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Le Réveil des Dragons

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Z serii: Rois et Sorciers #1
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“Non. Pour t’aider à les tuer.”

Elle cilla, ne sachant comment interpréter ces mots. Brot se retourna et fit signe à l’un de ses apprentis qui s’empressa de lui tendre un objet.

Brot la regarda.

“J’ai cru comprendre que tu avais perdu deux armes la nuit dernière,” dit-il. “Un arc et un bâton n’est-ce pas?”

Elle fit un signe tête affirmatif en se demandant où il voulait en venir.

Brot secoua la tête en désapprouvant.

“C’est parce que tu joues avec des bâtons. Une arme pour les enfants. Tu as tué cinq Hommes du Seigneur, as fait face à un dragon et lui as survécu, ce qui fait plus que n’importe qui d’autre dans cette pièce. Tu es une guerrière à présent et tu mérites d’avoir des armes de guerrier.”

Il prit ce que lui tendait son apprenti et déposa un long objet sur la table qui était enroulé dans un tissu de velours rouge et violet.

Interloquée elle le regarda le cœur battant d’émotion et il lui fit un signe de tête.

Lentement, Kyra enleva le tissu rouge et eut un sursaut de surprise lorsqu’elle découvrit un magnifique arc sculpté et décoré de feuilles d’or. Elle n’avait jamais vu un arc pareil.

“De l’acier Alkan,” expliqua-t-il tandis qu’elle le prenait dans ses mains et admirait sa légèreté. “Le plus solide au monde et également le plus léger. Extrêmement rare et seulement utilisé par les rois. Ces hommes ont financé cela et mes gars ont travaillé dessus toute la nuit.”

Kyra se retourna et vit qu’Anvin et les autres la regardaient en souriant. Elle fut saisie d’une grande gratitude.

“Essaie-le,” l’encouragea Brot. “Allez.”

Kyra prit l’arc et le soupesa d’une main, émerveillée par cette nouvelle sensation.

“Il est encore plus léger que mon précédent en bois,” dit-elle surprise.

“C’est du bois de beechum dessous,” dit-il. “Encore plus résistant que ce que tu avais et plus léger également. Cet arc est incassable et tes flèches iront bien plus loin.”

Admirative, elle resta sans voix en réalisant que c’était la plus belle chose qu’on avait fait pour elle de toute sa vie. Brot lui tendit un carquois remplit de flèches avec de petites têtes brillantes. En passant un doigt sur l’une d’entre elles, elle fut surprise de se rendre compte à quel point elles étaient affûtées. Elle examina leur profilage élaboré.

“Pointes dentelées,” dit Brot fièrement. “Une fois plantée, la tête ne ressortira pas. Elles sont conçues pour tuer.”

Submergée par l’émotion, Kyra regarda Brot et les autres en ne sachant que dire. Ce qui la touchait le plus n’étaient pas les armes, mais le fait que ces hommes aient suffisamment d’estime pour elle pour se donner autant de mal.

“Je ne sais pas comment vous remercier,” dit-elle. “Je ferai de mon mieux pour honorer votre travail et être digne de cette arme.”

“Je n’ai pas fini,” dit-il d’un ton bourru. “Montre-moi tes bras.”

Elle s’exécuta, surprise et s’avança en relevant ses manches et découvrant ses avant-bras. Il fit un signe de tête satisfait.

“C’est à peu près ça,” dit-il.

Brot fit de nouveau signe à un de ses apprentis qui lui amena deux objets brillants et lui referma sur le bras. Au contact du métal froid, Kyra se rendit compte qu’il s’agissait de protège-bras allongés lui permettant de protéger ses avant-bras. Ils s’étendaient du poignet au coude et se refermèrent avec un cliquetis. Ils lui allaient parfaitement.

Kyra replia les coudes, émerveillée. Elle étudia les protège-bras et se sentit soudain invincible, comme s’ils faisaient désormais partir de sa peau. Ils étaient tellement légers et étaient pourtant extrêmement résistants et lui protégeaient entièrement les avant-bras.

“Des protège-bras,” dit Brot. “Suffisamment fins pour que tu puisses bouger et pouvant résister à n’importe quelle épée.” Lui dit-il en la regardant droit dans les yeux. “Leur rôle n’est pas seulement de te protéger de la corde de l’arc lors des tirs. Je les ai fait plus grands et ils sont en acier Alkan. Ils jouent également un rôle de bouclier. Ils sont ton armure. Si un ennemi s’approche de toi avec une épée, tu auras désormais un moyen de défense.”

Il s’empara soudain d’une épée qui se trouvait sur la table, la leva haut dans les airs et l’abattit directement sur sa tête.

Surprise, Kyra réagit en levant ses avant-bras protégés par ses nouveaux protège-bras et fut surprise de réussir à arrêter le coup qui fit jaillir des étincelles.

Satisfait, Brot sourit en abaissant son épée.

Kyra examina de plus belle ses protège-bras en se sentant transportée de joie.

“Vous m’avez donné tout ce dont j’aurai pu rêver,” dit Kyra en se levant pour les prendre dans ses bras.

Mais Brot leva la main pour l’arrêter.

“Pas tout,” la corrigea-t-il.

Brot fit un signe au troisième apprenti qui amena un long objet enveloppé dans du velours noir.

Kyra le regarda avec curiosité. Elle mit l’arc sur son épaule et prit l’objet. Elle enleva la protection et ce qu’elle découvrit la laissa sans voix.

C’était un bâton, un travail d’artiste, plus long que son précédent et le plus surprenant, brillant. Tout comme l’arc il était recouvert d’un revêtement en acier Alkan ainsi que de feuilles dorées qui réfléchissaient la lumière. Bien qu’il soit entièrement fait de métal, il lui sembla plus léger que son précédent bâton.

“La prochaine fois,” dit Brot, “lorsqu’il tenteront de casser son bâton, il résistera. Et lorsque tu frapperas un ennemi, le coup n’en sera que plus fort. C’est à la fois une arme et un bouclier. Et ce n’est pas tout,” dit-il en désignant le bâton.

Kyra baissa les yeux car elle ne comprenait pas ce qu’il lui montrait.

“Tords-le,” dit-il.

Elle s’exécuta et à sa grande surprise le bâton se sépara en deux moitiés de taille égale. Au bout d chaque moitié se trouvait une lame pointue de quelques centimètres de long.

Émerveillée, Kyra releva les yeux vers Brot qui le regardait en souriant.

“Et voilà encore une nouvelle façon de tuer un homme si besoin est,” dit-il.

Elle admira les lames brillantes, résultat d’un travail extrêmement délicat. Elle était émerveillée. Il avait réalisé ce bâton sur-mesure pour elle, lui donnant un bâton pouvant se transformer en deux courtes lances, un bâton parfaitement adapté à sa force. Elle le tordit de nouveau et les deux parties se remboîtèrent parfaitement ne laissant aucune trace permettant de deviner qu’une seconde arme était cachée à l’intérieur.

Elle regarda Brot et tous les hommes en sentant les larmes lui monter aux yeux.

“Je ne vous remercierai jamais assez,” dit-elle.

“Tu l’as déjà fait,” répondit Anvin en s’approchant. “Tu nous as amené la guerre, une guerre que nous avions trop peur de déclencher nous-mêmes. Tu nous as rendu un grand service.”

Mais alors qu’il prononçait ces mots, des cors se mirent soudain à sonner au loin, les uns après les autres, résonnant dans tout le fort.

Ils échangèrent des regards sachant ce que cela signifiait: il était temps de se battre.

Les Hommes du Seigneur étaient  leur porte.

CHAPITRE DIX-NEUF

Merk marchait sur le sentier forestier, les ombres s’allongeaient autour de lui dans Whitewood. Les voleurs morts se trouvaient désormais à une bonne journée de marche derrière lui. Il ne s’était pas arrêté depuis et s’était efforcé de supprimer cet incident de ses pensées, de retrouver l’état d’apaisement qu’il avait éprouvé juste avant. Cela n’était pas facile. Ses jambes étaient lasses et Merk était de plus en plus impatient d’arriver en vue de la Tour de Ur, de commencer sa nouvelle vie de Guetteur. Il scrutait l’horizon en essayant de voir au travers des arbres.

Mais toujours aucun signe. Cette marche commençait à ressembler à un pèlerinage sans fin. La Tour de Ur était plus isolée et mieux cachée que ce à quoi il s’était attendu.

La rencontre avec ces voleurs avait réveillé quelque chose qui sommeillait au plus profond de lui et Merk avait réalisé à quel point cela allait être difficile de s’en débarrasser. Il ne savait pas s’il serait suffisamment fort. Il espérait seulement que les Guetteurs l’accepteraient dans leur ordre car dans le cas contraire, n’ayant nulle part où aller, il redeviendrait probablement l’homme qu’il était auparavant.

Merk vit que le bois semblait différent un peu plus loin, il vit un bosquet de vieux arbres blancs devant lui, aussi larges qu’une dizaine d’hommes, qui s’élevaient haut vers la ciel, leurs branches s’étendant dans toutes les directions et formant une canopée de feuilles d’un rouge brillant. L’un de ces arbres au large tronc courbe semblait particulièrement accueillant et les pieds commençant à lui faire mal, Merk s’assit sous son feuillage. Il s’adossa à l’arbre et se sentit immédiatement soulagé. Il sentit la douleur de longues heures de marche s’estomper dans son dos et dans ses jambes. Il ôta ses bottes et ses pieds l’élancèrent. Il poussa un soupir tandis qu’une brise froide le caressait en faisant frémir les feuilles au-dessus de lui.

Merk sortit de son sac ce qu’il lui restait de viande séchée du lapin qu’il avait attrapé l’autre soir. Il prit un morceau qu’il mâcha lentement en fermant les yeux et se reposant. Il se demanda ce que le futur lui réservait. Il appréciait particulièrement d’être assis ainsi contre cet arbre sous les feuilles tremblotantes.

Les yeux de Merk s’alourdirent et il les ferma juste un instant pour se reposer.

Lorsqu’il les rouvrit, Merk fut surpris de voir que le ciel s’était assombri et il réalisa qu’il s’était endormi. Ce devait être le crépuscule et il se rendit compte qu’il aurait pu dormir toute la nuit si un bruit ne l’avait pas réveillé.

Merk s’assit et se mit d’instinct sur ses gardes. Il se saisit de la poignée de son poignard qui était caché au niveau de sa taille et il attendit. Il ne voulait pas avoir recours à la violence mais tant qu’il n’aurait pas atteint la Tour, cela semblait difficilement réalisable.

 

Le bruissement devint plus audible et ressemblait à une course au travers de la forêt. Merk fut stupéfait de découvrir une autre personne, ici au milieu de nulle part au crépuscule? D’après le bruit Merk put définir qu’il s’agissait d’une seule personne assez légère. Peut-être un enfant ou une fille.

Un instant plus tard, il vit surgir une fille de la forêt qui courrait en pleurant. Il la regarda, surpris de la voir seule. Elle trébucha et s’écroula à quelques mètres de lui la tête la première dans la poussière. Elle était jolie, d’environ dix-huit ans mais elle était décoiffée, ses cheveux étaient défaits, sales et plein de feuilles. Ses vêtements étaient déchirés.

Merk se redressa tandis qu’elle se remettait debout et ses yeux s’écarquillèrent sous l’effet de la panique lorsqu’elle l’aperçu.

“S’il-vous-plaît, ne me faites pas de mal!” dit-elle en pleurant et en se remettant debout tout en reculant.

Merk leva les mains.

“Je n’ai pas l’intention de te faire du mal,” dit-il doucement en se redressant de toute sa hauteur. “J’étais sur le point de me remettre en route.”

Sous l’effet de la terreur, elle recula de quelques mètres tout en continuant de pleurer. Il ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’il se passait. Quoi que ce soit, il ne voulait pas être impliqué car il avait déjà suffisamment de problème de son côté.

Merk s’engagea sur le sentier et commença à partir lorsque la voix de la fille lui cria:

“Non, attendez!”

Il se retourna et vit qu’elle avait l’air désespéré.

“S’il-vous-plaît. J’ai besoin de votre aide,” implora-t-elle.

Merk la regarda et fut frappé par sa beauté malgré son apparence dépenaillée, ses cheveux blonds et sales, ses yeux bleu clair et un visage parfait mal sale et couvert de larmes. Elle portait les vêtements simples des fermiers et il ne sut dire si elle venait d’une famille riche ou pas. Elle semblait avoir pris la fuite depuis longtemps.

Il secoua la tête.

“Tu n’as pas d’argent pour me payer,” dit Merk. “Je ne peux pas t’aider, quelle que soit l’aide dont tu aies besoin. De plus, j’ai moi-même un objectif à atteindre.”

“Vous ne comprenez pas,” l’implora-t-elle en s’approchant. “Ma famille – Notre maison a été victime d’une attaque ce matin. Des mercenaires. Mon père a été blessé. Il les a fait fuir mais ils sont revenus, bien plus nombreux, pour le tuer lui ainsi que toute ma famille. Ils ont dit qu’ils allaient raser notre ferme. S’il-vous-plaît!!” l’implora-t-elle en s’avançant davantage. “Je vous donnerai n’importe quoi. N’importe quoi!

Merk resta debout en se sentant triste pour elle mais il était déterminé à rester en dehors de cela.

“Le monde regorge de problèmes mademoiselle,” dit-il. “Et je ne peux pas tous les résoudre.”

Il se retourna et commença à s’éloigner mais de nouveau elle l’implora:

“S’il-vous-plaît!” dit-elle en pleurant. “C’est un signe, ne voyez-vous pas? Que je tombe sur vous là au milieu de nulle part? Je ne m’attendais pas à trouver quelqu’un et là je vous croise. C’était écrit, vous devez me venir en aide. Dieu vous donne une chance de vous racheter. Ne croyez-vous pas aux signes?”

Elle continua à sangloter et il se sentit coupable mais surtout détaché. Une partie de son être repensait aux nombreux meurtres qu’il avait commis dans sa vie et se demanda ce que quelques-uns de plus pourraient bien changer? Oui mais il y en aurait toujours juste quelques-uns de plus. Cela semblait ne jamais s’arrêter. Il fallait tracer une limite à un moment ou à un autre.

“Je suis désolé mademoiselle,” dit-il. “Mais je ne suis pas votre sauveur.”

Merk se retourna et partit, bien déterminé à ne pas se retourner cette fois, à s’éloigner loin de ces sanglots et de cette peine. Ses pieds écrasant les feuilles mortes amortirent bien tôt le bruit de ses sanglots.

Mais bien qu’il piétine les feuilles le plus bruyamment possible, il continuait d’entendre ses pleurs résonner quelque part dans le fond de sa tête comme pour le punir. Il se retourna et la vit partir en courant et disparaître dans les ténèbres de la forêt. Il aurait voulu se sentir soulagé mais il se sentait hanté, hanté par des pleurs qu’il ne voulait pas entendre.

Furieux, il continua d’avancer en jurant en espérant ne jamais plus la revoir. Pourquoi? Se demanda-t-il. Pourquoi lui?

Il continua d’être rongé par le remords qui ne voulait pas le laisser en paix. Il détestait ce sentiment. Était-ce cela, se demanda-t-il, que d’avoir une conscience?

CHAPITRE VINGT

Le cœur de Kyra battait fort alors qu’elle marchait avec son père et ses frères ainsi qu’Anvin et tous les guerriers, tous marchant solennellement dans les rues de Volis, se préparant à la guerre. Un silence solennel régnait dans l’air, le ciel était chargé de gris et la neige tombait de nouveau doucement tandis que la neige craquait sous leurs pas alors qu’ils approchaient de la porte principale du fort. Les cors retentirent de plus belle et son père stoïque mena ses hommes. Kyra était surprise de voir à quel point il était calme comme s’il avait déjà fait cela des milliers de fois auparavant.

Kyra regarda droit devant elle et au travers des barres de fer de la herse elle aperçut le Seigneur Gouverneur à la tête d’une centaine de ses hommes vêtus de leurs armures jaunes et écarlates, les bannières bleues pandésiennes flottant au vent. Ils galopèrent dans la neige sur leurs chevaux noirs massifs. Ils portaient les meilleures armures et brandissaient les meilleures armes tout en se dirigeant droit sur les portes de Volis. Le grondement de leurs chevaux s’entendait malgré la distance et Kyra sentit le sol se mettre à trembler sous ses pieds.

Tout en marchant, le cœur de Kyra s’accéléra. Elle portait son nouveau bâton et ses nouveaux protège-bras, son arc jeté sur l’épaule. Elle avait l’impression de renaître. Elle se sentait comme une vraie guerrière armée de vraies armes. Elle était enchantée de les avoir.

Kyra fut agréablement surprise de voir que les gens de son peuple n’avaient pas peur et rejoignaient leurs rangs à la rencontre de l’ennemi. Elle vit que tous les villageois regardaient son père et ses hommes avec beaucoup d’espoir et se sentit honorée d’être parmi eux. Ils semblaient avoir une grande confiance en son père et elle soupçonna que si le village avait été dirigé par quelqu’un d’autre, ils n’auraient certainement pas eu l’air aussi calme.

Les Hommes du Seigneur s’approchèrent encore plus près et un cor retentit de nouveau.

“Quoi qu’il se passe,” dit Anvin en se tenant à ses côtés et parlant doucement, “quelle que soit la distance à laquelle ils arriveront à s’approcher, ne prends aucune initiative sans l’autorisation de ton père. Il est ton commandant à présent. Je ne te parle pas en tant que sa fille, mais je m’adresse à toi comme à l’un de ses soldats. L’une des nôtres.”

Honorée, elle approuva.

“Je ne souhaite pas causer la mort de notre peuple,” dit-elle.

“Ne t’inquiète pas,” dit Arthfael en s’approchant de l’autre côté. “Cela fait longtemps que nous attendions ce jour. Tu n’as pas déclenché cette guerre, ce sont eux. Á partir du moment où ils ont franchi la Porte du Sud et envahi Escalon.”

Rassurée, Kyra se cramponna à son bâton, prête à faire face à la suite des événements. Peut-être que le Seigneur Gouverneur serait raisonnable après tout. Peut-être même était-il prêt à négocier une trêve?

Kyra et les autres atteignirent la herse et s’arrêtèrent pour regarder son père.

Il se tenait à l’avant du groupe, sans aucune expression, le visage dur, prêt. Il se tourna vers ses hommes.

“Nous ne devons pas nous retrancher derrière une porte de fer par peur de l’ennemi,” tonna-t-il, “mais nous devons les affronter au-delà de cette porte comme de vrais hommes. Relevez la herse!” ordonna-t-il.

Un grand bruit se fit tandis que des soldats relevaient lentement la herse en fer qui finit par s’arrêter avec un grand bruit. Kyra suivit le groupe et traversa.

Ils passèrent sur le pont de bois creux, le bruit de leurs bottes résonnant au-dessus des douves. Ils s’arrêtèrent de l’autre côté et attendirent.

Un grondement emplit l’air lorsque les Hommes du Seigneur s’arrêtèrent à seulement quelques mètres d’eux. Kyra se trouvait derrière son père avec les autres et elle se fraya un chemin pour arriver sur les premières lignes, voulant être à ses côtés et regarder les Hommes du Seigneur droit dans les yeux.

Kyra vit le Seigneur Gouverneur, un homme d’âge moyen avec une calvitie naissante, dont les cheveux restants étaient parsemés de gris. Il avait un gros ventre et était assis sur son cheval à une dizaine de mètres d’eux et les toisait avec un air suffisant comme s’ils n’étaient rien. Derrière lui, une centaine de ses hommes étaient à dos de cheval et tous arboraient une expression sérieuse et étaient lourdement armés. Elle put se rendre compte que ces hommes étaient prêts à affronter la guerre et la mort.

Kyra était tellement fière de voir son père ainsi devant tous ses hommes, courageux et ne montrant aucun signe de peur. Il avait le visage d’un commandant en guerre, visage qu’elle ne lui avait jamais vu auparavant. Ce n’était pas le visage du père qu’elle connaissait, mais le visage qu’il réservait à ses hommes.

Un long silence tendu emplit l’air, uniquement ponctué par les hurlements du vent. Le Seigneur gouverneur prit son temps et les observa pendant une minute en cherchant clairement à les impressionner, à forcer son peuple à relever les yeux vers eux et mesurer à quel point leurs chevaux et armes étaient impressionnants. Le silence dura au point que Kyra finit par se demander si quelqu’un allait prendre la parole. Elle se rendit compte que le silence de son père, son accueil froid et silencieux et le fait qu’il se tienne ainsi en compagnie de tous ses hommes armés étaient des actes de défi. Elle l’aimait pour cela. Il n’était pas le genre d’homme à se soumettre et ce, quelles que soient les circonstances.

Léo était le seul à faire du bruit en grognant doucement à leur intention.

Finalement le Seigneur Gouverneur s’éclaircit la gorge et regarda son père droit dans les yeux.

“Cinq de mes hommes sont morts,” annonça-t-il d’une voix nasillarde. Il resta sur son cheval et ne prit pas la peine de descendre pour se mettre à leur niveau. “Votre fille a enfreint la loi sacrée pandésienne. Vous savez quelles sont les conséquences: lever la main sur les Hommes du Seigneur est passible de la peine de mort.”

Il garda le silence et son père ne répondit rien. La neige et le vent se renforcèrent, seul le bruit des bannières flottant au vent venait perturber le silence. Le nombre d’hommes était égal des deux côtés et tous se regardaient dans un silence tendu.

Le Seigneur Gouverneur poursuivit.

“Parce que je suis un Seigneur clément,” dit-il, “Je n’exécuterai ni votre fille, ni vous, ni vos hommes, ni votre peuple, ce qui serait pourtant mon bon droit. En fait, j’oublierai tout ceci.”

Le silence dura tandis que le Gouverneur prenait bien son temps de lentement étudier leurs visages jusqu’à ce que son regard s’arrête finalement sur Kyra. Elle frissonna lorsque son regard dégoûtant en plein d’envie se posa sur elle.

“En contrepartie, je prendrai votre fille, ce qui est mon droit. Elle n’est pas mariée et vu son âge vous savez que la loi pandésienne m’y autorise. Votre fille et toutes vos filles sont notre propriété à présent.

Il ricana à l’attention de son père.

“Considérez-vous comme chanceux que je n’applique pas une plus sévère punition,” dit-il en guise de conclusion.

Le Seigneur Gouverneur se tourna et fit signe à ses hommes. Deux de ses soldats, des hommes à l’allure fière descendirent de cheval et commencèrent à traverser le pont, le bruit de leurs bottes et de leurs éperons résonnant sur le pont de bois creux.

Les voyant approcher, le cœur de Kyra se mit à battre très fort. Elle voulait réagir, prendre son arc et tirer, manier son bâton. Mais elle se souvint des mots d’Anvin au sujet d’attendre l’ordre de son père et sur le fait qu’un soldat doive être discipliné. Aussi difficile que cela puisse être, elle se força à attendre.

Tandis que les hommes approchaient, Kyra se demanda ce que son père allait faire. Allait-il la donner à ces hommes? Allait-il se battre pour elle? Qu’ils perdent ou qu’ils gagnent, qu’ils la prennent ou non, tout cela n’avait aucune importance à ses yeux. Tout ce qui lui importait était de savoir si cela avait suffisamment d’importance aux yeux de son père pour qu’il fasse quelque chose.

 

Ils continuèrent d’approcher et son père ne réagissait toujours pas. Kyra avait le cœur au bord des lèvres. Elle se sentit déçue en réalisant qu’il allait les laisser la prendre. Cela lui donna envie de pleurer.

Léo grogna furieusement et se mit devant elle les poils hérissés mais cela ne les arrêta pas. Elle savait que si elle lui ordonnait d’attaquer, il le ferait, mais elle ne voulait pas qu’il soit blessé par l’une de ces nombreuses armes. Elle ne voulait pas non plus défier l’autorité de son père et déclencher une guerre.

Les hommes n’étaient plus qu’à quelques mètres d’elle lorsqu’au dernier moment son père fit un signe à ses hommes et six d’entre eux s’avancèrent. Kyra fut ravie de les voir abaisser leurs hallebardes empêchant ainsi les hommes de poursuivre leur approche.

Les soldats s’arrêtèrent net, leur armure heurtant sur le métal des hallebardes. Ne s’attendant visiblement pas à un tel acte, ils regardèrent son père avec surprise.

“Vous n’irez pas plus loin,” dit-il d’une voix puissante et sombre, une voix que nul n’avait envie de défier. Elle inspirait le respect, il n’était pas un serf.

Á cet instant Kyra ressentit pour lui plus d’amour que jamais auparavant.

Il se tourna vers le Seigneur Gouverneur.

“Nous sommes des hommes libres ici,” dit-il, “hommes et femmes, jeunes et moins jeunes. Le choix lui appartient. Kyra,” dit-il en se tournant vers elle, “souhaites-tu partir avec ces hommes?”

Elle le regarda en faisant disparaître son sourire.

“Non,” répondit-elle fermement.

Il se tourna de nouveau vers le Seigneur Gouverneur.

“Voilà votre réponse,” dit-il. “Son choix est sans appel. Ce n’est pas le vôtre ni le mien. Si vous souhaitez prendre des propriétés ou une mine d’or en compensation pour votre perte,” dit-il au Gouverneur, “alors servez-vous. Mais vous ne prendrez pas ma fille ni aucune de nos filles même si votre loi pandésienne vous y autorise.”

Choqué, le Seigneur Gouverneur baissa les yeux sur lui, n’ayant visiblement pas l’habitude qu’on s’adresse à lui de cette façon ou qu’on le défie. Il donna l’impression de ne pas savoir que faire. Ce n’était visiblement pas l’accueil auquel il s’était attendu.

“Vous osez bloquer mes hommes?” demanda-t-il. “Et refuser mon offre?”

“Ce n’est pas ce que j’appellerais une offre,” répondit Duncan.

“Réfléchis bien, serf,” siffla-t-il. “Je ne te le redirai pas deux fois. Si tu refuses ce sera la mort, pour toi et tout ton peuple. Tu dois bien savoir que je ne suis pas seul, que je parle au nom de la grande armée pandésienne. Penses-tu pouvoir te lever seul contre Pandésia alors que ton propre Roi a rendu votre royaume? Alors que toutes les chances sont contre toi?”

Son père haussa les épaules.

“Je ne me bats pas selon les probabilités,” répondit-il. “Je me bats pour des causes. Le nombre de tes hommes ne m’impressionne pas. Notre liberté est tout ce qui compte. Tu gagneras peut-être, mais vous ne conquerrez jamais notre esprit.”

Le gouverneur s’empourpra.

“Lorsque toutes vos femmes et vos enfants vous seront arrachés en hurlant,” dit-il, “rappelez-vous du choix que vous avez pris aujourd’hui.”

Le Seigneur Gouverneur tourna les talons et éperonna son cheval. Il partit suivit de quelques individus et reprit la route de campagne enneigée par laquelle ils étaient arrivés.

Ses soldats restèrent derrière et leur commandant hissa une bannière bien haut en ordonnant: “AVANCEZ!”

Les Hommes du Seigneur descendirent tous de selle et s’alignèrent dans la neige puis se mirent à marcher vers le pont devant eux, parfaitement disciplinés.

Le cœur de Kyra s’accéléra et tout comme les autres, elle regarda son père dans l’attente d’un ordre de sa part. Il leva soudain un point bien haut et poussa un fier cri de guerre.

Le ciel s’emplit soudain de flèches. Kyra regarda par-dessus son épaule et vit que plusieurs archers de son père avaient pris place sur les remparts et tiraient sur l’ennemi. Les flèches sifflèrent à ses oreilles avant d’aller se planter dans les Hommes du Seigneur.

Des hurlements emplirent l’air tandis que les hommes mourraient autour d’elle. C’était la première fois qu’elle voyait autant d’hommes mourir de si près et cette vision l’ébranla.

Au même moment, son père dégaina deux courtes épées et s’avança en poignardant les deux soldats qui étaient venus lui prendre sa fille. Ces derniers s’écroulèrent à ses pieds, morts.

En parallèle Anvin, Vidar et Arthfael levèrent leurs lances et les jetèrent sur l’ennemi, tuant chacun des soldats qui s’étaient engagés sur le pont. Brandon et Braxton jetèrent également leurs lances, l’un touchant un soldat au bras et l’autre à la jambe, mais au moins ils en avaient blessé deux.

Tandis que de plus en plus d’hommes chargeaient, Kyra décida de sauter dans la bataille et leva son nouvel arc pour la première fois. Elle plaça une flèche et tira. Elle visa le commandant qui menait ses hommes à la charge à dos de cheval et elle vit avec une grande satisfaction sa flèche traverser les airs et se planter en plein poitrine. C’était son premier tir avec son nouvel arc et également la première fois qu’elle tuait un homme sur un champ de bataille. Le commandant tomba à terre et elle contempla avec stupeur ce qu’elle venait de faire.

Au même moment des dizaines d’Hommes du Seigneur brandirent leurs arcs et ripostèrent. Kyra vit avec effarement leurs flèches se diriger droit sur eux. Blessés, certains des hommes de son père se mirent à hurler et à s’écrouler tout autour d’elle.

“POUR ESCALON!” cria son père.

Il dégaina son épée et mena la charge sur le pont en direction du gros des troupes des Hommes du Seigneur. Ses soldats le suivaient de près et Kyra s’empara de son bâton et les suivit, exaltée de se jeter au cœur de la bataille et voulant combattre aux côtés de son père.

Alors qu’ils chargeaient, les Hommes du Seigneur préparaient une autre série de flèches et firent de nouveau feu. Un nouveau mur de flèches s’abattit sur eux.

Mais au grand étonnement de Kyra, les hommes de son père levèrent leurs boucliers et créèrent ainsi un mur en se resserrant les uns contre les autres. Elle se serra derrière l’un d’entre eux et entendit les flèches mortelles rebondirent.

Ils chargèrent de nouveau et elle comprit alors quelle était la stratégie de son père. Il voulait s’approcher suffisamment près des Hommes du Seigneur pour que leurs arcs soient inutiles. Ils furent bientôt directement au contact du mur de soldats et un grand fatras métallique retentit lorsque leurs épées s’entrechoquèrent, les hallebardes rencontrant les boucliers et les lances cognant contre les armures. C’était une scène terrifiante et exaltante à la fois.

Serrés sur le pont qui ne menait nulle part, les hommes se battaient au corps-à-corps en grognant, donnant des coups et parant d’autres coups dans un bruit métallique infernal. Léo plongea en avant et enfonça ses crocs dans le pied d’un homme tandis qu’un autre hurlait à côté d’elle, poignardé par une épée, du sang s’écoulant de sa bouche.

Kyra vit Anvin plonger son épée dans les entrailles d’un homme. Elle vit son père se servir de son bouclier comme d’une arme, frappant deux hommes tellement fort qu’ils basculèrent par-dessus bord et tombèrent dans les douves. Elle n’avait jamais vu son père au combat et était fière de ce qu’elle découvrait. Ce qui était encore plus impressionnant était la façon dont ses hommes se plaçaient autour de lui. Cela se voyait qu’ils combattaient ensemble depuis des années. C’était une camaraderie qu’elle enviait.

Les hommes de son père se battirent tellement bien que cela surpris les Hommes du Seigneur qui à l’évidence ne s’attendaient pas à une résistance aussi bien organisée. Les hommes du Seigneur se battaient pour leur Gouverneur qui avait déjà pris ses distances par rapport au champ de bataille tandis que les hommes de son père défendaient leurs foyers, leurs familles et leurs vies. Leur passion et les enjeux leur donnaient une volonté de fer.