Héroïne, Traîtresse, Fille

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CHAPITRE QUATRE

Stephania courait dans le château, excitée par le son des cors de guerre, comme une biche qui fuyait un groupe de chasseurs. Si elle ne sortait pas maintenant, elle n'aurait pas d'autre chance. Elle avait fait tout son possible pour se débarrasser de Ceres.

“Que Felldust s'occupe d'elle”, dit Stephania.

Elle retraversa le château, cherchant le point où il rejoignait les tunnels qui couraient sous la cité. Elle espéra qu'Elethe avait gardé sa sortie de secours comme Stephania le lui avait ordonné. Maintenant, il était temps de fuir. Si elles se faisaient attraper par la rébellion, ce serait déjà mauvais mais, si elles se faisaient attraper au milieu d'une bataille entre la rébellion et les Cinq Pierres de Felldust, ce serait bien pire.

A moins que …

Stephania s'arrêta et regarda par une fenêtre donnant sur le port. Elle voyait que le ciel était noir de projectiles et que des navires étaient en feu alors qu'un sombre ruban de vaisseaux d'invasion se rapprochait. Stephania se précipita vers un endroit d'où elle pouvait regarder par-dessus les murailles et vit aussi des feux au-delà de ces murailles.

Où qu'elle se précipite maintenant, il semblait qu'elle allait y trouver des ennemis. Elle ne pouvait plus s'échapper par la voie maritime comme elle l'avait fait pour revenir à Delos. Elle ne pouvait pas prendre le risque de s'échapper dans la campagne dégagée parce que, si elle avait été à la tête de l'invasion, elle aurait envoyé des bandes de pilleurs repousser les gens vers la cité. Elle ne pouvait pas prendre le risque d'errer ouvertement dans Delos parce que les forces de la rébellion essaieraient de la capturer.

Mais où étaient ces soldats ? Quand elle était entrée, Stephania avait passé quelques gardes et son déguisement avait été amplement suffisant pour qu'ils la laissent se faufiler devant eux. Cela dit, ils avaient été peu nombreux. Le château ressemblait à un navire fantôme, abandonné pour faire face à des problèmes plus urgents. En regardant à l'extérieur, Stephania vit des rebelles passer dans les rues en armure brillante et en armure de fortune. Il y aurait forcément quelques hommes aux alentours, mais combien et où ?

L'idée vint lentement à Stephania, plus comme une possibilité que comme une réalité. Pourtant, plus elle y réfléchissait, plus cela lui semblait être le meilleur choix pour elle. Elle n'était pas du style à se ruer en avant sans réfléchir. Dans les cercles de la noblesse, avec ce genre d'attitude, on se rendait vulnérable aux agissements de quelqu'un d'autre ou on se retrouvait ostracisé ou pire encore.

Cependant, parfois, c'étaient les actions décisives qui permettaient de s'en sortir. Quand il y avait un prix à conquérir, rester en retrait pouvait vous le faire perdre aussi sûrement qu'un excès de zèle.

Stephania se dirigea vers Elethe, qui regardait tantôt les tunnels, tantôt la cité, comme si elle s'attendait à ce qu'une horde d'ennemis arrive à tout moment.

“Est-il temps de partir, madame ?” dit Elethe. “Est-ce que Ceres est morte ?”

Stephania secoua la tête. “Le plan a changé. Viens avec moi.”

Elethe eut le mérite de ne pas hésiter. Elle accompagna Stephania en dépit des inquiétudes qu'elle devait ressentir.

“Où allons-nous ?” demanda Elethe.

Stephania sourit. “Aux cachots. J'ai décidé que tu allais me livrer à la rébellion.”

La servante de Stephania eut l'air choquée à cette idée mais sa surprise ne fit que croître quand Stephania expliqua son plan plus en détail.

“Es-tu prête ?” demanda Stephania alors qu'elles se rapprochaient des cachots.

“Oui, madame”, dit Elethe.

Stephania mit les mains derrière le dos comme si elle était attachée puis avança avec ce qu'elle espérait être un air craintif et contrit. Elethe se débrouillait étonnamment bien dans son rôle de féroce rebelle qui emmenait une ennemie récemment capturée.

Il y avait deux gardes près de la porte principale. Assis à une table avec une partie de cartes en cours, ils montraient comment ils passaient leur temps. Certaines choses ne changeaient jamais, quel que soit le chef.

Ils levèrent les yeux quand Stephania approcha et Stephania fut très amusée par la surprise qu'elle vit sur leur visage.

“Est-ce que … vous avez capturé Lady Stephania ?” demanda l'un d'eux.

“Comment avez-vous fait ça ?” dit l'autre. “Où l'avez-vous trouvée ?”

Stephania entendit leur incrédulité, mais elle entendit aussi qu'ils ne savaient pas quoi faire.

“Elle s'échappait furtivement des appartements de Ceres”, répondit Elethe sans gêne. Sa servante était une bonne menteuse. “Pouvez-vous … il faut que je le dise à quelqu'un mais je ne sais pas vraiment qui.”

C'était une bonne idée. Alors, ils regardèrent tous deux Elethe en essayant de décider ce qu'ils allaient faire. A ce moment-là, Stephania prit une aiguille dans chaque main et en frappa les gardes au cou. Ils se retournèrent mais le poison agissait vite et leur cœur le pompait déjà dans leur organisme. Un moment ou deux plus tard, ils s'effondrèrent.

“Prends les clés”, dit Stephania en montrant la ceinture d'un garde.

Elethe le fit et ouvrit les cachots. Ils étaient presque pleins à craquer, comme Stephania avait soupçonné qu'ils le seraient, ou du moins comme elle l'avait espéré. De plus, il n'y avait plus de gardes. Apparemment, tous ceux qui étaient capables de se battre étaient sur les murailles.

Il y avait des hommes et des femmes qui étaient apparemment des soldats et des gardes, des tortionnaires ou simplement des nobles loyaux. Dans ces cachots, Stephania vit plus que quelques-unes de ses propres servantes, ce qui lui sembla un peu absurde. Ce qu'il fallait faire, ce n'était pas insister sur sa propre loyauté mais prétendre servir le nouveau régime. Enfin, l'important, c'était qu'elles étaient là.

“Lady Stephania ?” dit l'une d'elles, comme si elle ne pouvait pas vraiment croire ce qu'elle voyait, comme si Lady Stephania était leur sauveur.

Stephania sourit à cette idée. Elle aimait que ses serviteurs la considèrent comme leur héroïne. De cette façon, elles feraient probablement bien plus que si elles se contentaient de lui obéir, et elle aimait aussi l'idée de retourner les armes de Ceres contre elle.

“Écoutez-moi”, leur dit-elle. “On vous a beaucoup pris. Vous aviez beaucoup et ces rebelles, ces paysans, ont osé s'en emparer. Je dis qu'il est temps de le reprendre.”

“Vous êtes venue nous libérer ?” demanda un ex-soldat.

“Je suis venue faire mieux que ça”, dit Stephania. “Nous allons reprendre le château.”

Elle ne s'était pas attendue à des acclamations. Elle n'était pas une romantique qui avait besoin que des idiots applaudissent chacune de ses décisions. Cela dit, les anxieux qui marmonnaient entre eux étaient un peu énervants.

“Vous avez peur ?” demanda-t-elle.

“Il va y avoir des rebelles là-haut !” dit un noble. Stephania le connaissait. Le Haut Préfet Scarel s'était toujours empressé de défier les autres quand il savait qu'il pouvait gagner.

“Pas assez pour tenir ce château”, dit Stephania. “Pas maintenant. Tous les rebelles disponibles sont sur les murailles et essaient de repousser l'invasion.”

“Et l'invasion ?” demanda une noble. Elle ne valait guère mieux que l'homme qui venait de parler. Stephania connaissait des secrets sur ce qu'elle avait fait avant d'épouser un homme assez riche pour faire rougir d'envie la plupart des autres.

“Oh, je vois”, dit Stephania. “Vous préférez attendre dans un joli cachot sécurisé que tout soit fini. Et après ? Au mieux, vous passerez le reste de votre vie dans ce trou puant, si les rebelles ne décident pas de vous tuer en douce quand ils comprendront quelle charge représentent les prisonniers. Si ce sont les autres qui gagnent … pensez-vous qu'être au cachot vous protégera ? Ici, vous ne serez pas des nobles pour eux, rien que des amusements. Des amusements à la vie courte.”

Elle s'interrompit pour leur laisser le temps de réfléchir. Elle avait besoin qu'ils aient l'impression d'être des lâches pour avoir même envisagé cette idée.

“Ou alors, nous pourrions sortir”, dit Stephania. “Nous prendrons le château et nous le fermerons contre nos ennemis. Nous tuerons ceux qui s'opposent à nous. Comme je me suis déjà occupée de Ceres, elle ne pourra pas nous arrêter. Nous tiendrons ce château jusqu'à ce que la rébellion et les envahisseurs se massacrent les uns les autres, puis nous reprendrons Delos.”

“Il y a encore des gardes”, dit quelqu'un. “Il y a encore des seigneurs de guerre ici. Nous ne pouvons pas nous battre contre les seigneurs de guerre et gagner.”

Stephania fit un signe à Elethe, qui commença à déverrouiller les cellules. “Il y a des façons d'y arriver. Nous aurons plus d'armes à chaque garde que nous tuerons et nous savons tous où se trouve l'armurerie. Ou alors, vous pouvez rester pourrir ici. Je fermerai les portes et j'enverrai quelques tortionnaires plus tard. L'un ou l'autre, ça m'est égal.”

Ils la suivirent, comme elle l'avait prévu. Peu importe qu'ils le fassent par peur, par fierté ou même par loyauté. Ce qui comptait, c'était qu'ils le fassent. Ils la suivirent dans le château et Stephania commença à donner des ordres, même si elle faisait attention à ce qu'ils ne ressemblent pas trop à des ordres, du moins pour l'instant.

“Lord Hwel, pourriez-vous emmener quelques-uns des hommes les plus valides bloquer l'accès à la caserne des gardes ?” dit Stephania. “Nous ne voulons pas que les rebelles s'échappent.”

“Et les hommes loyaux à l'Empire?” dit le noble.

 

“Ils peuvent prouver leur loyauté en tuant ces autres traîtres”, répondit Stephania.

Le noble s'empressa d'obéir à ses ordres. Stephania envoya une de ses servantes en rassembler d'autres et demanda à une noble d'apprendre aux servantes à obéir aux ordres de Stephania.

Stephania regarda le groupe qui l'accompagnait en évaluant l'utilité de ses membres, en repérant ceux qui avaient des secrets qu'elle pourrait utiliser, ceux dont les faiblesses les rendaient faciles à contrôler et ceux dont les faiblesses les rendaient dangereux. Elle envoya le noble qui avait tellement voulu éviter de se battre contrôler les portes et une douairière acariâtre aux cuisines, où elle ne pourrait faire aucun mal.

Ils récupèrent du monde sur leur chemin. Des gardes et des serviteurs venaient à eux en les entendant venir, changeant de camp comme des girouettes. Les servantes de Stephania s'agenouillaient devant elle, puis se levaient quand elle les touchait pour aller accomplir leur tâche suivante.

De temps à autre, ils trouvaient des rebelles qui refusaient de se rendre et les tuaient. Certains mouraient quand des nobles se ruaient précipitamment sur eux, saisissaient leurs armes et les battaient à mort. D'autres mouraient poignardés par derrière, ou quand une fléchette empoisonnée leur rentrait dans la chair. Les servantes de Stephania avaient appris à bien accomplir leurs tâches.

Quand elle vit la Reine Athena, Stephania se demanda comment elle allait devoir réagir.

“Que se passe-t-il ?” demanda la reine. “Que se passe-t-il ici ?”

Stephania ne tint aucunement compte de ses divagations.

“Tia, il faut que tu trouves comment ça se passe à l'armurerie. Il nous faut ces armes. J'imagine que Le Haut Préfet Scarel aura trouvé à se battre, maintenant.”

Elle poursuivit son chemin vers le grand hall.

“Stephania”, dit la Reine Athena. “J'exige qu'on me dise ce qui se passe.”

Stephania haussa les épaules. “J'ai fait ce que vous auriez dû faire. J'ai libéré ces personnes fidèles.”

C'était un argument si simple, si net, qu'il était inutile d'en dire plus. C'était Stephania qui avait sauvé les nobles. C'était à elle qu'ils devaient leur liberté, et peut-être la vie.

“Moi aussi, on m'a emprisonnée”, répliqua la reine.

“Ah, bien sûr. Si j'avais su, je vous aurais sauvée avec les autres nobles. Maintenant, excusez-moi. J'ai un château à prendre.”

Stephania s'éloigna rapidement à grands pas parce que le meilleur moyen de gagner une dispute était de ne pas laisser à son adversaire la possibilité de prendre la parole. Elle ne fut pas étonnée quand les autres personnes présentes continuèrent à la suivre.

Aux alentours, Stephania entendit les bruits d'un combat. Faisant signe à ceux qui l'accompagnaient, elle monta un escalier en cherchant un balcon. Elle trouva rapidement ce qu'elle cherchait. Stephania connaissait le château aussi bien que quiconque.

En contrebas, elle vit un combat qui aurait probablement impressionné la plupart des gens. Une dizaine d'hommes musclés portant des armes et des armures toutes différentes étaient en train de se battre dans la cour qui se trouvait devant la porte principale. Ils se battaient contre au moins deux fois plus de gardes, qui avaient peut-être été trois fois plus nombreux avant le début de la bataille et étaient tous menés par Le Haut Préfet Scarel. De plus, on aurait dit qu'ils étaient en train de gagner. Stephania voyait les corps éparpillés sur les pavés, portant leur armure impériale. Le noble qui adorait se battre avait trouvé de quoi se battre éternellement, semblait-il.

“Quel imbécile”, dit Stephania.

Stephania regarda un moment et, si elle avait ressenti un peu plus d'intérêt pour le Stade, elle aurait probablement trouvé une sorte de beauté sauvage à cette scène. Alors qu'elle regardait, un homme tenant une grande hache frappa deux hommes du manche, puis virevolta et en frappa un des deux assez violemment avec sa lame pour quasiment le fendre en deux. Un seigneur de guerre qui se battait avec une chaîne bondit par-dessus un soldat et la lui enroula autour du cou.

C'était une preuve de courage qui ne laissait pas de marbre. Peut-être que, si elle y avait pensé, elle aurait pu acheter une dizaine de seigneurs de guerre un peu plus tôt et en faire des gardes du corps assez loyaux. La seule difficulté aurait été le manque de subtilité. Stephania grimaça quand une éclaboussure de sang réussit à s'élever presque jusqu'au rebord du balcon.

“Ne sont-ils pas magnifiques ?” dit une des nobles.

Stephania la regarda avec tout le mépris qu'elle put exprimer. “Je pense que ce sont des imbéciles.” Elle claqua des doigts en direction d'Elethe. “Elethe, des couteaux et des arcs. Maintenant.”

Sa servante hocha la tête et Stephania les regarda, elle et quelques autres, sortir des armes à lancer et des fléchettes. Quelques gardes qui les accompagnaient avaient des arcs courts qu'ils avaient pris dans l'armurerie. L'un d'eux avait une arbalète de navire, qui était plus efficace tirée d'un pont que d'un balcon. Ils hésitèrent.

“Les nôtres sont là-bas”, dit un des nobles.

Stephania lui prit un arc léger des mains. “Et ils allaient mourir de toute façon, à se battre si pitoyablement contre des seigneurs de guerre. Au moins, comme ça, ils nous donnent une chance de gagner.”

Gagner passait avant tout le reste. Ces autres gens le comprendraient peut-être un jour. Ou peut-être était-il mieux qu'ils ne le comprennent jamais. Stephania ne voulait pas avoir à les tuer.

Pour l'instant, elle banda son arc aussi bien que possible avec son ventre rond. Comme elle tirait vers le bas, elle pouvait tout juste le retirer à moitié mais cela n'avait presque aucune importance. Elle ne prenait pas le temps de viser et cela n'avait certainement aucune importance. Vu la masse de gens qui grouillaient en-dessous, il suffisait qu'elle atteigne quelque chose.

Plus que ça, c'était assez pour servir de signal.

Les flèches s'abattirent. Stephania en vit une traverser la chair du bras d'un seigneur de guerre, qui rugit comme un animal blessé avant que trois autres lui transpercent la poitrine. Des couteaux s'abattirent, coupèrent, éraflèrent, creusèrent et évidèrent. Des fléchettes transportèrent du poison qui n'eut probablement pas le temps d'agir avant que les cibles ne soient transpercées de flèches.

Stephania vit des soldats de l'Empire tomber avec les seigneurs de guerre. Le Haut Préfet Scarel leva les yeux vers elle d'un air accusateur en tripotant le carreau d'arbalète qui lui avait perforé l'estomac. Les hommes continuaient à tomber sous les coups d'épée des seigneurs de guerre ou trouvaient des brèches dans leurs défenses mais leurs moments de victoire étaient vite interrompus par la pluie de flèches.

Stephania n'en avait que faire. Ce ne fut que quand le dernier seigneur de guerre tomba qu'elle leva la main pour mettre fin à l'assaut.

“Tellement de …” commença à dire une des nobles. Stephania s'en prit à elle.

“Ne soyez pas idiote. Nous avons tué les soutiens de Ceres et nous avons pris le château. Rien d'autre ne compte.”

“Et Ceres ?” demanda un des gardes. “Est-elle morte ?”

Stephania plissa les yeux en entendant cette question parce que c'était la seule partie de ce plan qui l'irritait.

“Pas encore.”

Il fallait qu'ils tiennent le château jusqu'à ce que l'invasion prenne fin ou jusqu'à ce que les rebelles trouvent un moyen ou un autre de la repousser. A ce stade, ils auraient peut-être besoin de Ceres comme élément de marchandage, ou peut-être même comme un simple cadeau permettant aux Cinq Pierres de Felldust d'afficher leur victoire. Sa présence au château pourrait même y attirer Thanos, ce qui permettrait à Stephania de perpétrer toutes ses vengeances d'un seul coup.

Pour l'instant, cela signifiait que Ceres devait rester en vie mais qu'elle pouvait quand même souffrir.

Et elle allait souffrir.

CHAPITRE CINQ

Ceres flottait au-dessus d'îles de pierre lisse d'une beauté si exquise qu'elle voulait presque pleurer. Elle reconnut le travail des Anciens et se mit immédiatement à penser à sa mère.

Alors, Ceres la vit quelque part devant elle, encore enrobée de brume. Ceres courut vers elle et la vit se retourner, mais elle semblait ne pas encore courir assez vite pour la rattraper.

A présent, un vide les séparait et Ceres bondit en tendant la main. Elle vit sa mère tendre la main vers elle et, seulement l'espace d'un instant, Ceres crut que Lycine allait l'attraper. Leurs doigts s'effleurèrent puis Ceres se mit à tomber.

Elle tomba au milieu d'une bataille, entourée de silhouettes qui se débattaient. Les morts étaient là et, en apparence, leur mort ne les empêchait pas de se battre. Lord West se battait à côté d'Anka, Rexus à côté de cent hommes que Ceres avait tués dans tout autant de combats différents. Ils étaient tous autour de Ceres, en train de se battre l'un contre l'autre, en train de se battre contre le monde entier …

Le Dernier Souffle était là, devant elle, et l'ex-seigneur de guerre était aussi sombre et terrifiant qu'il l'avait jamais été. Ceres sauta par dessus le bâton à lames qu'il maniait et tendit le bras pour le pétrifier comme elle l'avait déjà fait.

Cette fois-ci, rien ne se produisit. Le Dernier Souffle la jeta à terre d'un coup de poing, se tint triomphant au-dessus d'elle mais, maintenant, il était Stephania qui, au lieu d'un bâton, tenait une bouteille dont les exhalaisons étaient encore acres dans les narines de Ceres.

Alors, elle se réveilla et la réalité ne fut pas préférable à ses rêves.

En se réveillant, elle sentit sous elle la pierre rude. L'espace d'un instant, elle crut que Stephania l'avait peut-être laissée sur le sol de sa chambre ou, pire encore, qu'elle se tenait peut-être encore au-dessus d'elle. Ceres virevolta en essayant de se relever et de continuer à se battre, mais, à ce moment, elle se rendit compte qu'elle n'avait pas de place où le faire.

Quand Ceres vit des murs de pierre de tous les côtés, elle dut se forcer à respirer lentement, à réprimer la panique qui menaçait de l'engloutir. Ce fut seulement quand elle leva les yeux et vit une grille en métal au-dessus d'elle qu'elle se rendit compte qu'elle était dans une fosse, pas enterrée vivante.

La fosse était tout juste assez large pour qu'elle s'y asseye. Il lui était certainement impossible de s'allonger de tout son long. Ceres tendit la main vers le haut, testa la solidité des barreaux de la grille qui se trouvait au-dessus d'elle puis invoqua ses pouvoirs pour trouver la force de les plier ou de les briser.

Rien n'arriva.

Alors, Ceres sentit la panique monter en elle. Elle essaya d'invoquer ses pouvoirs, de la faire doucement, se souvenant des changements que lui avait appris sa mère après qu'elle avait épuisé ses pouvoirs en essayant de prendre la cité.

D'une façon ou d'une autre, cela lui semblait être une situation similaire, et pourtant différente de beaucoup plus d'autres points de vue. Avant, ç'avait été comme si les canaux qui acheminaient le pouvoir avaient été brûlés jusqu'à ce qu'ils fassent assez mal pour ne plus pouvoir être utilisés, laissant Ceres complètement vidée.

Maintenant, elle avait l'impression qu'elle était simplement normale, même si cela lui semblait être moins que rien comparé à ce qu'elle avait été peu de temps auparavant. Elle n'avait aucun doute sur l'origine de son état : Stephania et son poison. Quelque part, d'une façon ou d'une autre, elle avait trouvé le moyen de priver Ceres des pouvoirs que son sang Ancien lui donnait.

Ceres sentait la différence entre le présent et ce qui s'était passé auparavant. Cela avait été comme une cécité subite : c'était trop et trop tôt et ça s'évanouissait lentement avec les soins appropriés. A présent, elle avait plutôt la sensation que des corbeaux lui avaient crevé les yeux à coup de bec.

Elle retendit quand même la main vers le haut pour saisir les barreaux en espérant qu'elle se trompait. Elle se força à essayer de les faire bouger en y mettant toute la force qu'elle put convoquer. Ils ne cédèrent pas le moins du monde, même quand Ceres leur tira dessus si fort que ses paumes saignèrent contre le métal.

Elle poussa un cri de surprise quand quelqu'un jeta de l'eau dans la fosse et qu'elle se retrouva trempée et recroquevillée contre la pierre du mur. Quand Stephania devint visible, se tenant au-dessus de la grille, Ceres essaya de la toiser avec défi mais, à ce moment-là, elle avait trop froid, était trop mouillée et trop faible pour pouvoir faire grand-chose.

 

“Donc, le poison a fonctionné”, dit Stephania sans préambule. “C'est normal, après tout. Je l'ai payé assez cher.”

Ceres la vit alors se toucher le ventre, mais Stephania reprit la parole avant que Ceres ait pu demander ce qu'elle voulait dire.

“Quelle impression cela fait-il de se voir retirer la seule chose qu'on avait de spécial ?” demanda Stephania.

C'est comme avoir su voler mais ne plus être que tout juste capable de ramper. Cependant, Ceres n'allait pas lui donner la satisfaction de le dire à voix haute.

“On n'en a pas déjà parlé, Stephania ?” demanda-t-elle. “Vous connaissez la fin de l'histoire. Je m'échappe et je vous donne ce que vous méritez.”

Alors, Stephania l'aspergea d'un autre seau d'eau et Ceres bondit vers les barreaux. Elle entendit rire Stephania alors qu'elle le faisait et cela ne fit qu'accroître sa colère. Peu lui importait de ne plus avoir de pouvoirs à ce moment-là. Elle avait quand même l'entraînement d'un seigneur de guerre et elle avait quand même tout ce qu'elle avait appris auprès du Peuple de la Forêt. Elle étranglerait Stephania à mains nues si nécessaire.

“Regarde-toi. Regarde l'animal que tu es”, dit Stephania.

Cela calma un peu Ceres, ne serait-ce que parce qu'elle refusait d'être ce que Stephania voulait qu'elle soit.

“Vous auriez dû me tuer quand vous en aviez l'occasion”, dit Ceres.

“Je le voulais”, répondit Stephania, “mais les événements ne nous donnent pas toujours ce que nous voulons. Regarde simplement comment ça s'est passé, pour toi et Thanos. Ou avec moi et Thanos. Après tout, c'est moi sa véritable épouse, non ?”

Ceres dut plaquer les mains contre la pierre des murailles pour s'empêcher de bondir vers Stephania une fois de plus.

“Je t'aurais tranché la gorge si je n'avais pas entendu des cors de guerre”, dit Stephania. “Et puis, je me suis rendu compte qu'il serait facile de reprendre le château. Donc, je l'ai fait.”

Ceres secoua la tête. Elle ne pouvait y croire.

“J'ai libéré le château.”

Elle avait fait plus que ça. Elle l'avait rempli de rebelles. Elle avait capturé ceux qui étaient du côté de l'Empire et elle les avait emprisonnés. Les autres, elle leur avait donné leur chance, elle avait …

“Ah, ça y est, tu commences à comprendre, n'est-ce pas ?” dit Stephania. “Tous ces gens qui s'étaient empressés de te remercier de les avoir libérés se sont rangés à mes côtés avec tout autant d'empressement. Il faudra que je les surveille.”

“Il faudra que vous surveilliez plus de gens que ça”, répondit sèchement Ceres. “Vous vous imaginez que les combattants de la rébellion vont vous laisser régner, jouer à la reine ? Vous vous imaginez que les seigneurs de guerre vont le faire ?”

“Ah”, dit Stephania avec une mimique d'embarras exagérée qui fit craindre à Ceres ce qui allait suivre. “J'ai peur d'avoir des mauvaises nouvelles sur tes seigneurs de guerre. On dirait que les meilleurs des combattants meurent quand même quand on leur plante une flèche dans le cœur.”

Elle le dit avec une telle nonchalance, avec une telle moquerie que, même si cela n'avait été qu'à moitié vrai, cela aurait suffi à briser le cœur à Ceres. Elle s'était battue avec les seigneurs de guerre. Elle s'était entraînée avec eux. Ils avaient été ses amis et ses alliés.

“Tout ce que vous aimez, c'est la cruauté”, dit Ceres.

A sa grande surprise, elle vit Stephania secouer la tête.

“Voyons, voyons. Tu penses que je ne vaux pas mieux que cet idiot de Lucious ? Un homme qui ne peut ressentir de plaisir que si quelqu'un d'autre est en train de hurler ? Tu penses que je suis comme ça ?”

Du point de vue de Ceres, cela semblait être une description assez exacte, surtout en tenant compte de tout ce qui était susceptible d'arriver ensuite.

“Vous ne le seriez pas ?” demanda Ceres. “Oh, désolée, moi qui croyais que vous m'aviez mise dans une fosse en pierre pour que j'y meure.”

“Pour t'y faire torturer, en fait”, dit Stephania. “Mais ce n'est que toi. Tu mérites tout ce que tu subis depuis que tu as essayé de tout me prendre. Thanos était à moi.”

Peut-être le croyait-elle vraiment. Peut-être pensait-elle honnêtement qu'il était normal d'essayer d'assassiner ses rivaux à cause de désaccords portant sur les relations et sur la vie.

“Et le reste ?” dit Ceres. “Allez-vous essayer de me convaincre que vous êtes essentiellement quelqu'un de gentil, Stephania ? Parce que je suis quasiment sûre que ce navire a quitté le port au moment où vous avez essayé de m'envoyer à l'Île des Prisonniers.”

Peut-être n'aurait-elle pas dû se moquer d'elle comme ça, car Stephania leva un troisième seau d'eau. Elle sembla réfléchir l'espace d'un instant puis haussa les épaules et le versa sur Ceres, qui reçut une douche d'eau glacée.

“Je dis que je n'ai pas à être gentille, idiote de paysanne”, répondit-elle sèchement pendant que Ceres frissonnait. “Nous vivons dans un monde qui essaie toujours de nous prendre tout ce que nous avons sans nous demander la permission, surtout si on est une femme. Il y a toujours des voyous comme Lucious. Il y a toujours ceux qui veulent prendre sans s'arrêter.”

“Dans ce cas, on se bat contre eux !” dit Ceres. “On libère le peuple ! On le protège.”

Elle entendit Stephania rire à ces paroles.

“Tu crois vraiment que ce genre d'ânerie marche, n'est-ce pas ?” dit Stephania. “Tu crois que les gens sont essentiellement bons et que tout ira bien si on veut bien leur donner leur chance.”

Elle le dit comme si c'était une chose digne de dérision plutôt qu'une bonne philosophie de vie.

“La vie n'est pas comme ça”, poursuivit Stephania. “La vie est une guerre où on se bat comme on le peut. On ne donne à personne de pouvoir sur soi-même et on prend tout le pouvoir qu'on peut parce que, comme ça, on a la force de les écraser quand ils essaient de nous trahir.”

“Je ne me sens pas particulièrement écrasée”, répliqua Ceres. Elle n'allait pas permettre à Stephania de voir à quel point elle se sentait faible et vidée en ce moment. Elle allait faire semblant d'être forte en espérant arriver à trouver le moyen de faire de cette force une réalité.

Elle vit Stephania hausser les épaules.

“Ça viendra. Actuellement, ta rébellion est en train d'affronter l'armée de Felldust. Felldust gagnera peut-être et, à ce moment-là, je te vendrai à eux contre le droit de quitter la cité avec toute la richesse que je pourrai prendre. Cela dit, je crois plutôt que Felldust va traverser la cité comme une vague. Je vais les laisser buter contre les murailles de ce château jusqu'à ce qu'ils soient prêts à négocier.”

“Vous pensez que des hommes comme eux accepteront de vous parler ?” demanda Ceres. “Ils vous tueront.”

Ceres ne savait pas vraiment pourquoi elle donnait un tel avertissement à Stephania. Le monde serait plus tranquille si quelqu'un la tuait, même si c'étaient les armées de Felldust qui le faisaient.

“Tu penses que je n'y ai pas réfléchi ?” rétorqua Stephania. “Les citoyens de Felldust sont indisciplinés. Felldust ne peut pas se permettre de faire attendre ses soldats, d'assiéger un château qu'ils ne peuvent pas prendre. Au bout de quelques semaines ou même avant, ils se battraient entre eux. Il faudra qu'ils négocient.”

“Et vous pensez qu'ils seront honnêtes avec vous ?” demanda Ceres.

Parfois, elle trouvait l'arrogance dont faisait preuve Stephania tout juste crédible.

“Je ne suis pas une idiote”, dit Stephania. “Pour la première rencontre, une de mes servantes prendra ma place. Donc, s'ils essaient de nous trahir, j'aurai le temps de fuir la cité par les tunnels. Après ça, je te présenterai, à genoux et enchaînée, à la Première Pierre Irrien. Tu serviras d'offrande et nous entamerons des négociations de paix. Qui sait ? Peut-être la Première Pierre Irrien acceptera-t-il … d'unir nos deux nations. Je me dis que je pourrais faire beaucoup de choses avec quelqu'un comme lui.”

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