Une Couronne Pour Des Assassins

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CHAPITRE SIX

Jan Skyddar devait être la seule personne dans tout Ashton à être malheureux le jour du mariage de Sophia. Il devait se forcer à sourire pour ne pas gâcher la fête de Sophia et de Sebastian et faire semblant d'être heureux pour elle alors même que son cœur brisé menaçait de le tailler en pièces.

Maintenant qu'ils étaient brusquement partis pour qu'elle accouche de son enfant, de leur enfant, c'était encore pire.

“Aimeriez-vous danser avec moi ?” demanda une femme noble. Autour de Jan, la fête semblait continuer. La musique était de retour; elle avait même accéléré le rythme, passant de la célébration du mariage de Sophia à celle de la naissance de l'héritier du trône.

La femme qui venait d'inviter Jan à danser était belle, habillée avec élégance et pleine de grâce. S'il l'avait rencontrée un an plus tôt, Jan aurait pu accepter de danser avec elle et presque tout ce qu'elle aurait suggéré d'autre mais, à présent, il ne pouvait plus le faire. Il ne ressentait rien en la regardant parce que, s'il se demandait si elle lui plaisait, c'était comme s'il comparait une bougie au soleil. Sophia était la seule qui compte.

“Je suis désolé”, dit-il en essayant d'être gentil, d'être bon, d'être toutes les choses qu'il fallait qu'il soit, “mais il y a … quelqu'un que j'aime profondément.”

“Quelqu'un qui vous attend à Ishjemme ?” dit la femme noble avec un sourire espiègle. “Cela signifie qu'elle n'est pas ici.”

Elle tendit la main vers une des attaches du pourpoint de Jan mais ce dernier lui saisit le poignet avec autant de gentillesse que de fermeté.

“Comme je l'ai dit”, dit-il avec un sourire plein de regrets, “je l'aime beaucoup. Je ne le dis pas pour vous insulter mais je ne suis pas intéressé.”

“Un homme fidèle”, dit la femme noble en se détournant pour partir. “Qui qu'elle soit, j'espère qu'elle sait toute la chance qu'elle a.”

“Si seulement les choses étaient aussi simples”, dit Jan en secouant la tête.

Il traversa la fête en essayant de ne pas avoir l'air trop sinistre. Il ne voulait pas gâcher le plaisir des autres en ce jour, surtout le plaisir de Sophia. Il avait compris que c'était ce qu'il y avait de plus douloureux dans son amour pour elle : il n'arrivait pas à être aussi égoïste qu'il aurait dû être. Il aurait dû se sentir jaloux de Sebastian, aurait dû le détester passionnément. Il aurait dû en vouloir à Sophia d'avoir choisi un homme qui l'avait écartée une fois au lieu de le choisir, lui, qui l'avait toujours aimée.

Il ne pouvait pas être jaloux. Il aimait trop Sophia pour cela. Il voulait qu'elle soit heureuse plus que toute autre chose au monde.

“Ça va, Jan?” lui demanda Lucas en approchant de lui avec la sorte de discrétion qui rendait Jan heureux de savoir qu'ils n'auraient jamais à se battre ensemble à l'épée. Jan avait toujours pensé qu'il savait se battre mais le frère et la sœur de Sophia étaient hors catégorie.

Comme les pensées de Jan ne pouvaient être lues par autrui, ils n'auraient pas à se battre. Jan ne pensait pas que, si Lucas apprenait à quel point Jan était amoureux de sa sœur, il l'accepterait aussi facilement.

“Je vais bien”, dit Jan. “Il y a peut-être un peu trop de nobles qui essaient de m'attraper comme un pêcheur qui cherche à attraper un espadon.”

“J'ai eu le même problème”, dit Lucas. “De plus, c'est difficile de faire la fête quand on pense à autre chose en même temps.”

L'espace d'un instant, Jan pensa que Lucas avait dû d'une façon ou d'une autre franchir les barrières qui protégeaient ses pensées et qu'il avait vu des choses qu'il n'aurait pas dû voir. Peut-être était-ce si clairement écrit sur son visage qu'il n'avait pas besoin de lire dans les pensées pour le comprendre.

“Je suis heureux pour mes sœurs”, dit Lucas avec un sourire. “Il y a juste une partie de moi qui voudrait que nos parents soient là pour assister à tout ça et qui sait que j'aurais pu être en train de les retrouver. Peut-être aurais-je pu les ramener à temps pour assister au mariage de Sophia et à la naissance de leur petit-enfant.”

“Ou peut-être devons-nous parfois être forts et accepter le fait que les choses ne se passent pas forcément comme nous le voulons”, suggéra Jan. “Donc, cela signifie que tu dois être ici. Tu pourras ainsi voir ta nièce ou ton neveu.”

“Nièce”, dit Lucas. “Les visions nous privent du plaisir de deviner. Cela dit, tu as raison, Jan. J'attendrai. Tu es un homme bon, mon cousin.”

Il serra le bras à Jan.

“Merci”, dit Jan, même s'il n'était pas toujours sûr de le croire. Un homme vraiment bon n'espérerait pas que Sophia finirait par se détourner de tout ça et par l'aimer comme il l'aimait lui-même.

“Au fait”, dit Lucas, “si je te cherchais, c'est parce qu'un message est arrivé par oiseau pour toi. Le garçon qui l'a amené de la volière est là-bas.”

Jan se tourna et vit un jeune homme qui se tenait près d'une des tables de banquet et y prenait de la nourriture comme s'il n'était pas certain qu'elle soit destinée aux gens comme lui.

“Merci”, dit Jan.

“Pas de problème. Il faut que je retourne auprès de Sophia. Je veux y être pour assister à la naissance de ma nièce.”

Lucas s'éloigna, laissant Jan se diriger vers le messager. Le garçon eut l'air un peu coupable quand Jan approcha. Il se fourra du gâteau dans la bouche et mâcha hâtivement.

“Ne t'inquiète pas”, dit Jan. “La fête est pour tout le monde et pour toi aussi. Il y a des choses que tout le monde devrait avoir le droit de fêter.”

“Oui, mon seigneur”, dit le garçon. Il tendit un message. “Ceci vient d'arriver pour vous.”

Il tendit un message serré en forme de rouleau à Jan, qui le leva et le lut.

Jan, Endi a pris Ishjemme. Il tue des gens. Rika est sa prisonnière. Je suis obligé de faire ce qu'il dit. Nous avons besoin d'aide. Oli.

Le message figea Jan sur place. Il ne voulait pas y croire. Endi ne ferait jamais ce genre de chose. Il ne trahirait jamais Ishjemme comme ça. Cependant, il était impensable qu'Oli mente et Endi … eh bien, Endi avait toujours aimé intriguer en marge du monde et le fait que tant de leurs navires aient fait demi-tour au milieu de la bataille d'Ashton avait de quoi rendre soupçonneux.

Malgré cela, l'idée que son frère ait mené une sorte de coup d'état dure à accepter. Si quelqu'un d'autre avait envoyé ce message, Jan l'aurait traité de menteur. Mais Oli … il ne savait pas quoi faire.

“Je ne peux pas le dire aux autres”, se dit-il. S'il le disait à ses frères et à sa sœur, ils voudraient repartir à toute vitesse pour s'assurer qu'Ishjemme soit en sécurité et cela priverait Sophia du soutien dont elle avait désespérément besoin. Cela dit, il ne pouvait pas ignorer un message comme celui-là.

Cela signifiait qu'il fallait qu'il rentre à Ishjemme.

Jan ne voulait pas le faire. Il voulait être ici, aussi proche de Sophia que possible. Il voulait être ici au cas où il y aurait encore des conflits, au cas où elle ou sa famille auraient besoin de lui. Ashton se remettait juste des conflits qui l'avaient détruite et, s'il partait maintenant, il aurait l'impression de l'abandonner. Il avait l'impression que ce serait comme abandonner Sophia.

“Sophia n'a pas besoin de moi”, dit Jan.

“Qu'avez-vous dit, mon seigneur ?” demanda le messager.

“Rien”, dit Jan. “Peux-tu prendre un message pour … l'amener à Sophia quand elle pourra l'entendre ? Amène-lui le message que tu m'as donné et dis-lui que j'ai dû aller m'occuper de quelques problèmes. Dis-lui que …” Il ne pouvait dire aucune des choses qu'il voulait. “Dis-lui que je reviendrai bientôt.”

“Oui, mon seigneur”, dit le messager.

Jan partit vers les quais. Les navires de l'invasion y étaient encore et certains capitaines l'écouteraient s'il leur demandait de l'aide. Il n'en emmènerait pas beaucoup, ne pouvait pas supporter l'idée de laisser Sophia sans protection, mais il faudrait qu'il ait quelques forces avec lui pour convaincre son frère de changer d'attitude.

A ce moment-là, Sophia n'avait pas besoin de lui mais il semblait que ce soit le cas de son petit frère et de sa sœur. Même si Jan détestait l'idée de quitter Ashton à ce moment-là, il ne pouvait pas ignorer le message d'Oli. Il ne pouvait pas laisser Endi prendre Ishjemme par la force. Il allait s'y rendre, trouver ce qui se passait vraiment et faire son possible. Quand il aurait fini de résoudre ce problème, il saurait peut-être quoi faire avec la femme qu'il aimait.

CHAPITRE SEPT

Sophia était sur le lit où la sage-femme lui avait quasiment ordonné de s'allonger, entourée d'une foule de serviteurs et de quelques nobles. Franchement, cela faisait tant de gens qu'elle se demandait si une reine avait droit à son intimité. Elle leur aurait volontiers ordonné de sortir si elle avait eu assez de souffle pour le faire. Elle ne pouvait même pas demander à Sebastian de le faire parce que la sage-femme avait clairement ordonné à tous les hommes de quitter la pièce, même au roi.

“Ça se passe bien”, lui assura la sage-femme, et pourtant, Sophia voyait dans son esprit qu'elle était inquiète parce qu'il fallait qu'elle prépare cent choses différentes qui risquaient de mal se passer. A ce moment-là, elle n'arrivait plus à retenir ses pouvoirs et ses pensées la submergeaient comme des vagues qui semblaient suivre les douleurs de ses contractions.

 

“Je suis là”, dit Kate en entrant précipitamment dans la chambre. Elle regarda les gens qui se tenaient tout autour.

Qui sont tous ces gens ? demanda-t-elle à Sophia par télépathie.

Je ne les veux pas ici, réussit à répondre Sophia malgré sa douleur. Je t'en prie, Kate.

“OK”, cria Kate avec une voix qui correspondait probablement mieux à son nouveau poste dans l'armée. “Tous ceux qui ne sont pas moi ou la sage-femme, dehors ! Non, on ne discute pas. C'est une naissance, pas un spectacle. Dehors !”

Le fait qu'elle avait la main sur le pommeau de son épée convainquit probablement les gens de bouger et, en moins d'une minute, la chambre ne contint plus que les trois femmes.

“C'est mieux ?” demanda Kate en lui prenant la main.

“Merci”, dit Sophia, qui poussa alors un cri quand une nouvelle vague de douleur la frappa.

“Il y a des feuilles de valériane dans un bol là-bas”, dit la sage-femme. “Elles l'aideront à supporter la douleur. Comme vous venez de chasser tous les serviteurs, je pense que vous venez de vous porter volontaire pour m'aider, votre altesse.”

“Sophia n'aura pas besoin de feuilles de valériane”, dit Kate.

Sophia avait entièrement l'impression d'avoir besoin d'elles mais elle comprenait quand même ce que sa sœur voulait dire. Kate toucha son esprit et Sophia sentit aussi Lucas. Ils travaillèrent ensemble pour éloigner son esprit de la douleur, l'emmener au-delà des limites de son corps.

Nous sommes ici pour t'aider, dit Lucas par télépathie, et ton royaume aussi.

Sophia sentit le royaume autour d'elle comme elle ne l'avait senti que quelques fois auparavant. La connexion était indéniable. Elle n'était pas juste sa reine, elle en faisait partie, elle était en phase avec le pouvoir vivant de tout ce qui respirait entre ses frontières, avec l'énergie du vent et des rivières et avec la force fraîche des collines.

La voix de la sage-femme lui parvint de loin. “Il faut que vous poussiez pendant la prochaine contraction, votre majesté. Préparez-vous. Poussez.”

Pousse, Sophia, dit Kate par télépathie.

Sophia sentit son corps réagir alors qu'il lui paraissait maintenant très lointain, si lointain que la douleur qui semblait attendre était comme une chose qui arrivait à quelqu'un d'autre.

Il faut que tu pousses plus fort, dit Kate par télépathie.

Sophia fit de son mieux et elle entendit des cris de douleur qui, supposa-t-elle, devaient être les siens, même si elle avait l'impression qu'ils ne la touchaient pas. Cependant, ils touchèrent le royaume. Elle vit des nuages d'orage se rassembler au-dessus d'elle, sentit la terre gronder sous elle. Comme elle n'avait guère de contrôle sur cette connexion, elle ne pouvait pas empêcher ce grondement de monter.

Les nuages d'orage éclatèrent et relâchèrent un torrent de pluie qui fit gonfler les rivières et trempa les gens qui se trouvaient dessous. L'orage fut bref et puissant et le soleil revint si vite dans le ciel que Sophia eut l'impression qu'il n'y avait jamais eu d'orage. Alors, un arc-en-ciel suivit dans son sillage.

Tu peux revenir maintenant, Sophia, dit Lucas par télépathie. Regarde ta fille.

Avec Kate, il ramena Sophia, lui fit reprendre conscience pour qu'elle retrouve la chambre. Respirant avec difficulté, Sophia vit la sage-femme qui se tenait à quelque distance et enveloppait déjà une petite forme dans des langes. Lucas était là, maintenant. Visiblement, il avait décidé de ne pas tenir compte de l'injonction de la sage-femme.

Sophia se sentit submergée par une vague de joie quand elle entendit sa fille crier pour qu'elle la tienne, gargouillant comme les bébés qui veulent leur mère.

“A l'entendre, elle est forte”, dit Kate en prenant le bébé avec une douceur surprenante et en attendant que la sage-femme s'en aille avant de tendre le bébé à Sophia. Sophia tendit le bras vers sa fille et contempla un regard qui semblait découvrir le monde entier. A ce moment-là, pour Sophia, sa fille était le monde entier.

La vision frappa Sophia si vite qu'elle en eut le souffle coupé.

Une jeune femme rousse se tenait dans une salle du trône et les représentants de cent pays étaient agenouillés devant elle. Elle marchait à grands pas dans les rues et distribuait du pain aux pauvres, ramassait les fleurs que l'on jetait à ses pieds pour en tresser une couronne qu'elle offrait en riant à un groupe d'enfants. Elle tendit le bras vers une fleur fanée et la ramena à la vie …

… Elle traversait un champ de bataille à grands pas, une épée en main, et elle la plongeait dans le corps des mourants, mettant fin à leurs efforts de survie. Elle tendit le bras vers un jeune homme, lui enleva la vie d'un toucher et la déversa dans le grand réservoir de pouvoir qui lui permettrait de soigner ses propres troupes …

… Elle dansait au milieu d'un bal, virevoltait en riant, visiblement aimée par ceux qui l'entouraient. Des artistes travaillaient sur le côté de la salle avec toutes sortes de matériaux, de la peinture, de la pierre, de la magie, et ils créaient des œuvres si belles que les regarder faisait presque mal aux yeux. Elle admettait les pauvres dans ce banquet, pas par charité mais parce qu'elle ne voyait pas de différence entre donner à manger à ses amis et donner à manger à tous ceux qui avaient faim …

… Elle se tenait au bord d'une fosse de combat, devant un groupe de nobles à genoux qui tremblaient et levaient les yeux vers elle avec un mélange de crainte et de haine qui mettait Sophia mal à l'aise quand elle le voyait.

“Vous m'avez trahie”, dit-elle d'une voix d'une beauté presque parfaite. “Vous auriez pu tout avoir. Vous n'aviez qu'à suivre mes ordres.”

“Et n'être que des esclaves !” dit un des hommes.

Elle avança vers eux, une épée en main. “Il faudra payer le prix pour cela.”

Elle se rapprocha et la tuerie commença pendant que, autour d'elle, la foule psalmodiait un mot, un nom unique : “Christina, Christina …”

Sophia reprit brusquement conscience et regarda fixement sa fille sans comprendre ce qui venait de se passer. A présent, Sophia savait reconnaître une vraie vision mais elle ne comprenait pas ce que tout cela signifiait. Elle avait l'impression d'avoir reçu deux séries de visions en même temps, l'une contredisant l'autre. Elles ne pouvaient pas être vraies toutes les deux, n'est-ce pas ?

“Sophia, que se passe-t-il ?” demanda Kate.

“Je … j'ai eu une vision”, dit Sophia. “Une vision sur ma fille.”

“Quelle sorte de vision ?” demanda Lucas.

“Je ne la comprends pas”, dit Sophia. “Je l'ai vue et, une fois sur deux, elle faisait des choses belles et merveilleuses alors que, le reste du temps … c'était cruel et maléfique.”

Montre-nous, suggéra Kate.

Sophia fit de son mieux pour leur envoyer les images de la vision. Même ainsi, elle n'eut pas la sensation de leur avoir transmis le sens complet. Elle ne pouvait pas leur exprimer tout l'émerveillement et toute la terreur qu'elle ressentait, la sensation puissante de réalité de ces scènes, même par rapport à d'autres visions qu'elle avait eues.

“Puis-je toucher son esprit ?” demanda Lucas quand Sophia eut terminé.

Sophia hocha la tête, devinant qu'il cherchait des signes indiquant que sa fille n'était pas ce qu'elle semblait être. Après ce que Siobhan avait essayé de faire pour la capturer avant qu'elle ne naisse, la perspective était terrifiante.

“Elle est encore elle-même”, dit Lucas, “mais je sens son pouvoir. Elle va être plus forte que nous tous, à mon avis.”

“Mais que signifient les visions ?” leur demanda Sophia. Sa fille avait l'air tellement parfaite dans ses bras. Sophia ne pouvait l'imaginer traverser un champ de bataille d'un pas raide et voler la vie aux gens comme le Maître des Corbeaux aurait pu le faire avec ses oiseaux.

“Ce sont peut-être des possibilités”, suggéra Kate. “Siobhan me disait qu'elle examinait les fils de l'avenir et qu'elle choisissait les choses qui en provoqueraient d'autres. Peut-être s'agit-il de deux évolutions possibles de sa vie.”

“Mais nous ne savons pas ce qui fait la différence”, dit Sophia. “Nous ne savons pas comment faire en sorte que seules les bonnes choses se passent.”

“Tu vas l'élever avec amour”, dit Lucas. “Tu vas bien l'éduquer. Tu vas l'aider à aller vers la lumière, pas vers les ténèbres. La petite Christina aura du pouvoir quoi que tu fasses mais tu peux l'aider à bien s'en servir.”

Le nom fit frémir Sophia. Même si c'était celui de sa mère, après la vision, elle ne pouvait plus le donner à sa fille. C'était hors de question.

“Tout sauf Christina”, dit-elle. Elle pensa aux fleurs qu'elle avait vu sa fille tisser dans la rue. “Violette. Nous allons l'appeler Violette.”

“Violette”, dit Kate avec un sourire, tendant un doigt vers le tout petit bébé pour qu'il le saisisse. “Elle est déjà forte, comme sa mère.”

“Comme sa tante, si ça se trouve”, répondit Sophia. Son sourire s'assombrit un peu. “S'il vous plaît, ne dites rien de tout ça à Sebastian, ni l'un ni l'autre. Il ne faut pas qu'il ait à supporter cette incertitude sur l'avenir de sa fille.”

“Si tu veux que je ne le dise à personne, alors, je ne dirai rien”, lui assura Lucas.

“Moi non plus”, dit Kate. “Si quelqu'un peut l'élever de façon à ce qu'elle devienne une bonne personne, c'est toi, Sophia. De plus, nous serons là pour t'aider.”

“Absolument”, dit Lucas. Il se sourit à lui-même. “Peut-être aurai-je la possibilité de jouer le rôle de l'Officiel Ko et de lui transmettre quelques-unes des choses qu'il m'a enseignées.”

Ils avaient l'air vraiment certains que tout se passerait bien et Sophia voulait les croire. Pourtant, une partie d'elle-même ne pouvait pas oublier les choses qu'elle avait vues. Sa fille lui sourit avec une parfaite innocence. Il faudrait que Sophia s'assure que rien de cela ne change.

CHAPITRE HUIT

Henry d’Angelica, le fils aîné de Sir Hubert et de Lady Neeme d’Angelica, devait accomplir ce qui lui semblait actuellement être la mission la plus ardue du royaume : essayer d'empêcher ses parents de trop s'attrister des événements qui avaient secoué le royaume au cours des quelques dernières semaines.

“Ianthe est bouleversée, bien sûr”, dit sa mère entre deux sanglots, comme si la détresse que ressentait la tante de Henry depuis la mort de sa fille était une nouvelle.

Le père de Henry, qui se débrouillait mieux avec la colère qu'avec la tristesse, donna un coup de son poing ridé sur le bois de la cheminée. “Ces choses que ces barbares lui ont faites … savez-vous s'ils ont mis la tête de la pauvre fille sur une pique ?”

Henry avait surtout entendu ses parents répéter cette rumeur, avec une centaine d'autres. La maisonnée n'avait pas entendu grand-chose d'autre depuis l'invasion. Angelica avait été faussement accusée de trahison. Angelica avait été taillée en pièces par la populace, pendue ou décapitée. Les envahisseurs avaient envahi les rues et assassiné tous ceux qui portaient les couleurs royales. Ils s'étaient mis avec le fils qui avait assassiné la vieille reine …

“Henry, tu ne nous écoutes même pas ?” demanda son père.

Théoriquement, Henry n'aurait pas dû tressaillir. A dix-neuf ans, il était un homme. Il était grand et fort, bon à l'épée et encore meilleur au pistolet. Pourtant, quand il entendait la voix de son père, il redevenait toujours un petit garçon.

“Je suis désolé, Père. Qu'avez-vous dit ?” demanda Henry.

“J'ai dit qu'il fallait faire quelque chose”, répéta son père avec une mauvaise grâce évidente.

“Oui, Père”, dit Henry.

Son père le regarda avec colère. “Vraiment, malgré toute mon éducation, tu n'es que l'ombre d'un homme. Ton cousin, lui ...”

“Enfin, mon amour …” commença sa mère, mais de la façon peu enthousiaste dont elle était coutumière.

“Pourtant, c'est vrai !” dit son père sur un ton cassant en faisant les cent pas devant la cheminée comme un garde devant la porte d'un château. Cela dit, l'homme important qu'était Sir Hubert n'aurait probablement pas apprécié la comparaison. “Ce garçon n'apprend rien. Combien de tuteurs a-t-il eu pendant son enfance ? Ensuite, il y a eu le commandement de cette compagnie militaire dont il a fallu que je le sorte en payant cher, puis il a essayé de rejoindre l'Église de la Déesse Masquée …”

 

Henry ne se fatigua pas à signaler que c'étaient ses parents qui avaient été à l'origine de tout cela. S'il y avait eu tant de tuteurs, c'était parce que son père avait l'habitude de les renvoyer dès qu'ils enseignaient une chose qu'il n'approuvait pas; donc, Henry s'était surtout éduqué lui-même dans la bibliothèque de la maison. De même, c'était son père qui avait décidé qu'un commandement dans une compagnie libre n'était pas une bonne place pour son fils. Enfin, l'histoire avec l'Église avait même été l'idée du vieil homme jusqu'au jour où il avait appris que cela signifierait que Henry ne pourrait jamais donner à la famille les héritiers qu'il lui fallait.

“Tu rêvasses encore”, dit son père sur un ton cassant. “Ta cousine ne rêvasserait pas, elle. Elle a fait quelque chose de sa vie. Elle a épousé un roi !”

“Et presque épousé un prince deux fois”, dit Henry, incapable de se taire.

Il vit son père blêmir de colère. Henry connaissait cette expression et savait ce qu'elle présageait. Pendant son enfance, il avait vu cette expression très souvent et avait dû rester immobile et insensible aux gifles ou aux coups de badine qui avaient suivi. Il se prépara à faire de même aujourd'hui.

En fait, quand son père envoya son coup, Henry se rendit compte que sa main s'était dressée presque automatiquement pour attraper le bras, qu'elle serrait assez fort pour donner un bleu au poing de son père qu'il immobilisait en le regardant d'un air calme. Il recula en laissant retomber le bras de son père.

Sir Hubert se frotta le poing. “Je veux que tu quittes ma maison ! Tu n'y es plus le bienvenu !”

“Je pense que vous avez raison”, dit Henry. “Il faudrait que je parte. Veuillez m'excuser.”

Avec un calme qui le surprit lui-même, il quitta la pièce, monta à l'étage et alla dans la chambre qu'il occupait depuis son enfance. A cet endroit, il commença à rassembler des affaires, à choisir ce qu'il lui faudrait et à se demander ce qu'il allait devoir faire.

Henry n'avait pas beaucoup connu sa cousine de son vivant. Il y avait ceux qui disaient que, avec ses cheveux blonds, ses yeux bleu foncé et ses beaux traits, il lui ressemblait en fait un peu mais Henry ne l'avait jamais constaté. C'était peut-être parce qu'Angelica avait toujours été l'idéal par rapport auquel il avait été considéré comme inférieur. Elle était plus intelligente, s'entendait mieux avec les gens ou avait plus de succès à la cour.

Henry n'était pas sûr que ces choses soient vraies. Habituellement, avant que son père les avait renvoyés, ses tuteurs avaient été surpris par la vitesse à laquelle Henry apprenait et il avait toujours su pousser les gens à faire ce dont il avait besoin. S'il avait manqué de succès à la cour, cela avait surtout été dû à un manque d'intérêt.

“Il faudra que ça change”, se dit Henry.

Il avait entendu les rumeurs sur sa cousine mais il avait aussi eu l'intelligence de chercher ses propres sources d'information. Il avait payé des hommes pour qu'ils lui dévoilent ce qu'ils savaient et avait bu avec les voyageurs qui s'arrêtaient à l'auberge locale. D'après ce qu'il comprenait, sa cousine avait été rejetée non pas une fois mais deux par Sebastian, le fils qui, selon la rumeur, avait assassiné sa mère. Angelica avait alors pris le parti de Rupert, probablement pour s'assurer d'arriver jusqu'au trône mais, à ce moment-là, l'invasion menée par Sophia Danse avait fait des cibles de tous ceux qui étaient liés à la famille royale.

“Et elle en est morte”, marmonna Henry en allant chercher ses vêtements et de l'argent, des pistolets et sa vieille rapière de duel.

Il était certain qu'Angelica avait accompli beaucoup de choses abominables pour arriver si haut. Une partie de Henry aurait voulu ne pas comprendre comment ces choses fonctionnaient mais il le comprenait et même quelqu'un comme Angelica ne pouvait devenir reine par accident. Elle n'avait jamais hésité à tricher ou à mentir pour gagner aux jeux de son enfance dès que cela avait paru pouvoir lui apporter un avantage.

Pourtant, ce dont les rumeurs l'accusaient … elles ressemblaient plus à une déformation de l'histoire par des gens qui voulaient se refaire une virginité. Elles étaient une excuse pour la mettre à mort, pour arriver au pouvoir sans plus d'obstacles.

S'il avait été comme son père, Henry aurait éclaté d'une colère impuissante à cette idée. S'il avait été comme sa mère, il se serait effondré sous une telle horreur tout en répandant des ragots. Cela dit, il n'était pas comme eux. Il était un homme qui faisait le nécessaire et il fallait qu'il le fasse maintenant.

“L'honneur de la famille ne se contenterait jamais de moins”, dit Henry en se redressant et en soulevant son sac.

Il redescendit et s'arrêta à la porte du salon.

“Mère, Père, je m'en vais maintenant. Je ne reviendrai pas. Je veux que vous sachiez que je vais venger la mort de ma cousine quoi qu'il en coûte. Je ne le fais pas pour que vous soyez fiers de moi, vu que, franchement, votre opinion sur la question m'indiffère, mais parce qu'il faut que quelqu'un le fasse. Adieu.”

Comme discours d'adieu, c'était singulièrement froid mais Henry sentait qu'il n'avait rien de mieux à leur offrir. Il quitta la maison à pas raides sans tenir compte des pleurs de sa mère ou des regards courroucés de son père.

A l'écurie, il choisit la belle jument châtain qu'il chevauchait toujours avec un cheval moucheté pour porter ses bagages. Il commença à seller les deux bêtes sans la moindre hésitation. Il avait déjà arrêté de penser à ses parents et se concentrait sur les choses qu'il allait falloir qu'il fasse dans les jours à venir, les alliances qu'il allait devoir nouer, les combats qu'il allait falloir qu'il gagne avec des mots, de l'or et de l'acier.

Est-ce que leur nouvelle reine était véritablement une des Danse ? C'était possible, vu les rumeurs, mais, même si elle l'était, cela ne lui donnait pas le droit de prendre le trône. Il avait été la prérogative de Rupert, puis d'Angelica après la mort de Rupert. Comme le seul membre restant des Flambergs était presque certainement coupable de trahison, cela signifiait …

“Oui”, dit Henry avec un sourire triste parce qu'il avait atteint sa conclusion bien trop facilement, “ça pourrait fonctionner.”

Ce n'était pas qu'il voulait le faire. Il n'avait pas plus besoin d'un trône qu'il n'avait désiré le poste dans le clergé que ses parents avaient essayé de lui imposer. C'était tout simplement un élément nécessaire de ce qui allait se passer. S'il fonçait à Ashton et essayait de tuer la reine, il ne serait qu'un simple traître.

Pourtant, il ne pouvait pas permettre aux envahisseurs d'Ishjemme d'échapper à leur punition. D'un seul coup, ils avaient détruit tous les systèmes soigneusement installés à la suite des guerres civiles. Ils avaient détruit l'ordre ancien et institué un nouveau où l'Assemblée des Nobles était sujette aux caprices du souverain et où sa cousine pouvait être exécutée sur un simple mot de la reine.

Henry ne l'accepterait pas. Il pouvait remettre les choses en l'état. Il pouvait résoudre le problème.

Cette idée en tête, il partit. Il allait avoir besoin de soutien pour cette mission et, heureusement, Henry savait exactement où le trouver.

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