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Le sergent Simplet

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– De ce côté, je ne vois aucun factionnaire.

– Ils ne supposent pas que l’on puisse franchir la muraille.

– Alors, c’est bien simple: c’est de ce côté que nous tenterons de vous arracher aux mains du seigneur Nazir. Veillez.

Yvonne se rassurait en entendant son frère de lait. Il lui semblait que le danger s’écartait d’elle. Tout à coup elle vit Simplet faire un mouvement. Le bruit d’une fenêtre brusquement ouverte parvint jusqu’à elle, puis un coup de feu dont l’éclair livide illumina le couloir, et puis la chute d’un corps lourd dans l’eau.

Éperdue, elle regarda la crête du mur; Marcel avait disparu. Le jour se fit dans son esprit. Simplet avait été aperçu, on avait tiré sur lui; il était tombé dans le fleuve. Elle eut un cri de rage folle, puis ses genoux se plièrent, et elle s’affaissa près de la fenêtre en sanglotant:

– Ils l’ont tué! Ils l’ont tué! Ils ont tué mon âme!

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Canetègne débarqué à Saïgon, ainsi qu’il l’avait dit à son complice Nazir, s’ennuyait ferme en attendant l’heure où le Ramousi lui livrerait Mlle Ribor. Pour se distraire, il avait « rayonné » autour de la ville, utilisé le tramway de Saïgon à Cholon, le chemin de fer de Saïgon à Mytho, fait de longues promenades sur la rivière profonde qui réunit la capitale de la basse Cochinchine à la mer, sur les arroyos nombreux où les barques glissent sur un tapis de floraisons aquatiques, tandis que des arbres, dont les cimes se rejoignent en voûte, pendent, multicolores et embaumées, des grappes de fleurs.

Mais loin de la cité, il éprouvait une vague inquiétude. Vraiment, il ne se sentait rassuré que lorsqu’il se trouvait en face du palais du lieutenant-gouverneur, non qu’il admirât l’édifice – un des plus beaux de l’extrême Orient – mais parce que de là il pouvait surveiller les allées et venues de tous les étrangers. Avec raison il pensait que, si ses adversaires échappaient au Ramousi, ils viendraient à Saïgon continuer leurs investigations, et qu’ils se livreraient ainsi à sa discrétion.

Pour leur enlever toute chance de lui brûler la politesse, il s’était lié avec un secrétaire du gouvernement. Il s’était donné pour un voyageur curieux d’archéologie, et avec son nouvel ami – de son nom Chapousse, de Marseille – il avait visité tous les monuments de la colonie, depuis la cathédrale jusqu’au dock flottant, sans oublier la chambre de commerce, les collèges d’Adran et Chasseloup-Laubat, les bassins de l’arroyo Rack-Can-Saù, anciens viviers où l’on gardait les crocodiles destinés à l’alimentation. Avec une patience imperturbable, Giraud – c’est le nom d’emprunt qu’avait pris l’ennemi d’Yvonne – écoutait les dissertations de son verbeux ami, apprenant tout ce qui se passait au Gouvernement, en même temps que l’histoire de la Cochinchine, le nombre des élèves indigènes se livrant à l’étude du français, et une foule d’autres renseignements dont il se souciait comme de l’an VIII.

Il ne souffrait aucunement du climat. La maladie qui l’avait défiguré, qui avait changé le timbre de sa voix – phénomène fréquent dans la variole – avait aussi profondément modifié son tempérament. De gras, il était devenu maigre, et la chaleur, qui le faisait souffrir jadis à Lyon, lui semblait très supportable dans la contrée torride qu’il parcourait aujourd’hui.

Cependant il commençait à trouver le temps long, lorsqu’un incident vint transmuer en rage l’ennui du commissionnaire. Un matin, une dépêche, envoyée de Paknam (Siam), arriva au Gouvernement; elle était « confiée aux bons soins » du lieutenant-gouverneur, pour être remise, à l’arrivée du yacht Fortune, à miss Pretty. Chapousse, chargé de la commission, montra le télégramme à son ami avec force imprécations contre les Siamois, et Canetègne lut les lignes suivantes:

Miss Pretty Gold, à bord du yacht « Fortune » en rade de Saigon.

Prière à M. le Lieutenant-Gouverneur veiller à remise exacte. Claude, Yvonne captifs, près Bangkok, bandits siamois. Rançon: cent mille piastres ou mise à mort.

Réponse urgente.

NAZIR.

Palais du Roi – Bangkok.

Dire la rage du commissionnaire est impossible. Il se voyait joué par son complice. Pas un instant il ne crut à l’histoire de brigands imaginée par le Ramousi.

Ainsi cet Hindou, ce demi-sauvage, que l’homme d’affaires véreux dédaignait, reprenait tranquillement l’opération pour son compte. Il allait réaliser un gros bénéfice et laisser Canetègne plus empêtré que jamais.

Devant l’ami Chapousse, l’ennemi de Mlle Ribor dissimula; mais une fois seul, il se livra à des transports de colère dont le mobilier de son logis porta les marques. Deux chaises brisées, une table fendue par le milieu, des calebasses pulvérisées restèrent sur le champ de bataille, innocentes victimes de la coquinerie de Nazir. Puis après l’emportement vint le raisonnement. Canetègne se prit la tête à deux mains, fit bouillonner la ruse dont sa cervelle était saturée, et finalement poussa une exclamation de triomphe.

– Je suis méconnaissable, se déclara-t-il. La maladie a fait de moi un autre personnage. Profiter de la situation est l’abc de la lutte pour la vie. Je veux désormais vivre au milieu de mes adversaires et profiter de leur moindre bévue. Masqué, j’ai l’avantage, puisqu’ils restent pour moi à visage découvert.

Il riait. Son visage couturé par la variole était plus laid encore dans la joie que dans la colère. Et cependant il se contemplait avec satisfaction dans son miroir.

– Té! fit-il, le diable lui-même ne me reconnaîtrait pas. Je suis hideux, mais je m’en moque; ce n’est pas à un mariage d’amour que je veux contraindre cette petite Yvonne, mais à un simple mariage de sûreté.

Dans sa joie, il expédia à Mlle Doctrovée, son associée de Lyon, un peu négligée par lui depuis quelque temps, un cablogramme amical:

Saïgon.

Compliments. Envoyez nouvelles Bangkok. Maison prospère.

CANETÈGNE.

À partir de ce moment, le vilain personnage ne quitta plus la ville. De l’agglomération saïgonaise il sembla se désintéresser, pour concentrer toute sa sollicitude sur le palais gouvernemental et sur la rade. Il faisait de longues stations au bord de la rivière, devant l’hôtel du représentant des Messageries maritimes. Il s’enquérait des entrées et des sorties du port, agissant, en un mot, comme s’il guettait l’arrivée d’amis impatiemment attendus.

Sa persévérance fut bientôt récompensée. Le yacht Fortune, un beau matin, remonta le Dong-Naï et la rivière de Saïgon, et jeta l’ancre à quelques mètres de l’endroit où se tenait le commissionnaire. À l’ombre d’un aréquier, celui-ci vit les matelots mettre un canot à flot, miss Pretty et William Sagger y descendre, et quand l’embarcation toucha la rive, l’Américaine l’aperçut debout, le chapeau à la main, courbé en un salut respectueux.

Elle n’eut pas le temps de demander quel était le personnage qui la recevait ainsi sur une terre inconnue. Le faux Giraud s’approcha, lui tendit la main pour l’aider à débarquer et d’une voix insinuante:

– Miss, dit-il, permettez-moi une simple question, êtes-vous la fille du roi de l’Acier?

– Oui, fit-elle en réprimant avec peine un mouvement de répulsion causé par la laideur de son interlocuteur.

– Oui, alors mon ami est sauvé.

La jeune fille le considéra avec surprise:

– Votre ami!… Quel ami?

– Je vous prie de m’excuser, miss, mais je n’ai pas été maître de ma joie. Une dépêche de Siam annonçait votre venue, et je vous attendais depuis plusieurs jours.

– Vous m’attendiez, pourquoi?

– Parce que l’on vous dit aussi bonne que riche, aussi riche qu’ennuyée; j’espère que vous me prêterez votre concours pour délivrer un explorateur que j’accompagnais, et qui est resté, dans le haut Tonkin, prisonnier des Muongs.

L’Américaine avait tressailli.

– Un explorateur? questionna-t-elle. Quel est son nom?

– Antonin Ribor.

Elle eut un léger cri. Celui que cherchaient ses amis était retrouvé. Il foulait cette terre indo-chinoise, où elle venait de prendre pied.

– Nous avons remonté le Mékong, continuait d’un ton ému le commissionnaire, mais au coude du 20e parallèle, les rapides devenant nombreux, nous quittâmes le fleuve pour rejoindre, à travers les montagnes, le cours de la rivière Claire et le Song-Coï ou fleuve Rouge. C’est durant ce voyage que mon malheureux ami fut pris par les Muongs. Moi-même, blessé, je fus capturé par un des détachements siamois qui parcouraient indûment la rive gauche du Mékong. De poste en poste je fus ramené au Cambodge, et du pays des Kmers je pus revenir à Saïgon.

Il s’arrêta; miss Pretty lui avait saisi les mains.

– Comptez sur moi, monsieur…

Elle cherchait le nom.

– M. Giraud, dit-il, pour vous servir.

– Eh bien, monsieur Giraud, nous quitterons Saïgon ce soir même; notre rencontre me dispense des recherches que je venais faire ici. Nous retournerons à Paknam, où je dois reprendre des passagers, et de là, nous nous lancerons à la délivrance de M. Ribor.

Puis coupant court aux remerciements du pseudo-explorateur:

– Mais vous parliez tout à l’heure d’une dépêche annonçant ma venue.

– Reçue au gouvernement. Je l’ai appris par un secrétaire de mes amis, M. Chapousse.

Une heure plus tard, miss Pretty avait en sa possession le cablogramme de Nazir. Elle ne s’en émut point. Une rançon de cent mille piastres n’était point pour la troubler. Et même elle se confia tout bas qu’il lui était agréable d’appliquer cette somme à libérer Claude Bérard.

Sous couleur de préparatifs de départ, Canetègne s’esquiva; mais, vers quatre heures du soir, il se rendit à bord du Fortune. Quelques minutes après, le yacht, guidé par un pilote, descendait la rivière de Saïgon, emportant dans ses flancs l’ennemi de Mlle Ribor. La ruse du négociant avait pleinement réussi.

 

Le 28 juillet au matin, le steamer dut mettre en panne à l’embouchure du Meïnam. Le blocus du fleuve était établi, et des vaisseaux de guerre croisaient devant la passe de Paknam. Cela dura jusqu’au 1er août. Le blocus devint moins sévère, et le yacht, après explications préalables, fut autorisé à poursuivre sa route. Le 2, il atteignit Bangkok, et tout aussitôt miss Pretty, escortée de William Sagger, du faux Giraud et du capitaine Maulde, se fit mener à terre et se dirigea vers l’entrée du palais du roi.

Elle portait sur elle la rançon que le ramousi Nazir avait réclamée par dépêche.

XXVIII. SIMPLET DEVIENT CHIMISTE

Du sommet du mur de briques, Simplet avait sauté dans le fleuve sans blessure heureusement. Le grincement de la fenêtre, ouverte par le geôlier hindou, l’avait averti à temps, et au moment où ce dernier faisait feu, le sous-officier s’était précipité. Grimper dans sa pirogue, amarrée près de là, s’éloigner à force de pagaies et se réfugier dans un magasin flottant pour y achever la nuit, telles furent les premières préoccupations du jeune homme.

Une fois installé, il s’endormit. Ses vêtements mouillés se collaient sur son corps, mais l’atmosphère était si tiède, le clapotis des eaux si berceur qu’un Sybarite même, en semblable position, n’aurait pu résister au sommeil. Bien avant le jour, Simplet se réveilla. Là-bas, au milieu de la rivière, en face du consulat français, il apercevait les feux de position des canonnières; mais il était encore trop tôt pour revenir à bord. Il s’assit et se prit à réfléchir:

– La situation s’est améliorée, se dit-il, je sais où sont détenus mes amis. Le problème est donc bien simple, il s’agit de pénétrer dans leur prison et de les délivrer.

Comme on le voit, il continuait à trouver simple une aventure qui eût paru compliquée à beaucoup de bons esprits. D’ailleurs, la solution ne vint pas tout de suite; Simplet eut beau plisser son front, élever et abaisser ses sourcils, se livrer enfin à la mimique de la réflexion intense, ses combinaisons se brisaient toutes contre l’enceinte du palais, ou contre la pointe des baïonnettes des soldats chargés de la garde des postes. Et pourtant, après une demi-heure, il hocha la tête d’un air satisfait:

– L’escalade ne vaut rien; il faut passer devant les hommes de garde, sans être arrêté par eux. Premier point acquis.

À l’orient, le ciel s’éclairait. Le crépuscule rapide des pays chauds commençait, jetant des teintes grises sur la ville.

– Oui, répéta le jeune homme, il faut passer inaperçu.

Ses yeux erraient distraitement autour de lui. Tout à coup ils se fixèrent sur des bonbonnes enveloppées de paille tressée. Il se donna sur la tête une calotte en disant:

– Suis-je bête… Pas inaperçu du tout! Je passerai au grand jour, et le poste présentera les armes!

Qu’avait-il donc vu? Dans le coin pour lequel il avait des regards caressants, rien que les bonbonnes surmontées de cet écriteau:

OXIGENATED WATER
WHITE FRIDAY
SINGAPOOR.

C’est-à-dire: Eau oxigénée[3] de la maison White-Friday de Singapour.

Toujours est-il que, quittant le magasin flottant, il se laissa glisser dans sa pirogue et nagea droit vers la canonnière la plus proche. Reconnu, il monta à bord, abandonnant au fil de l’eau l’esquif qui l’avait amené. Dans le courant de la journée, il profita d’un voyage à terre du canot pour se rendre au marché, d’où il rapporta un superbe lapin à la fourrure rousse et noire. Les matelots le raillaient de son acquisition, mais il n’y prit pas garde, et tenant le rongeur par ses longues oreilles, il alla trouver le médecin du bord.

– Eh! mon ami, vous vous trompez, fit celui-ci en riant, la recette de la gibelotte ne me concerne pas.

Le sous-officier l’interrompit:

– Il ne s’agit pas de gibelotte. Si j’avais trouvé un lapin blanc, vous ne me verriez pas à cette heure; mais les animaux de cette couleur sont inconnus ici.

Le docteur ouvrit des yeux ébahis:

– Vous avez de l’eau oxygénée, sans doute? continua Simplet.

– Naturellement, la pharmacie en contient.

– Alors, vous pourrez m’aider. De ce lapin rouge et noir je désire, en utilisant les propriétés décolorantes de l’eau oxygénée, faire un lapin d’un poil de neige.

Et comme son interlocuteur semblait de plus en plus étonné, le jeune homme se pencha à son oreille et prononça quelques paroles rapides.

– Ah! répondit seulement le médecin, alors je ferai ce que vous voulez, mais il faudra plusieurs jours.

– Peu importe. Docteur, je vous remercie.

Le lapin fut installé dans une cage de bois et comblé de légumes, ce qui parut lui être des plus agréable; mais, hélas! comme celle de l’homme, l’existence du lapin a ses vicissitudes; chaque jour, le rongeur était tiré de sa prison par Simplet qui, sous la surveillance du docteur, lui faisait subir une application d’eau oxygénée. Après cette opération, le sous-officier se livrait à des travaux qui intriguaient fort l’équipage. Il fabriquait des boucles d’oreilles de forme étrange. Puis après avoir soigneusement pris mesure au rongeur, il avait taillé une ceinture de cuir ornée d’un anneau, et y avait adapté une chaînette de cuivre de trente centimètres de long, terminée par un mousqueton. Pour un peu, les marins l’auraient déclaré maniaque. Cependant l’eau oxygénée produisait son effet: l’animal se décolorait visiblement; il passait par toutes les gradations du gris, devenait jaunâtre. Enfin, le 1er août, sa fourrure ne présenta plus la moindre trace de coloration. Marcel manifesta une joie folle. Il para son lapin de ses pendants d’oreilles, de sa ceinture. Il serra les mains du docteur, pris lui-même d’une émotion incompréhensible, et qui faillit pleurer lorsque le jeune homme lui dit:

– Ah! je vous devrai plus que la vie.

La curiosité de l’équipage était vivement excitée; dans l’impossibilité d’arracher une confidence aux deux hommes, officiers et matelots surveillaient Simplet; ses moindres mouvements étaient notés, commentés, mais l’énigme demeurait indéchiffrable.

Le 2, au point du jour, le docteur fit descendre le canot. Il s’embarqua avec le sous-officier qui prit les avirons. Du navire français, on les vit traverser le fleuve et atterrir à proximité du palais. Là, Simplet sauta à terre, posa son lapin blanc sur son épaule et s’enfonça dans la ville, tandis que le médecin ramenait l’embarcation vers le steamer.

Le sous-officier marchait d’un bon pas. Sur son passage, les habitants s’écartaient respectueusement et s’inclinaient; après avoir adressé au lapin blanc des gestes compliqués.

– Allons, murmura le jeune homme, cela prend bonne tournure. Quelle chance d’avoir appris la vénération de ces faces jaunes pour les lapins blancs!

Il arrivait au bord du canal qui entoure la ville royale. Sur le quai, des rameurs jouaient à une sorte de jeu de bouchon. À leur tunique sans manches, rouge avec bordure jaune, on reconnaissait qu’ils étaient au service du roi. Seuls dans leur corporation, ces bateliers ont le droit de revêtir l’uniforme dont il s’agit. À la vue du lapin blanc, ils interrompirent leur partie et saluèrent.

Simplet répondit par un signe protecteur et prit place dans l’une des pirogues attachées au quai. Sur un geste, deux pagayeurs y descendirent à leur tour et ramèrent vers l’escalier de pierre situé sur l’autre rive, et par lequel Nazir s’était introduit dans l’enceinte interdite. Jetant quelques sapèques aux piroguiers, Marcel gravit les degrés, contourna les casernements d’artillerie, et sans que personne osât l’arrêter, atteignit la muraille de briques qui, dans la cité royale, isole le palais.

Une haute porte, surmontée de la toiture à sept degrés, s’ouvrait devant lui. Sous la voûte, des soldats de la garde, serrés dans le dolman bleu à brandebourgs rouges, coiffés de la calotte ronde de l’infanterie anglaise, étaient en faction. Ils firent mine de croiser la baïonnette, mais le Français plaça le lapin sur sa poitrine et marcha droit à ceux qui lui barraient la route. Un instant les soldats hésitèrent, puis ils s’écartèrent en présentant les armes.

Maintenant Marcel était dans la première cour pavée de briques vernissées rouges, entourée d’une profusion de colonnes, de clochetons bouddhiques. Des officiers qui gardaient une seconde porte le laissèrent passer sans résistance. De bout en bout il parcourut une autre cour pavée de jaune, et enfin, après s’être engagé sous une voûte plus sombre et plus étendue que les autres, il se trouva dans la cour principale.

Un spectacle étrange s’offrit à ses yeux. Des femmes, bizarrement équipées et coiffées d’un casque noir étaient alignées, commandées, à ce qu’il semblait, par des hommes couverts de robes de soie rose à larges manches. Un murmure aussitôt étouffé accueillit l’entrée du voyageur. Sans y faire attention, il alla droit au perron, sur les marches duquel les porte-sabres du roi, à l’uniforme entièrement rouge, formaient la haie. Dans le vestibule, des officiers, des fonctionnaires se pressaient devant la porte de la salle du trône ouverte à deux battants. Là encore le lapin blanc fit merveille. En une minute Marcel fut au premier rang, et son regard plongea dans la vaste pièce.

Il se sentit impressionné et resta immobile. Au fond, en face de lui, sous un dais à sept étages, Somdeteh Phra Chalulong était assis sur son trône doré. La tête coiffée d’un casque blanc surmonté de la flèche sivaïque, vêtu de la tunique de même couleur, constellée de décorations et de broderies et retombant sur la culotte courte; le roi, chaussé de souliers à la pointe recourbée et de bas de soie, parlait d’une voix douce et lente. À côté de lui se tenait l’aîné de ses fils, casqué comme lui, mais couvert d’une robe.

Le long des murs, devant les porte-flambeaux à sept branches, alternant avec les pyramides sivaïques, des mandarins militaires ou civils se tenaient courbés dans leurs costumes de cour, les yeux obstinément fixés sur des baguettes d’ivoire qu’ils tenaient à la main, afin d’observer la loi qui interdit de regarder le souverain.

Le roi présentait son héritier qui, selon la coutume, allait être confié aux bonzes pour recevoir d’eux la seconde éducation. Et soudain, dans le silence religieux de la cérémonie, des talons sonnèrent sur le plancher: Marcel se décidait.

Les assistants regardèrent stupéfaits cet Européen qui pénétrait ainsi dans la salle du trône. Le roi lui-même, en dépit des rites et de l’étiquette, montrait son étonnement. Mais l’inconnu portait sur l’épaule un lapin blanc. Les gardes n’osèrent l’arrêter. Il arriva auprès du roi, et après s’être incliné profondément:

– Sire, dit-il tranquillement, parlez-vous français?

Somdeteh, on le sait, emploie indistinctement notre langue ou la langue anglaise. D’un ton courroucé, mais en pur français, il demanda:

– Qui es-tu, toi qui viens troubler mes serviteurs?

– Un citoyen de France, Sire. Grâce à cet animal sacré – il désigna le lapin qui paraissait ne rien comprendre à l’aventure – j’ai pu parvenir jusqu’à vous pour vous faire entendre la vérité.

Le souverain considéra celui qui lui parlait ainsi. D’un regard il arrêta les mouvements des mandarins qui, oubliant la coutume sous l’empire de la colère, étaient sortis de leur immobilité, et plus doucement:

– Y a-t-il donc une vérité que je ne connaisse pas?

– Que Votre Majesté me pardonne, reprit hardiment le sous-officier, mais elle est entourée de gens qui la trompent.

Une flamme passa dans les yeux du roi.

– On me trompe, dis-tu?

– Sûrement. En voulez-vous la preuve? Dans ce palais sont détenus deux prisonniers que l’on vous a désignés comme des otages précieux. Eh bien! l’un est sous-officier comme moi dans l’armée française; l’autre est ma sœur.

Le visage du monarque se couvrit de pâleur. Son front s’inclina pensif.

– On vous a dit, continua Marcel, que grâce à leur capture vous auriez facilement raison de nos négociateurs. Cela n’est pas.

Et brièvement il raconta la trahison de Nazir, les calculs financiers auxquels le Ramousi avait dû se livrer. Il conclut enfin:

– Si vous doutez, faites appeler devant vous cet Hindou et ses captifs, Sire, et punissez qui vous a menti.

Somdeteh goûta la proposition. Il leva le doigt. Aussitôt plusieurs officiers se précipitèrent au dehors. Et morne, silencieuse, immobile, l’assemblée attendit, tandis que le chef baissé, le roi rêvait. Puis au dehors un bruit de pas, et les mandarins militaires reparurent, conduisant Claude Bérard au milieu d’eux.

 

– Yvonne, où est Yvonne? s’écria Marcel, mordu au cœur par l’angoisse.

– Yvonne, enlevée il y a quelques instants par ce coquin de Nazir.

De leurs baguettes d’ivoire les mandarins frappèrent l’épaule des jeunes gens pour les engager au silence. Mais le roi avait entendu:

– Tu as dit vrai, fit-il d’un ton attristé. L’Hindou était présent tout à l’heure, et sa fuite le condamne. Tu es libre ainsi que ton camarade. Partez, et dites aux Français que le roi de Siam rend la justice.

– En échange de votre bonté, Sire, répliqua Simplet, laissez-moi vous donner un avertissement. La République française est puissante, son armée, innombrable. Vous ne pouvez vaincre et le sang versé coulera inutilement.

Et comme le souverain tressaillait:

– Pardonnez-moi de vous dire ces choses, mais si vous me croyez, la vie de bien des innocents sera épargnée, Et puis, si je ne prenais sur moi de vous renseigner, je crois que personne de votre entourage ne le ferait.

Il salua le maître de six millions d’hommes et entraîna Claude tout abasourdi.

– Maintenant, il s’agit de retrouver Yvonne. Son ravisseur ne saurait être loin. En chasse, mon bon Claude, en chasse.

3Sic. (Note du correcteur – ELG.)