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Le Vicaire de Wakefield

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CHAPITRE XXI

Courte durée de l’amitié entre les méchants; elle ne subsiste qu’aussi longtemps qu’ils y trouvent leur mutuelle satisfaction

LE récit de mon fils était trop long pour être fait d’un seul coup. Il en commença la première partie ce soir-là, et il finissait le reste, après dîner, le lendemain, lorsque l’apparition de l’équipage de M. Thornhill à la porte sembla mettre un temps d’arrêt dans la satisfaction générale. Le sommelier, qui était maintenant mon ami dans la maison, m’informa tout bas que le squire avait déjà fait quelques ouvertures à miss Wilmot, et que sa tante et son oncle avaient l’air d’approuver grandement cette alliance. Lorsque M. Thornhill entra, il parut, en voyant mon fils et moi, faire un mouvement en arrière; mais j’attribuai tout de suite cela à la surprise et non au mécontentement. D’ailleurs, lorsque nous nous avançâmes pour le saluer, il nous rendit nos politesses avec toutes les apparences de la franchise; et, un moment après, sa présence ne servait qu’à augmenter la gaieté générale.

Après le thé, il me prit à part pour s’informer de ma fille. Lorsque je lui eus fait savoir que mes recherches avaient été infructueuses, il sembla fort surpris et ajouta qu’il était souvent allé chez moi depuis, afin de porter des consolations au reste de ma famille qu’il avait laissée en parfaite santé. Il demanda ensuite si j’avais fait part du malheur à miss Wilmot ou à mon fils; et sur ma réponse que je ne le leur avais pas dit jusqu’ici, il approuva fortement ma prudence et mes précautions, m’engageant à garder la chose secrète à tout prix: «Car, à le prendre du meilleur côté, s’écria-t-il, ce n’est jamais que proclamer sa propre honte; et peut-être miss Livy n’est-elle pas aussi coupable que nous l’imaginons tous.» Ici, nous fûmes interrompus par un domestique qui vint prier le squire de rentrer pour figurer dans les contredanses; il me laissa absolument convaincu de l’intérêt qu’il semblait prendre à mes affaires. Cependant ses intentions pour miss Wilmot étaient trop évidentes pour qu’on s’y méprît; mais elle n’en semblait pas parfaitement contente et elle les supportait plutôt pour se conformer à la volonté de sa tante que par inclination réelle. J’eus même la satisfaction de la voir accorder à mon infortuné fils quelques regards bienveillants que l’autre ne pouvait lui arracher ni par sa fortune ni par ses assiduités. Le calme apparent de M. Thornhill ne me surprenait pas peu cependant. Il y avait maintenant une semaine que nous étions là, retenus par les pressantes instances de M. Arnold; cependant plus miss Wilmot montrait chaque jour d’affection à mon fils, plus l’amitié de M. Thornhill pour lui semblait s’accroître proportionnellement.

Il nous avait donné jadis les plus bienveillantes assurances qu’il emploierait son crédit à servir notre famille; mais cette fois sa générosité ne se borna pas aux promesses seules. Le matin que j’avais fixé pour mon départ, M. Thornhill vint à moi avec un air de véritable plaisir, pour m’informer d’un service qu’il avait rendu à son ami George. Ce n’était rien moins que de lui avoir obtenu une commission d’enseigne dans un régiment qui allait partir pour les Indes occidentales; il n’en avait promis que cent livres sterling, son influence ayant été suffisante pour faire rabattre les deux cents autres. «Pour ce service, qui n’est que bagatelle, continua le jeune gentilhomme, je ne désire d’autre récompense que d’avoir été utile à mon ami; et pour les cent livres à payer, si vous n’êtes pas en état de les trouver vous-même, je les avancerai, et vous me rembourserez à votre loisir.» C’était une faveur telle que les mots nous manquaient pour exprimer combien nous en étions touchés; je donnai donc avec empressement mon billet de la somme, et je témoignai autant de gratitude que si j’avais eu l’intention de ne jamais payer.

George devait partir le lendemain pour Londres afin de s’assurer de sa commission, conformément aux instructions de son généreux protecteur, qui jugeait très utile de faire diligence, de peur que, sur les entrefaites, quelque autre ne se présentât avec de plus avantageuses propositions. Le lendemain donc, de bonne heure, notre jeune soldat était prêt au départ et semblait la seule personne parmi nous qui n’en fût pas affectée. Les fatigues et les dangers qu’il allait braver, les amis et la maîtresse – car miss Wilmot l’aimait réellement – qu’il laissait derrière lui, ne refroidissaient en rien son ardeur. Après qu’il eut pris congé du reste de la compagnie, je lui donnai tout ce que j’avais, ma bénédiction. «Et maintenant, mon garçon, que tu vas combattre pour ta patrie, m’écriai-je, souviens-toi comment ton brave grand-père combattit pour son roi sacré, lorsque la fidélité chez les Bretons était une vertu. Va, mon fils, imite-le en tout, hors ses infortunes, si ce fut une infortune de mourir avec lord Falkland. Allez, mon fils, et si vous tombez, au loin, nu et privé des pleurs de ceux qui vous aiment, souvenez-vous que les larmes les plus précieuses sont celles que le ciel verse en rosée sur la tête sans sépulture d’un soldat.»

Le matin suivant, je pris congé de la bonne famille qui avait eu l’amabilité de me garder si longtemps, non sans exprimer à plusieurs reprises à M. Thornhill ma gratitude pour sa récente générosité. Je les laissai dans la jouissance de tout le bonheur que l’abondance et la bonne éducation procurent, et je repris le chemin de la maison, désespérant de retrouver jamais ma fille, mais envoyant au ciel mes soupirs pour qu’il l’épargnât et lui donnât pardon. J’étais arrivé à environ vingt milles de la maison, ayant loué un cheval pour me porter, car j’étais encore faible, et je me consolais dans l’espoir de voir bientôt tout ce qui m’était le plus cher sur la terre. Mais comme la nuit venait, je m’arrêtai à une petite auberge sur la route et priai le patron de me tenir compagnie devant une pinte de vin. Nous nous assîmes à côté du feu de la cuisine, qui était la plus belle pièce de la maison, et bavardâmes sur la politique et les nouvelles du pays. Nous en vînmes, entre autres sujets, à parler du jeune squire Thornhill qui, m’assura l’hôte, était détesté autant que son oncle, sir William, qui venait quelquefois au pays, était aimé. Il poursuivit en disant qu’il ne s’appliquait qu’à trahir les filles de ceux qui le recevaient chez eux, et qu’après une quinzaine ou trois semaines de possession, il les mettait dehors sans compensation et abandonnées dans le monde.

Comme nous prolongions ainsi la conversation, sa femme, qui était sortie pour faire de la monnaie, rentra, et, s’apercevant que son mari prenait un plaisir dont elle n’avait pas sa part, elle lui demanda d’une voix irritée ce qu’il faisait là; à quoi il ne répliqua qu’en buvant ironiquement à sa santé. «Monsieur Symonds, s’écria-t-elle, vous en usez fort mal avec moi, et je ne le supporterai pas plus longtemps. Ici les trois quarts de la besogne, c’est moi qui les ai à faire, et le quatrième reste en plan; pendant ce temps vous ne faites que vous imbiber avec les clients tout le long du jour, tandis qu’une cuillerée de liqueur, dût-elle me guérir de la fièvre, je n’en touche jamais une goutte.» Je vis alors à quoi elle en avait, et je lui remplis immédiatement un verre qu’elle prit avec une révérence, et, buvant à ma bonne santé: «Monsieur, reprit-elle, ce n’est pas tant pour la valeur de ce qu’on boit que je me mets en colère; mais on ne saurait s’en empêcher, quand la maison s’en va par les fenêtres. S’il faut presser les clients ou les voyageurs, tout le fardeau m’en retombe sur le dos, et il aimerait autant mâcher ce verre que de bouger pour aller réclamer lui-même. Nous avons maintenant là-haut une jeune femme qui est venue prendre logement ici, et je crois bien qu’elle n’a pas d’argent, elle est trop polie pour cela. Je suis sûre du moins qu’elle ne se presse pas de payer, et je voudrais qu’on le lui remît en l’esprit. – Lui remettre en l’esprit! s’écria l’hôte. Que signifie cela? Si elle n’est pas pressée, elle est sûre. – C’est ce que je ne sais pas, répliqua la femme, mais je sais que je suis sûre qu’elle est ici depuis quinze jours et que nous n’avons pas encore vu la couleur de son argent. – Je suppose, ma chère, que nous aurons tout en bloc. – En bloc! s’écria l’autre. J’espère bien que nous l’aurons d’une manière on de l’autre; et, cela ce soir même; j’y suis bien décidée; ou dehors la coureuse, armes et bagages! – Songe, ma femme, s’écria le mari, que c’est une femme bien née et qu’elle mérite plus de respect. – Pour ce qui est de cela, riposta l’hôtesse, bien née ou non, elle pliera bagage, et plus vite que ça. Les gens bien nés peuvent être bons là où ils prennent; mais, pour ma part, je n’ai jamais vu venir grand profit d’eux à l’enseigne de la Herse

Ce disant, elle monta eu courant un étroit escalier qui allait de la cuisine à une chambre au-dessus de nos têtes, et je reconnus bientôt à ses éclats de voix et à l’aigreur de ses reproches qu’il n’y avait point d’argent à obtenir de sa logeuse. Je pouvais entendre très distinctement ses récriminations. «Dehors, dis-je, plie bagage à l’instant même, coureuse, infâme dévergondée, ou je te fais une marque dont tu ne guériras pas de trois mois! Quoi! vaurienne, venir loger dans une honnête maison sans posséder un sou marqué ni un rouge liard! Allons! filons! dis-je. – O chère madame! criait l’étrangère, ayez pitié de moi, ayez pitié d’une pauvre créature abandonnée, pour une nuit seulement, et la mort aura vite fait le reste.» Je reconnus sur-le-champ la voix de ma pauvre enfant perdue, d’Olivia. Je volai à son secours au moment où la femme la traînait déjà par les cheveux, et je pris en mes bras la pauvre misérable abandonnée. «Vous êtes la bienvenue toujours, la bienvenue, ma chère, chère perdue, mon trésor, dans le cœur de votre vieux père. Que les méchants t’abandonnent; il y a quelqu’un dans le monde qui, du moins, ne t’abandonnera jamais. Quand tu aurais à répondre de dix mille crimes, je veux te les pardonner tous. – O mon cher… – pendant quelques minutes elle ne put rien dire de plus – mon cher, mon cher papa, à moi! Les anges peuvent-ils être plus tendres? Qu’ai-je fait pour mériter tant? Le scélérat, je le hais et me hais moi-même. Payer d’opprobre tant de bonté! Vous ne pouvez pas me pardonner. Je le sais; vous ne le pouvez pas. – Si, mon enfant; du fond de mon cœur, je te pardonne! Repens-toi seulement, et l’un et l’autre nous serons heureux encore. Nous verrons encore beaucoup de beaux jours, mon Olivia! – Ah! jamais, monsieur, jamais. Le reste de ma misérable vie doit être ignominie au dehors et honte an foyer. Mais, quoi! papa, vous êtes plus pâle que vous n’aviez l’habitude de l’être. Se peut-il qu’une créature telle que moi vous cause tant de tourment? Assurément, vous avez trop de sagesse pour vous charger des douleurs de ma faute. – Notre sagesse, jeune femme… – Ah! pourquoi un nom si froid, papa? s’écria-t-elle. C’est la première fois que vous m’appelez d’un nom si froid. – Pardon, ma chérie, repris-je; mais j’allais faire cette remarque, c’est que la sagesse ne forme que lentement un abri contre le chagrin, quoique, à la fin, ce soit un abri sûr.» L’hôtesse revint à ce moment pour savoir si nous ne voudrions pas un appartement plus convenable, ce que nous acceptâmes, et elle nous conduisit dans une chambre où nous pouvions nous entretenir plus librement, Après nous être un peu calmés en causant, je ne pus éviter de lui demander avec quelques détails par quels degrés elle était arrivée à sa misérable situation présente. «Ce scélérat, monsieur, dit-elle, dès le premier jour de notre rencontre, m’a fait des propositions secrètes, mais honorables.

 

– Scélérat, en vérité! m’écriai-je. Et cependant je suis en quelque sorte surpris qu’un homme du bon sens de M. Burchell et qui semblait avoir tant d’honneur ait pu se rendre coupable de cette vilenie délibérée et s’introduire ainsi dans une famille pour la détruire.

– Mon cher papa, répondit ma fille, vous êtes victime d’une étrange erreur. M. Burchell n’a jamais essayé de me tromper; au lieu de cela, il saisissait toutes les occasions de me prévenir en particulier contre les artifices de M. Thornhill, qui, je le vois maintenant, est encore pire qu’il ne me le représentait. – M. Thornhill! interrompis-je. Est-il possible? – Oui, monsieur, répondit-elle, c’est M. Thornhill qui m’a séduite; c’est lui qui employait ces deux dames, comme il les appelait, mais qui, en réalité, n’étaient que des femmes perdues de la ville sans éducation ni pitié, pour nous attirer jusqu’à Londres. Ses artifices, vous vous le rappelez, auraient réussi sans la lettre de M. Burchell où il leur adressait ces reproches que nous nous sommes tous appliqués. Comment il a pu avoir assez d’influence pour déjouer leurs intentions, c’est encore un secret pour moi; mais je suis convaincue qu’il a toujours été notre plus chaud, notre plus sincère ami.

– Vous me confondez, ma chère, m’écriai-je. Je vois maintenant que mes premiers soupçons de la bassesse de M. Thornhill n’étaient que trop bien fondés. Mais il peut triompher en sécurité, car il est riche, et nous sommes pauvres. Mais dis-moi, mon enfant, assurément il a fallu une tentation bien puissante pour anéantir ainsi les impressions de ton éducation et des penchants aussi vertueux que les tiens.

– En vérité, monsieur, répliqua-t-elle, il ne doit son triomphe qu’au désir que j’avais de le rendre heureux, lui, et non moi. Je savais que la cérémonie de notre mariage, célébrée secrètement par un prêtre papiste, ne le liait en aucune façon, et que je n’avais à me fier à rien qu’à son honneur. – Quoi! l’interrompis-je. Ainsi vous avez été réellement mariés par un prêtre dans les ordres? – Oui, monsieur, nous l’avons été, répliqua-t-elle, quoiqu’il nous ait fait jurer à l’un et à l’autre de celer son nom. – Eh bien! alors, mon enfant, revenez dans mes bras, et maintenant vous êtes mille fois plus la bienvenue qu’auparavant; car maintenant vous êtes sa femme d’intention et de fait; et toutes les lois des hommes, fussent-elles écrites sur des tables de diamant, ne sauraient diminuer la force de ce lien sacré.

– Hélas! papa, répliqua-t-elle, vous ne connaissez guère ses vilenies; il s’est fait marier déjà par le même prêtre à six on huit femmes qu’il a trompées et abandonnées.

– A-t-il fait cela? m’écriai-je. Alors nous devons faire pendre le prêtre, et vous déposerez contre lui dès demain. – Mais, monsieur, répondit-elle, cela sera-t-il bien, ayant juré le secret? – Ma chère, répliquai-je, si vous avez fait cette promesse, je ne peux pas, je ne veux pas chercher à vous la faire violer. Quand même cela pourrait profiter au bien général, il ne faut pas que vous déposiez contre lui. Dans toutes les institutions humaines on admet un mal moindre pour procurer un bien plus grand; c’est ainsi qu’en politique on peut céder une province pour s’assurer d’un royaume, et qu’en médecine on peut retrancher un membre pour conserver le corps. Mais en religion la loi est écrite et inflexible: ne jamais faire le mal. Et cette loi, mon enfant, est juste; car autrement, si l’on commettait un mal moindre pour procurer un bien plus grand, on encourrait ainsi une culpabilité certaine dans l’attente d’un avantage aléatoire. Et quand même l’avantage devrait certainement s’ensuivre, il se pourrait que l’intervalle entre l’acte et l’avantage, intervalle pendant lequel il est admis que l’on est coupable, fût celui dans lequel nous sommes appelés à répondre des choses que nous avons faites, et où le livre des actions humaines est clos à jamais. Mais je vous interromps, ma chère; continuez.

– Dès le matin du lendemain, continua-t-elle, je vis quel peu de fond je devais faire sur sa sincérité. Ce matin-là même, il me présenta deux autres malheureuses femmes que, comme moi, il avait trompées, mais qui vivaient satisfaites dans la prostitution. Je l’aimais trop tendrement pour supporter de telles rivales dans son affection, et je m’efforçai d’oublier mon infamie au milieu du tumulte des plaisirs. Dans ce but, je dansais, je faisais de la toilette, je parlais beaucoup; mais j’étais toujours malheureuse. Les messieurs qui venaient en visite me parlaient à tout moment du pouvoir de mes charmes, et cela ne faisait que contribuer à accroître ma tristesse, car tout ce pouvoir, je l’avais perdu, rejeté loin de moi. Ainsi chaque jour je devenais plus pensive, et lui plus insolent; tant qu’à la fin le monstre eut l’effronterie de m’offrir un jeune baronnet de sa connaissance. Ai-je besoin de dire, monsieur, combien cette ingratitude me perça au vif? Ma réponse à cette proposition fut comme une fureur folle. Je voulus partir. Comme je m’en allais, il m’offrit une bourse; mais je la lui jetai à la face avec indignation et je m’arrachai de lui dans une rage qui pendant un temps me maintint insensible aux misères de ma situation. Mais je ne tardai pas à jeter les yeux autour de moi et je me vis, créature vile, abjecte et coupable, sans un ami au monde à qui m’adresser.

«Juste à ce moment, une voiture publique vint à passer et j’y pris place, sans autre but que d’être emportée loin d’un misérable que je méprisais et détestais. On me descendit ici, où, depuis mon arrivée, je n’ai eu pour compagnes que mes propres anxiétés et la dureté de cette femme. Les heures de joie que j’ai passées avec maman et ma sœur me sont aujourd’hui devenues douloureuses. Leurs chagrins sont grands, mais les miens sont plus grands que les leurs, car les miens sont mêlés de crime et d’infamie.

– Ayez patience, mon enfant, m’écriai-je, et j’espère encore que les choses s’amélioreront. Prenez quelque repos cette nuit; demain je vous mènerai à la maison, vers votre mère et le reste de la famille, de qui vous recevrez un bienveillant accueil. La pauvre femme! cela l’a frappée au cœur; mais elle vous aime toujours, Olivia, et elle pardonnera.»

CHAPITRE XXII

Les offenses se pardonnent aisément lorsqu’il y a l’amour au fond

LE lendemain, je pris ma fille on croupe et me remis en route vers la maison. Le long du chemin, je m’efforçai par tous les moyens de l’amener à calmer ses chagrins et ses craintes, et de l’armer de courage pour soutenir la présence de sa mère offensée. Je saisissais toutes les occasions qu’offrait le spectacle du beau pays que nous traversions pour faire remarquer combien le ciel nous est plus clément que nous ne le sommes les uns envers les autres, et combien les infortunes du fait de la nature sont peu nombreuses. Je l’assurais qu’elle ne s’apercevrait jamais d’aucun changement dans mon affection, et que pendant ma vie, qui pouvait être longue encore, elle pourrait compter sur un gardien et un guide. Je l’armais contre les censures du monde, lui faisais voir que les livres sont pour les misérables de bons compagnons, qui ne font point de reproches, et que, s’ils ne peuvent nous amener à jouir de la vie, ils nous enseignent, du moins, à la supporter.

Le cheval de louage qui nous portait devait être mis, le soir, à une auberge sur la route, à environ cinq milles de la maison, et, comme je désirais préparer ma famille à la réception de ma fille, je me décidai à la laisser cette nuit-là à l’auberge et à revenir la chercher, accompagné de mon autre fille Sophia, de bonne heure le lendemain matin. Il était nuit avant que nous eussions atteint l’étape fixée. Cependant, après l’avoir vue installée dans une chambre convenable et avoir commandé à l’hôtesse de quoi la restaurer, je l’embrassai et continuai mon chemin vers la maison. Et maintenant mon cœur éprouvait de nouvelles sensations de plaisir à mesure que j’approchais de cette paisible demeure. Comme un oiseau qu’une alarme a chassé de son nid, mes affections devançaient la hâte de mes pas et planaient autour de mon petit foyer avec tout le ravissement de l’espoir. J’évoquai toutes les choses tendres que j’avais à dire, et jouissais d’avance de la bienvenue que j’allais recevoir. Je sentais déjà l’affectueux embrassement de ma femme, et je souriais à la joie des petits. Comme je ne marchais pas vite, la nuit s’avançait rapidement. Les travailleurs du jour s’étaient tous retirés pour prendre leur repos; les lumières étaient éteintes dans toutes les chaumières; aucun bruit ne se faisait entendre que celui du coq perçant ou de la puissante gueule du chien de garde, dans les profondeurs du lointain. J’approchais du séjour de ma joie, et je n’en étais pas encore à deux cents yards que notre honnête dogue accourut me souhaiter la bienvenue.

Il était près de minuit quand j’arrivai frapper à ma porte. Tout était calme et silencieux; mon cœur se dilatait, gonflé d’un bonheur indicible, lorsque, épouvantement! je vis la maison éclater comme un jet de flamme, et toutes les ouvertures rouges de feu! Je poussai convulsivement un grand cri et tombai inanimé sur la pierre. Ce bruit donna l’alarme à mon fils, qui était resté endormi jusque-là. En voyant les flammes, il réveilla aussitôt ma femme et ma fille; ils se précipitèrent tous dehors, sans vêtements, fous d’effroi, et me rappelèrent à la vie par leur angoisse. Mais ce ne fut que pour contempler de nouveaux objets d’horreur, car les flammes s’étaient pendant ce temps emparées du toit de notre habitation qui s’écroulait morceau par morceau, tandis que la famille restait là dans un silence d’agonie, les yeux fixes, comme si elle jouissait du spectacle de l’embrasement. Je les regardai tour à tour, eux et l’incendie, puis je jetai les yeux autour de moi, cherchant les enfants; mais ils ne paraissaient pas. O malheur! «Où sont, criai-je, où sont mes petits enfants? – Ils sont brûlés vifs dans les flammes, dit ma femme avec calme, et je vais mourir avec eux.» A ce moment, j’entendis à l’intérieur le cri des petits que le feu venait de réveiller. Rien n’aurait pu m’arrêter. «Où sont, où sont mes enfants? criai-je, en me précipitant à travers les flammes et en faisant sauter la porte de la chambre où ils étaient enfermés. Où sont mes petits? – Ici, cher papa, nous sommes ici», criaient-ils ensemble pendant que les flammes prenaient au lit où ils étaient couchés. Je les saisis tous deux dans mes bras et les emportai à travers le feu en courant aussi vite que possible; juste comme j’en sortais, le toit s’abîma. «Maintenant, m’écriai-je en levant mes enfants dans mes bras, maintenant, que les flammes continuent de dévorer, et que tous mes biens périssent! Les voici! j’ai sauvé mon trésor. Voici, ma bien-aimée, voici nos trésors, et nous connaîtrons encore le bonheur.» Nous baisâmes nos petits chéris mille fois; ils s’attachaient à nos cous et semblaient partager nos transports, pendant que leur mère riait et pleurait tour à tour.

Je restai dès lors calme spectateur des flammes; mais au bout de quelque temps, je commençai à m’apercevoir que mon bras était brûlé jusqu’à l’épaule d’une terrible façon. Il était donc hors de mon pouvoir de donner à mon fils aucun secours, soit pour essayer de sauver nos effets, soit pour empêcher les flammes de se propager jusqu’à notre blé. Cependant les voisins avaient pris l’alarme et arrivaient en courant à notre aide; mais tout ce qu’ils purent faire fut de rester, comme nous, spectateurs de la catastrophe. Mes biens, et entre autres les billets de banque que je tenais en réserve pour la fortune de mes filles, furent entièrement consumés, excepté une boîte contenant quelques papiers, qui était dans la cuisine, et deux ou trois autres choses de peu d’importance que mon fils avait emportées dès le premier moment. Les voisins, toutefois, contribuèrent en ce qu’ils pouvaient à alléger notre détresse.

 

Ils nous apportèrent des vêtements et garnirent une de leurs granges d’ustensiles de cuisine; de sorte que, lorsque le jour vint, nous avions une autre habitation, toute misérable qu’elle fût, où nous retirer. L’honnête homme, mon plus proche voisin, et ses enfants ne furent pas les moins zélés à nous pourvoir de toutes les choses nécessaires et à nous offrir toutes les consolations qu’une bienfaisance spontanée pouvait suggérer.

Lorsque les frayeurs de ma famille se furent calmées, la curiosité de connaître la raison de ma longue absence se fit jour à la place. Je leur appris donc tout en détail et continuai en les préparant à recevoir notre enfant perdue; bien que nous n’eussions plus aujourd’hui que la misère à offrir, je désirais faire en sorte qu’elle fût la bienvenue à partager ce que nous avions. Cette tâche eût été plus difficile sans notre calamité récente, qui avait humilié l’orgueil de ma femme et l’avait émoussé au contact d’afflictions plus poignantes. Incapable d’aller chercher ma pauvre enfant moi-même, à cause de mon bras qui devenait très douloureux, j’envoyai mon fils et ma fille, qui ne tardèrent pas à revenir, soutenant la coupable. Elle n’avait pas le courage de lever les yeux vers sa mère à laquelle mes exhortations n’avaient pu persuader une réconciliation parfaite, car les femmes ont un sentiment des erreurs féminines beaucoup plus fort que les hommes. «Ah! madame, lui dit sa mère, c’est en un bien pauvre lieu que vous venez, après tant d’élégance. Ma fille Sophia et moi ne pouvons offrir que bien peu de distraction à des personnes qui n’ont eu pour société que des gens de distinction. Oui, miss Livy, votre pauvre père et moi, nous avons souffert beaucoup dernièrement; mais j’espère que le ciel vous pardonnera.» Devant cet accueil, la malheureuse victime restait pâle et tremblante, ne pouvant ni pleurer ni répondre. Mais je ne pouvais rester plus longtemps spectateur silencieux de sa détresse; aussi, donnant à ma voix et à mes manières un degré de sévérité qui avait toujours été suivi d’une immédiate soumission: «Je demande, femme, que l’on retienne ici mes paroles une fois pour toutes, dis-je: je vous ai ramené une pauvre créature errante et trompée. Son retour au devoir appelle la renaissance de votre tendresse. Les véritables rigueurs de la vie tombent maintenant sur nous à coups pressés; ne les augmentons donc pas par des discussions entre nous. Si nous vivons ensemble en bonne harmonie, nous pouvons encore avoir du contentement, car nous sommes assez pour fermer la porte aux critiques méchantes du monde et pour nous soutenir mutuellement. La clémence du ciel est promise à qui se repent; laissons-nous guider par cet exemple. Le ciel, on nous l’assure, se réjouit beaucoup plus de voir un pécheur repentant que quatre-vingt-dix-neuf personnes qui se sont maintenues, sans en dévier, dans la droite voie. Et c’est chose juste, car le seul effort par lequel nous nous arrêtons court sur la pente rapide du sentier de la perdition est en lui-même une plus énergique manifestation de vertu que l’accomplissement de cent actes de justice.»