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Le Vicaire de Wakefield

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CHAPITRE XII

La fortune semble résolue à humilier la famille de Wakefield. – Les mortifications sont souvent plus douloureuses que les calamités véritables

DE retour à la maison, on consacra la nuit à des plans de conquêtes futures. Déborah dépensait beaucoup de sagacité à conjecturer laquelle des deux enfants aurait vraisemblablement la meilleure place et le plus d’occasions de voir la bonne société. Le seul obstacle à notre nomination était la recommandation qu’il fallait obtenir du squire; mais il nous avait déjà donné trop de témoignages de son amitié pour en douter maintenant. Nous étions au lit que ma femme poursuivait encore le même sujet: «Eh bien, ma foi, mon cher Charles, entre nous, je crois que nous avons fait une excellente besogne aujourd’hui. – Assez bonne, répondis-je, ne sachant que dire. – Quoi! seulement assez bonne? reprit-elle. Je la crois très bonne. Supposez que les enfants viennent à faire des connaissances de distinction à la ville! Il y a une chose dont je suis sûre, c’est que Londres est le seul lieu du monde pour les maris de toute espèce. D’ailleurs, mon ami, des choses plus étranges arrivent tous les jours; et, si des dames de qualité s’éprennent ainsi de mes filles, les hommes de qualité, que ne feront-ils point! Entre nous, je déclare que j’aime milady Blarney énormément; elle est si obligeante! Cependant j’ai aussi au cœur pour miss Carolina Wilhelmina Amelia Skeggs une chaude affection. Mais, lorsqu’elles en sont venues à parler de places à la ville, vous avez vu comme je les ai mises au pied du mur tout de suite. Dites-moi, mon ami, ne croyez-vous pas que j’ai travaillé pour mes enfants dans cette affaire? – Oui, répondis-je, ne sachant trop que penser là-dessus; le ciel fasse qu’elles s’en trouvent mieux l’une et l’autre dans trois mois d’ici.» C’était une de ces réflexions que j’avais l’habitude de faire pour pénétrer ma femme de l’opinion de ma perspicacité; en effet, si les enfants réussissaient, c’était un souhait pieux exaucé; si, au contraire, quelque chose de malheureux en résultait, on pouvait la regarder comme une prophétie.

Tonte cette conversation, cependant, n’était qu’une préface pour un autre projet; et, à la vérité, c’était juste ce que je redoutais. Il ne s’agissait de rien moins, puisque nous devions désormais redresser un peu la tête dans le monde, que de la convenance qu’il y aurait à vendre le cheval devenu vieux à quelque foire du voisinage, et à acheter une bête qui pût porter une ou deux personnes, suivant l’occasion, et qui eût bonne mine à l’église ou en visite. Je m’opposai d’abord énergiquement à la chose, mais on la défendit avec une énergie égale. Je faiblis pourtant; mon adversaire en gagna de la force, tant et si bien qu’on résolut à la fin de se séparer du vieil animal.

Comme la foire se trouvait être le lendemain, j’avais l’intention d’y aller moi-même, mais ma femme me persuada que j’avais attrapé un rhume, et rien ne put l’obliger à me permettre de sortir. «Non, mon ami, disait-elle, notre fils Moïse est un garçon prudent; il sait acheter et vendre très avantageusement; vous savez que tous nos bons marchés sont de ses acquisitions. Il résiste et marchande toujours, et réellement il fatigue les gens jusqu’à ce qu’il ait fait une bonne affaire.»

Comme j’avais assez bonne opinion de la prudence de mon fils, je n’étais pas éloigné de lui confier cette commission. Le lendemain matin, je vis ses sœurs fort occupées à le faire beau pour la foire, lui arrangeant les cheveux, polissant ses boucles de souliers, attachant les rebords de son chapeau avec des épingles. La grande affaire de la toilette terminée, nous eûmes enfin la satisfaction de le voir monter sur le cheval avec un coffre de sapin devant lui pour rapporter de l’épicerie à la maison. Il était vêtu d’un habit fait de ce drap qu’on nomme tonnerre et éclair6, habit qui, bien que devenu trop court, était encore trop bon pour être mis au rebut. Son gilet était vert d’oie, et ses sœurs lui avaient attaché les cheveux avec un large ruban noir. Nous le suivîmes tous à quelques pas de la porte, criant derrière lui: «Bonne chance! bonne chance!» jusqu’à ce que nous ne pussions plus le voir.

Il était à peine parti que le maître d’hôtel de M. Thornhill vint nous féliciter de notre bonne fortune, disant qu’il avait entendu son jeune maître citer nos noms avec grand éloge.

La bonne fortune semblait décidée à ne pas venir seule. Un autre valet de la même maison arriva après celui-ci, avec une carte pour mes filles, portant que les deux dames avaient eu de M. Thornhill des renseignements si agréables sur nous tous, qu’elles espéraient, après quelques informations préalables, se trouver complètement satisfaites. «Ah! s’écria ma femme, je vois maintenant que ce n’est pas chose aisée que d’entrer dans les familles des grands; mais une fois qu’on y est, oh! alors, comme dit Moïse, on peut dormir tranquille.»

Cette plaisanterie, qu’elle prenait pour de l’esprit, fut accueillie par mes filles avec de joyeux éclats de rire. Bref, le message lui causa tant de satisfaction qu’elle mit bel et bien la main à la poche, et donna au messager sept pence et demi (quinze sous).

Ce devait être notre jour de visites. Celui qui arriva ensuite fut M. Burchell, revenant de la foire. Il apportait aux petits deux sous de pain d’épice pour chacun; ma femme se chargea de le mettre de côté et de le leur donner par petits morceaux à la fois. Il apportait aussi à mes filles deux boîtes où elles pourraient serrer des pains à cacheter, du tabac à priser, des mouches, ou même de l’argent, quand elles en auraient. Le cadeau que ma femme aimait d’ordinaire, c’était une bourse en peau de belette, comme étant ce qui porte le plus bonheur; mais ceci en passant. Nous avions encore de la considération pour M. Burchell, bien que la récente grossièreté de sa conduite nous eût jusqu’à un certain point déplu; mais nous ne pouvions nous dispenser de l’informer de notre bonheur ni de demander son avis, car, tout en ne suivant que rarement les avis des autres, nous étions assez disposés à les demander. Lorsqu’il eut lu le billet des deux dames, il hocha la tête et fit remarquer qu’une affaire de ce genre demandait la dernière circonspection. Cet air de méfiance déplut souverainement à ma femme. «Je n’ai jamais douté, monsieur, s’écria-t-elle, de votre disposition à vous mettre contre mes filles et moi. Vous avez plus de circonspection qu’il n’est besoin.

Toutefois, quand nous en serons à demander conseil, nous nous adresserons, j’imagine, à des personnes qui sembleront en avoir fait meilleur usage pour elles-mêmes. – Quelle qu’ait pu être ma propre conduite, madame, répliqua-t-il, ce n’est pas là la question pour le moment; et cependant, puisque je n’ai pas moi-même profité des conseils, je dois bien, en conscience, en donner à ceux qui en profiteront.» Comme j’appréhendais que cette réponse n’attirât une repartie où l’insulte remplacerait ce qui manquerait en esprit, je changeai le sujet en ayant l’air de me demander ce qui pouvait retenir notre fils si longtemps à la foire, car c’était presque déjà la tombée de la nuit. «Ne vous inquiétez pas de notre fils, s’écria ma femme. Comptez qu’il sait ce qu’il a à faire. Je vous garantis que nous ne le verrons jamais vendre sa poule un jour de pluie. Je l’ai vu faire des marchés dont on serait stupéfait. Je veux vous raconter là-dessus une bonne histoire qui vous fera vous tenir les côtes à force de rire. Mais, sur ma vie, voilà Moïse qui vient là-bas, sans cheval, et la boîte sur son dos.»

Pendant qu’elle parlait, Moïse arrivait à pied et suant sons la boîte de sapin qu’il avait liée à ses épaules par des courroies, comme un colporteur. «La bienvenue, Moïse! la bienvenue! Eh bien! mon garçon, que nous rapportez-vous de la foire? – Je vous rapporte, moi, s’écria Moïse avec un regard malin, en appuyant sa boîte sur le dressoir. – Ah! Moïse, reprit ma femme, nous savons bien cela; mais où est le cheval? – Je l’ai vendu, dit Moïse, pour trois livres cinq shillings et deux pence. – Bonne affaire, mon brave garçon, reprit-elle. Je savais que vous les toucheriez au bon endroit. Entre nous, trois livres cinq shillings et deux pence ne font pas une mauvaise journée. Allons, voyons-les donc! – Je n’ai pas rapporté d’argent, s’écria Moïse alors. Je l’ai mis tout dans un marché que voici. – En même temps, il tirait un paquet de sa poitrine. – Voici les objets: une grosse de lunettes vertes avec montures en argent et étuis en chagrin. – Une grosse de lunettes vertes! répéta ma femme d’une voix défaillante. Vous vous êtes défait du cheval et vous ne nous rapportez rien qu’une grosse de misérables lunettes vertes! – Chère mère, s’écria l’enfant, pourquoi ne voulez-vous pas entendre raison? Je les ai eues presque pour rien; sans cela je ne les aurais pas achetées. Les montures d’argent à elles seules se vendront le double de ce qu’elles ont coûté. – Je me soucie bien des montures d’argent! cria ma femme en fureur. Je jurerais qu’elles ne se vendront pas plus de la moitié de la somme au prix du vieil argent, cinq shillings l’once. – Vous n’avez pas besoin de vous tourmenter pour la vente des montures, dis-je à mon tour; elles ne valent pas douze sous, car je m’aperçois que ce n’est que du cuivre verni. – Quoi! s’écria ma femme. Ce n’est pas de l’argent, les montures ne sont pas de l’argent! – Non, répliquai-je; pas plus de l’argent que votre casserole. – Et ainsi, reprit-elle, vous vous êtes défait du cheval, et vous n’avez reçu qu’une grosse de lunettes vertes à montures de cuivre et à étuis de chagrin! La peste soit d’une telle escroquerie! L’imbécile s’est laissé mettre dedans! Il aurait dû mieux connaître les gens avec lesquels il était. – Ici, ma chère, vous avez tort, m’écriai-je; il n’aurait pas dû les connaître du tout. – Vraiment, ma foi! quel idiot à pendre! reprit-elle. M’apporter une telle drogue! Si je les tenais, je les jetterais dans le feu. – Ici encore vous avez tort, ma chère, dis-je; quoique ce ne soit que du cuivre, nous les garderons par devers nous; car des lunettes vertes, vous savez, cela vaut mieux que rien.»

 

Cependant l’infortuné Moïse était détrompé. Il voyait maintenant qu’il avait réellement été la dupe d’un escroc en chasse qui, au vu de sa figure, l’avait noté comme une proie facile. Aussi lui demandai-je les détails de la fourberie. Il avait vendu le cheval, paraît-il, et parcourait la foire à la recherche d’un autre. Un homme ayant l’air d’un révérend le conduisit à une tente sous prétexte qu’il en avait un à vendre. «Là, poursuivit Moïse, nous trouvâmes un antre homme, très bien habillé, qui désirait emprunter vingt livres sur ces articles, disant qu’il avait besoin d’argent et qu’il les laisserait pour le tiers de leur valeur. Le premier gentleman, qui se disait mon ami, me souffla à l’oreille de les acheter, m’engageant à ne pas laisser passer une offre si avantageuse. J’envoyai chercher M. Flamborough; ils l’endoctrinèrent aussi finement que moi, si bien qu’à la fin ils nous persuadèrent d’acheter les deux grosses entre nous.»

CHAPITRE XIII

On s’aperçoit que M. Burchell est un ennemi, car il a l’audace de donner des avis désagréables

AINSI notre famille avait fait plusieurs tentatives d’élégance; mais quelque désastre imprévu avait détruit chaque projet aussitôt que conçu. Je m’efforçais de profiter de toutes ces déconvenues pour fortifier leur bon sens dans la proportion même où leur ambition était frustrée. «Vous voyez, mes enfants, disais-je, combien il y a peu à gagner à essayer d’en imposer au monde en voulant marcher de pair avec plus hauts que nous. Ceux-là qui sont pauvres et qui ne veulent fréquenter que les riches sont haïs de ceux qu’ils évitent et méprisés de ceux qu’ils suivent. Les associations disproportionnées sont toujours désavantageuses pour la partie faible: les riches ont le plaisir qui en résulte, et les pauvres, les inconvénients. Mais voyons, Dick, mon garçon, répétez la fable que vous lisiez aujourd’hui, pour le profit de la compagnie.

– Il était une fois, commença l’enfant, un Géant et un Nain qui étaient amis et vivaient ensemble. Ils firent marché qu’ils ne se quitteraient jamais, mais qu’ils iraient chercher aventure. La première bataille qu’ils livrèrent fut contre deux Sarrasins; et le Nain, qui était très brave, donna à l’un des champions un coup des plus furieux. Cela ne fit que très peu de mal au Sarrasin qui, levant son épée, fit sauter bel et bien le bras du pauvre Nain. Il était alors en vilaine passe; mais le Géant, venant à son aide, eut bientôt laissé les deux Sarrasins morts sur la plaine, et le Nain, de dépit, trancha la tête de son adversaire mort. Ils reprirent ensuite leur voyage en quête d’une autre aventure. Ce fut cette fois contre trois satyres sanguinaires qui enlevaient une infortunée damoiselle. Le Nain n’était plus tout à fait aussi impétueux qu’auparavant; néanmoins, il frappa le premier coup, pour lequel on lui en rendit un autre qui lui creva l’œil; mais le Géant fut bientôt sur eux, et s’ils ne s’étaient enfuis, il les aurait certainement tués jusqu’au dernier. Ils furent tous très joyeux de cette victoire, et la damoiselle, qui était sauvée, s’éprit d’amour pour le Géant et l’épousa. Ils allèrent alors loin, plus loin que je ne puis dire, et rencontrèrent une compagnie de voleurs. Le Géant, pour la première fois, se trouva en avant; mais le Nain n’était pas loin derrière. La bataille fut rude et longue. Partout où venait le Géant, tout tombait devant lui; mais le Nain pensa être tué plus d’une fois. A la fin, la victoire se déclara pour les deux aventuriers; mais le Nain y perdit la jambe. Le Nain était maintenant privé d’un bras, d’une jambe et d’un œil, tandis que le Géant était sans une seule blessure. Sur quoi, celui-ci s’écria, en s’adressant à son petit compagnon: «Mon petit héros, c’est là un glorieux passe-temps; remportons encore une victoire, et nous aurons acquis de l’honneur à jamais. – Non, répondit alors le Nain, qui avait fini par devenir plus sage; non, je le déclare tout net: je ne me battrai plus, car je vois que dans chaque bataille vous avez tout l’honneur et toutes les récompenses, mais que tous les coups tombent sur moi.»

J’allais tirer la morale de cette fable, lorsque notre attention fut détournée par une chaude discussion entre ma femme et M. Burchell, au sujet de l’expédition projetée de mes filles à la ville. Ma femme insistait très énergiquement sur les avantages qui en résulteraient. M. Burchell, au contraire, la dissuadait avec une grande ardeur; moi, je restai neutre. Ses objurgations d’alors ne semblaient que la seconde partie de celles qui avaient été reçues de si mauvaise grâce dans la matinée. La discussion alla loin: la pauvre Déborah, au lieu de raisonner plus solidement, parlait plus haut, et, à la fin, pour éviter la défaite, elle dut se réfugier dans les cris. La conclusion de sa harangue, cependant, nous fut grandement désagréable à tous: elle connaissait, dit-elle, certaines gens qui avaient leurs raisons particulières et secrètes pour les conseils qu’ils donnaient; mais, pour sa part, elle désirait que ces gens-là se tinssent éloignés de chez elle à l’avenir. «Madame, s’écria Burchell avec un air de grand sang-froid qui tendait à l’enflammer davantage, quant aux raisons secrètes, vous ne vous trompez pas: j’ai des raisons secrètes, que je m’abstiens de mentionner parce que vous n’êtes pas capable de répondre à celles dont je ne fais pas secret. Mais je vois que mes visites ici sont devenues importunes; je vais donc prendre congé maintenant; peut-être reviendrai-je une fois encore dire un dernier adieu lorsque je quitterai le pays.» Ce disant, il prit son chapeau, et les tentatives de Sophia, dont les regards semblaient lui reprocher sa précipitation, ne purent empêcher son départ.

Lui parti, nous nous regardâmes tous pendant quelques minutes avec confusion. Ma femme, qui se savait la cause de l’affaire, s’efforçait de cacher son ennui sons un sourire forcé et un air d’assurance que j’étais disposé à réprouver. «Comment! femme, lui dis-je, est-ce ainsi que nous traitons les étrangers? Est-ce ainsi que nous leur rendons leurs bontés? Soyez sûre, ma chère, que ce sont là les paroles les plus dures, et pour moi les plus désagréables, qui se soient échappées de vos lèvres. – Pourquoi me provoquait-il, alors? répliqua-t-elle. Mais je connais parfaitement bien les motifs de ses conseils. Il voudrait empêcher mes filles d’aller à la ville, afin d’avoir le plaisir de la société de ma fille cadette ici, à la maison. Mais quoi qu’il arrive, elle choisira meilleure compagnie que celle d’espèces comme lui! – Espèce! est-ce ainsi que vous l’appelez, ma chère? m’écriai-je. Il est bien possible que nous nous méprenions sur la personnalité de cet homme, car il semble en certaines occasions le plus accompli gentleman que j’aie jamais connu. Dites-moi, Sophia, ma fille, vous a-t-il jamais donné quelque marque secrète de son attachement? – Sa conversation avec moi, monsieur, répliqua ma fille, a toujours été sensée, modeste et agréable. Quant à toute autre chose, non, jamais. Une fois, il est vrai, je me rappelle lui avoir entendu dire qu’il n’avait jamais connu de femme capable de trouver du mérite à un homme qui a l’air pauvre. – Telle est, ma chère, m’écriai-je, le langage ordinaire de tous les malheureux ou de tous les paresseux. Mais j’espère qu’on vous a appris à juger comme il convient de tels hommes, et que ce ne serait rien de moins que de la folie que d’attendre le bonheur de quelqu’un qui a été si mauvais économe du sien. Votre mère et moi, nous avons maintenant des vues plus avantageuses pour vous. L’hiver prochain, que vous passerez probablement à la ville, vous donnera des occasions de faire un choix plus prudent.»

Ce que furent les réflexions de Sophia dans cette circonstance, je ne saurais prétendre le déterminer; mais, au fond, je n’étais pas fâché que nous fussions débarrassés d’un hôte de qui j’avais beaucoup à craindre. Notre infraction à l’hospitalité m’allait bien un peu à la conscience; mais j’eus vite fait taire ce mentor avec deux ou trois raisons spécieuses qui eurent pour effet de me satisfaire et de me réconcilier avec moi-même. La douleur que la conscience cause à l’homme qui a déjà fait mal est promptement surmontée. La conscience est une poltronne, et les fautes qu’elle n’a pas assez de force pour prévenir, elle a rarement assez de justice pour les proclamer.

CHAPITRE XIV

Nouvelles humiliations, ou démonstration que des calamités apparentes peuvent être des bénédictions réelles

LE voyage de mes filles à Londres était maintenant chose résolue, M. Thornhill ayant eu la bonté de promettre de les surveiller lui-même et de nous informer par lettre de leur conduite. Mais on jugea absolument indispensable de les mettre en état de paraître au niveau de la grandeur de leurs espérances, et ceci ne pouvait pas se faire sans qu’il en coûtât. Nous discutâmes donc, en grand conseil, quelles étaient les méthodes les plus faciles de trouver de l’argent, ou, à parler plus proprement, ce que nous pourrions le plus commodément vendre. La délibération fut vite terminée; on trouva que le cheval qui nous restait était complètement inutile pour la charrue sans son compagnon, et également impropre à la promenade, parce qu’il lui manquait un œil; en conséquence, on décida qu’on s’en déferait aux fins ci-dessus mentionnées à la foire voisine, et que, pour prévenir toute tromperie, j’irais moi-même avec lui. Bien que ce fût une des premières transactions commerciales de mon existence, je ne doutais nullement de m’en acquitter à mon crédit.

L’opinion qu’on se forme de sa propre prudence se mesure à celle des relations qu’on fréquente; et comme les miennes étaient surtout dans le cercle de la famille, je n’avais pas conçu un sentiment défavorable de ma sagesse mondaine. Toutefois ma femme, le lendemain matin, au départ, et comme je m’étais déjà éloigné de la porte de quelques pas, me rappela pour me recommander tout bas de ne pas avoir les yeux dans ma poche.

J’avais, suivant les formes ordinaires, en arrivant à la foire, mis mon cheval à toutes ses allures, mais pendant quelque temps je n’eus pas de chalands. A la fin, un acheteur s’approcha; après avoir un bon moment tourné autour du cheval pour l’examiner, trouvant qu’il était borgne, il ne voulut pas dire un mot; un second s’avança, mais, remarquant qu’il avait un éparvin, il déclara qu’il n’en voudrait pas pour la peine de le conduire chez lui; un troisième s’aperçut qu’il avait une écorchure, et ne voulut pas offrir de prix; un quatrième connut à son œil qu’il avait des vers; un cinquième se demanda ce que diable je pouvais faire à la foire avec une haridelle borgne, pleine d’éparvins et de rognes, qui n’était bonne qu’à être dépecée pour nourrir un chenil. Je commençais dès lors à avoir moi-même un mépris des plus sincères pour le pauvre animal, et j’avais presque honte à l’approche de chaque amateur; car, encore que je ne crusse pas tout ce que les gaillards me disaient, je réfléchissais cependant que le nombre des témoins était une forte présomption pour qu’ils eussent raison, et que saint Grégoire, traitant des bonnes œuvres, professe justement cette opinion.

J’étais dans cette situation mortifiante, lorsqu’un ministre, mon confrère, vieille connaissance à moi, qui avait aussi des affaires à la foire, survint et, me donnant une poignée de main, me proposa de nous rendre à une auberge et d’y prendre un verre de ce que nous pourrions y trouver. J’acceptai volontiers, et, entrant dans un débit de bière, nous fûmes introduits dans une petite salle de derrière où il n’y avait qu’un vénérable vieillard assis et tout absorbé par un gros livre qu’il lisait. Je n’ai vu de ma vie une figure qui me prévînt si favorablement. Ses boucles d’un gris d’argent ombrageaient vénérablement ses tempes, et sa verte vieillesse semblait le fruit de la santé et de la bonté. Cependant sa présence n’interrompit point notre conversation. Mon ami et moi nous discourions sur les vicissitudes que nous avions éprouvées, la controverse whistonienne, ma dernière brochure, la réplique de l’archidiacre, la dure mesure qui m’avait frappé. Mais, au bout d’un moment, notre attention fut accaparée par un jeune homme qui entra dans la salle et respectueusement dit quelque chose à voix basse au vieil étranger. «Ne vous excusez pas, mon enfant, dit le vieillard; faire le bien est un devoir que nous avons à accomplir envers tous nos semblables: prenez ceci; je voudrais que ce fût davantage; mais cinq livres soulageront votre misère, et c’est de bon cœur que je vous les offre.» Le modeste jeune homme versait des larmes de gratitude, et cependant sa gratitude était à peine égale à la mienne. J’aurais voulu serrer le bon vieillard entre mes bras, tant sa bienfaisance me faisait plaisir. Il se remit à lire, et nous reprîmes notre conversation; au bout de quelque temps, mon compagnon, se rappelant qu’il avait des affaires à faire à la foire, me promit d’être bientôt de retour, ajoutant qu’il désirait toujours avoir le plus possible de la compagnie du docteur Primrose. Le vieux gentleman, entendant prononcer mon nom, parut un moment me regarder avec attention, et, lorsque mon ami fut parti, il me demanda le plus respectueusement du monde si j’étais allié de près ou de loin au grand Primrose, ce courageux monogame, qui avait été le boulevard de l’Église. Jamais mon cœur ne sentit ravissement plus sincère qu’en cet instant.

 

«Monsieur, m’écriai-je, l’applaudissement d’un homme de bien tel que je suis sûr que vous l’êtes ajoute au bonheur que votre bienfaisance a déjà fait naître en mon sein. Vous avez devant vous, monsieur, ce docteur Primrose, le monogame, qu’il vous a plu d’appeler grand. Vous voyez ici ce théologien infortuné qui combat depuis si longtemps, il me siérait mal de dire avec succès, contre la deutérogamie du siècle. – Monsieur, s’écria l’étranger frappé d’une crainte respectueuse, j’ai peur d’avoir été trop familier; mais vous excuserez ma curiosité, monsieur; je vous demande pardon. – Monsieur, dis-je en lui saisissant la main, vous êtes si loin de me déplaire par votre familiarité, qu’il faut que je vous demande d’accepter mon amitié, comme vous avez déjà mon estime. – C’est donc avec gratitude que j’en accepte l’offre, s’écria-t-il en me serrant la main. O toi, glorieux pilier de l’inébranlable orthodoxie! et contemplé-je…» Ici j’interrompis ce qu’il allait dire, car, bien qu’en qualité d’auteur je pusse digérer une portion non médiocre de flatterie, pour le moment ma modestie n’en voulut pas permettre davantage. Cependant jamais amoureux de roman ne cimentèrent amitié plus instantanée. Nous causâmes sur plusieurs sujets; d’abord il me sembla qu’il paraissait plutôt dévot que savant, et je commençais à croire qu’il méprisait toutes les doctrines humaines comme un vain fatras. Mais ceci ne l’abaissait nullement dans mon estime, car je m’étais mis depuis quelque temps à entretenir secrètement moi-même une opinion semblable. Aussi en pris-je occasion de remarquer que le monde en général commençait à être d’une indifférence blâmable en matière de doctrines et se laissait trop guider par les spéculations humaines. «Oui, certes, monsieur, répliqua-t-il, comme s’il avait réservé toute sa science pour ce moment, oui, certes, le monde retombe en enfance, et pourtant la cosmogonie ou création du monde a rendu perplexes les philosophes de tous les âges. Quelle mêlée d’opinions n’ont-ils pas soulevée sur la création du monde! Sanchoniathon, Manéthon, Bérose et Ocellus Lucanus ont tous tenté la question, mais en vain. Le dernier a ces paroles: Anarchon ara kai ateleutaion to pan, ce qui implique que toutes les choses n’ont ni commencement ni fin. Manéthon aussi, qui vivait environ le temps de Nebuchadon-Asser, – Asser étant un mot syriaque appliqué d’ordinaire en surnom aux rois du pays, comme Teglat Phael-Asser, Nabon-Asser, – lui aussi, dis-je, forma une hypothèse également absurde; car, comme nous disons d’ordinaire, ek to biblion kubernetes, – ce qui implique que les livres n’enseigneront jamais le monde, – ainsi il essaya de porter ses investigations… Mais, monsieur, je vous demande pardon; je m’écarte de la question.» Et en effet, il s’en écartait; sur ma vie, je ne pouvais voir ce que la création du monde avait à faire dans ce dont je parlais; mais cela suffisait pour me montrer que c’était un homme qui avait des lettres, et maintenant je l’en révérais davantage. Je voulais cependant le soumettre à la pierre de touche; mais il était trop doux et trop paisible pour disputer la victoire. Toutes les fois que je faisais une observation qui avait l’air d’un défi à la controverse, il souriait, secouait la tête et ne disait rien; à quoi je comprenais qu’il aurait pu en dire beaucoup s’il l’avait jugé convenable. Le sujet de la conversation en vint donc insensiblement des affaires de l’antiquité à celle qui nous amenait tous les deux, à la foire. La mienne, lui dis-je, était de vendre mon cheval et, par une véritable chance, la sienne était d’en acheter un pour un de ses tenanciers.

Mon cheval fut bientôt présenté, et, à la fin, nous fîmes marché. Il ne restait plus qu’à me payer; en conséquence, il tira un billet de banque de trente livres et me pria de lui en faire la monnaie. Comme je n’étais pas en position de satisfaire à sa demande, il ordonna d’appeler son valet de pied, qui fit son apparition dans une livrée élégante. «Tenez, Abraham, dit-il, allez chercher de l’or pour ceci; vous en trouverez chez le voisin Jackson, ou n’importe où.» Pendant que l’homme était absent, il me régala d’une pathétique harangue sur la grande rareté de l’argent, que j’entrepris de compléter en déplorant aussi la grande rareté de l’or; de sorte qu’au moment où Abraham revint, nous étions tous les deux tombés d’accord que jamais les espèces monnayées n’avaient été si dures à atteindre. Abraham revenait nous informer qu’il avait été par toute la foire sans pouvoir trouver de monnaie, quoiqu’il eût offert une demi-couronne pour qu’on lui en donnât. Ce fut pour nous tous une contrariété très grande; mais le vieux gentleman, ayant réfléchi un peu, me demanda si je connaissais dans mes parages un certain Salomon Flamborough. Sur ma réponse que nous habitions porte à porte: «S’il en est ainsi, reprit-il, je crois alors que nous allons faire affaire. Vous aurez une traite sur lui, payable à vue, et laissez-moi vous dire que c’est un homme aussi solide que pas un à cinq milles à la ronde. L’honnête Salomon et moi, il y a bien des années que nous nous connaissons. Je me rappelle que je le battais toujours aux trois sauts, mais il pouvait sauter à cloche-pied plus loin que moi.» Une traite sur mon voisin était pour moi la même chose que de l’argent, car j’étais suffisamment convaincu de sa solvabilité. La traite fut signée et remise en mes mains; et M. Jenkinson, le vieux gentleman, Abraham, son domestique, et le vieux Blackberry, mon cheval, s’éloignèrent au trot, très contents les uns des autres.

Après un court intervalle, laissé à mes réflexions, je me mis à songer que j’avais eu tort d’accepter une traite d’un inconnu, et, en conséquence, je résolus prudemment de poursuivre l’acheteur et de reprendre mon cheval. Mais il était trop tard. Je me dirigeai donc aussitôt vers la maison, voulant échanger ma traite pour de l’argent le plus tôt possible. Je trouvai mon honnête voisin fumant sa pipe à sa porte, et, lorsque je l’eus informé que j’avais un petit effet sur lui, il le lut deux fois. «Vous pouvez lire le nom, je suppose, dis-je; Ephraïm Jenkinson. – Oui, répondit-il, le nom est écrit très lisiblement, et je connais aussi le gentleman, le plus grand fripon qui soit sous la calotte des cieux. C’est précisément le même coquin qui nous a vendu les lunettes. N’était-ce pas un homme d’air vénérable, avec des cheveux gris et pas de patte à ses poches? Et n’a-t-il pas débité une longue tirade de science sur le grec, et la cosmogonie, et le monde?» Je répondis par un gémissement. «Oui, oui, continua-t-il; il n’a à son service, en fait de science, que ce seul morceau, et il le lâche toujours chaque fois qu’il trouve un savant dans la compagnie; mais je connais le coquin, et je le rattraperai.»

6Parce qu’il est de deux couleurs et qu’il brave les orages.