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Le Vicaire de Wakefield

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«Dans ce poste honorable, je n’étais cependant pas sans rival. Un capitaine d’infanterie de marine, que la nature avait formé pour la place, me disputait l’affection de mon patron. Sa mère avait été repasseuse chez un homme de qualité, et par là il avait acquis de bonne heure du goût pour le métier de complaisant et de généalogiste. Ce gentleman avait donné pour but à sa vie de connaître des grands seigneurs. Plusieurs l’avaient déjà renvoyé pour sa stupidité, mais il en trouvait encore beaucoup d’aussi sots que lui, qui toléraient ses assiduités. La flatterie étant sa profession, il la pratiquait avec toute l’aisance et toute l’adresse imaginables, tandis qu’elle était gauche et raide, venant de moi; d’ailleurs, comme chaque jour le besoin d’être flatté augmentait chez mon patron et qu’à chaque heure j’étais mieux au courant de ses défauts, je devenais de moins en moins disposé à le satisfaire. Ainsi j’allais, cette fois encore, honnêtement céder le champ libre au capitaine, lorsque mon ami trouva l’occasion d’avoir besoin de moi. Il ne s’agissait de rien moins que de me battre en duel pour lui, avec un gentleman dont on prétendait qu’il avait mis la sœur à mal. Je me rendis promptement à sa requête, et, bien que je voie que ma conduite ici vous déplaît, l’amitié m’en faisait un devoir impérieux, et je ne pouvais pas refuser. J’entamai l’affaire, désarmai mon antagoniste, et eus bientôt après le plaisir de reconnaître que la dame n’était qu’une fille de la ville, et l’individu son souteneur et un escroc. Ce service me valut pour récompense les plus chaleureuses assurances de gratitude; mais comme mon ami devait quitter la ville dans quelques jours, il ne trouva pas d’autre moyen de me servir que de me recommander à son oncle, sir William Thornhill, et à un autre noble de grande distinction, qui occupait un poste du gouvernement. Lorsqu’il fut parti, mon premier soin fut de porter sa lettre de recommandation à son oncle, homme dont la réputation pour toute sorte de vertus était universelle et pourtant justifiée. Les serviteurs me reçurent avec les sourires les plus hospitaliers, car les visages des domestiques reflètent toujours la bienveillance du maître. Introduit dans une grande pièce où sir William ne tarda pas à venir vers moi, je m’acquittai de mon message et remis ma lettre, qu’il lut; et, après quelques minutes de silence: «Je vous prie, monsieur, interrogea-t-il, apprenez-moi ce que vous avez fait pour mon parent, pour mériter cette chaude recommandation? Mais j’imagine, monsieur, que je devine vos titres. Vous vous êtes battu pour lui. Et ainsi vous attendriez de moi une récompense pour avoir été l’instrument de ses vices? Je désire, je désire sincèrement que mon refus d’aujourd’hui puisse être en quelque manière un châtiment de votre faute, et plus encore, qu’il puisse avoir quelque influence pour vous induire au repentir.»

«Je supportai patiemment la sévérité de cette réprimande, parce que je savais qu’elle était juste. Tout mon espoir reposait donc maintenant sur ma lettre au grand personnage. Comme les portes de la noblesse sont presque toujours assiégées de mendiants, tout prêts à glisser quelque pétition furtive, je trouvai qu’obtenir entrée n’était pas chose facile. Cependant, ayant acheté les domestiques avec la moitié de ma fortune en ce monde, je fus introduit à la fin dans une pièce spacieuse, après avoir, au préalable, envoyé ma lettre pour la soumettre à Sa Seigneurie. Pendant cet intervalle plein d’anxiété, j’eus tout le temps de regarder autour de moi. Tout était grandiose et heureusement ordonné; la peinture, l’ameublement, les dorures me pétrifièrent de respect et élevèrent l’idée que je me faisais du propriétaire. Ah! pensais-je en moi-même, comme il doit être vraiment grand, le possesseur de toutes ces choses, qui porte dans sa tête les affaires de l’État et dont la maison étale des richesses qui suffiraient à la moitié d’un royaume! Assurément son génie doit être insondable! Pendant ces intimidantes réflexions, j’entendis un pas s’avancer lourdement. Ah! voilà le grand homme lui-même! Non, ce n’était qu’une femme de chambre. Un autre pas s’entendit bientôt après. Ce doit être lui! Non, ce n’était que le valet de chambre du grand homme. A la fin, Sa Seigneurie fit en personne son apparition. «Est-ce vous, cria-t-il, qui êtes le porteur de cette lettre?» Je répondis par une inclination. «Ceci m’apprend, continua-t-il, la manière dont il se fait que…» Mais juste à cet instant un domestique lui remit une carte, et, sans faire plus attention à moi, il sortit de la chambre et me laissa savourer mon bonheur à loisir. Je ne le revis plus, jusqu’à ce qu’un valet de pied m’eût dit que Sa Seigneurie se rendait à son carrosse à la porte. Immédiatement je courus en bas et joignis ma voix à celles de trois ou quatre autres, qui étaient venus, comme moi, pour solliciter des faveurs. Mais Sa Seigneurie allait trop vite pour nous et elle gagnait à larges enjambées la porte de son carrosse, lorsque je criai après elle pour savoir si je devais espérer une réponse. Pendant ce temps, il était monté et il murmura quelques mots dont je n’entendis que la moitié, l’autre se perdant au milieu du bruit des roues de la voiture. Je restai quelque temps le cou tendu, dans la posture de quelqu’un qui écoute pour saisir des sons précieux; mais, regardant autour de moi, je me trouvai tout seul devant la grande porte de Sa Seigneurie.

«Ma patience, poursuivit mon fils, était cette fois tout à fait épuisée. Exaspéré des mille indignités que j’avais essuyées, j’aurais voulu me précipiter, et il ne me manquait que le gouffre pour me recevoir. Je me regardais comme un de ces vils objets que la nature a destinés à être jetés de côté dans sa chambre aux rebuts, pour y périr dans l’obscurité. Cependant il me restait encore une demi-guinée; je crus que c’était une chose dont la nature elle-même ne devait pas me priver; mais, afin d’en être sûr, je résolus d’aller immédiatement la dépenser tandis que je l’avais, et puis de me confier aux événements pour le reste. Comme je m’en allais avec cette résolution, il se trouva que le bureau de M. Crispe était ouvert avec un aspect engageant, comme pour me faire un cordial accueil. Dans ce bureau, M. Crispe veut bien offrir à tous les sujets de Sa Majesté une généreuse promesse de trente livres sterling par an, pour laquelle promesse tout ce qu’ils donnent en retour est leur liberté pour la vie et la permission de se laisser transporter en Amérique comme esclaves. Je fus heureux de trouver un lieu où je pouvais engloutir mes craintes dans le désespoir, et j’entrai dans cette cellule, car elle en avait l’apparence, avec la dévotion d’un moine.

J’y trouvai une quantité de pauvres hères, dans des circonstances semblables aux miennes, attendant l’arrivée de M. Crispe et présentant en raccourci un tableau exact de l’impatience anglaise. Tous ces êtres intraitables, en querelle avec la fortune, se vengeaient de ses injustices sur leurs propres cœurs. Mais M. Crispe arriva enfin, et tous nos murmures firent place au silence. Il daigna me regarder d’un air particulièrement approbateur, et vraiment c’était, depuis un mois, le premier homme qui m’eût parlé en souriant. Après quelques questions, il reconnut que j’étais apte à tout dans le monde. Il réfléchit un instant sur la meilleure manière de me pourvoir, et, se frappant le front comme s’il l’avait trouvée, il m’assura qu’il était question en ce moment d’une députation du synode de Pensylvanie aux Indiens Chickasaw, et qu’il emploierait son influence à m’en faire nommer secrétaire. J’avais au fond du cœur la conviction que le gaillard mentait, et cependant sa promesse me fit plaisir: le seul son des paroles avait quelque chose de si magnifique! Je partageai donc honnêtement ma demi-guinée, dont une moitié alla s’ajouter à ses trente mille livres, et avec l’autre moitié je décidai d’aller à la plus proche taverne et de m’y donner le plus de bonheur que je pourrais.

«Je sortais dans ce dessein, lorsque je fus rencontré à la porte par un capitaine de navire avec lequel j’avais autrefois lié quelque peu connaissance, et il consentit à me tenir compagnie devant un bol de punch. Comme je n’ai jamais aimé à faire un secret des circonstances où je me trouve, il m’assura que j’étais sur le bord même de ma ruine en écoutant les promesses de l’homme du bureau, parce que son seul dessein était de me vendre aux plantations. «Mais, continua-t-il, je me figure qu’une traversée beaucoup plus courte pourrait vous mettre très aisément dans un gentil chemin pour gagner votre vie. Suivez mon conseil. Mon navire met à la voile demain pour Amsterdam. Que diriez-vous d’y monter comme passager? Du moment que vous serez débarqué, tout ce que vous aurez à faire, ce sera d’enseigner l’anglais aux Hollandais, et je garantis que vous trouverez assez d’élèves et d’argent. Je suppose que vous comprenez l’anglais à l’heure qu’il est, ajouta-t-il, ou le diable y serait.»

«Je lui donnai cette assurance avec confiance, mais j’exprimai le doute que les Hollandais fussent disposés à apprendre l’anglais. Il m’affirma avec serment qu’ils aimaient la chose à la folie, et sur cette affirmation j’acceptai sa proposition et m’embarquai le lendemain pour enseigner l’anglais aux Hollandais. Le vent fut bon, la traversée courte, et, après avoir payé mon passage avec la moitié de mes effets, je me trouvai comme un étranger tombé du ciel dans une des principales rues d’Amsterdam. Dans cette situation, je n’étais pas disposé à laisser passer le temps sans l’employer à enseigner. En conséquence, je m’adressai à deux ou trois, parmi ceux que je rencontrai, dont l’aspect me semblait promettre le plus; mais il nous fut impossible de nous entendre mutuellement. Ce fut à ce moment précis seulement que je me rappelai que, pour enseigner l’anglais aux Hollandais, il était nécessaire qu’ils m’enseignassent le hollandais d’abord. Comment avais-je fait pour ne pas songer à une difficulté si évidente? Voilà qui me confond; mais il est certain que je n’y avais pas songé.

 

«Ce plan ainsi ruiné, j’eus quelque idée de me rembarquer tout uniment pour l’Angleterre; mais étant tombé dans la compagnie d’un étudiant irlandais qui revenait de Louvain, et notre conversation s’étant portée sur les choses littéraires (car on peut observer en passant que j’ai toujours oublié la misère de ma situation quand j’ai pu m’entretenir de sujets semblables), j’appris de lui qu’il n’y avait pas, dans toute son université, deux hommes qui entendissent le grec. J’en fus stupéfait. Sur-le-champ je résolus d’aller à Louvain et d’y vivre en enseignant le grec, et je fus encouragé dans ce dessein par mon frère étudiant, qui me donna à entendre qu’on pourrait bien y trouver sa fortune.

«Je me mis bravement en route le lendemain matin. Chaque jour allégeait le fardeau de mes effets, tel Ésope avec son panier au pain, car je les donnai en payement aux Hollandais pour mon logement tout le long du voyage. Lorsque j’arrivai à Louvain, j’avais pris la résolution de ne pas aller ramper auprès des professeurs subalternes, mais de présenter ouvertement mes talents au principal lui-même. J’y allai, j’eus audience, et je lui offris mes services comme maître de langue grecque, ce qui, m’avait-on dit, était un desideratum dans son université. Le principal parut d’abord douter de mes talents; mais j’offris de l’en convaincre en traduisant en latin un passage d’un auteur grec quelconque, qu’il désignerait. Voyant que j’étais parfaitement de bonne foi dans ce que je proposais, il m’adressa ces paroles: «Vous me voyez, jeune homme; je n’ai jamais appris le grec, et je ne trouve pas que j’en aie jamais eu besoin. J’ai eu le bonnet et la robe de docteur sans grec; j’ai dix mille florins par an sans grec; je mange de bon appétit sans grec; et, en somme, poursuivit-il, comme je ne sais pas le grec, je ne crois pas que le grec soit bon à rien.»

«J’étais maintenant trop loin du pays pour songer à m’en retourner; je me résolus donc à aller de l’avant. J’avais quelque connaissance de la musique, une voix passable, et je me mis à faire de ce qui était naguère ma distraction un moyen immédiat d’existence. Je passai parmi les inoffensifs paysans des Flandres et parmi les Français assez pauvres pour être vraiment joyeux, car je les ai toujours trouvés gais en proportion de leurs besoins. Toutes les fois que j’arrivais près de la maison d’un paysan vers la tombée de la nuit, je jouais un de mes airs les plus joyeux, et cela me procurait non seulement un logement, mais la subsistance pour le jour suivant. Une ou deux fois, j’essayai de jouer pour le beau monde; mais ceux-là trouvaient toujours mon exécution détestable, et ils ne me récompensèrent jamais de la moindre bagatelle. Ceci me semblait d’autant plus extraordinaire que, du temps que je jouais pour mon plaisir, ma musique ne manquait jamais de jeter les gens dans le ravissement, et surtout les dames; mais comme c’était maintenant ma seule ressource, on l’accueillait avec mépris; ce qui montre combien le monde est prêt à déprécier les talents qui font vivre un homme.

«Je poussai de cette manière jusqu’à Paris, sans autre plan que de regarder autour de moi et d’aller en avant. Les gens de Paris aiment beaucoup plus les étrangers qui ont de l’argent que ceux qui ont de l’esprit. Comme je ne pouvais me piquer d’avoir beaucoup ni de l’un ni de l’autre, on ne me goûta pas beaucoup. Après m’être promené dans la ville quatre ou cinq jours et avoir vu les meilleurs hôtels à l’extérieur, je me préparais à quitter ce séjour de l’hospitalité vénale, lorsqu’en traversant une des principales rues, qui rencontrai-je? notre cousin, à qui tout d’abord vous m’aviez recommandé. Cette rencontre me fut agréable, et je crois qu’elle ne lui déplut pas. Il s’informa de la nature de mon voyage à Paris et m’apprit ce qu’il avait lui-même à y faire, qui était de collectionner des peintures, des médailles, des pierres gravées et des antiquités de toute espèce pour un gentleman de Londres qui venait d’acquérir du goût en même temps qu’une vaste fortune. Je fus d’autant plus surpris de voir mon cousin choisi pour un tel office que lui-même m’avait souvent déclaré qu’il ne connaissait rien à la question. Je lui demandai comment il s’était instruit dans la science de l’amateur si soudainement, et il m’assura que rien n’était plus facile. Tout le secret consistait à s’en tenir strictement à deux règles: l’une, de toujours faire remarquer que le tableau aurait pu être meilleur si le peintre s’était donné plus de peine; et l’autre, de louer les ouvrages de Pietro Perugino. «Mais, reprit-il, puisque je vous ai jadis enseigné à être auteur à Londres, je vais entreprendre aujourd’hui de vous instruire dans l’art d’acheter des tableaux à Paris.»

«J’acceptai sa proposition avec grand empressement, car c’était un moyen de vivre, et vivre était dès lors toute mon ambition. J’allai donc à son logement, je réparai ma toilette grâce à son assistance, et, au bout de quelque temps, je l’accompagnai aux ventes publiques de tableaux, où l’on comptait que la haute société anglaise fournirait des acheteurs. Je ne fus pas peu surpris de son intimité avec des personnes du meilleur monde qui s’en référaient à son jugement sur chaque tableau on chaque médaille, comme à un guide infaillible du goût. Il tirait très bon parti de mon assistance en ces occasions; lorsqu’on lui demandait son avis, il m’emmenait gravement à l’écart, me demandait le mien, secouait les épaules, prenait l’air profond, revenait et déclarait à la compagnie qu’il ne pouvait donner d’opinion sur une affaire de tant d’importance. Cependant il y avait lieu parfois de mieux payer d’audace. Je me souviens de l’avoir vu, après avoir émis l’opinion qu’une peinture n’avait pas assez de moelleux, prendre très délibérément une brosse chargée de vernis brun qui se trouvait là par hasard, la passer sur le tableau avec un grand sang-froid devant toute la compagnie, et demander ensuite s’il n’avait pas amélioré les teintes.

«Lorsqu’il eut achevé sa commission à Paris, il me laissa et me recommanda énergiquement à plusieurs personnes de distinction comme quelqu’un de très apte à voyager en qualité de précepteur. Quelque temps après, j’étais employé dans ces fonctions par un gentleman qui avait amené son pupille à Paris pour lui faire commencer son tour à travers l’Europe. Je devais être le gouverneur du jeune gentleman, mais à la condition qu’il aurait toujours la permission de se gouverner lui-même. Et de fait, mon élève entendait l’art de se guider dans les affaires d’argent beaucoup mieux que moi. Il était l’héritier d’une fortune d’environ deux cent mille livres sterling, que lui avait laissée un oncle aux Indes occidentales; et son tuteur, pour le rendre propre à administrer cette fortune, l’avait mis clerc chez un procureur. Aussi l’avarice était sa passion dominante; toutes ses questions le long de la route tendaient à savoir combien on pouvait économiser d’argent, quel était l’itinéraire le moins coûteux, si l’on pourrait acheter quelque chose qui donnerait un profit lorsqu’on en disposerait à Londres. En chemin, les curiosités qu’il pouvait voir pour rien, il était assez prêt à les regarder; mais s’il fallait payer pour en avoir la vue, il affirmait d’ordinaire qu’on lui avait dit qu’elles ne valaient pas la peine d’être visitées. Il ne payait jamais une note sans faire observer combien les voyages étaient horriblement dispendieux, et il n’avait pas encore vingt et un ans! Lorsque nous fûmes arrivés à Livourne, comme nous nous promenions pour voir le port et les navires, il s’informa du prix du passage par mer jusqu’en Angleterre. Il apprit que ce n’était qu’une bagatelle comparativement au retour par terre; aussi fut-il incapable de résister à la tentation: il me paya la petite partie de mon salaire qui était échue, prit congé et s’embarqua pour Londres avec un seul serviteur.

«J’étais donc une fois de plus tout seul dans le monde; mais c’était dès lors une chose à laquelle j’étais fait. Toutefois, mon talent en musique ne pouvait me servir de rien dans un pays où tout paysan était meilleur musicien que moi. Mais, à cette époque, j’avais acquis un autre talent qui répondait aussi bien à mon but: c’était une habileté d’argumentation particulière. Dans toutes les universités et tous les couvents de l’étranger, il y a à certains jours des thèses philosophiques soutenues contre tout venant; si le champion combat la thèse avec quelque adresse, il peut réclamer une gratification en argent, un dîner, et un lit pour une nuit. C’est de cette manière que je me conquis un chemin vers l’Angleterre, à pied, de ville en ville, examinant de plus près le genre humain, et, si je puis m’exprimer ainsi, voyant les deux côtés du tableau. Mes remarques, toutefois, ne sont qu’en petit nombre: j’ai reconnu que la monarchie est le meilleur gouvernement pour les pauvres, et la république, pour les riches. J’ai remarqué que richesse est en général dans tous les pays synonyme de liberté, et que personne n’est assez ami de la liberté lui-même pour n’être pas désireux d’assujettir à sa volonté propre la volonté de quelques autres membres de la société.

«A mon arrivée en Angleterre, je voulais d’abord vous rendre mes devoirs et m’enrôler ensuite comme volontaire dans la première expédition qui mettrait à la voile; mais en chemin mes résolutions changèrent par la rencontre que je fis d’une vieille connaissance qui, à ce que j’appris, appartenait à une troupe de comédiens sur le point de faire une campagne d’été dans la province. La troupe ne sembla pas trop mécontente de m’avoir pour pensionnaire. Mais tous m’avertirent de l’importance de la tâche à laquelle j’aspirais; ils me dirent que le public était un monstre à bien des têtes, et que ceux-là seuls qui en avaient une très bonne pouvaient lui plaire; que le jeu ne s’apprenait pas en un jour; et que, sans certains haussements d’épaule traditionnels qui sont sur la scène – mais rien que là – depuis ces cent dernières années, je ne pourrais jamais prétendre au succès. La difficulté fut ensuite de me donner des rôles convenables, car presque tous les personnages étaient en main. On me transporta quelque temps d’un caractère à un autre, jusqu’à ce qu’on se fût arrêté sur Horatio, que la vue de la compagnie ici présente m’a heureusement empêché de jouer.»