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Chapitre 3

I dreamt I was dreaming [2]

that I was awake in a dream where being awake was real as was dreaming it would seem…

Somnium - Christian Death

Ce fut le bruit de la pluie qui la tira du sommeil avant que le réveil ne sonne. Elga se frotta les yeux paresseusement. Ses temps pulsaient, elle se sentait aussi fatiguée que si elle ne s’était pas du tout reposée.

Le ciel de plomb et cet odieux cliquetis sur les fenêtres n’auguraient rien de bon, pas pour elle qui détestait les journées pluvieuses.

Elle descendit les escaliers en titubant et se dirigea vers la cuisine. Un café chaud et une aspirine l’aideraient à carburer. Elle ne réalisa pas immédiatement qu’elle n’était pas seule. Au début, la pénombre dans laquelle était plongée la pièce immergea la forme sombre dans le jeu des ombres créées par les poupées entassées partout. Alors qu’elle cherchait l’interrupteur, elle entendit un coup de tonnerre assourdissant et un éclair illumina son environnement. Ce fut à ce moment qu’elle la vit.

Une petite fille était assise à sa table, occupée à manger avidement son gâteau.

Elle ne se troubla pas en la voyant entrer, se borna à lever le visage, couvert de chocolat. Elle lui sourit, la bouche pleine, la fixant de ses yeux bleus.

Elga demeura pétrifiée, cligna confusément des yeux, comme si ce geste pouvait effacer cette vision onirique. Parce qu’il ne pouvait s’agir que de cela… Elle alluma la lumière, ouvrit et ferma les yeux plusieurs fois, mais la fillette resta là. Elle devait avoir environ dix ans, autant que les bougies. Sans les cheveux noirs et raides, les iris d’une couleur différente, la maigreur des bras…

Elle secoua violemment la tête pour essayer de chasser cette pensée folle.

«Comment as-tu fait pour entrer?» demanda-t-elle, donnant voix à l’hypothèse la plus logique.

Elle lui renvoya un regard interrogatif.

«Qui es-tu et que fais-tu dans ma maison?» relança la femme en bredouillant.

Le silence obstiné de l’autre l’inquiéta et la contraria à la fois. «Tu ne m’as pas entendue? Pourquoi tu ne me réponds pas? Le chat t’a mangé la lang…»

«Maman…» La réponse fusa comme une supplique de ses lèvres tandis que ses yeux se gonflaient de larmes.

«Non.» Elga fut secouée par un tremblement. Non, répéta-t-elle en secouant plus fort la tête.

La petite se leva de sa chaise, visiblement perturbée.

«Maman, tu vas bien?» demanda-t-elle en se dirigeant vers elle.

Instinctivement, elle recula, se colla contre le mur, bien décidée à éviter tout contact.

«Ne m’appelle pas maman, ordonna-t-elle. Elle n’avait aucune fichue idée de ce qu’il se passait, mais la stupeur initiale faisait place à la colère, mêlée à une peur galopante. Je ne suis pas ta mère.»

La petite fondit en larmes à cette affirmation.

«Pourquoi tu fais ça? Maman…» Négligeant tout avertissement, elle se lança sur la femme, l’enlaça, striant son pyjama de taches sombres.

Elga sursauta, comme parcourue par une décharge électrique. Qui que soit cette inconnue, elle était en chair et en os. Elle sentit clairement la consistance de son corps et la force de son étreinte, inimaginable étant donné sa maigreur. Elle s’éloigna pour garder ses distances. «Ne me touche pas» la gronda-t-elle. Elle prit une longue respiration et ajouta: «Maintenant, dis-moi qui tu es et ce que tu fais ici, s’il te plaît.»

«Rea. Je suis ta fille, tu ne me reconnais pas?» Son ton était chargé de perplexité et d’inquiétude.

«Rea?» La femme répéta ce nom avec lenteur, comme un mot étranger. «Ok, si c’est une blague, sache que je ne l’aime pas du tout. Ma fille est morte et je ne connais aucune Rea.»

«Pourquoi tu dis ça? Tu me fais peur, maman!» gémit la petite.

Son angoisse était si crédible qu’elle aurait mérité un Oscar si elle avait été en représentation. Et pourtant, il ne pouvait en être autrement. Quelqu’un avait manifestement orchestré cette mise en scène pour se moquer d’elle. Elga n’aurait pas pu dire qui et dans quel but, mais elle ne pouvait envisager d’autres explications possibles à ce qu’il se passait et, au fur et à mesure que cette conviction faisait son chemin dans son esprit, sa colère augmenta.

«Je te le demande pour la dernière fois. Qui es-tu et que fais-tu ici?»

«Rea» sanglota l’autre.

«Mauvaise réponse. Celui qui t’envoie ne t’a pas bien informée. Ma fille s’appelait Martina.»

«C’est moi ta fille…»

«Ça suffit maintenant!» Elga la prit par le poignet et la traîna vers le manteau de la cheminée. Il était couvert de poupées, comme chaque étagère de cette maison, mais entre l’une et l’autre, quelques cadres photo en bois se détachaient. Elle en prit un au hasard et le tendit à l’intruse.

«Voici Martina. C’est la seule fille que j’aie jamais eue et elle ne te ressemble pas du tout.»

Avant de le prendre, la petite s’essuya les mains sur la robe blanche qu’elle portait, observa la photo quelques minutes en silence, puis la lui rendit retournée de façon à ce que l’autre puisse la voir.

L’image l’atteignit avec la violence d’une gifle. Martina était assise dans son atelier, semblable à une poupée parmi les poupées, et souriait comme sur la vieille photo sur laquelle Elga avait pleuré un million de fois. À part que… Ce n’était pas elle. La personne immortalisée sur le cliché était identique à l’étrangère qui lui faisait face.

«Nooooon!» Elga hurla, prise d’une panique qu’elle ne pouvait expliquer. Elle prit un autre cadre, le regarda et le jeta au sol comme s’il la brûlait; elle courut vers la patère située sous l’escalier, attrapa son sac d’une main tremblante, récupéra son portefeuille, chercha la photo qu’elle avait toujours avec elle, celle qui montrait Andrea et Martina enlacés, et la regarda. Son mari était là et était celui de toujours, mais la petite accrochée à son cou…

«Nooooon!» La femme se recroquevilla sur le sol, se boucha les oreilles et continua à hurler dans l’espoir que sa voix chasse ce cauchemar.

Les souvenirs étaient tout ce qu’il lui restait, sa seule ancre, son unique certitude. Personne ne devait les toucher, elle ne permettrait à personne de les lui enlever, encore moins pour un jeu cruel.

La fillette tenta de s’approcher, mais elle la repoussa en la frappant. «Tu n’es pas ma fille! Ce n’est pas TOI ma fille!»

Au même instant, la sonnette tinta. «Qu’est-ce qu’il s’est passé? Tu as besoin d’aide?» La voix de Constanza arriva de la rue, à peine couverte par le crépitement de la pluie.

Elga n’eut pas le temps de réaliser, ni même de réagir. L’inconnue fut plus rapide qu’elle, bondit sur le parlophone et ouvrit la porte.

«À l’aide! Maman se sent mal!» pleura-t-elle en se précipitant dans les escaliers pour courir se réfugier dans les jupes de la voisine.

«Que s’est-il passé? Où est-elle? Et toi, tu vas bien?» La vieille femme la bombarda de questions tout en montant. Sa langue était bien plus souple que ses jambes fatiguées par l’âge avancé et l’arthrose.

«Elle dit qu’elle ne me connaît pas» tenta de lui expliquer Rea.

«Elle s’est faufilée chez moi cette nuit. Elle dit qu’elle est ma fille.» La voix d’Elga, qui s’était entretemps relevée pour les rejoindre, se superposa à la sienne. « Je ne sais pas comment elle a fait, mais les photos… » Elle se figea brusquement, mettant fin au flot de ses paroles. Elle fit subitement le point sur l’image qui s’offrait à elle et, tout aussi rapidement, celle-ci atteignit son cerveau avec quelque chose qui clochait.

«Tu la connais.» Elle pointa Costanza d’un doigt accusateur. Ce n’était pas une question. La familiarité avec laquelle ces deux-là se tenaient par la main était bien trop éloquente.

«Bien sûr que je la connais» répondit-elle stupéfaite.

«Alors, c’est toi! C’est toi qui m’as fait ce…» Son index tremblait maintenant au même rythme que ses lèvres.

La voisine fit quelques pas dans sa direction sans lâcher la main de Rea, tremblante elle aussi et le visage strié de larmes. «Qu’est-ce que je t’ai fait? Tu te sens mal? Je peux faire quelque chose pour t’aider?»

Elga recula.

«Tu la connais.»

«Bien sûr que je connais ta fille. Je l’ai vue naître!»

«Ce n’est pas ma fille!» La femme haussa le ton de quelques octaves.

Surprise et inquiétude vinrent assombrir le visage de son interlocutrice.

«Comment ça? Tu veux me faire croire que tu ne connais plus Rea?»

La petite se glissa derrière elle comme pour se défendre, cachant son visage dans le châle en laine qui lui retombait sur le dos.

«Martina. La réponse sortit dans un souffle. Ma fille s’appelait Martina, et elle est morte.»

«Tu es déboussolée… Tu te trompes. Ta fille s’appelle Rea et tu lui fais peur. La vieille dame fit une pause. Tu as pris tes médicaments?» ajouta-t-elle prudemment.

Elga ignora la dernière question

«C’est toi qui es déboussolée manifestement, siffla-t-elle. Je ne sais pas à quel jeu vous jouez mais, si tu me permets, je connais parfaitement le prénom de ma fille et je sais aussi à quoi elle ressemblait. Celle-ci ne lui ressemble même pas. Martina avait les cheveux bouclés et auburn, les yeux foncés et n’avait pas de taches de rousseur, elle est… Elle est… Oh bordel!» La vision délirante qui venait de prendre forme dans sa tête provoqua un haut-le-cœur qui lui remonta dans la gorge.

Cette idée était folle, mais elle connaissait ces traits. Ce n’étaient pas ceux de sa fille, non, et pourtant elle avait déjà vu ce visage, plus même : elle l’avait modelé.

 

Sans rien ajouter, elle courut vers l’escalier qui menait à l’étage supérieur.

Elle entra comme un furie dans la petite chambre de la fillette, droit vers le lit. Sa gorge se serra lorsqu’elle réalisa que la poupée n’était plus à sa place. Les petites fleurs du couvre-lit intact dansèrent devant ses yeux, mêlées à un tourbillon d’étincelles informes de la même couleur, et un voile noir tomba finalement sur ce ballet.

Chapitre 4

… but then [3]

I dreamt I had awakened from a dream that I was awake where all dreams are real and being awake was a mistake. Somnium - Christian Death

Elle eut l’impression de se réveiller d’un long sommeil. Ce ne fut pas le baiser d’un prince, mais la sensation désagréable d’avoir la tête bourrée de coton et un faible bourdonnement qui rappelèrent Elga à la réalité; immédiatement, les contours d’un visage vaguement familier occupèrent son champ de vision.

«Bienvenue!» l’accueillit la voix de baryton du docteur Abruzzo. Deux incisives de lapin firent leur apparition sous son épaisse moustache noire, dessinant une grimace qui se voulait un sourire. Deux doigts boudinés s’emparèrent rapidement du poignet de la patiente. «Comment vous sentez-vous?»

Elle ne répondit pas et laissa son regard embrouillé flotter, reconnut sa propre chambre à coucher, tandis que le bourdonnement entendu auparavant s’interrompait pour se transformer en exclamation.

«Dieu soit loué!» Cela lui suffit pour apprendre que sa mère se trouvait là également. Elle se serait volontiers enfuie à ce point, mais réalisa qu’une aiguille était plantée dans son bras, reliée à une perfusion remplie de liquide transparent.

«Qu’est-ce que….?» marmonna-t-elle.

«Vous avez fait un malaise, s’empressa de lui expliquer la médecin en s’installant sur une chaise postée tout près. Vous vous souvenez de ce qu’il s’est passé?»

«Je ne sais pas… Il y avait une petite fille qui disait être ma fille… Une hallucination je pense…» Elle se redressa difficilement et tenta de recomposer l’horrible puzzle. Au même instant, elle vit les traits de sa mère se crisper jusqu’à transformer son visage en linge chiffonné : les narines de son nez grec vibrèrent à l’unisson avec le rosaire entrelacé dans ses doigts.

«Les photos de Martina n’étaient plus les mêmes…» ajouta-t-elle indécise.

«Mon Dieu!» Ce fut un hurlement de rage cette fois, dont le ton exprimait plus la colère qu’une inquiétude sincère.

«Elisa, calmez-vous. Laissez-moi parler» l’apaisa le docteur Abruzzo avant de se concentrer à nouveau sur Elga.

«Écoutez-moi attentivement. Vous avez eu une crise et vous vous êtes évanouie. Nous ferons tous les contrôles nécessaires pour comprendre, mais dans l’immédiat j’ai besoin de procéder à une vérification. Je vais vous poser quelques questions de routine, je vous demande juste de répondre sincèrement.» Il avait utilisé presque la même formule à sa sortie du coma après l’accident. Quelques questions de routine pour savoir si sa mémoire était revenue intacte du voyage dans l’au-delà ou si elle avait perdu des morceaux en chemin. Mais c’était différent cette fois. Elga n’était pas tombée dans le coma et se sentait parfaitement maîtresse de ses souvenirs. Elle aurait voulu protester. Toutefois, elle ressentait un certain abattement et préféra ne pas opposer de résistance. Elle se limita à acquiescer faiblement.

«Vous pouvez me donner votre nom?»

«Elga… Elga Spinelli.»

«En quelle année êtes-vous née?»

«Mille neuf cent soixante-dix-neuf.»

Elisa fit un signe d’approbation flagrant. Elle était restée figée au pied du lit. Quelques mèches couleur de miel, échappées de son chignon strict, retombaient le long d’une de ses joues. Les mains toujours occupées à égrener le rosaire, ses lèvres minces bougeant à peine, répétant dans un faible murmure les réponses débitées par sa fille. On aurait dit qu’elle priait.

«En quelle année sommes-nous?»

«Deux mille treize.»

«Vous savez où vous êtes en ce moment?»

«Bien sûr, je suis dans ma chambre. Son ton trahit un léger agacement.»

Le docteur Abruzzo garda son air angélique.

«Bien, l’encouragea-t-il. Il fit ensuite une courte pause, fronça les sourcils et parut se concentrer, comme à la recherche des mots justes.»

«Je sais que je touche un sujet douloureux mais… Pouvez-vous me dire le nom de votre mari?»

«Andrea. Il s’appelait Andrea et je sais très bien qu’il est mort.» Une larme coula de son œil gauche.

L’homme sembla ignorer l’impatience qui, de réponse en réponse, devenait plus évidente et continua, imperturbable.

«Le nom de votre fille?»

«Martina.»

Elisa émit un gémissement et serra les poings autour des grains du chapelet, si fort que ses jointures blanchirent.

D’un coup d’œil éloquent, le médecin lui renouvela son invitation à ne pas intervenir.

«Vous pouvez répéter?» demanda-t-il en se retournant vers sa patiente.

«Martina» martela Elga. «Ma fille s’appelait Martina et elle est morte elle aussi dans ce maudit accident.»

L’autre la scruta longuement en silence, lissant ses moustaches d’un geste nerveux. Il paraissait chercher dans les yeux de son interlocutrice la question la plus appropriée pour poursuivre l’interrogatoire.

«Vous êtes sûre de bien vous souvenir?» bredouilla-t-il enfin.

«Si je me souviens bien? Vous me demandez vraiment si je me souviens bien? La femme cracha ces mots comme des graines indigestes, puis ferma les yeux et continua, comme en transe. Deux ans sont passés et pas un seul jour ne s’est écoulé depuis sans revivre cet enfer. Je ne peux plus fermer les yeux sans que les images reviennent me hanter. Chaque scène est gravée dans mon cœur. Nous étions tous les trois fatigués mais heureux. On revenait d’une balade dans les bois. Martina était assise à l’arrière dans la voiture, un panier plein de mûres sur les genoux, elle en était folle et était au septième ciel parce qu’on en avait récolté beaucoup ce jour-là. Andrea la suppliait de lui en faire goûter au moins une et elle continuait à refuser en riant. Je me laissais bercer par leurs rires et les notes de Lullaby qui passait à la radio. Je regardais par la fenêtre pour profiter des couleurs du coucher de soleil qui commençait… J’ai vu le ciel virer au rose avant que la calèche ne sorte de nulle part. Elle était majestueuse, noire, ornée de frises dorées, comme une calèche d’autrefois ou un corbillard, de ceux qu’on n’utilise plus. L’instant d’avant, il n’y avait rien, celui d’après elle nous coupait la route… Je crois que j’ai entendu le hennissement des chevaux qui se cabraient avant de réaliser que la voiture se renversait… J’ai crié le prénom de ma fille, mais je ne sais pas si elle m’a répondu, parce que l’instant suivant je volais et tout est devenu noir, comme les chevaux de ce carrosse infernal…»

«Tu inventes tout. Aucune calèche ne vous a coupé la route» assena Elisa en interrompant le cours des souvenirs. Sa voix atone ne laissait transparaître aucune émotion, mais elle avait l’air effarée. Elle était restée silencieuse jusqu’à présent et semblait maintenant incapable de se retenir davantage.

Elga ouvrit les yeux, comme émergeant d’un cauchemar.

«Qu’est-ce que tu en sais? Tu n’y étais pas.»

«La route était déserte, répliqua la mère impassible. Andrea s’est peut-être endormi ou a fait un malaise soudain, il a simplement perdu le contrôle de la voiture et conduisait à une vitesse inadmissible. Il n’y a pas eu de collision.»

«Conneries! Tu racontes un paquet de conneries!»

«En plus d’être folle, tu deviens grossière. Ton père serait très contrarié s’il était là. Ton attitude n’aide pas à la bonne réputation de la famille.

«Il est mort il y a dix ans, maman. Comme tu vois, ma mémoire fonctionne parfaitement. Et pour ce qui est de la réputation de la famille…»

Le docteur Abruzzo toussota pour rappeler l’attention à lui, mais sa tentative fut ignorée. Elisa s’approcha de sa fille, lui prit la main, indifférente à la perfusion. «Ma chérie, elle essaya de la calmer en changeant de registre, tu es perdue, mais nous t’aiderons. Je prie beaucoup et tu verras que Jésus aussi t’aidera.»

Elga retira sa main si violemment que l’aiguille sauta. Un filet rouge lui coula le long du bras. « Je ne suis pas croyante et personne ne peut m’apporter l’aide dont j’ai besoin. Mon mari et ma fille ne sont plus là et aucun dieu ne peut me les rendre.

«Ta fille n’est pas morte. Rea est ici dehors, elle t’attend et a vraiment besoin de toi…»

«Rea?» De rouge, son visage devint cireux. Le médecin intervint alors avec plus de fermeté. Délicatement, il prit Elisa par les épaules et l’éloigna du lit. «S’il vous plaît, calmez-vous et évitez d’interférer. Cela ne fait que compliquer les choses, dit-il d’un ton doux mais ferme. Maintenant, si vous le voulez bien, allez me chercher du désinfectant et un peu de coton pour nettoyer son bras.»

La femme obéit sans répliquer.

«Elle a dit Rea?» demanda Elga quand sa mère fut sortie.

Le médecin retourna s’asseoir.

«Ce prénom ne vous dit rien?»

«La petite fille qui s’est faufilée dans la maison cette nuit et qui disait être ma fille s’appelait comme ça mais… Elle était vraiment ici?»

«Voilà, voyons… Vous vous souvenez d’avoir été dans le coma après l’accident?»

«Évidemment que je m’en souviens, mais je ne vois pas le rapport avec ma question.»

«Vous êtes restée entre la vie et la mort durant plusieurs mois et nous avons tous craint de vous perdre, au point que votre mère a crié au miracle quand vous vous êtes réveillée. En homme de sciences, je ne crois pas aux miracles, mais vous avez eu énormément de chance, c’est certain. Beaucoup ne s’en sortent pas dans une telle situation. Votre capacité de récupération a été surprenante. Votre corps ne conserve aucune trace de cette vilaine expérience et on peut dire pareil de vos facultés intellectuelles. Toutefois, votre psychisme a subi des blessures difficiles à soigner. Vous avez vécu un traumatisme important et… Et…»

Elga vit quelques gouttes de transpiration briller sur le front de l’homme et ressentit sa difficulté à terminer sa phrase.

«Qu’essayez-vous de me dire?» le pressa-t-elle.

«Vous vous souvenez de ce qu’il s’est passé quand vous avez revu votre fille après votre réveil?»

«Vous plaisantez? Ma fille était morte et enterrée, comment aurais-je pu la revoir?»

Le docteur Abruzzo secoua la tête.

«Vous avez dit quelque chose de similaire ce jour-là mais…»

«Écoutez, comme vous le savez, j’ai passé six mois totalement inconsciente. J’ai été expulsée de la voiture tout de suite après l’impact et je n’ai pas pu voir ce qu’il s’est passé. Je n’ai pas vu mon mari et ma fille mourir et je n’ai pas vu leur corps non plus, parce qu’il était déjà sous terre à mon réveil. C’est ma mère qui m’a dit sans trop prendre de gants qu’ils n’étaient plus là et je vous garantis que j’ai eu du mal à m’en convaincre. Elle m’a expliqué que la voiture avait pris feu et qu’Andrea et Martina étaient morts dans les flammes… Elle n’a pas raté l’occasion de le souligner quand j’ai découvert qu’elle les avait fait enterrer et que j’étais furieuse. Elle savait très bien que je les aurais fait incinérer, nous avions abordé le sujet plusieurs fois par le passé et on s’était violemment disputées. En bonne catholique, elle est opposée à la crémation et, comme il fallait s’y attendre, le moment venu, elle a saisi la balle au bond pour faire à sa façon, se fichant de ma volonté. “Ils étaient de toute façon carbonisés, quelle différence ça fait?” C’est ainsi qu’elle a commenté ma rage… Ma mère peut être très cynique parfois… J’ai désiré de tout mon être que quelqu’un d’autre soit sous ces pierres tombales. Vous n’imaginez pas combien de fois j’ai rêvé de voir revenir… Martina surtout… Maintenant, essayez de deviner comment je me suis sentie quand j’ai trouvé cette fillette dans ma cuisine. Pendant un instant, j’ai vraiment espéré que l’impossible s’était réalisé, à part que… Ma petite fille était complètement différente. Si vous me dites simplement que ma fille est vivante et que, qui sait pour quelle raison absurde, je me suis convaincue du contraire, je pourrais l’accepter. En fait, je vais vous dire plus, je ferais tout pour y croire parce que je ne peux rien imaginer de plus beau. Mais je sais parfaitement comment était ma petite et je connais son prénom. Je ne peux pas me tromper sur ça…»

 

«Maman, tu te sens mieux maintenant?» Rea entra dans la pièce, interrompant le discours à mi-chemin. Elle tenait un flacon de désinfectant; Elisa la suivait silencieusement avec un étrange sourire sur le visage.

Le regard d’Elga se remplit de terreur, comme si elle avait vu un fantôme. «Tu n’es pas ma fille! Ce n’est pas TOI ma fille!» commença-t-elle à hurler, en proie à la panique.

La petite fondit en larmes, laissa tomber la bouteille et courut se réfugier dans les bras de sa grand-mère.

Le docteur Abruzzo bondit sur ses pieds, clairement énervé. Il ramassa le flacon d’alcool sur le sol, et rejoignit la femme. « Vous êtes contente maintenant?

«Elle n’est pas guérie, n’est-ce pas? Tout est redevenu comme avant» commenta-t-elle d’un air accablé.

«Ce n’est pas le moment, vous comprenez? Occupez-vous plutôt de la petite» répliqua-t-il en lui montrant la porte.