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Le Réveil des Dragons

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Z serii: Rois et Sorciers #1
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“Á moins de considérer cette égratignure infligée par une lance comme une blessure.”

Il releva l’oreille du sanglier et Brandon et Braxton rougirent tandis que le groupe de guerriers riait à gorge déployée.

Un autre guerrier de son père s’avança, Vidar, un ami proche d’Anvin. Plus mince et moins grand que les autres, il devait avoir dans les trente ans. Il avait un visage décharné et une cicatrice lui barrait le nez. De petite carrure, il ne payait pas de mine mais Kyra connaissait sa réputation. Vidar était résistant comme un roc et était réputé pour les combats au corps-à-corps. C’était l’un des hommes les plus forts que Kyra connaissait, capable de mettre à terre un homme de deux fois plus grands que lui. Á cause de sa taille, de nombreux hommes avaient fait l’erreur de le provoquer et avaient fait les frais de leur erreur. Il avait également pris Kyra sous son aile et se montrait toujours très protecteur envers elle.

“On dirait que les garçons ont raté leur coup,” conclu Vidar, “et que la fille les a sauvés. Qui vous a appris à viser?”

Brandon et Braxton étaient de plus en plus nerveux. Á l’évidence ils étaient pris en flagrant délit de mensonge et ne savaient plus quoi dire.

“C’est une chose grave que de mentir au sujet d’un trophée,” dit sombrement Anvin en se tournant vers ses frères. “Cela suffit. Votre père voudra que vous lui disiez la vérité.”

Brandon et Braxton restèrent ainsi, clairement mal à l’aise, à se regarder l’un l’autre pour trouver quelque chose à répondre. Aussi loin qu’elle se souvienne, c’était la première fois qu’elle les voyait rester sans voix.

Alors qu’ils étaient sur le point de parler, une voix étrangère s’éleva de la foule.

“Cela n’a pas d’importance de savoir qui l’a tué,” dit la voix. “Il est à nous à présent.”

Tous se retournèrent, surpris par cette voix inconnue et rude. Son estomac se noua à la vue d’un groupe d’Hommes du Seigneur qui s’avançaient au travers de la foule dans leurs armures écarlates facilement identifiables, les villageois se hâtaient se s’écarter sur leur passage. Ils s’approchèrent du sanglier en le regardant avec convoitise et Kyra compris qu’ils voulaient ce trophée non pas parce qu’ils en avaient besoin mais parce que c’était une nouvelle façon d’humilier son peuple, de leur ôter cette petite fierté. Léo se mit à grogner à ses côtés et elle mit une main rassurante sur son cou tout en le retenant.

“Au nom du Seigneur Gouverneur,” dit l’Homme du Seigneur, un soldat corpulent avec un front tombant, d’épais sourcils, un gros ventre et un visage d’imbécile “nous confisquons ce sanglier. Il vous remercie d’avance pour ce présent que vous lui faites en cette période de festivités.”

Il fit signe à ses hommes de s’approcher du sanglier pour s’en emparer.

Mais Anvin et Vidar s’interposèrent vivement, leur bloquant le passage.

Un silence stupéfait se fit. Personne n’avait jamais osé confronter les Hommes du Seigneur. C’était une règle implicite. Personne n’avait envie de susciter les foudres de Pandésia.

“Il me semble que personne ne vous a fait de cadeau,” dit-il d’une voix glaciale, “ni à vous, ni à votre Seigneur Gouverneur.”

La foule grossissait de plus en plus, des centaines de villageois s’étaient réunis pour observer la scène qui ne pouvait mener qu’à une confrontation. En parallèle, certains d’entre eux s’écartaient pour laisser de l’espace aux deux hommes. La tension était palpable.

Kyra sentit son cœur s’accélérer. Inconsciemment, sa poigne se referma sur son arc. Elle sentait que la situation allait dégénérer. Bien qu’elle souhaitât désespérément un combat et la liberté, elle savait également que son peuple ne pouvait pas se permettre de subir le courroux du Seigneur Gouverneur. Même si par miracle ils arrivaient à les battre, l’Empire Pandésien tout entier les soutenait. Ils pouvaient envoyer des divisions d’hommes aussi grandes que la mer.

En même temps, Kyra était fière qu’Anvin ose s’interposer. Quelqu’un avait enfin fini par le faire.

Hostile, le soldat le regarda de haut.

“Oses-tu défier le Seigneur Gouverneur?” demanda-t-il.

Anvin ne bougea pas.

“Ce sanglier nous appartient et personne ne vous l’a donné,” dit Anvin.

“Il était à vous,” le corrigea le soldat, “et à présent il nous appartient.” Il se retourna vers ses hommes. “Saisissez-vous du sanglier,” ordonna-t-il.

Les Hommes du Seigneur s’approchèrent mais une dizaine d’hommes de son père s’avancèrent, venant en renfort à Anvin et Vidar et bloquant le passage des Hommes du Seigneur, la main sur leurs armes.

La tension devint si forte que Kyra serra son arc jusqu’à en faire blanchir les articulations de ses doigts. Elle se sentait très mal car elle avait l’impression d’être responsable de cette situation car c’était elle qui avait abattu le sanglier. Elle pressentait que quelque chose de terrible était sur le point de se produire et elle maudit ses frères d’avoir ramené cette créature de mauvais augure dans leur village, en particulier le soir de la Lune d’Hiver. Il se passe toujours des choses étranges les jours de festivités, ces jours mystiques où les morts sont soi-disant capables de passer d’un monde à un autre. Pourquoi ses frères avaient-ils eu besoin de provoquer ainsi les esprits?

Les hommes étaient sur le point de se confronter. Les hommes de son père étaient prêts à dégainer leurs épées, prêts à faire couler un bain de sang. Lorsque soudain une voix autoritaire fendit les airs, retentissant dans le silence.

“Ce trophée appartient à la fille!” dit la voix.

C’était une voix forte, pleine de confiance, une voix imposant l’attention, une voix que Kyra admirait et respectait le plus au monde: celle de son père. Le Commandant Duncan.

Tous les regards se tournèrent vers son père, la foule s’ouvrit sur son passage en signe de grand respect. Il se tenait là, fier comme une montagne, deux fois plus grand et ses épaules deux fois plus larges que les autres, une barbe brune sauvage et avec de longs cheveux bruns grisonnants. Il portait ses fourrures sur ses épaules et deux longues épées pendaient à sa ceinture. Une lance pendait dans son dos. Son armure noire typique de Volis était ornée d’un dragon sur le plastron, le symbole de leur maison. Ses armes étaient rayées et ébréchées par de trop nombreux combats. Son expérience du combat transparaissait de toute sa personne. C’était un homme craint, admiré, un homme que tous savaient droit et juste. Un homme aimé et par-dessus tout, respecté.

“C’est le trophée de Kyra,” répéta-t-il en lançant un regard désapprobateur à ses fils. Ignorant les Hommes du Seigneur, il se tourna vers Kyra. “C’est à elle de décider.”

Kyra fut stupéfaite par les mots de son père. Elle ne s’était pas attendue à cela, à se retrouver avec une telle responsabilité sur les épaules, à devoir prendre une décision lourde de conséquences. Il ne s’agissait pas seulement du sanglier, tous le savait, mais il s’agissait également du sort de son peuple.

Tendus, les soldats des deux camps s’alignèrent la main à l’épée. Regardant leurs visages qui la dévisageaient dans l’attente de sa réponse, elle savait que son prochain choix, ses prochains mots, seraient les plus importants qu’elle ait jamais prononcés.

CHAPITRE QUATRE

Merk marchait lentement sur le sentier forestier, progressant dans Whitewood tout en réfléchissant sur sa vie. Ses quarante années avaient été difficiles. Il n’avait jamais pris le temps de se promener dans un bois de toute sa vie, d’admirer la beauté de la nature autour de lui. Il baissa les yeux sur les feuilles blanches qui craquaient sous ses pas, le son régulier de son bâton heurtant le sol de la forêt. Il releva les yeux et admira la beauté des Aesops dont les feuilles blanches brillantes contrastaient avec les branches rouges qui scintillaient à la lumière du soleil. Les feuilles tombaient sur lui comme de la neige et pour la première fois de sa vie il ressentit une sensation de paix.

De taille et de corpulence moyenne, il avait les cheveux bruns et ne se rasait jamais le visage. Sa mâchoire large, ses pommettes saillantes et ses grands yeux noirs cernés lui donnaient en permanence l’apparence d’une personne n’ayant pas dormi depuis des jours. Et c’était exactement la sensation qu’il avait au quotidien. Sauf maintenant. Á présent il se sentait reposé. Ici, à Ur, dans le nord-ouest d’Escalon, il ne neigeait pas. L’océan, à un jour de chevauchée à l’ouest, leur assurait des températures plus tempérées ce qui permettait aux feuilles de toutes les couleurs de s’épanouir. Merk pouvait donc se permettre de ne porter qu’une cape. Il n’avait pas besoin de se protéger des vents glaciaux, ce que la plupart des habitants d’Escalon devaient faire. Il en était encore à s’habituer à l’idée de porter une cape plutôt qu’une armure, à taper les feuilles avec son bâton plutôt que de transpercer ses adversaires avec son poignard. Tout cela était nouveau pour lui. Il essayait de voir ce que cela faisait de devenir la nouvelle personne qu’il espérait devenir. C’était une sensation de calme, mais étrange. Comme s’il essayait d’être une personne qu’il n’était pas.

Merk n’était ni un voyageur, ni un moine. Ni même un homme pacifique. Au plus profond de lui-même, il était un guerrier. Et pas un simple guerrier. Un guerrier qui combattait selon ses propres règles. Qui n’avait jamais perdu une bataille. Un homme qui n’avait pas peur de se battre aussi bien sur un terrain de joute que dans les ruelles des tavernes qu’il aimait fréquenter. Il était ce que les gens appelaient un mercenaire. Un assassin. Une épée à louer. On le qualifiait de différents noms, certains peu flatteurs, mais Merk n’y accordait aucune attention. Il se fichait de ce que les gens pouvaient penser. Tout ce qui lui importait était d’être l’un des meilleurs.

 

Comme pour correspondre à son rôle, Merk avait changé de nom à plusieurs reprises selon ses envies. Il n’aimait pas le nom que son père lui avait donné. D’ailleurs, il n’aimait pas son père non plus. Et il avait décidé de ne pas vivre sous le nom qu’une autre personne lui avait imposé. Merk était le nom qu’il utilisait le plus souvent et pour l’instant, cela lui convenait. Il se contrefichait bien de la façon dont les autres l’appelaient. Deux choses étaient importantes pour lui: trouver le point parfait où enfoncer son poignard et que ses employeurs le paient en or fraîchement frappé et en grandes quantités.

Très jeune, Merk s’était découvert un don, qu’il était supérieur aux autres dans tout ce qu’il faisait. Ses frères tout comme son père et leurs célèbres aïeuls, étaient de fiers et nobles chevaliers, portant les meilleures armures, maniant les meilleures armes, se pavanant sur leurs chevaux, agitant leurs bannières les cheveux décorés de fleurs et remportant toutes sortes de compétitions tandis que leurs dames lançaient des fleurs qui tombaient à leurs pieds. Ils n’auraient pu être plus fiers d’eux-mêmes.

Á l’inverse, Merk détestait le faste et les feux de la rampe. Ces chevaliers avaient quelque chose de maladroit sur le champ de bataille. Ils étaient très peu efficaces et Merk n’avait aucun respect pour eux. Il n’avait pas besoin de reconnaissance, ni ne courrait après les insignes, bannières ou armoiries qui faisaient rêver tous les chevaliers. Pour lui, cela était bon pour les personnes auxquelles le plus important faisait défaut: l’habileté nécessaire pour prendre la vie d’un homme rapidement, silencieusement et de façon efficace. Pour lui, rien d’autre n’avait une quelconque importance.

Plus jeune, lorsque ses amis trop petits pour se défendre eux-mêmes, venaient le trouver lorsqu’on les embêtait, il avait déjà la réputation d’être une fine lame. Il n’hésitait pas à se faire payer pour les défendre. Leurs persécuteurs ne les embêtaient plus jamais. Les rumeurs de ses prouesses se répandirent rapidement. Acceptant de plus en plus de paiements, l’habileté de Merk pour tuer progressa.

Tout comme ses frères, Merk aurait pu devenir un chevalier, un guerrier acclamé. Mais à la place il avait choisi de travailler dans l’ombre. Ce qui l’intéressait c’était de gagner, d’avoir une efficacité mortelle. Il s’était rapidement rendu compte que les chevaliers parés de leurs belles épées et de leurs encombrantes armures n’étaient pas capables de tuer aussi rapidement ou efficacement que lui, un homme seulement vêtu d’une chemise de cuir et d’une lame acérée.

Tout en marchant et titillant les feuilles avec son bâton, il se souvint d’une nuit passée dans une taverne avec ses frères, où les armes avaient été dégainées contre des chevaliers rivaux. Ses frères étaient cernés, en infériorité numérique et tandis que tous les chevaliers raffinés respectaient le protocole, Merk n’avait pas hésité une seconde. Armé de son poignard, il avait traversé la salle comme une flèche et avait tranché la gorge des hommes avant qu’ils n’aient le temps de dégainer leurs épées.

Ses frères auraient dû le remercier de leur avoir sauvé la vie, mais au lieu de cela ils avaient pris leurs distances par rapport à lui. Ils le regardaient de haut mais en même temps il leur faisait peur. Ce fut toute la gratitude qu’il reçue et leur trahison le toucha plus qu’il ne voulait le reconnaître. Cela creusa le fossé de noblesse et de chevalerie qui les séparait. Á ses yeux c’était de la pure hypocrisie, un acte intéressé. Ils pouvaient bien se pavaner dans leurs belles armures brillantes et le mépriser, il n’en restait pas moins que sans son poignard, ils seraient tous morts aujourd’hui.

Merk continua de marcher en soupirant et essayant d’oublier le passé. Tout en réfléchissant, il réalisa qu’il ne comprenait pas bien l’origine de son talent. Peut-être était-ce sa rapidité et son agilité, ou peut-être encore parce qu’il était particulièrement agile avec ses poignets et ses mains, peut-être avait-il un talent particulier pour trouver le point vital de ses victimes, peut-être était-ce dû au fait qu’il n’hésitait jamais à aller encore plus loin, à réaliser cette ultime action qui effrayait tant d’autres hommes, peut-être était-ce dû au fait qu’il n’avait jamais dû s’y reprendre à deux fois ou peut-être encore parce qu’il était capable d’improviser et de tuer avec n’importe quel outil à sa disposition: un pic, un marteau ou une vieille bûche. Il était plus rusé que les autres, savait s’adapter plus facilement et retomber plus rapidement sur ses pieds – une combinaison fatale.

Tout au long de sa jeunesse, ces fiers chevaliers avaient pris leurs distances par rapport à lui, ils s’étaient même moqués de lui dans son dos (car aucun n’aurait osé rire de lui en face). Mais à présent qu’ils étaient tous devenus vieux, que leur pouvoir avait diminué et que sa réputation s’était répandue, il était devenu celui que les rois cherchaient à engager tandis qu’eux avaient sombré dans l’oubli. Ses frères n’avaient jamais compris que la chevalerie ne transformait pas des gens en rois. La violence laide et brutale, la peur, l’élimination de vos ennemis les uns après les autres, le meurtre horrible que personne d’autre ne voulait commettre, tout cela concourrait à faire des rois. Et c’était vers lui qu’ils se tournaient pour que le vrai travail d’un roi soit réalisé.

Á chaque impact de son bâton, les victimes de Merk lui revenaient en mémoire. Il avait tué le pire ennemi du Roi, sans utiliser de poison (pour cela ils auraient fait appel aux petits assassins, aux apothicaires ou aux séductrices). Pour leurs victimes les plus importantes, ils souhaitaient souvent que le fait soit remarqué et ils faisaient donc appel à ses services. Quelque chose d’ignoble et de publique: une dague dans un œil, un cadavre abandonné dans un jardin public, se balançant à une fenêtre exposé à la vue de tout à chacun au prochain lever de soleil et pour que tout le monde se demande qui avait donc osé défier le Roi.

Lorsque le vieux Roi Tarnis avait rendu le royaume et par conséquent ouvert la porte à Pandésia, Merk s’était soudain senti vide, sans aucun but pour la première fois de sa vie. Sans Roi à servir, il s’était senti partir à la dérive. Une chose enfouie en lui depuis longtemps avait refait surface et pour une raison qu’il ne comprenait pas bien, il avait commencé à se poser des questions sur la vie. Toute sa vie durant il avait été obsédé par la mort, les meurtres et ôter la vie des autres. S’en était devenu facile, trop facile. Mais maintenant, quelque chose en lui avait changé. C’était comme s’il avait du mal à sentir la terre ferme sous ses pieds. Il avait toujours su à quel point la vie était une chose fragile, à quel point elle pouvait facilement être ôtée mais à présent il commençait à se demander comment la préserver. La vie était tellement fragile, la préserver ne serait-il pas après tout le plus grand des défis?

Et malgré lui il commençait à se demander: quelle était cette chose dont il dépouillait les autres?

Merk ne savait pas vraiment ce qui avait déclenché cette réflexion personnelle mais cela le mettait grandement mal à l’aise. Quelque chose en lui avait fait surface, une grande nausée et cela l’avait dégoûté du meurtre. Il détestait à présent ce qu’il avait tant aimé faire auparavant. Il aurait aimé pouvoir identifier la cause à tout ceci – le meurtre d’une personne en particulier peut-être – mais il n’en trouvait pas. Cela c’était insinué en lui sans raison particulière. Et cela en était encore plus perturbant.

Á l’inverse des autres mercenaires, Merk n’avait jamais agi que pour les causes en lesquelles il croyait. Ce ne fut que plus tard dans sa vie, lorsqu’il devint trop bon dans ce qu’il faisait, lorsque les sommes proposées devinrent trop importantes, qu’il commença à franchir certaines limites, à accepter des paiements pour éliminer des personnes qui n’étaient pas nécessairement en faute, dont la mort n’était absolument pas nécessaire. Et c’était cela qui le travaillait.

Merk développa une passion aussi forte à défaire tout ce qu’il avait fait, à prouver aux autres qu’il pouvait changer. Il voulait tirer un trait sur son passé, effacer tout ce qu’il avait fait, faire pénitence. Il avait fait le vœu solennel envers lui-même de ne jamais plus tuer, de ne jamais plus lever la main sur quiconque, de passer le restant de ses jours à implorer le pardon divin, de se dévouer à aider les autres, à devenir une meilleure personne. Et tout cela l’avait mené sur ce sentier forestier sur lequel il marchait à présent accompagné des bruits sourds de son bâton.

Merk vit que le sentier remontait avant de replonger au milieu des feuilles blanches brillantes. Il regarda à l’horizon à la recherche de la Tour de Ur, sans succès. Il savait que le sentier finirait par l’y mener, cela faisait des mois qu’il espérait faire ce pèlerinage. Depuis tout jeune garçon il avait toujours été captivé par récits sur les Guetteurs, un ordre secret de moines/chevaliers, à moitié homme et autre chose, dont la tâche consistait à vivre dans les deux tours: la Tour de Ur au nord-ouest et la Tour de Kos au sud-est, et à défendre la relique la plus précieuse du Royaume, l’Épée de Feu. D’après la légende, l’Épée de Feu permettait d’entretenir Les Flammes. Personne ne savait vraiment dans quelle tour elle se trouvait car il s’agissait d’un secret jalousement gardé par les plus anciens Guetteurs. Si elle venait à être déplacée ou volée, Les Flammes seraient perdues à jamais et Escalon deviendrait alors vulnérable à toute attaque.

On racontait que si les Guetteurs vous acceptaient, monter la garde depuis ces tours était un grand honneur, une tâche sacrée et honorable. Depuis tout petit Merk avait toujours rêvé de rejoindre les Guetteurs. Il se couchait chaque soir en se demandant quelle impression cela pouvait faire de rejoindre leurs rangs. Il voulait s’isoler dans la solitude, servir une cause, se perdre dans ses réflexions personnelles et il ne voyait pas de meilleur moyen que de devenir un Guetteur. Merk se sentait prêt. Il avait délaissé sa cotte de maille pour du cuir, son épée pour un bâton et pour la première fois de sa vie, il avait passé une lune entière sans commettre de meurtre ni faire de mal à quelqu’un. Il commençait enfin à se sentir bien.

Arrivant au sommet d’une colline, il scruta plein d’espoir les alentours. Comme les jours précédents, il espérait que ce sommet lui révèlerait la tour de Ur quelque part sur l’horizon. Mais il ne vit rien, rien à part des bois s’étendant à perte de vue. Toutefois, il savait qu’il approchait. Après tant de jours de marche, la tour ne pouvait être bien loin.

Merk poursuivit avec la descente et pénétra dans un bois plutôt dense. Arrivé en bas, un énorme tronc tombé en travers du chemin lui barrait la route. Il s’arrêta et admira la taille remarquable de l’arbre en se demandant comment le contourner.

“Je dirai que c’est encore assez loin,” dit une voix sinistre.

Merk décela immédiatement de mauvaises intentions dans cette voix. Il était devenu expert à cela et il n’eut pas besoin de se retourner pour savoir ce qui l’attendait. Il entendit des feuilles craquer tout autour de lui et des visages émergèrent des bois alentours: des brigands ayant tous une apparence encore plus désespérée les uns que les autres. Ces visages étaient ceux d’hommes prêts à tuer sans raison. Les visages de voleurs et de tueurs s’en prenant aux faibles au hasard et avec une violence aveugle. Pour Merk, ils représentaient le fond du panier.

Merk vit qu’il était cerné et sut qu’il venait de tomber dans une embuscade. Grâce à son instinct affuté, il jeta un rapide coup d’œil autour de lui sans qu’ils s’en rendent compte et dénombra huit hommes. Ils étaient tous armés d’épées et de poignards, vêtus de haillons, leurs visages, mains et ongles étaient sales, non rasés et leurs regards désespérés révélaient qu’ils n’avaient pas mangé depuis bien trop longtemps. Ils avaient l’air de s’ennuyer.

Merk se raidit à l’approche de leur chef, non pas de peur, Merk pouvait le tuer, il pouvait les tuer tous en un clin d’œil s’il le voulait. Ce qui le fit se raidir fut l’idée d’être obligé d’être violent. Il était déterminé à ne pas briser son serment, quel qu’en soit le prix.

“Et qu’avons-nous là?” demanda l’un d’entre eux, en s’approchant de Merk et lui tournant autour.

“On dirait un moine,” dit un autre en se moquant. “Mais ses bottes ne sont pas celles d’un moine.”

“Peut-être est-ce un moine qui se prend pour un soldat,” dit un autre en riant.

Ils se mirent tous à rire et l’un d’entre eux, un lourdaud d’une quarantaine d’années avec une dent de devant en moins s’approcha de Merk avec sa mauvaise haleine et lui donna une tape dans l’épaule. L’ancien Merk aurait tué n’importe quel homme qui se serait approché à cette distance.

 

Mais le nouveau Merk était bien déterminé à devenir un homme meilleur et à être au-dessus de toute violence, même si ces hommes le provoquaient. Il ferma les yeux, respira profondément et se força à rester calme.

Ne recours pas à la violence, se répéta-t-il à lui-même

“Qu’est-ce que ce moine est en train de faire?” demanda l’un d’eux. “Il est en train de prier?”

Ils se mirent tous à rire de nouveau.

“Ton dieu ne te sera d’aucune aide maintenant!” s’exclama un autre.

Merk ouvrit les yeux et regarda le crétin droit dans les yeux.

“Je n’ai pas envie de vous faire de mal,” dit-il calmement.

Les rires reprirent de plus belle, encore plus forts et Merk réalisa que rester calme et ne pas réagir avec violence était la chose la plus difficile qu’il ait jamais faite.

“Heureusement pour nous!” répondit l’un d’entre eux.

Ils continuèrent de rire jusqu’à ce que leur chef s’approche et se retrouve face à face avec Merk.

“Mais peut-être,” dit-il d’une voix sérieuse, si près de son visage que Merk pouvait sentir sa mauvaise haleine, “que nous, nous avons envie de te faire du mal.”

Un homme s’approcha de Merk par derrière et lui passa un bras énorme autour cou tout en commençant à serrer. Merk se mit à haleter en se sentant étouffé ainsi, la poigne de l’homme était suffisamment forte pour lui faire mal sans toutefois empêcher l’air de passer complètement. Son premier réflexe fut d’attraper l’homme et de le tuer. Il aurait facilement pu le faire, il connaissait parfaitement le point de pression sur l’avant-bras qui lui aurait fait lâcher prise. Mais il se força à ne pas bouger.

Laisse passer se dit-il à lui-même. La route de l’humilité doit commencer quelque part.

Merk fit face à leur chef.

“Prenez ce que vous voulez,” réussit à dire Merk en étouffant. “Servez-vous et poursuivez votre chemin.”

“Et si nous décidons de nous servir et de rester ici?” répondit le chef.

“Personne ne te demande ce que nous pouvons ou ne pouvons pas faire garçon,” ajouta un autre.

L’un d’eux s’avança et fouilla la veste de Merk, parcourant de ses mains avides les quelques effets personnels qui lui restaient au monde. Merk se força à rester calme tandis que les mains farfouillaient tout ce qu’il possédait. Finalement, ils sortirent son poignard à poignée d’argent, son arme préférée et bien que cela lui coûte, Merk ne réagit pas.

Laisse courir, se dit-il à lui-même.

“Qu’est-ce que c’est?” demanda l’un d’entre eux. “Un poignard?”

Il dévisagea Merk.

“Qu’est-ce qu’un drôle de moine comme toi fait avec un poignard?” questionna-t-il.

“Que fais-tu garçon, tu sculptes des arbres?” demanda un autre.

Ils se mirent tous à rire et Merk serra les dents et se demandant ce qu’ils allaient lui prendre d’autre.

L’homme qui avait trouvé le poignard s’arrêta et regarda le poignet de Merk et releva sa manche. Merk se crispa en réalisant qu’ils l’avaient trouvé.

“Qu’est-ce que c’est?” demanda le voleur en lui attrapant le poignet et le mettant à hauteur de ses yeux pour l’examiner.

“On dirait un renard,” dit l’un d’eux.

“Pourquoi un moine aurait-il un tatouage représentant un renard?” demanda un autre.

Un autre homme s’avança à son tour, maigre et grand, les cheveux roux et lui saisit le poignet pour l’examiner à son tour. Il le laissa retomber et observa Merk de façon prudente.

“Ce n’est pas un renard espèce d’idiot,” dit-il à son compagnon. “C’est un loup. C’est la marque d’un homme du Roi, un mercenaire.”

Merk devint rouge de colère à l’idée qu’ils observaient son tatouage, il ne voulait pas être reconnu.

Les voleurs gardèrent le silence tout en l’observant et pour la première fois Merk décela une lueur d’hésitation sur leurs visages.

“C’est l’ordre des assassins,” dit un autre en le dévisageant. “Comment as-tu obtenu cette marque garçon?”

“Il se l’est probablement faite lui-même,” répondit un autre. “Cela rend les routes plus sûres.”

Le chef fit signe à son homme de relâcher sa poigne sur la gorge de Merk. Soulagé, ce dernier prit une profonde inspiration. Mais le chef se précipita aussitôt sur Merk et lui mit un couteau sous la gorge. Merk se demanda s’il allait mourir ce jour-ci à cet endroit. Il se demanda si cela était sa punition pour tous les meurtres qu’il avait perpétrés. Il se demanda s’il était prêt à mourir.

“Réponds-lui,” gronda leur chef. “Tu t’es fait ça toi-même garçon? La rumeur dit qu’il faut avoir tué cent hommes pour obtenir cette marque.”

Merk respira et au cours du long silence qui suivit, il débattit sur quelle réponse donner. Finalement il soupira.

“Un millier,” répondit-il.

Le chef sourcilla, confus.

“Quoi?” demanda-t-il.

“Un millier d’hommes,” expliqua Merk. “C’est ce qu’il faut faire pour obtenir ce tatouage. Et c’est le Roi Tarnis lui-même qui me l’a fait.”

Stupéfaits, ils l’observèrent tous tandis qu’un silence pesant s’installait sur le bois, tellement calme que Merk pouvait entendre les bruits des insectes. Il se demanda ce qui allait suivre.

L’un d’entre eux se mit à rire de façon hystérique et tous les autres l’imitèrent. Ils gloussèrent et s’esclaffèrent tandis que Merk resta là à se dire qu’à l’évidence, c’était la chose la plus drôle qu’ils aient entendue.

“Elle est pas mal mon garçon,” dit l’un d’eux. “Tu es aussi bon menteur que moine.”

Le chef pressa son poignard sur sa gorge au point que du sang se mit à couler.

“J’ai dit, réponds-moi,” répéta le chef. “Une vraie réponse. Tu veux mourir sur le champ ou quoi garçon?”

Merk subit la douleur et retourna la question dans sa tête. Il y réfléchit vraiment. Voulait-il mourir? C’était une bonne question et plus profonde que le voleur ne pouvait le penser. En y réfléchissant vraiment, il réalisa qu’une partie de lui-même voulait mourir. Il était fatigué de la vie, il était à bout.

Mais tout en méditant sur la question, Merk en vint à la conclusion qu’il n’était pas prêt à mourir. Pas maintenant. Pas aujourd’hui alors qu’il avait décidé de prendre un nouveau départ. Pas alors qu’il commençait tout juste à apprécier la vie. Il voulait changer. Il voulait une chance de servir la Tour. De devenir un Guetteur.

“Non, pas vraiment,” répondit Merk.

Il regarda finalement l’homme droit dans les yeux, une résolution naissant en lui.

“Et à cause de cela,” continua-t-il, “Je vais te donner une chance de me libérer ou sinon je vous tue tous.”

Ils le regardèrent tous stupéfaits avant que leur chef ne fronce les sourcils et ne passe à l’action.

Merk sentit la lame s’enfoncer dans sa gorge et quelque chose se déclencha en lui. Son côté professionnel, celui qu’il avait passé sa vie entière à entraîner, la partie de son être qui était à bout. Cela impliquait de briser son serment mais il n’en souciait plus à ce stade.

L’ancien Merk refit brusquement surface, c’était comme s’il n’avait jamais disparu. En un clin d’œil, il repassa en mode assassin.

Merk se concentra et ne perdit pas un seul des mouvements de ses adversaires, chaque mouvement musculaire, chaque point de pression, chaque endroit vulnérable. Le désir de tuer le submergea et comme un vieil ami, Merk le laissa prendre le contrôle de son être.

Dans un mouvement aussi rapide que l’éclair, Merk attrapa le poignet du chef, enfonça son doigt sur le point de pression et remonta jusqu’à ce qu’il casse. Il attrapa le poignard au vol et trancha la gorge de l’homme d’une oreille à l’autre d’un mouvement précis.

Le chef le regarda avec une expression d’étonnement avant de s’écrouler au sol, mort.

Merk se retourna pour faire face aux autres qui le regardaient bouche-bée.