Di più cherer son forte temeroso;Ma doppio dono e' dona783 per usanza,Chi da senza cherere al bisognoso.
780On a dit depuis Paride.
781Pour Elena.
782Dont on a fait ensuite piacere, plaisir.