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Les cinq sous de Lavarède

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Elle parcourut la promenade du Corso, se rendit au phare du haut duquel on jouit d’un panorama incomparable.

Le soleil se couchait, incendiant l’horizon, dorant les toitures, plaquant de pourpre les façades des maisons. La jeune fille s’oublia dans la contemplation de ce spectacle féerique. Quand elle remonta en voiture, le jour baissait.

Une femme maigre, à la peau hâlée, aux yeux noirs, causait avec le cocher. Ce dernier désigna la voyageuse. Aussitôt la femme vint à Aurett et, tendant les bras d’un air suppliant, prononça des phrases rapides, entrecoupées. Bien qu’elle ne parlât qu’imparfaitement l’italien, la jeune fille comprit:

– Je suis une pauvre femme, mais fière. Je ne veux pas être confondue avec les mendiants professionnels qui pullulent ici. Mais j’ai été longtemps malade, le travail ne donne pas et mes enfants ont faim… Venez les voir et, si vous avez pitié, aidez une mère.

– Est-ce loin? interrogea Aurett émue.

– Dix minutes à peine.

– Eh bien, ma pauvre femme, montez dans la voiture et dites au cocher où il doit nous conduire.

La Sicilienne obéit après quelques façons. Elle lança l’adresse à l’automédon et la voiture s’ébranla, se dirigeant vers l’ouest de la ville.

Aux questions de l’Anglaise, la femme répondait: Elle avait trois enfants, six ans, quatre et deux. La misère l’avait rendue malade. Trois mois on l’avait disputée à la mort au Grand Hôpital. À sa sortie elle avait trouvé les petits pleurant près du lit où gisait leur père déjà froid. Il était couvreur et dans une chute s’était brisé la tête. Depuis des semaines elle luttait et ce jour-là, désespérée, vaincue, elle s’était décidée à tendre la main. Elle avait eu confiance en la bonté de l’étrangère blonde, à l’air doux, et elle était venue à elle.

Le corricolo avait quitté les quartiers riches. Il roulait à travers un dédale de ruelles étroites, sinueuses.

Sur le pas des portes, aux fenêtres, on voyait apparaître des hommes, des femmes, vêtus de haillons. Ils lançaient sur les passants des regards acérés; puis, en apercevant l’Italienne dans la voiture, ils riaient sans bruit, montrant leurs dents blanches.

– Nous sommes arrivées, dit la mendiante répondant à une demande que sa compagne n’avait pas formulée.

En effet, on s’arrêta presque aussitôt devant une maison de triste apparence, aux murs décrépits, à la toiture gondolée.

– C’est ici, fit-elle encore, venez et sauvez-les.

Aurett sauta à terre et suivit sa conductrice à l’intérieur. À l’extrémité d’un couloir sombre, celle-ci ouvrit une porte et les deux femmes se trouvèrent dans une chambre étroite, où l’air renfermé prenait à la gorge.

Un roulement se fit entendre dans la rue. Aurett esquissa un mouvement vers l’entrée, mais déjà la mendiante lui barrait le passage.

– Ce n’est rien, signorina, j’ai renvoyé la voiture.

– Renvoyé… pourquoi?

– Inutile d’indiquer aux bersaglieri le lieu de votre retraite.

Une lueur traversa le cerveau de la jeune fille.

– Ah çà! Prétendriez-vous me retenir ici?

Un ricanement de l’Italienne lui répondit et soudain la pièce s’éclaira. La mendiante avait allumé une lampe. Avec terreur, l’Anglaise aperçut six hommes immobiles. Les considérant attentivement, elle vit que deux lui étaient connus.

– Monsieur Bouvreuil, murmura-t-elle, et ce José!…

Souriant, l’usurier s’approcha d’elle:

– Vous n’avez pas à trembler, mademoiselle; un séjour de vingt-quatre heures dans cette bicoque ne peut passer pour une chose agréable, mais nous ferons en sorte que vous n’y manquiez de rien.

Comme elle le regardait stupéfaite, avec un mélange de mépris et de crainte, il ajouta:

– Moyennant cent louis, votre père vous reverra.

– Comment? balbutia Aurett, retrouvant la voix, vous faites aussi ce métier-là?

– Non, mademoiselle, mais ces quatre braves garçons, il désignait les drôles rangés le long du mur, n’ont consenti à nous servir que moyennant cinq cents francs chacun.

Et souriant:

– J’apporte une excellente affaire à sir Murlyton, il aura les millions de Lavarède, je ne veux pas payer la «commission».

Sur ces mots, l’usurier salua l’Anglaise et sortit avec l’aventurier.

Voici ce qui s’était passé. En quittant le banquier Eserrato, les coquins s’étaient mis en quête d’individus capables de les aider dans un plan qu’ils venaient de combiner.

La tendresse de Lavarède pour Aurett n’avait pas échappé à l’usurier. Il s’était dit:

– Le gentleman lui fait bonne figure. Si le journaliste gagne le pari, il lui accordera sa fille. Ce sera un moyen de rentrer en possession de l’héritage du défunt. Mais si le brave Armand n’avait plus le sou, cet Anglais pratique changerait de maintien. Plus que jamais, il faut donc ruiner Lavarède.

Et se souvenant que depuis Ève jusqu’à sa Pénélope, toutes les tribulations des hommes ont été causées par les femmes, il conclut:

– C’est donc par la jolie Aurett qu’il faut l’atteindre.

Aisément, le rastaquouère aidant, le propriétaire avait recruté quatre vauriens, dont l’un était uni en légitime mariage à la femme maigre qui avait attiré la victime dans le piège. Et maintenant, ravi, savourant par avance sa vengeance, l’usurier rentra dîner à l’hôtel de Sicilia e Roma, où il était descendu.

Après la visite à bord, Lavarède était revenu au palais de la Gloriosa Italia. Il avait trouvé le gentleman seul, occupé à mettre un peu d’ordre dans ses notes de voyage.

– Savez-vous, dit ce dernier en l’apercevant, que notre promenade n’est pas banale? Grâce à vous, à votre ingéniosité, elle est d’un pittoresque achevé. Quel homme vous êtes? Quand je pense que, sans débourser un centime, vous êtes arrivé de Paris en Sicile en passant par l’Amérique, la Chine et le Thibet; que de plus, je faisais le compte tout à l’heure, vous avez gagné plus de soixante mille francs que vous avez généreusement semés en route, je suis vraiment très enchanté d’avoir fait votre connaissance.

– Bon, répliqua modestement Lavarède, j’ai simplement profité des circonstances…

– Quand vous ne les avez pas fait naître, comme à Bordeaux, à Cambo, à San Francisco, à Lhaça, à Tchardjoui, à Bakou.

Commencée sur ce ton amical, la conversation se prolongea jusqu’à l’heure du dîner.

– Que fait donc Aurett? dit l’Anglais, comme la cloche sonnait appelant à table les voyageurs, elle n’est pas encore rentrée.

Armand se leva.

– Où allez-vous?

– Je vais m’informer.

L’inquiétude avait pâli le visage du jeune homme. Au bureau on lui apprit que la signorina était partie dans le corricolo du sieur Fierone, domicilié en face de l’hôtel.

Cette affirmation rassura Lavarède. Mais un instant après on vint lui dire que Fierone était de retour depuis longtemps déjà. Cette fois, il ne put s’empêcher de murmurer:

– Pourvu qu’il ne soit pas arrivé un malheur!

Dans la bouche d’Armand, toujours gai, une pareille supposition devenait effrayante.

– Que craignez-vous donc? fit le gentleman.

– Ce que je crains?… Eh! le sais-je? Mais nous sommes ici sur la terre classique du brigandage et la Maffia…

– Cela existe donc? J’ai lu des histoires terribles dans les gazettes. Mais je me figurais que l’imagination des publicistes…

– Il n’en est rien, malheureusement!… Tenez, pas plus tard que l’an dernier, un pauvre diable qui ne put payer la rançon exigée par les Maffiosi fut réduit en bouillie.

– Mais alors… ma fille?

– Venez chez ce cocher. Nous l’interrogerons.

Sur les indications de la signora Gabriela, ils trouvèrent facilement le logis de Fierone. Celui-ci dînait tranquillement. Sa femme le servait en fredonnant. Tous deux avaient l’air satisfait, ce qui n’eût point étonné les voyageurs s’ils avaient su que le Sicilien venait de toucher cent lires, pour avoir conduit la jeune Anglaise au lieu où l’attendaient Bouvreuil et ses complices.

– Que puis-je pour votre service, signori? s’écria-t-il en voyant entrer les visiteurs. Une promenade sans doute? Mieux que personne je connais la ville et ses environs.

Lavarède l’interrompit brusquement.

– Ce n’est pas cela. Vous avez pris tantôt une demoiselle habitant à la Gloriosa Italia.

Fierone échangea un regard d’intelligence avec sa femme, puis de l’air le plus ouvert:

– Cela est vrai, signor.

– Où l’avez-vous menée?

– À l’archevêché, à la cathédrale, au Corso et au phare.

– Et après?…

– Nous revenions quand, place du Senatorio, un homme m’a fait signe d’arrêter.

– Un homme?

– Oui, Excellence; grand, mince, brun et très richement vêtu. Il a parlé à ma cliente et celle-ci m’a payé en disant qu’elle rentrerait à pied.

– Ensuite?

– Je suis revenu chez moi, où vous me trouvez. Mais ces questions?… La jeune dame n’est donc pas de retour?

– Non.

– Jésus!… Madona!… grommela le cocher, prenant un visage grave.

– Que signifient ces exclamations? interrogea le gentleman.

– J’ai peur que tout cela vous coûte cher.

– Cher?… pourquoi?

– Les «Bravi della Montana», murmura le Sicilien en hochant la tête!…

À leur tour, les visiteurs se regardèrent anxieux. Ils sortirent sans remarquer l’expression ironique du digne ménage italien. Murlyton avait perdu son flegme.

– Mon enfant, répétait-il, aux mains de ces misérables!… et ne pouvoir rien pour la secourir!

– Peut-être, dit Lavarède pensif.

– Ah! mon ami, vous avez une idée?

– Attendez-moi là!

Le journaliste se précipita sous le vestibule brillamment éclairé du palais de la signora Toronti. Une minute après il reparaissait.

– Venez, fit-il.

– Où cela?

– Chez le capitaine des bersaglieri.

Chemin faisant, il apprit à l’Anglais qu’à la suite d’une enquête sérieuse le gouvernement italien avait jadis acquis une étrange certitude. La plupart des gendarmes siciliens étaient affiliés à la Maffia. Aussi les crimes se multipliaient, tandis que les arrestations diminuaient de jour en jour.

 

Une mesure radicale s’imposait. La gendarmerie sicilienne fut transportée en masse sur le continent et remplacée par des carabinieri (gendarmes) venant du nord; à qui l’on adjoignit des bersaglieri, chasseurs à pied, dont le recrutement se fait principalement parmi les Piémontais. Ceux-là, au moins, font aux bandits une guerre sans merci.

Le gentleman prêtait l’oreille, imposant silence à ses angoisses paternelles pour comprendre. Il fallait apprendre ce pays bizarre. La vie d’Aurett était peut-être en jeu. Une course rapide conduisit les deux hommes chez le capitaine bersagliere Margaritora.

L’officier était prêt à sortir; mais dès les premiers mots, il introduisit les visiteurs dans une petite pièce qui lui servait de bureau, ainsi qu’en faisaient foi les cartons étagés dans un angle. Avec grande attention, il écouta le récit d’Armand.

– Il y a un témoignage important, termina le journaliste.

– Ah! et c’est?…

– Celui du cocher Fierone. Il a vu l’un des acteurs du drame probable. L’homme qui l’a arrêté place del Senatorio est jeune, élégant…

Le capitaine haussa les épaules:

– Et brun, n’est-il pas vrai?

– Vous le connaissez? s’écrièrent les visiteurs avec espoir.

– Hélas non! Car il n’existe pas.

– Pourtant…

– Vous n’êtes pas du pays. Vous ne soupçonnez pas la lâcheté et le mauvais vouloir des Siciliens. L’homme brun fait partie de toutes les instructions judiciaires. Toujours un ou plusieurs témoins ont vu l’homme brun sur le lieu du crime. Bon moyen pour embarrasser la justice dans cette contrée où tout le monde est brun. L’homme brun indique que le témoin est Maffioso, celui qui ne sait rien est encore Maffioso, et la victime, elle-même, par crainte des vengeances futures, devient muette. Tous Maffiosi!… Parmi les cent vingt mille habitants de Messine, j’oserais parier qu’il s’en rencontre seulement cent cinquante et un hostiles à la Maffia, les cent cinquante hommes de ma compagnie et moi!

Et comme ses auditeurs le considéraient de leurs yeux désolés:

– Remarquez que je vais faire patrouiller, mais nous avons peu de chances de rencontrer les ravisseurs. Et même, ajouta-t-il avec une pointe de découragement, dans l’intérêt de la prisonnière, puisque vous êtes disposés à donner de l’argent, et que ces brigands ne désirent pas autre chose; il est à souhaiter que l’on ne découvre pas leur retraite, car c’en serait fait de la jeune demoiselle.

L’officier fit un geste énergique:

– Chien de pays, gronda-t-il!… Ah! j’aime mieux ma Lombardie… Moi je suis de Milan, on est civilisé par là.

– Mais alors, bégaya Murlyton éperdu, la loi italienne est impuissante à protéger les sujets de Sa Majesté britannique.

– À peu près… Soyez certain cependant que mes soldats feront de leur mieux.

– Et moi, ne puis-je?…

– Vous? Attendez! Ne quittez pas votre demeure. Demain, sans nul doute, vous recevrez un billet qui vous apprendra le chiffre auquel les «Braves de la montagne» évaluent mademoiselle votre fille. Surtout, rassurez-vous. Elle ne courrait un danger réel que si vous refusiez d’acquitter la rançon.

Bien que son cœur battit à lui briser la poitrine, bien que sa souffrance morale fût au moins égale à celle du pauvre père, Lavarède eut conscience que le capitaine disait vrai.

Guidant son ami chancelant, il revint à l’hôtel. Les deux hommes veillèrent ensemble. Il leur eut été impossible de dormir, et ils éprouvaient une satisfaction douloureuse à s’entretenir de celle qu’ils aimaient différemment, mais aussi tendrement l’un que l’autre.

Le jour remplaça la nuit. Les heures se succédèrent. Les horloges de la ville sonnèrent huit, puis neuf, puis dix coups. Le Parisien ne tenait plus en place. À midi précis il devait s’embarquer. Et à l’idée que, lié par son engagement, il lui faudrait partir sans connaître le sort de sa bien-aimée, il ressentait une peine aigué et profonde, comme un déchirement de tout son être.

Onze heures et toujours rien! Soudain un pas pressé résonna dans le corridor, et Gabriela Toronti ouvrit la porte. Elle tenait une lettre à la main.

– Pour le signor Inglese, dit-elle, on vient de trouver cette enveloppe sur la table du bureau.

Murlyton avait déjà saisi la missive. D’un geste impatient il l’ouvrit.

Mais à peine y eut-il jeté les yeux qu’il poussa un cri désespéré.

– Qu’est-ce, au nom du ciel? balbutia le Parisien bouleversé.

L’Anglais lui passa le papier.

– Lisez, mon ami.

Armand déchiffra ces lignes tracées d’une grosse écriture maladroite.

«Illustrissimo Signor,

«Un trésor était égaré; c’est de votre figlia carissima qu’il s’agit. Nous avons été assez heureux pour la rencontrer et sommes disposés à la remettre entre vos mains. Séparé d’elle, vous deviez souhaiter la mort; nous vous rendons la vie, et vous supplions humblement en échange d’assurer l’existence à de pauvres gens, qui béniront Votre Excellence. Une signora Inglese, appartenant au premier peuple du monde et à une des premières familles de ce peuple, a une valeur immense.

«Nous croyons donc être modérés en sollicitant de Votre Grâce la remise, contre la giovinetta, de quarante mille livres sterling. Vous ne portez pas pareille somme sur vous, mais votre parole appuyée d’une promesse sur papier timbré, suffira à nous remplir de joie. Votre mouchoir attaché à la barre d’appui de votre fenêtre signifiera acceptation. Si d’ici à ce soir vous n’avez pas cru devoir faire ce signal, nous ferons les frais d’un linceul pour confier à la terre l’incomparable joyau que la Santa Maria beata a remis entre nos mains.»

– Les misérables! gronda sourdement le jeune homme.

Puis haussant les épaules avec son insouciance d’artiste pour le veau d’or:

– Les cris sont inutiles. Ils demandent un million, il faut payer.

– Payer, répéta l’Anglais d’une voix rauque…

Lavarède le considéra avec étonnement. Il crut à une révolte de l’homme qui possède, et non sans sécheresse:

– Ils la tueront sans cela… Préférez-vous donc votre or à votre fille?

Mais il regretta aussitôt ses paroles. Le gentleman avait pâli sous l’outrage, et se tordant les mains, il gémissait.

– Mon or! Si j’avais la somme je la donnerais, quitte à me remettre au travail pour refaire ma fortune. Mais en réunissant tout ce qui est à moi, je trouverais à peine trente mille livres. Et ils ne me croiront pas, ces bandits!… puisque vous-même vous m’avez soupçonné!

Le jeune homme saisit les mains de son interlocuteur, les serra vigoureusement et, courant à la fenêtre, il fixa son mouchoir sur la barre d’appui.

– Que faites-vous? s’écria Murlyton, puisque je vous affirme que je n’ai pas…

Il s’arrêta. Lavarède le regardait en souriant.

– Cher ami, dit-il, prêtez-moi dix louis.

– Ah çà! Vous devenez fou? fit l’Anglais.

– Non, vous allez comprendre. Jusqu’à Livourne je dois servir sur le Santa-Lucca, j’ai donné ma parole. Mais une fois là, rien ne m’empêche de payer ma place en chemin de fer jusqu’à Paris. L’héritage de mon cousin vous appartient de la sorte, puisque j’aurai manqué à la clause testamentaire et la prisonnière est sauvée!…

Il disait cela simplement, sans hésitation, sans regret, il renonçait à la fortune colossale.

– Non, répliqua l’Anglais, je ne puis accepter.

Mais le journaliste l’interrompit.

– Alors je n’ai plus qu’à me loger une balle dans la tête, pour vous contraindre à hériter de moi et à arracher aux mains des Maffiosi le «trésor», comme ils l’appellent, elle!…

Et faisant sauter du bout de l’ongle une larme qui perlait entre ses paupières:

– Dépêchez-vous. Déjà je devrais être à bord. Mes dix louis, mon ami?

Le gentleman ne résista plus. Il remit l’argent; puis lui ouvrant les bras:

– Mon ami, bredouilla-t-il en pleurant… mon fils.

Un instant, les deux hommes demeurèrent embrassés; et Lavarède se dirigea vers le port d’un pas léger. À trois heures cinq, le Santa-Lucca quittait Messine en emportant son nouveau mécanicien.

Sur la jetée, Bouvreuil se promenait avec son inséparable associé Miraflor. Quand le bateau fut à une certaine distance, il se mit à rire.

– Maintenant, dit-il, nous pouvons rassurer ce brave Anglais.

– Vous êtes certain que tout a bien marché?

– Le mouchoir a été attaché à la fenêtre par ce damné journaliste lui-même. Caché dans la maison de Fierone, je voyais dans la chambre et j’ai suivi la scène. L’Anglais a avoué qu’il ne possédait pas un million. Parbleu, sans cela, nous aurions demandé davantage!… Puis il a donné de l’argent au jeune homme. D’où j’ai conclu ceci: bête comme un fiancé, Armand a sacrifié sa fortune pour sauver sa belle.

– Les renseignements que vous aviez étaient donc absolument exacts?…

– J’en étais sûr. Le banquier de Calcutta qui me les a donnés, alors que je passais pour un grand explorateur, possédait un tableau des fortunes anglaises. J’ai quelques propriétés là-bas et elles y figuraient à un penny près. Voilà pourquoi j’ai cru au reste. Mais laissons ce sujet. Retournez auprès de la petite, moi je me réserve le papa.

Les deux coquins se serrèrent la main. Bouvreuil prit le chemin du palais de la Gloriosa Italia.

Don José Miraflor s’enfonça dans le quartier populeux où était détenue Aurett. Tout en marchant, il monologuait:

– Pourquoi pas! L’idée était bonne. Le vieil Anglais sera furieux, c’est évident; mais il faudra bien qu’il s’amadoue.

Et un sourire sinistre écartait ses lèvres. Bientôt il atteignit une rue. Un écriteau à demi brisé portait «via Capranica». Il s’arrêta à l’une des dernières maisons, longea un corridor sombre et pénétra dans la pièce, où la jeune fille, sous la garde de quatre gredins, était prisonnière depuis la veille.

José parla bas aux Siciliens. Ceux-ci sortirent, le laissant seul avec la captive. Alors, il vint à elle, et, narquois, menaçant:

– Mademoiselle, fit-il, à Cambo, on a interrompu notre conversation commencée; ici, je l’espère, il n’en sera pas ainsi.

– Que voulez-vous dire? murmura la jeune fille.

– Ceci. Mandé par une lettre, votre père vient ici. Il tombera dans le corridor d’entrée, percé de coups de couteau, si vous n’êtes mon épouse.

Et comme Aurett gardait le silence, épouvantée:

– Un bon moine habite tout près. Faut-il le prévenir? Il nous aura bénis avant l’arrivée de sir Murlyton.

L’Anglaise courba le front. Il lui fallait céder, renoncer au fiancé qu’elle avait choisi, sans cela son père serait assassiné. Et d’une voix basse, déchirante, elle dit:

– Prévenez le moine, mais épargnez mon père.

José poussa une exclamation de triomphe, mais soudain il se produisit dans le couloir comme un bruit de tempête.

La porte s’ouvrit, battant le mur avec fracas et trois hommes se ruèrent dans la chambre. Avant que le misérable eût pu se rendre compte de ce qui arrivait, un coup de bâton l’étendait sur le sol et Aurett, enlevée de terre comme une plume, était dans les bras de son père.

Quand elle fut revenue de sa surprise, on lui raconta ce qui s’était passé. Langlois et Yan, en attendant le 2 mars, s’étaient logés rue Capranica. Ils l’avaient dit du reste à Lavarède. Apprenant qu’une étrangère était séquestrée dans une maison voisine, ils s’étaient informés et avaient acquis la certitude que l’infortunée était la passagère du navire électrique. Eux, qui n’étaient pas de la Maffia, ils avaient couru aussitôt à l’hôtel de la signora Toronti. À l’heure même où le Santa-Lucca sortait du port, le gentleman recevait les braves marins et, dès les premiers mots, il se levait et partait avec eux pour délivrer sa fille. Sans peine, boxant en Anglais et cognant en Bretons, ils avaient culbuté les coquins rassemblés dans le couloir… ils étaient arrivés à temps.

Aurett ne demandait qu’à s’éloigner de ce lieu où elle avait souffert tant d’angoisses. On revint vers l’hôtel.

En route Murlyton lui apprit la résolution généreuse d’Armand. Elle frissonna tout entière, prise d’une joie infinie.

– Comme il m’aime! dit-elle en tombant dans les bras de son père.

Et tout à coup elle demanda:

– Mais il ne perdra son héritage qu’après Livourne!

– Sans doute.

– Eh bien, mon père, il ne faut pas qu’il soit vaincu celui qui mérite tant de triompher.

– Comment l’empêcher?

– Une dépêche.

– Mais à quelle adresse?

– Sur le Santa-Lucca, dès son entrée à Livourne, urgent.

Tout heureuse, elle accompagna son père au télégraphe et ne se décida à quitter le bureau qu’après la transmission du télégramme.

 

À l’hôtel, on fit fête à l’Anglaise, échappée aux mains des bandits. On parla d’un signor venu pour voir sir Murlyton après son départ. Au signalement, Aurett reconnut Bouvreuil.

– All right! grommela le gentleman, si jamais je rencontre cet individu, je jure de le corriger d’importance.