Le Don du Combat

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Z serii: L'anneau Du Sorcier #17
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CHAPITRE DIX

Thorgrin se tenait à la proue du navire, resserra sa prise sur la garde de son épée, et leva les yeux, de stupeur et d’horreur, vers le titanesque monstre marin qui émergeait des profondeurs de l’eau. Il était de la même couleur que la mer de sang en dessous, et tandis qu’il s’élevait de plus en plus haut, il obscurcit le peu de lumière qu’il y avait dans cette Terre du Sang. Elle ouvrit ses grandes mâchoires, révélant des dizaines de rangées de crocs, et elle déploya ses tentacules dans toutes les directions, certains d’entre eux plus longs que le bateau, comme si une créature des profondeurs même de l’enfer se tendait vers eux pour les étreindre.

Puis elle plongea vers le navire, prête à tous les engloutir.

À côté de Thorgrin, Reece, Selese, O’Connor, Indra, Matus, Elden et Ange se tenaient tous avec leurs armes à la main, gardant bravement leur position face à cette bête. Thor affermit sa résolution en sentant l’Épée des Morts vibrer dans sa main, et il sut qu’il devait agir. Il devait protéger Ange et les autres, et il savait qu’il ne pouvait pas attendre que la bête vienne à eux.

Thorgrin bondit en avant pour aller à sa rencontre, en haut du bastingage, leva son épée au-dessus de sa tête, et alors qu’un des tentacules arrivait horizontalement vers lui, il tournoya et le trancha. L’énorme tentacule, coupé, tomba sur le navire avec un bruit sourd, secouant le bateau, puis glissa le long du pont jusqu’à ce qu’il heurte le bastingage.

Les autres n’hésitèrent pas non plus. O’Connor décocha une volée de flèches vers les yeux de la bête, pendant que Reece coupait un autre tentacule s’abattant vers la taille de Selese. Indra envoya sa lance, transperçant son poitrail, Matus fit tourner son fléau, tranchant un autre tentacule, et Elden utilisa sa hache, en découpant deux en un seul coup. À l’unisson, la Légion s’abattit sur la bête, l’attaquant comme une machine aux rouages bien huilés.

La bête hurlait de rage, car elle avait perdu plusieurs membres, transpercée par des flèches et des lances, à l’évidence prise au dépourvu par cette attaque coordonnée. Ses premiers assauts cessèrent, elle hurla encore plus fort, frustrée, sauta haut dans les airs, puis tout aussi rapidement plongea sous la surface, créant de grandes vagues et laissant le navire balloter dans son sillage.

Thor demeura le regard fixe dans le silence soudain, perplexe, et pendant une seconde il pensa qu’elle avait peut-être battu en retraite, qu’ils l’avaient vaincue, en particulier en voyant le sang de la bête former une nappe à la surface. Mais ensuite il eut le mauvais pressentiment que tout était devenu trop calme, trop rapidement.

Et après, trop tard, il réalisa ce que la bête s’apprêtait à faire.

« ACCROCHEZ-VOUS ! » cria Thor aux autres.

Thor avait à peine prononcé les mots quand il sentit leur navire s’élever des eaux, instable, de plus en plus haut, jusqu’à ce qu’il soit dans les airs, dans les tentacules de la bête. Thor regarda en bas et vit la bête en dessous, ses tentacules enroulés tout autour du navire de la proue à la poupe. Il se prépara au choc à venir.

La bête lança le navire, et il s’envola comme un jouet dans l’air, tous essayant de s’accrocher et de tenir bon, jusqu’à ce que finalement il atterrisse à nouveau dans l’océan, en tanguant violemment.

Thor et les autres perdirent leur prise et glissèrent le long du pont dans toutes les directions, percutant le bois pendant que le navire se tournait et se retournait. Thor repéra Ange, qui glissait sur le pont, vers le bastingage, prête à passer par-dessus bord ; il tendit le bras et agrippa sa petite main, la tenant fermement tandis qu’elle le regardait avec panique.

Finalement, le navire se redressa. Thor se remit sur pieds, comme le firent les autres, se préparant pour l’attaque suivante, et dès qu’ils l’eurent fait, il vit la bête nager vers eux à toute vitesse, agitant ses tentacules. Elle agrippa l’embarcation de tous les côtés, ses tentacules grimpaient par-dessus le bord, sur le pont, et venaient droit sur eux.

Thor entendit un cri, jeta un coup d’œil et vit Selese, un tentacule enroulé autour de la cheville, glisser à travers le pont, tirée par-dessus bord. Reece pivota et trancha le membre, mais tout aussi vite un autre saisit son bras. De plus en plus de tentacules escaladaient le navire, et tandis que Thor en abattait un sur sa propre cuisse, il regarda autour de lui et vit tous ses frères de la Légion frappant sauvagement, coupant des tentacules. Pour un qu’ils sectionnaient, deux autres apparaissaient.

Le navire tout entier était recouvert, et Thor sut que s’il ne faisait pas quelque chose rapidement, ils sombreraient tous pour de bon. Il entendit un cri strident, haut dans le ciel, et quand il leva les yeux, il vit une des créatures démoniaques libérées de l’enfer, volant haut au-dessus de leur tête, regardant en bas avec un air moqueur tout en s’éloignant.

Thor ferma les yeux, sachant qu’il s’agissait d’une de ses épreuves, un des moments capitaux de sa vie. Il essaya de bloquer le monde extérieur, de se concentrer intérieurement. Sur son entraînement. Sur Argon. Sur sa mère. Sur ses pouvoirs. Il était plus fort que l’univers, il le savait. Il y avait des pouvoirs profondément enfouis en lui, des pouvoirs supérieurs au monde physique. Cette créature était sur cette terre – cependant les pouvoirs de Thor étaient plus grands. Il pouvait invoquer les forces de la nature, les forces mêmes qui avaient créé cette bête, et la renvoyer dans l’enfer d’où elle était venue.

Thor sentit l’univers ralentir autour de lui. Il sentit une chaleur s’élever dans ses paumes, se propager dans ses bras, ses épaules, puis revenir, fourmillante, dans la pointe de ses doigts. Avec l’impression d’être invincible, Thor ouvrit les yeux. Il sentait un pouvoir incroyable briller à travers eux, le pouvoir de l’univers.

Thor tendit les bras et posa une main sur le tentacule de la bête, et ce faisant, il le calcina. La bête le retira immédiatement de sa cuisse, comme si elle avait été brûlée.

Thor se tint comme un homme nouveau. Il se tourna et vit la tête de la créature se soulever le long du bord du navire, gueule ouverte, s’apprêtant à les avaler tous. Il vit ses frères et sœurs de la Légion glisser, sur le point d’être trainés par-dessus bord.

Thor poussa un grand cri de guerre et s’élança vers la bête. Il plongea vers elle avant qu’elle ne puisse atteindre les autres, renonçant à son épée, et à la place il tendit ses mains brûlantes. Il s’agrippa à la tête du monstre, et posa ses paumes dessus, et quand il le fit, il les sentit la consumer.

Thor s’accrocha fermement pendant que la bête hurlait et se contorsionnait, essayant de se libérer de son emprise. Lentement, un tentacule à la fois, elle commença à relâcher sa prise sur le bateau, et ce faisant, Thor sentit son pouvoir grandit en lui. Il empoigna résolument la bête, leva ses deux mains, et quand il le fit, il sentit le poids de la créature, qui s’élevait de plus en plus haut dans les airs. Rapidement elle plana au-dessus des paumes de Thor, le pouvoir en lui la maintenant à flot.

Ensuite, quand la bête fut à neuf bons mètres de hauteur, Thor se tourna et dirigea ses mains vers l’avant.

Le monstre s’envola, au-dessus du navire, hurlant et tournoyant. Il vola dans les airs sur une trentaine de mètres, jusqu’à ce que finalement il devienne inerte. Il tomba dans la mer dans une grande éclaboussure, puis coula sous la surface.

Mort.

Thor se tint là en silence, le corps tout entier encore chaud, et lentement, un à la fois, les autres se regroupèrent, se remettant sur pieds et se rapprochant de lui. Thor se tenait là, à bout de souffle, hébété, regardant vers la mer de sang. Au-delà, à l’horizon, ses yeux fixaient le château noir, qui planait sur cette terre, ce lieu dont il savait qu’il détenait son fils.

Le temps était venu. Il n’y avait rien pour l’arrêter à présent, et il était temps, enfin, de récupérer son fils.

CHAPITRE ONZE

Volusia se tenait devant ses nombreux conseillers dans les rues de la capitale de l’Empire, les yeux fixés sur le miroir dans sa main, médusée. Elle examina son nouveau visage sous tous les angles – la moitié était encore belle, et l’autre défigurée, fondue – et elle éprouva une vague de dégoût. Le fait que la moitié de sa beauté demeure encore rendait d’une certaine manière tout cela pire. Cela aurait été plus facile, réalisa-t-elle, si son visage tout entier avait été défiguré – ainsi elle n’aurait pu se souvenir de rien à propos de son ancienne apparence.

Volusia se remémora sa beauté éblouissante, la base de son pouvoir, qui l’avait portée à travers chaque évènement de sa vie, qui lui avait permis de manipuler hommes et femmes indifféremment, de mettre les hommes à genoux d’un seul regard. Maintenant, tout cela avait disparu. Maintenant, elle n’était qu’une fille de dix-sept ans parmi d’autres – et pire, un demi-monstre. Elle ne pouvait supporter la vue de son propre visage.

Dans un accès de rage et de désespoir, jeta le miroir au sol et le regarda se casser en morceaux dans les rues immaculées de la capitale. Tous ses conseillers se tinrent là, silencieux, le regard détourné, se gardant bien de lui parler à ce moment-là. Il était aussi évident pour elle, tandis qu’elle scrutait leurs traits, qu’aucun d’entre eux ne voulait la regarder, voir l’horreur qu’était à présent son visage.

Volusia parcourut les alentours du regard à la recherche des Volks, avide de les mettre en pièce – mais ils étaient déjà partis, avaient disparu dès qu’ils lui avaient lancé ce sort terrible. Elle avait été prévenue de ne pas s’unir avec eux, et à présent elle réalisait que tous les avertissements avaient été justes. Elle l’avait chèrement payé. Un prix qui ne pourrait jamais être retourné.

 

Volusia voulait déverser sa rage sur quelqu’un, et ses yeux s’arrêtèrent sur Brin, son nouveau commandant, un guerrier sculptural âgé d’à peine quelques années de plus qu’elle, qui lui avait fait la cour pendant des lunes. Jeune, grand, musclé, il était d’une beauté renversante et l’avait convoitée tout le temps qu’elle l’avait connu. Pourtant maintenant, à sa fureur, il ne voulait pas même croiser son regard.

« Toi », lui siffla Volusia, à peine capable de se contenir. « Ne vas-tu même pas me regarder ? »

Volusia rougit quand il releva son regard mais sans la regarder dans les yeux. C’était son sort désormais, pour le restant de sa vie, elle le savait, d’être considérée comme un monstre.

« Suis-je répugnante pour toi maintenant ? » demanda-t-elle, la voix brisée de désespoir.

Il baissa la tête, mais ne répondit pas.

« Très bien », dit-elle finalement, après un long silence, déterminer à se venger sur quelqu’un, « alors je te l’ordonne : tu contempleras le visage que tu hais le plus. Tu me prouveras que je suis belle. Tu coucheras avec moi. »

Le commandant leva les yeux et croisa les siens pour la première fois, de la peur et de l’horreur dans son expression.

« Déesse ? » demanda-t-il, la voix brisée, terrifié, sachant qu’il risquait la mort s’il défiait son ordre.

Volusia esquissa un large sourire, heureuse pour la première fois, en prenant conscience que cela serait une vengeance parfaite : coucher avec l’homme qui la trouvait la plus répugnante.

« Après toi », dit-elle, en faisant un pas de côté et un geste vers sa chambre.

*

Volusia se tenait devant la grande fenêtre en plein cintre ouverte, au dernier étage du palais de la capitale de l’Empire, et pendant que les soleils matinaux se levaient, les rideaux se gonflant contre son visage, elle pleura silencieusement. Elle pouvait sentir les larmes couler le long du côté intact de son visage mais pas de l’autre, le côté qui avait fondu. Il était engourdi.

Un léger ronflement ponctuait l’air, et Volusia jeta un regard par-dessus son épaule pour voir Brin étendu là, encore endormi, le visage crispé dans une expression de dégoût, même dans son sommeil. Il avait détesté chaque instant qu’il avait passé avec elle, elle le savait, et cela assouvissait un peu sa vengeance. Pourtant elle ne se sentait pas satisfaite. Elle ne pouvait pas le déverser sur les Volks, et elle ressentait encore un besoin de représailles.

C’était un petit morceau de vengeance, difficilement celui qu’elle désirait ardemment. Les Volks, après tout, avaient disparu, alors qu’elle était encore là, le matin suivant, encore en vie, encore coincée avec elle-même, comme elle le serait pour le restant de sa vie. Coincée avec cette apparence, ce visage défiguré, que même elle ne pouvait supporter.

Volusia essuya une larme et regarda au loin, au-delà des lignes de la cité, au-delà des murs de la capitale, à l’horizon. Alors que les soleils se levaient, elle commença à voir les plus faibles traces des armées des Chevaliers des Sept, leurs bannières noires à l’horizon. Ils étaient postés là dehors, et leurs armées s’organisaient. Ils étaient en train de l’encercler lentement, rassemblant des millions d’hommes de tous les coins de l’Empire, se préparant tout à envahir. À l’écraser.

Elle se réjouissait de la confrontation. Elle n’avait pas besoin des Volks, elle le savait. Elle n’avait pas besoin de ses hommes. Elle pouvait les tuer tous toute seule. Elle était, après tout, une déesse. Elle avait quitté le royaume des mortels depuis longtemps, et maintenant elle était une légende, une légende que personne, et aucune armée dans le monde ne pouvait arrêter. Elle les accueillerait seule, et les tuerait tous, pour toujours.

Ensuite, en fin de compte, il n’y aurait plus personne pour l’affronter. Alors, ses pouvoirs seraient suprêmes.

Volusia entendit un bruissement derrière elle et, du coin de l’œil, elle décela un mouvement. Elle vit Brin se lever du lit, repousser ses draps et commencer à s’habiller. Elle le vit se déplacer furtivement, prenant soin d’être silencieux, et elle prit conscience qu’il voulait sortir de la pièce avant qu’elle ne le voie – pour qu’il n’ait plus jamais à poser à nouveau les yeux sur son visage. Cela ajoutait une insulte à la blessure.

« Oh, Commandant », s’écria-t-elle nonchalamment.

Elle le vit se figer sur place de peur ; il se tourna et jeta un regard vers elle à contrecœur, et ce faisant, elle sourit en retour, le torturant avec la monstruosité de ses lèvres décomposées.

« Viens ici, Commandant », dit-elle. « Avant que tu ne partes, il y a quelque chose que je veux te montrer. »

Il pivota lentement et marcha, traversant la pièce jusqu’à ce qu’il atteigne son côté, et se tint là, regardant dehors, regardant n’importe où hormis son visage.

« N’as-tu pas un doux baiser d’adieu pour ta Déesse ? » demanda-t-elle.

Elle pouvait le voir tressaillir, même légèrement, et elle sentit une colère renouvelée brûler en elle.

« Peu importe », ajouta-t-elle, son expression s’assombrissant. « Mais il y a, au moins, quelque chose que je veux te montrer. Regarde. Tu vois là dehors, à l’horizon ? Regarde de plus près. Dis-moi ce que tu vois là-bas. »

Il fit un pas en avant et elle posa une main sur son épaule. Il se pencha en avant et examina l’horizon, et ce faisant, elle vit ses sourcils se froncer, confus.

« Je ne vois rien, Déesse. Rien qui ne sorte de l’ordinaire. »

Volusia esquissa un grand sourire, sentant son vieux caractère vindicatif monter en elle, sentant son vieux besoin de violence, de cruauté.

« Regarde de plus près, Commandant », dit-elle.

Il se pencha en avant, juste un peu plus, et avec un geste rapide, Volusia empoigna sa chemise par derrière, et de toutes ses forces, le jeta tête la première par la fenêtre.

Brin hurla tout en battant des pieds et des mains, dans les airs, tombant de toute la hauteur, trente mètres, jusqu’à ce finalement il atterrisse tête la première, mort sur l’instant, dans les rues en contrebas. Le bruit sourd résonna dans les rues autrement calmes.

Volusia esquissa un large sourire, examinant son corps, éprouvant enfin une sensation de vengeance.

« C’est toi que tu vois », répondit-elle. « Qui est le moins monstrueux de nous deux maintenant ? »

CHAPITRE DOUZE

Gwendolyn marchait dans les corridors sombres de la tour des Chercheurs de Lumière, Krohn à côté d’elle, montant lentement la rampe sur les côtés de l’édifice. Sur le chemin étaient alignées des torches et des fidèles du culte, debout silencieusement au garde-à-vous, mains cachées dans leur robe, et la curiosité de Gwen augmenta tandis qu’elle continuait à grimper un étage après l’autre. Le fils du Roi, Kristof, l’avait menée sur la moitié du trajet après leur rencontre, puis avait tourné les talons et était descendu, l’informant qu’elle devrait achever son périple seule pour voir Eldof, qu’elle seule pouvait lui faire face. La manière dont ils parlaient tous de lui, c’était comme s’il était un dieu.

De doux chants emplissaient l’air, ainsi que de l’encens, pendant que Gwen que montait sur la rampe à pente très douce, et s’interrogeait : Quel secret gardait Eldof ? Lui donnerait-il le savoir dont elle avait besoin pour sauver le Roi et sauver la Crête ? Serait-elle un jour capable d’extraire la famille du Roi de ce lieu ?

Alors que Gwen passait un angle, la tour s’ouvrit soudain, et elle eut le souffle coupé par la vue. Elle pénétrait dans une pièce élancée aux plafonds d’une trentaine de mètres, aux murs de laquelle s’alignaient des vitraux, du sol au plafond. Une lumière feutrée inondait la salle, pleine d’écarlate, de pourpre et de rose, donnant à la chambre un caractère céleste. Et ce qui rendait tout cela encore plus surréel que le reste était de voir un homme assis seul dans ce vaste lieu, au centre de la pièce, les rayons de lumière tombant sur lui comme pour l’illuminer lui et lui seul.

Eldof.

Le cœur de Gwen palpita quand elle le vit assis là de l’autre côté de la pièce, comme un dieu tombé du ciel. Il était assis là, mains croisées dans sa cape dorée étincelante, la tête complètement chauve, sur un énorme trône magnifique sculpté dans l’ivoire, des torches de chaque côté du siège et de la rampe qui y menait, éclairant la pièce obliquement. Cette pièce, ce trône, cette rampe qui y menait – c'était plus impressionnant que d’approcher le Roi. Elle réalisa immédiatement pourquoi le Roi se sentait menacé par sa présence, son culte, sa tour. Tout était conçu pour inspirer l’admiration, l’effroi et la soumission.

Il ne lui fit pas signe, ou même ne lui adressa pas un regard et Gwen, ne sachant pas ce que faire, commença l’ascension de la longue passerelle dorée menant à son trône. En chemin elle vit qu’elle n’était pas seule là après tout, car dissimulés dans l’ombre se tenaient des rangées de fidèles, tous alignés, yeux fermés, mains rentrées dans leurs capes, le long de la rampe. Elle se demanda combien de milliers de fidèles il avait.

Elle s’arrêta enfin quelques mètres devant le trône et leva les yeux.

Il la regarda en retour avec des yeux qui semblaient anciens, d’un bleu glacial, luisants, et alors qu’il lui souriait, ses yeux ne montraient aucune chaleur. Ils étaient hypnotisant. Cela lui rappelait d’être en présence d’Argon.

Elle ne savait pas quoi dire pendant qu’il la dévisageait, regard baissé ; elle avait l’impression qu’il scrutait son âme. Elle se tint là dans le silence, attendant jusqu’à ce qu’il soit prêt, et à côté d’elle, elle pouvait sentir Krohn se raidir, également sur le qui-vive.

« Gwendolyn du Royaume Ouest de l’Anneau, fille du Roi MacGil, dernier espoir pour sauver son peuple – et le nôtre », prononça-t-il lentement, comme s’il lisait un vieux texte, la voix plus profonde qu’aucune autre qu’elle ait entendu, sonnant comme si elle avait résonné depuis les pierres elles-mêmes. Ses yeux transperçaient les siens, et sa voix était hypnotisante. Tandis qu’elle avait le regard fixé sur eux, cela lui fit perdre tout sens de l’espace, du temps et du lieu, et déjà, Gwen pouvait se sentir aspirée par son culte de la personnalité. Elle se sentait fascinée, comme si elle ne pouvait pas regarder ailleurs, même si elle essayait. Elle eut immédiatement l’impression qu’il était le centre du monde, et elle comprit sur le champ comment tous ces gens en étaient venus à le vénérer et à le suivre.

Gwen le fixait des yeux en retour, momentanément à court de mots, quelque chose qui lui était rarement arrivé. Elle ne s’était jamais sentie aussi éblouie – elle, qui avait été devant beaucoup de Rois et Reine ; elle, qui était Reine elle-même ; elle, la fille d’un Roi. Cet homme avait une qualité en lui, quelque chose qu’elle ne pouvait pas vraiment décrire ; pendant un moment, elle oublia même pourquoi elle était venue là.

Finalement, elle vida son esprit assez longtemps pour être capable de parler.

« Je suis venue », commença-t-elle, « car— »

Il rit, l’interrompant, un son court et profond.

« Je sais pourquoi vous êtes venue », dit-il. « Je le savais avant que vous ne le sachiez. J’avais connaissance de votre arrivée dans cet endroit – en fait, je le savais avant même que vous ne traversiez la Grande Désolation. Je savais à propos de votre départ de l’Anneau, votre voyage jusqu’aux Îles Septentrionales, et de vos périples à travers la mer. Je connais votre mari, Thorgrin, et votre fils, Guwayne. Je vous ai observée avec un grand intérêt, Gwendolyn, pendant des siècles, je vous ai surveillée. »

Gwen frissonna à ses mots, face à cette familiarité de la part d’une personne qu’elle ne connaissait pas. Elle ressentit un picotement dans ses bras, le long de son dos, se demandant comment il savait tout cela. Elle sentit qu’une fois qu’elle était dans son orbite, elle ne pourrait s’échapper même si elle essayait.

« Comment savez-vous tout cela ? » demanda-t-elle.

Il sourit.

« Je suis Eldof. Je suis à la fois le début et la fin du savoir. »

Il se mit debout, et elle fut stupéfaite de voir qu’il était deux fois plus grand qu’aucun homme qu’elle ait rencontré. Il se rapprocha d’un pas, le long de la rampe, et avec ses yeux si magnétiques, Gwen eut l’impression qu’elle ne pouvait pas bouger en sa présence. C’était si dur de se concentrer devant lui, de formuler une pensée indépendante pour elle-même.

Gwen se força à se vider l’esprit, à se concentrer sur l’affaire en cours.

« Votre Roi a besoin de vous », dit-elle. « La Crête a besoin de vous. »

Il rit.

« Mon Roi ? » répéta-t-il avec dédain.

Gwen s’obligea à insister.

 

« Il croit que vous savez comment sauver la Crête. Il croit que vous lui dissimulez un secret, un qui pourrait sauver cet endroit et tous ces gens. »

« C’est vrai », répondit-il laconiquement.

Gwen fut décontenancée par sa réponse immédiate et franche, et savait à peine quoi répondre. Elle s'était attendue à ce qu’il le nie.

« Vous le faites ? » demanda-t-elle, interloquée.

Il sourit mais ne dit rien.

« Mais pourquoi ? » demanda-t-elle. « Pourquoi ne partagez-vous pas ce secret ? »

« Et pourquoi devrais-je faire cela ? » demanda-t-il.

« Pourquoi ? », demanda-t-elle, déconcertée. « Évidemment, pour sauver ce royaume, pour sauver son peuple. »

« Et pourquoi voudrais-je faire cela ? » insista-t-il.

Gwen plissa les yeux, confuse ; elle n’avait aucune idée de comment répondre. En fin de compte, elle soupira.

« Votre problème », dit-il, « est que vous croyez que tout le monde doit être sauvé. Mais c’est là que vous avez tort. Vous considérez le temps du seul point de vue des décennies ; je les vois en termes de siècles. Vous considérez les gens comme indispensables ; je les vois comme de simples rouages dans la grande roue du destin et du temps. »

Il fit un pas de plus, les yeux brûlants.

« Certaines personnes, Gwendolyn, sont destinées à mourir. Certaines personnes doivent mourir. »

« Doivent mourir ? » demanda-t-elle, horrifiée.

« Certaines doivent mourir pour en libérer d’autres », dit-il. « Certaines doivent tomber pour que d’autres puissent se lever. Qu’est-ce qui rend une personne plus importante qu’une autre ? Une place plus importante que l’autre ? »

Elle réfléchit à ses mots, de plus en plus confuse.

« Sans destruction, sans dévastation, la pousse ne peut pas suivre. Sans les sables stériles du désert, il ne peut y avoir de fondations sur lesquelles construire de grandes cités. Qu’est-ce qui compte le plus : la destruction, ou la croissance à suivre ? Ne comprenez-vous pas ? Qu’est-ce que la destruction, sinon une fondation ? »

Gwen, embrouillée, tentait de comprendre, mais ses mots ne faisaient qu’approfondir sa confusion.

« Alors allez-vous rester à ne rien faire et laisser la Crête et son peuple mourir ? », demanda-t-elle. « Pourquoi ? Comment cela pourrait-il vous bénéficier ? »

Il rit.

« Pourquoi tout devrait-il être toujours fait pour un bénéfice ? » demanda-t-il. « Je ne les sauverais pas, car ils ne sont pas censés être sauvés », dit-il avec emphase. « Cet endroit, la Crête, n’est pas supposé survivre. Elle est censée être détruite. Ce Roi est destiné à être détruit. Tous ces gens sont destinés à être détruits. Et ce n’est pas à moi de me tenir sur la voie du destin. Il m’a été accordé le don de voir dans le futur – mais c’est un don dont je n’abuserais pas. Je ne changerais pas ce que je vois. Qui suis-je pour me mettre en travers du destin ? »

Gwendolyn ne pouvait s’empêcher de penser à Thorgrin, à Guwayne.

Eldof esquissa un large sourire.

« Ah oui », dit-il en regardant droit vers elle. « Votre époux. Votre fils. »

Gwen le regarda en retour, abasourdie, se demandant comment il avait lu dans son esprit.

« Vous voulez tant les aider », ajouta-t-il, puis il secoua la tête. « Mais parfois vous ne pouvez changer le destin. »

Elle rougit et chassa ses mots, déterminée.

« Je changerais le destin », dit-elle catégoriquement. « Quoi qu’il faille. Même si je dois abandonner ma propre âme. »

Eldof la dévisagea longuement, l’étudiant.

« Oui », dit-il. « Vous le ferez, n’est-ce pas ? Je peux voir cette force en vous. L’esprit d’un guerrier. »

Il l’examina, et pour la première fois elle vit une part de certitude dans son expression.

« Je ne m’étais pas attendu à trouver cela en vous », poursuivit-il, la voix humble. « Il y a quelques personnes choisies, comme vous, qui ont le pouvoir de changer le destin. Mais le prix que vous paierez est très grand. »

Il soupira, comme s’il chassait une vision.

« Dans tous les cas », poursuivit-il, « vous ne changerez pas l’avenir ici – pas dans la Crête. La mort est en train d’arriver ici. Ce dont ils ont besoin n’est pas un sauvetage – mais un exode. Ils ont besoin d’un nouveau chez, pour les mener à travers la Grande Désolation. Je pense que vous savez déjà de qui il s’agit. »

Gwen frissonna à ses mots. Elle ne pouvait s’imaginer avoir la force de traverser à nouveau tout cela.

« Comment puis-je les mener ? » demanda-t-elle, exténuée par cette pensée. « Et quel endroit reste-t-il où aller ? Nous sommes au milieu de nulle part. »

Il se détourna, devenant silencieux, et alors qu’il commençait à s’éloigner, Gwen éprouva un soudain désir brûlant d’en savoir plus.

« Dites-moi », dit-elle, en se précipitant et en agrippant son bras.

Il se tourna et regarda sa main, comme si un serpent le touchait, jusqu’à ce que finalement elle la retire. Plusieurs moines sortirent précipitamment de l’ombre et restèrent non loin, la regardant avec colère – jusqu’à ce que finalement Eldof leur fasse un signe de la tête, et ils se retirèrent.

« Dites-moi », lui dit-elle, « je vous répondrais une fois. Que souhaitez-vous savoir ? »

« Guwayne », dit-elle, à bout de souffle. « Mon fils. Comment puis-je le retrouver ? Comment puis-je changer le destin ? »

Il la regarda longuement.

« La réponse a été devant vous tout le long, et pourtant vous ne voyez pas. »

Gwen se creusa la tête, désespérée de savoir, cependant elle ne pouvait comprendre ce que c’était.

« Argon », ajouta-t-il. « Il reste un secret qu’il a craint de vous dire. C’est là que la réponse se trouve. »

Gwen fut abasourdie.

« Argon ? » demanda-t-elle. « Est-ce qu’Argon sait ? »

Eldof secoua la tête.

« Il l’ignore. Mais son maître sait. »

L’esprit de Gwen tournoyait.

« Son maître ? » demanda-t-elle.

Gwen n’avait jamais envisagé qu’Argon ait un maître.

Eldof acquiesça.

« Demandez à ce qu’il vous mène à lui », dit-il, un caractère définitif dans la voix. « Les réponses que vous recevrez surprendront même vous. »

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