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Le Vicaire de Wakefield

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Chapitre XXX

Un avenir meilleur commence à paraître. – Restons inébranlables, et la fortune à la fin changera en notre faveur

LORSQUE j’eus ainsi terminé et que mon auditoire se fut retiré, mon geôlier, qui était un des plus humains de sa profession, tout en exprimant l’espoir que je ne serais pas mécontent, car ce qu’il faisait n’était que son devoir, déclara qu’il devait absolument transférer mon fils dans une cellule plus sûre; mais il aurait la permission de venir me voir tous les matins. Je le remerciai de sa clémence, et, serrant la main de mon garçon, je lui dis adieu, en lui recommandant de se souvenir du grand devoir qu’il avait devant lui.

Je me recouchai, et un de mes petits garçons était à mon chevet, en train de lire, lorsque M. Jenkinson entra m’informer qu’on avait des nouvelles de ma fille; une personne l’avait vue il y avait environ deux heures en compagnie d’un gentleman étranger; ils s’étaient arrêtés à un village voisin pour se rafraîchir, et ils semblaient revenir vers la ville. Il m’avait à peine communiqué cette nouvelle, que le geôlier survint avec un air d’empressement et de plaisir, et m’apprit que ma fille était retrouvée. Moïse entra en courant un moment après, criant que sa sœur Sophia était en bas et montait avec notre vieil ami M. Burchell.

Au moment où il racontait sa nouvelle, ma bien-aimée fille entra, et, l’air presque égaré par la joie, accourut m’embrasser dans un transport d’affection. Sa mère, de son côté, témoignait de son bonheur par ses larmes et son silence. «Voici, papa, s’écria ma charmante enfant, voici l’homme courageux à qui je dois ma délivrance; c’est à l’intrépidité de ce gentleman que je suis redevable de mon bonheur et de ma sûreté.» Un baiser de M. Burchell, dont le plaisir semblait encore plus grand que le sien, interrompit ce qu’elle allait ajouter.

«Ah! monsieur Burchell, m’écriai-je, c’est dans une misérable demeure que vous nous trouvez aujourd’hui, et nous voilà maintenant bien différents de ce que vous nous avez vus la dernière fois. Vous avez toujours été notre ami; nous avons découvert depuis longtemps nos erreurs à votre égard, et nous nous sommes repentis de notre injustice. Après l’indigne traitement que vous avez reçu de moi, j’ai presque honte de vous regarder en face. Cependant j’espère que vous me pardonnerez, car j’ai été trompé par un misérable, vil et sans générosité, qui, sous le masque de l’amitié, m’a déshonoré.

– Il est impossible, répondit M. Burchell, que je vous pardonne, car vous n’avez jamais mérité mon ressentiment. J’ai vu en partie votre illusion à l’époque, et comme il était hors de mon pouvoir de l’arrêter, je n’ai pu qu’en prendre pitié.

«J’ai toujours pensé que vous aviez un noble esprit; aujourd’hui, je vois qu’il en est ainsi réellement. Mais dis-moi, chère enfant, comment as-tu été secourue, et qui étaient les ruffians qui t’enlevaient?

– En vérité, monsieur, répondit-elle, quant au scélérat qui m’enlevait, je ne le connais pas encore. Car, pendant que nous nous promenions, maman et moi, il arriva derrière nous, et avant que j’eusse eu le temps de crier au secours, il me poussa de force dans la chaise de poste, et en un instant les chevaux partirent. Je rencontrai plusieurs personnes sur la route, à qui je criai pour demander assistance; mais elles n’écoutèrent pas mes supplications. En même temps, le coquin usait de tous les moyens pour m’empêcher de crier: il flattait et menaçait tour à tour, il jurait que, si je gardais le silence, il n’avait aucune mauvaise intention. Cependant j’avais déchiré le store qu’il avait baissé, et voilà que j’aperçois à quelque distance votre vieil ami, M. Burchell, marchant comme à l’ordinaire de son pas rapide, avec le grand bâton à propos duquel nous nous moquions tant de lui. Dès que nous fûmes à portée de son oreille, je l’appelai par son nom et invoquai son aide. Je répétai mon cri plusieurs fois, et alors, d’une voix très haute, il ordonna au postillon d’arrêter; mais le garçon n’y prit pas garde et continua d’aller plus vite encore. Je pensais que M. Burchell ne pourrait jamais nous rattraper, quand, en moins d’une minute, je le vis arriver en courant à côté des chevaux et d’un seul coup renverser le postillon à terre. Lorsqu’il fut tombé, les chevaux s’arrêtèrent bientôt d’eux-mêmes, et le ruffian, descendant de voiture avec des jurons et des menaces, tira son épée et lui ordonna de se retirer s’il ne voulait jouer sa vie; mais M. Burchell s’élança, brisa l’épée en morceaux et le poursuivit pendant près d’un quart de mille; il parvint pourtant à s’échapper. J’étais alors descendue moi-même, prête à aider mon libérateur; mais il revint bientôt triomphant vers moi. Le postillon, qui avait repris ses sens, était sur le point de se sauver aussi; mais M. Burchell lui ordonna d’une façon menaçante de remonter et de retourner à la ville. Voyant qu’il était impossible de résister, il obéit à contre-cœur, bien que la blessure qu’il avait reçue semblât être, à moi, du moins, dangereuse. Pendant le retour, il se plaignait constamment, tant qu’à la fin il excita la compassion de M. Burchell, qui, à ma prière, le changea pour un autre à une auberge, où nous nous arrêtâmes dans le trajet.

– Sois donc la bienvenue, mon enfant, m’écriai-je, et toi, son vaillant libérateur, le bienvenu mille fois. Bien que nous n’ayons qu’une table misérable, nos cœurs sont prêts à vous recevoir. Et maintenant, monsieur Burchell, puisque vous avez sauvé ma fille, si vous pensez que c’est une récompense, elle est à vous; si vous pouvez descendre jusqu’à une alliance avec une famille aussi pauvre que la mienne, prenez-la, obtenez son consentement, car je sais que vous avez son cœur, et vous avez aussi le mien. Et laissez-moi vous dire, monsieur, que ce n’est pas un petit trésor que je vous donne. On a vanté sa beauté, il est vrai, mais ce n’est pas ce que je veux dire; je vous donne un trésor, qui est son cœur.

– Mais je suppose, s’écria M. Burchell, que vous êtes au courant de ma situation et de l’incapacité où je suis de lui faire l’existence qu’elle mérite?

– Si votre objection présente, répliquai-je, est faite pour éluder mon offre, je la retire; mais je ne connais aucun homme aussi digne de mériter ma fille que vous; si je pouvais la donner à mille et que mille me la demandassent, mon honnête et brave Burchell serait encore le choix de mon cœur.»

A tout ceci son silence seul sembla donner un refus mortifiant, et, sans la moindre réponse à mon offre, il demanda s’il ne pourrait avoir des rafraîchissements de l’auberge voisine. On lui répondit affirmativement; il ordonna alors d’envoyer le meilleur dîner qui pourrait se faire en peu de temps. Il commanda aussi une douzaine de bouteilles du meilleur vin et quelques cordiaux pour moi, ajoutant avec un sourire qu’il voulait se lancer un peu pour une fois; et, quoique dans une prison, il affirmait qu’il n’avait jamais été mieux disposé à la gaieté. Le garçon fit bientôt son apparition avec les préparatifs du dîner; le geôlier, qui se montrait d’une remarquable assiduité, nous prêta une table; le vin fut disposé en ordre, et l’on apporta deux plats très bien préparés.

Ma fille n’avait pas encore appris la triste position de son frère, et nous étions tous désireux de ne pas gâter son plaisir par ce récit. Mais c’était en vain que je m’efforçais de paraître joyeux; la situation de mon infortuné fils me revenait toujours au milieu de tous mes efforts pour me contraindre; de sorte qu’à la fin je fus obligé de troubler notre réjouissance en racontant ses malheurs et en témoignant le désir qu’on lui permît de partager avec nous ce court moment de satisfaction. Lorsque mes convives se furent remis de la consternation produite par mes paroles, je demandai aussi qu’on admît mon compagnon de prison, M. Jenkinson, et le geôlier accorda ma requête avec un air de soumission inaccoutumé. Le cliquetis des fers de mon fils ne se fit pas plus tôt entendre le long du corridor, que sa sœur courut impatiemment à sa rencontre: pendant ce temps, M. Burchell me demandait si le nom de mon fils était George; je répondis affirmativement, et il continua à garder le silence. Dès que mon garçon entra dans la chambre, je m’aperçus qu’il regardait M. Burchell avec un air d’étonnement et de respect. «Allons! mon fils, m’écriai-je; quoique nous soyons tombés bien bas, il a cependant plu à la Providence d’accorder quelque relâche à nos douleurs. Ta sœur nous est rendue, et voici son libérateur; c’est à cet homme courageux que je dois d’avoir encore une fille. Donne-lui, mon garçon, la main de l’amitié; il mérite notre plus chaude reconnaissance.»

Mon fils, pendant tout ce temps, semblait ne pas prendre garde à ce que je disais et restait immobile à une distance respectueuse. «Mon frère chéri, s’écria sa sœur, pourquoi ne remerciez-vous pas mon bon libérateur? Les braves doivent s’aimer les uns les autres.»

Il continuait à rester dans le silence et l’étonnement; enfin notre hôte, s’apercevant qu’il était reconnu, donna à son visage toute sa dignité naturelle et pria mon fils d’avancer. Jamais je n’avais rien vu encore de si vraiment majestueux que l’air qu’il prit en cette occasion. Le plus grand spectacle de l’univers, dit certain philosophe, est celui d’un homme juste luttant contre l’adversité; il y en a pourtant un plus grand encore, c’est celui de l’homme juste qui vient à l’adversité pour la soulager. Lorsqu’il eut regardé quelque temps mon fils d’un air imposant: «Je vois encore, dit-il, enfant étourdi, que le même crime…» Mais il fut interrompu par un des aides du geôlier qui venait nous informer qu’une personne de distinction, arrivée en ville avec un équipage et plusieurs serviteurs, envoyait ses respects au gentleman qui était avec nous, et demandait à savoir à quel moment il jugerait bon d’admettre sa visite. «Dites à cet homme, s’écria notre hôte, d’attendre que j’aie le loisir de le recevoir.» Puis, se tournant vers mon fils: «Je vois encore, monsieur, reprit-il, que vous êtes coupable de la même faute pour laquelle vous avez jadis eu mon blâme, et pour laquelle la loi prépare maintenant ses plus justes châtiments. Vous vous imaginez peut-être que le mépris de votre propre vie vous donne le droit de prendre celle d’un autre; mais où est, monsieur, la différence entre un duelliste qui hasarde une vie sans valeur et le meurtrier qui agit avec une sécurité plus grande? Y a-t-il diminution dans la fraude du joueur, lorsqu’il allègue qu’il avait déposé son enjeu?

 

– Hélas! monsieur, m’écriai-je, qui que vous soyez, plaignez la pauvre créature égarée; car ce qu’il a fait, il l’a fait pour obéir à une mère abusée, qui, dans l’amertume de son ressentiment, le mettait en demeure, au prix de sa bénédiction, de venger sa cause. Voici, monsieur, la lettre qui servira à vous convaincre de l’imprudence de la mère et à atténuer le crime du fils.»

Il prit la lettre et la parcourut rapidement. «Ceci, reprit-il, bien que ce ne soit pas une complète excuse, amoindrit tellement sa faute que je suis disposé à lui pardonner. Et maintenant, monsieur, continua-t-il en prenant amicalement mon fils par la main, je vois que vous êtes surpris de me trouver ici; mais j’ai souvent visité des prisons en des occasions moins intéressantes. Je suis venu pour voir justice rendue à un digne homme pour qui j’ai la plus sincère estime. Je suis depuis longtemps le spectateur déguisé de la bonté de votre père. J’ai, dans sa petite demeure, joui d’un respect que ne souillait point la flatterie, et j’y ai reçu dans l’aimable simplicité de son foyer domestique le bonheur que les cours ne sauraient donner. Mon neveu a été informé de mon intention de venir ici, et je vois qu’il est arrivé. Ce serait faire tort à lui et à vous que de le condamner sans examen. S’il y a offense, il doit y avoir réparation; et, je puis le dire sans me vanter, personne n’a jamais taxé d’injustice sir William Thornhill.»

Nous découvrions maintenant que le personnage que nous avions si longtemps reçu comme un compagnon amusant et sans conséquence n’était autre que le célèbre sir William Thornhill, dont personne, pour ainsi dire, n’ignorait les vertus et les singularités. Le pauvre M. Burchell était en réalité un homme de grande fortune et de puissant crédit, que les assemblées politiques écoutaient et applaudissaient, et dont la parole avait la confiance des partis; un homme qui était l’ami de son pays, mais en restant fidèle à son roi. Ma pauvre femme, se rappelant son ancienne familiarité, paraissait trembler de confusion; mais Sophia, qui, quelques moments auparavant, le croyait à elle, voyant maintenant la distance immense où le mettait sa fortune, était incapable de cacher ses larmes.

«Ah! monsieur, s’écria ma femme, avec un visage consterné, comment sera-t-il possible que j’aie jamais votre pardon? Le manque d’égards que je vous ai témoigné la dernière fois que j’ai eu l’honneur de vous voir dans notre maison, et les plaisanteries que j’ai audacieusement lancées, ces plaisanteries, monsieur, je le crains, ne pourront jamais m’être pardonnées.

– Ma chère bonne dame, répondit-il avec un sourire, si vous avez eu votre plaisanterie, j’ai eu ma réponse; je laisserai à juger à toute la compagnie si la mienne n’était pas aussi bonne que la vôtre. A dire la vérité, je ne sais personne contre qui je sois disposé à avoir de la colère à présent, sauf l’individu qui a tellement épouvanté ma petite fillette ici. Je n’ai même pas eu le temps d’examiner assez l’extérieur du coquin pour afficher son signalement. Pouvez-vous me dire, Sophia, ma chérie, si vous le reconnaîtriez?

– Vraiment, monsieur, répliqua-t-elle, je ne saurais l’affirmer; cependant je me rappelle maintenant qu’il avait une large marque au-dessus d’un des sourcils. – Je vous demande pardon, mademoiselle, interrompit Jenkinson, qui était présent; mais soyez assez bonne pour me dire si l’individu montrait ses propres cheveux rouges. – Oui, certes, dit Sophia. – Et Votre Honneur, continua-t-il en se tournant vers sir William, a-t-il observé la longueur de ses jambes? – Je ne saurais être sûr de leur longueur, s’écria le baronnet, mais je suis convaincu de leur vitesse; car il m’a laissé en arrière, chose que je croyais peu d’hommes capables de faire dans le royaume. – Avec la permission de Votre Honneur, s’écria Jenkinson, je connais l’homme. C’est certainement lui; le meilleur coureur de l’Angleterre: il a battu Pinwire, de Newcastle. Son nom est Timothy Baxter; je le connais parfaitement, et aussi le lieu précis où il s’est retiré pour le moment. Si Votre Honneur veut ordonner à M. le geôlier de laisser deux de ses hommes venir avec moi, je m’engage à le produire devant vous dans une heure au plus.» Là-dessus on appela le geôlier, qui apparut immédiatement, et sir William lui demanda s’il le connaissait. – Oui, s’il plaît à Votre Honneur, répliqua le geôlier, je connais bien sir William Thornhill, et quiconque connaît quelque chose de lui désire en connaître davantage. – Eh bien, alors, dit le baronnet, ma demande est que vous permettiez à cet homme et à deux de vos aides d’aller s’acquitter d’un message par mon ordre, et comme je fais partie de la commission des juges de paix, je m’engage à vous garantir. – Votre promesse suffit, répliqua l’autre, et vous pouvez d’une minute à l’autre les envoyer à travers l’Angleterre partout où Votre Honneur le juge bon.»

En conséquence du consentement du geôlier, Jenkinson fut dépêché à la recherche de Timothy Baxter, pendant que nous nous amusions des amitiés de notre plus jeune garçon, Bill, qui venait d’entrer et qui grimpait au cou de sir William pour l’embrasser. Sa mère allait immédiatement châtier sa familiarité, mais le digne homme l’en empêcha et prenant sur ses genoux l’enfant, tout en haillons qu’il était: «Eh quoi! Bill, mon fripon joufflu, s’écria-t-il, vous rappelez-vous votre vieil ami Burchell? Et vous, Dick, mon bon vieux camarade, êtes-vous ici? Vous verrez que je ne vous ai pas oubliés.» Ce disant, il leur donna à chacun un gros morceau de pain d’épices, que les pauvres diables mangèrent de grand appétit, car ils n’avaient eu ce matin-là qu’un déjeuner très succinct.

Nous nous mîmes alors à table; le dîner était presque froid. Mais auparavant, comme mon bras était toujours douloureux, sir William écrivit une ordonnance, car il avait étudié la médecine pour se distraire, et il était dans cet art d’une habileté au-dessus de la moyenne. On l’envoya à un apothicaire qui demeurait dans la localité; mon bras fut pansé, et je sentis un soulagement presque immédiat. Nous fûmes servis à table par le geôlier lui-même, qui tenait à rendre à notre hôte tous les honneurs en son pouvoir. Nous n’avions pas encore tout à fait fini, lorsqu’on apporta un autre message de la part de son neveu, demandant la permission de paraître pour établir son innocence et son honneur. Le baronnet consentit à la requête et demanda qu’on introduisît M. Thornhill.

CHAPITRE XXXI

Anciens bienfaits inopinément payés avec usure

MONSIEUR Thornhill fit son entrée muni du sourire qui ne le quittait presque jamais, et il allait embrasser son oncle; mais celui-ci le repoussa d’un air de mépris. «Pas de caresses menteuses à présent, monsieur, s’écria le baronnet, le regard sévère. Le seul chemin de mon cœur est la route de l’honneur; mais ici je ne vois qu’un tissu compliqué de fausseté, de couardise et d’oppression. Comment se fait-il, monsieur, que ce pauvre homme, pour qui je sais que vous professiez de l’amitié, soit traité si durement? Sa fille bassement séduite en récompense de son hospitalité, et lui jeté en prison, peut-être pour avoir ressenti l’outrage! Son fils aussi, que vous avez eu peur d’affronter en homme…

– Est-il possible, monsieur, interrompit son neveu, que mon oncle puisse reprocher comme un crime ce que ses instructions réitérées m’ont seules persuadé d’éviter?

– Votre reproche est juste, s’écria sir William. Vous avez, en cette circonstance, agi prudemment et bien, quoiqu’un peu différemment peut-être de ce qu’eût fait votre père. Mon frère était vraiment l’honneur même; mais toi… Oui, vous avez agi dans cette circonstance parfaitement bien, et j’y donne ma plus chaude approbation.

– Et j’espère, dit son neveu, que le reste de ma conduite ne se trouvera pas mériter la censure. Je me suis montré, monsieur, avec la fille de ce gentleman dans quelques lieux publics de divertissement; et ainsi, ce qui était légèreté, le scandale l’a nommé d’un nom plus fort, et l’on a prétendu que je l’avais débauchée. Je me suis présenté en personne à son père, voulant éclaircir la chose à sa satisfaction; mais il ne m’a reçu qu’avec des insultes et des injures. Quant au reste, pour ce qui est de son séjour ici, mon avoué et mon intendant pourront vous renseigner mieux que moi, car je leur abandonne entièrement l’administration des affaires. S’il a contracté des dettes, et qu’il ne veuille, ou même qu’il ne puisse pas les payer, c’est leur affaire de procéder de cette manière, et je ne vois ni dureté ni injustice à employer les moyens de recouvrement les plus légaux.

– S’il en est, dit sir William, comme vous l’avez déclaré, il n’y a rien d’impardonnable dans votre offense; et bien que votre conduite eût pu être plus généreuse en ne permettant pas que ce gentleman fût opprimé par la tyrannie des subalternes, elle a du moins été équitable.

– Il ne peut contredire un seul point, répliqua le squire. Je le défie de le faire, et plusieurs de mes domestiques sont prêts à attester ce que je dis. Ainsi, monsieur, continua-t-il en voyant que je gardais le silence, car en fait je ne pouvais pas le contredire, ainsi, monsieur, mon innocence est bien établie; mais, bien qu’à votre prière je sois prêt à pardonner à ce gentleman toutes les autres offenses, ses tentatives pour m’amoindrir dans votre estime excitent en moi un ressentiment que je ne puis maîtriser. Et ceci justement à l’heure où son fils se préparait effectivement à m’enlever la vie. C’est là, dis-je, un crime tel que je suis résolu à laisser la loi suivre son cours. J’ai ici le cartel qui m’a été envoyé et deux témoins pour le prouver; un de mes domestiques a été blessé dangereusement, et, quand mon oncle lui-même m’en dissuaderait, ce que je sais qu’il ne fera pas, je ferai en sorte que justice publique soit faite et qu’il soit puni de ce qu’il a fait.

– Monstre! cria ma femme, n’as-tu pas eu assez de vengeance déjà, et faut-il que mon pauvre garçon ressente ta cruauté? J’espère que le bon sir William nous protègera, car mon fils est aussi innocent qu’un enfant; je suis sûre qu’il l’est et qu’il n’a jamais fait de mal à personne.

– Madame, répliqua l’excellent homme, vos souhaits pour son salut ne sont pas plus grands que les miens; mais je regrette de trouver son crime trop évident, et si mon neveu persiste…» Mais notre attention fut détournée à ce moment par l’apparition de Jenkinson et des deux aides du geôlier, qui entrèrent traînant un homme de haute taille, très bien mis, et répondant à la description déjà donnée du coquin qui avait enlevé ma fille. «Voici! cria Jenkinson en le tirant dans la chambre. Voici! nous l’avons; et s’il y a jamais eu un candidat pour Tyburn11, c’est celui-là.»

A l’instant où M. Thornhill aperçut le prisonnier et Jenkinson qui l’avait en garde, il sembla reculer d’effroi. Sa figure devint pâle de la conscience du crime accompli, et il aurait voulu disparaître; mais Jenkinson, qui s’aperçut de son dessein, l’arrêta. «Quoi! squire, s’écria-t-il, avez-vous honte de vos deux vieilles connaissances, Jenkinson et Baxter? C’est pourtant ainsi que tous les grands oublient leurs amis; mais j’ai décidé que nous ne vous oublierions pas. Notre prisonnier, avec la permission de Votre Honneur, continua-t-il en se tournant vers sir William, a déjà confessé tout. C’est lui le gentleman qu’on dit avoir été si dangereusement blessé; il déclare que c’est M. Thornhill qui l’a engagé dans cette affaire, qui lui a donné les vêtements qu’il porte maintenant pour avoir l’air d’un gentleman, et qui lui a fourni la chaise de poste. Le plan était formé entre eux qu’il enlèverait la jeune demoiselle en lieu sûr, et que là il la menacerait et la terrifierait; mais M. Thornhill devait, sur ces entrefaites, arriver, comme par hasard, à son secours; ils se seraient battus un moment, puis il aurait, lui, pris la fuite, et par là M. Thornhill aurait eu la meilleure occasion de gagner sa tendresse en jouant auprès d’elle le rôle de défenseur.»

 

Sir William se rappela cet habit comme ayant été fréquemment porté par son neveu; tout le reste, le prisonnier lui-même le confirma dans un récit plus circonstancié, ajoutant pour conclure que M. Thornhill lui avait souvent déclaré qu’il aimait les deux sœurs à la fois.

«Cieux! s’écria sir William, quelle vipère ai-je nourrie dans mon sein! Et lui qui semblait être si amateur de la justice publique! Eh bien! il l’aura. Assurez-vous de lui, monsieur le geôlier… Cependant arrêtez, je crains qu’il n’y ait pas de preuves légales pour le détenir.»

Alors M. Thornhill, avec la plus grande humilité, supplia de ne pas admettre deux aussi fieffés misérables comme preuves contre lui, mais d’interroger ses domestiques. – «Vos domestiques! répliqua sir William. Misérable, ne les appelez plus vôtres. Mais voyons, entendons ce que ces gens-là ont à dire. Faites entrer son sommelier.»

Lorsque le sommelier fut introduit, il s’aperçut bientôt, à l’air de son ancien maître, que tout le pouvoir de celui-ci était désormais passé. «Dites-moi, demanda sévèrement sir William, avez-vous jamais vu ensemble votre maître et cet individu-là qui est revêtu de ses habits? – Oui, s’il plaît à Votre Honneur, s’écria le sommelier, mille fois; c’était l’homme qui lui amenait toujours ses dames. – Comment! interrompit le jeune M. Thornhill, dire ceci à ma face! – Oui, répliqua le sommelier, à la face de n’importe qui. Pour vous dire une vérité, maître Thornhill, je ne vous ai jamais ni aimé ni goûté, et je ne m’inquiète pas, à l’heure qu’il est, de vous dire ce que je pense. – Alors, s’écria Jenkinson, dites maintenant à Son Honneur si vous savez quelque chose de moi. – Je ne peux pas dire, répliqua le sommelier, que je sache rien de bien bon de vous. La nuit que la fille de ce gentleman a été amenée par tromperie dans notre maison, vous en étiez. – En vérité, s’écria sir William, je vois que vous produisez un excellent témoin pour prouver votre innocence. Souillure de l’humanité! t’associer à de tels misérables!..» Puis, continuant son interrogatoire: «Vous me dites, monsieur le sommelier, que c’est là la personne qui lui a amené la fille de ce vieux gentleman. – Non, s’il plaît à Votre Honneur, répliqua le sommelier, il ne la lui amena pas, car c’est le squire lui-même qui s’est chargé de cette affaire; mais il a amené le prêtre qui a fait semblant de les marier. – Ce n’est que trop vrai, s’écria Jenkinson; je ne puis le nier; c’est là l’emploi qui me fut assigné, et je le confesse, à ma confusion.

– Juste ciel! exclama le baronnet, comme chaque nouvelle découverte de son infamie m’épouvante! Tout son crime n’est maintenant que trop évident, et je vois que ses poursuites ont été dictées par la tyrannie, la lâcheté et la vengeance. A ma requête, monsieur le geôlier, mettez en liberté ce jeune officier, actuellement votre prisonnier, et reposez-vous sur moi pour les conséquences. Je fais mon affaire de présenter le cas sous son vrai jour à mon ami le magistrat auquel il a été commis. Mais où est l’infortunée demoiselle? Qu’elle paraisse pour se confronter avec ce misérable. J’ai hâte de savoir par quels artifices il l’a séduite. Priez-la d’entrer. Où est-elle?

– Ah! monsieur, dis-je; cette question me perce le cœur. J’avais, il est vrai, jadis la bénédiction d’avoir une fille, mais ses malheurs…» – Une autre interruption m’empêcha ici de poursuivre, car une personne apparut; et qui était-ce? Miss Arabella Wilmot elle-même, celle qui devait, le jour suivant, être mariée à M. Thornhill. Rien ne put égaler sa surprise en voyant sir William et son neveu là devant elle, car sa venue était toute fortuite. Il se trouva qu’elle et le vieux gentleman, son père, traversaient la ville en allant chez sa tante, qui avait voulu que ses noces avec M. Thornhill fussent célébrées chez elle. Ils s’étaient arrêtés pour se rafraîchir et étaient descendus à une auberge à l’autre extrémité de la ville. C’était là que, de la fenêtre, la jeune demoiselle avait remarqué par hasard un de mes petits garçons jouant dans la rue; elle avait aussitôt envoyé un valet chercher l’enfant et avait appris de lui quelques détails sur nos infortunes; mais elle ignorait encore que le jeune M. Thornhill en fût la cause. Bien que son père lui eût remontré à plusieurs reprises l’inconvenance de venir nous voir dans une prison, les remontrances étaient restées sans effet; elle pria l’enfant de la conduire, ce qu’il fit; et c’est ainsi qu’elle nous surprit dans une conjoncture si inattendue.

Mais je ne saurais continuer sans faire une réflexion sur ces rencontres accidentelles qui, bien qu’elles arrivent tous les jours, excitent rarement notre surprise, si ce n’est dans quelque extraordinaire occasion. A quelle circonstance fortuite ne devons-nous pas chaque plaisir et chaque agrément de nos existences? Combien d’accidents apparents ne doivent pas concourir avant que nous puissions être vêtus ou nourris! Il faut que le paysan soit disposé à travailler, que l’averse tombe, que le vent remplisse la voile du marchand; sans quoi des multitudes manqueraient de leurs ressources accoutumées.

Nous restâmes tous en silence quelques instants, pendant que ma charmante élève – c’était le nom que j’étais habitué à donner à cette jeune demoiselle – unissait dans ses regards la pitié et l’étonnement; ce qui donnait à sa beauté de nouvelles perfections. «Vraiment, mon cher monsieur Thornhill, s’écria-t-elle en s’adressant au squire qu’elle supposait venir ici pour nous secourir et non pour nous opprimer, je vous sais un peu mauvais gré de venir ici sans moi et de ne m’avoir jamais informée de la situation d’une famille qui nous est si chère à tous deux. Vous savez que j’aurais autant de plaisir à contribuer au soulagement de mon révérend vieux maître ici présent que vous pouvez en avoir vous-même. Mais je vois que, comme votre oncle, vous prenez plaisir à faire le bien en secret.

– Il trouve plaisir à faire le bien! s’écria sir William en l’interrompant. Non, ma chère enfant, ses plaisirs sont aussi vils que lui-même. Vous voyez en lui, mademoiselle, le scélérat le plus complet qui ait jamais déshonoré l’humanité. Un misérable, qui, après avoir trompé la fille de ce pauvre homme, après avoir comploté contre l’innocence de la sœur, a jeté le père en prison et le fils aîné dans les fers, parce que celui-ci avait le courage d’affronter le traître. Et permettez-moi, mademoiselle, de vous féliciter maintenant d’échapper aux embrassements d’un tel monstre.

– O bonté divine! s’écria l’aimable fille. Que j’ai été déçue! M. Thornhill m’a donné comme certain que le fils aîné de ce gentleman, le capitaine Primrose, était parti pour l’Amérique avec sa jeune épouse.

– Ma douce demoiselle, s’écria ma femme, il ne vous a dit que des faussetés. Mon fils George n’a jamais quitté le royaume ni n’a jamais été marié. Quoique vous l’ayez abandonné, il vous a toujours trop aimée pour penser à une autre, et je lui ai entendu dire qu’il mourrait garçon pour l’amour de vous.» Et elle continua à s’étendre sur la sincérité de la passion de son fils; elle mit son duel avec M. Thornhill dans son vrai jour; de là elle fit une rapide digression sur les débauches du squire, sur ses prétendus mariages, et termina par le plus outrageant tableau de sa couardise.

«Ciel bon! s’écria miss Wilmot; que j’ai été près du bord de l’abîme! Mais que mon plaisir est grand d’y avoir échappé! Les mille faussetés que ce gentleman m’a dites! Il a eu assez d’art à la fin pour me persuader que ma promesse au seul homme que j’aie estimé ne me liait plus désormais, puisqu’il m’avait été infidèle. Par ses faussetés j’ai appris à détester celui qui était aussi brave que généreux!»

11Lieu où l’on pendait les criminels. Le Montfaucon de l’Angleterre.