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A quoi tient l'amour?

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IV

Un an après, il revint; il vit le meunier et la meunière, il les invita à visiter sa mère qu'il avait amenée à Paris.

Sa mère, devenue veuve à trente ans, était une bonne petite femme, ronde et sentimentale; elle l'adorait et s'était laissé endoctriner par lui. Karl exposa sa situation de famille et de fortune aux gens du moulin; cela fait, il leur demanda nettement la main de leur fille, ou du moins l'autorisation de la lui demander, à elle-même. Les bonnes gens furent ébahis. Il y avait devant eux un titre et des millions. Un peu revenus de leur ébahissement, ils finassèrent; ils voulurent se consulter, consulter leur fille, et promirent une réponse dans un court délai.

De retour au moulin, grande conférence entre eux, entre eux deux seuls, bien entendu. Ils réussirent à se convaincre mutuellement qu'il n'y avait aucun mal à prendre pour gendre un honnête Prussien, noble, millionnaire, et résolurent de se faire allouer une petite rente pour pouvoir vivre à Paris sans faire honte à leur fille.

Un reste d'inquiétude les agitait. Que penserait-on dans le pays? Ils allèrent voir le notaire, un vieux renard toujours rasé de frais et pantalonné de noir. Le notaire entra en extase et demanda à rédiger le contrat. Ils allèrent ensuite chez le maire, épicier en gros et usurier en détail. Le maire s'écria, l'histoire entendue: «Parbleu, vous avez une sacrée chance; ce n'est pas mon imbécile d'Oscar qui, pendant sa captivité en Silésie, aurait songé à séduire une marquise. En avant les violons!» Le soir, les deux époux bavardèrent fort tard, et la meunière but même un petit coup de cognac dans le verre du meunier.

Le lendemain, elle prit Amédine à part: «Le lieutenant Karl est revenu. Tu ne sais pas, fillette? il est baron et très riche. Sa mère est avec lui à Paris.

– Vous l'avez vu?

– Oui; il nous a parlé.

– Ah!

– Tu ne devines pas ce qu'il nous a dit?

– Peut-être!

– Eh bien, voyons, que devines-tu?

– Il vous a parlé de moi?

– Justement!

– Veut-il toujours m'épouser?

– Plus que jamais. Il demande ta main.

– Je ne l'épouserai pas, ma mère.

– Comment? Que dis-tu là?

– Jamais je n'épouserai un Allemand.

– Et pourquoi donc?

– Parce que je ne puis; cela me semble défendu.»

Insistance de la mère, dénégations absolues de la fille.

Le père s'en mêla et ne fut pas plus heureux. Karl demanda à voir

Amédine.

«Qu'avez-vous contre moi?

– Rien!

– Croyez-vous que je ne vous aime pas?

– Je crois que vous m'aimez.

– Croyez-vous ne pouvoir être heureuse avec moi, qui ne pourrai être heureux sans vous?

– Je ne puis vous épouser.

– A cause de la guerre?

– Oui.»

Et elle le quitta.

Il courut après elle: «Vous ne pourrez donc jamais me pardonner?»

Elle tremblait.

«Il m'a semblé, fit-il, que vous étiez bonne et franche; ayez pitié de moi!»

Il lui prit la main. Elle leva les yeux; des larmes roulaient sous ses paupières.

«Je ne vous ai jamais dit, murmura-t-elle, que je ne vous aimerais jamais; seulement je ne puis être à vous, je me mépriserais moi-même. Adieu!»

V

Ce fut tout. Le jeune homme ne put obtenir la moindre promesse, la plus faible espérance.

Amédine resta songeuse, triste. Ses parents dès lors ne cessèrent de lui reprocher amèrement ce qu'ils appelaient ses sottises. Elle avait, disaient-ils, ruiné la famille. Elle fut plusieurs fois demandée en mariage et repoussa toutes les demandes.

Elle dépérissait chaque jour. Elle s'alita. On désespéra de la sauver.

Elle mourut.

Le meunier et la meunière n'en restèrent pas moins furieux contre elle. Ils répétaient, quand on voulait les consoler: «Comprend-on une enfant comme celle-là! Nous lui avions tout donné, éducation, bien-être, bonnes manières, et elle nous a fait manquer notre fortune. Oh! les enfants sont ingrats. Elle nous a ruinés, ruinés!»

Le lieutenant Karl essaya d'oublier. Il se battit en duel pour une danseuse. Il fut tué net.

Par une Nuit de Neige

I

Ah! c'était fini, c'était fini. Je lui avais écrit que c'était fini. Je l'avais vue là-bas, devant la grille du parc, dans cette rue large, sous ce ciel d'hiver et ces arbres noirs, s'appuyant, avec les câlineries que prennent les femmes pour ceux qu'elles aiment, au bras de ce jeune homme qui se penchait vers elle, lui parlait, lui souriait.

Et je la détestais. J'aurais voulu qu'elle vît combien je la méprisais. Je lui adressai des paroles méchantes, comme si elle eût été devant moi. Puis vinrent les reproches, et après les reproches les souvenirs d'amour. Ma colère tourna peu à peu en douleur, mes reproches en regrets, mes invectives en sanglots. Mes yeux secs et brûlants se remplirent de larmes. J'étais las comme si l'on m'eût battu. J'avais le coeur brisé, la tête vide. Je restai seul, muet, dans le funèbre silence de ma chambre froide, sous une invincible torpeur…

Qu'est-ce que j'entends? On monte, on vient. C'est un frôlement, caressant comme le prélude d'une symphonie; c'est un bruissement, léger comme un frisson avant l'essor. C'est elle, n'est-ce pas? C'est elle. On frappe. Oh! c'est bien elle. Une voix m'appelle doucement. C'est sa voix, sa voix pure et profonde, sa voix divine. Elle entre; tout mon coeur bondit au-devant de sa beauté. C'est elle, c'est elle; c'est toi!

C'est la bien-aimée! Je suis à ses genoux, je couvre ses mains de baisers. Que m'importe le reste du monde? Elle est là, mon adorée, mon ciel, ma lumière, la fleur chantante de ma vie, l'épanouissement parfumé de mon printemps, le rayon qui fait le jour dans mon âme. La voilà, je l'ai dans mes bras. Je l'aime, je l'aime, je l'enveloppe de mon frémissant amour.

«Pardonne-moi!» me dit-elle tout bas; et le murmure de sa voix fraîche tinte entre ses lèvres, comme une source qui chante en glissant sous les églantiers.

«Te pardonner! N'es-tu pas mon amour, ma vie, ma beauté? C'est moi qu'il faut excuser de t'avoir soupçonnée un instant. Tu n'as aimé, tu n'aimes, tu n'aimeras que moi, moi seul. J'ai mal vu; c'était une autre que toi, qui souriait là-bas, je ne sais où, dans un autre monde, à un étranger, à quelqu'un qui n'est pas de notre race, qui habite un pays inconnu, ne parle pas notre langage, et ne saura jamais où ta douceur me transporte, me berce, me console. Viens, nul ne t'idolâtrera comme moi. Tu ne pourras plus vouloir un autre amour. Tu me fuirais en vain. Tu es mon espoir suprême, et vers toi m'entraîne une éternelle adoration. Ah! restons ainsi, les yeux dans les yeux, les coeurs confondus, dans le silence de l'extase infinie.»

Elle s'incline vers moi. Je sens ses cheveux dénoués effleurer mon front de leur caresse. La folie me vient; je veux me lever, l'emporter dans mes bras…

Mais une douleur vague me pénètre. Où suis-je? Où a-t-elle fui? Une clarté pâle me baigne. J'ai la sensation douloureuse d'un noyé, sur la tête duquel roule l'eau glauque et sourde. Non, elle n'est plus ici. Je regarde, je fais un effort, je porte les mains à mon front, à mes yeux. Hélas! j'ai rêvé. Songes que tout cela! chimères! Accablé, je m'étais assoupi; voilà tout. J'avais oublié; puis je m'étais souvenu, j'avais regretté, désiré, songé, et j'avais fini par rouler sur le parquet, en voulant saisir une ombre. Je fondis en larmes.

«Ah! malheureuse, pensais-je alors, non, tu n'es pas ma beauté, mon âme. Tu n'es qu'une femme, faible, fausse, coquette et sensuelle. Je t'avais transformée en déesse, et j'avais fait de mon coeur un temple pour t'adorer. Arrière, idole! Ce que j'aimais en toi, c'est ce que je mettais de mon âme en ta forme vide et menteuse. Tu as voulu descendre de ton piédestal. C'est bien, adieu. D'autres sont belles, d'autres me laisseront les aimer, les diviniser; d'autres seront heureuses de rester pour moi les fées du printemps; et peut-être ne briseront-elles pas si tôt mon rêve et mon bonheur.»

II

Je pleurai, pleurai lâchement. Le jour vint. On frappa à ma porte. Je ne rêvais plus cette fois. La bonne vieille concierge entra, apportant une lettre:

«Mon pauvre ami, ne me reproche rien. Je ne pouvais réellement pas rester avec toi.

«Je me suis privée de tout pendant six mois. Je maigrissais, j'enlaidissais. Je le voyais bien, tu le voyais bien aussi. Nous étions trop pauvres. Tu ne m'aurais plus aimée longtemps.

«Puis, il faut te l'avouer, j'ai un enfant, un petit enfant de deux ans, et je n'avais plus d'argent à donner à ma mère pour l'élever. Ma mère m'a menacée de me le renvoyer à Paris, où il mourrait. Il est si faible, si délicat, le pauvre petit! Tu ne l'as pas vu, tu ne le connais pas. Pardon.

«Oh! je ne t'ai pas fait d'infidélité. C'est mon ancien amant que je reprends. C'est lui le père, comprends-tu?

«Il m'épousera peut-être. Que veux-tu que je fasse? Il est riche; et depuis qu'il m'a quittée, il m'aime davantage.

«Sa famille comptait le marier à une fille laide. C'était arrangé. Il a bien voulu, puis il n'a plus voulu. Il m'a écrit. Je ne lui ai pas répondu d'abord. Il est allé chez Albertine, un jour qu'il savait devoir m'y trouver. Il m'a priée, suppliée; il m'a parlé de l'enfant. J'ai pleuré tout un jour et toute une nuit. Te rappelles-tu? Tu me demandais ce que j'avais!

«Je l'ai revu; il m'a fait parvenir des bijoux, des fleurs, des billets de mille francs; il a envoyé de l'argent à ma mère. Il m'a tout promis. Hélas! c'est plus fort que nous.

«Si je t'écris toutes ces choses, entends-tu? c'est que j'ai confiance en toi, c'est que je sais que tu m'aimes bien. Mais je ne suis plus, je ne puis plus être à toi. N'essaie pas de me revoir. Tu me ferais de la peine; et tu t'en ferais pour rien. Tiens, je t'embrasse encore une fois comme je t'aime toujours. Je serai souvent triste en pensant à toi. Adieu, adieu, adieu.

 

«Ton amie,

«Hélène.»

III

Au moment où j'achevais de lire, Jeanne et André pénétrèrent dans ma chambre, gais comme le matin, fous comme un premier baiser, amoureux, radieux.

«Je vous supplie de me laisser seul, leur dis-je; je suis souffrant, très souffrant.»

Ils partirent, avec un étonnement mêlé de pitié. Et je m'enfermai, pour être malheureux à mon aise, pour me griser de ma misère, tout seul, le plus longtemps possible.

La douleur, voyez-vous, c'est encore ce qu'il y a de meilleur au monde. C'est vers elle que nous allons tous; et l'on se repose au fond du désespoir, ainsi que dans la nuit, dans la tombe, dans le néant.

N'est-ce pas, ô lune qui luisais, pâle et froide comme le souvenir? N'est-ce pas, ô source de blancheur, dont les calmes rayons mouraient sur cette neige, éphémère comme l'innocence?

La Strettina

I

Ce printemps-là (bien des printemps ont fleuri depuis lors), Luca de Rosis, le plus séduisant cavalier de la très séduisante ville de Naples, venait de renoncer solennellement à l'amour illégitime. Devant le bienheureux saint Janvier, il avait abjuré les superstitions du plus doux des libertinages, du libertinage qui se chauffe, comme le lacryma-christi, au soleil du Vésuve, et se berce, comme les fleurs de citronnier, aux brises du Pausilippe. Il avait reçu, à la vérité, un délicieux dédommagement en la personne de sa jeune épouse, la noble Francesca, adorable créature dont les galants, les abbés, les musiciens et les rimeurs célébraient sur tous les tons les grands yeux bleus et les beaux cheveux noirs.

A la fin, mais non sans peine, son oncle, le marquis Michel, lui avait fait accepter ce mariage. Luca avait répudié difficilement la dernière maîtresse dont il s'était épris, la Strettina, une Vénitienne aux splendides torsades de cheveux dorés, au teint pâle et mat, aux yeux bruns comme un rêve d'été. Il avait fallu qu'on lui représentât, et qu'il se représentât cent fois à lui-même, mille et une considérations capitales: le gaspillage presque complet qu'il avait réussi à faire de la fortune de ses défunts père et mère, les scandaleux tapages qui jadis avaient rendu la Strettina célèbre, enfin la fuite des années et l'âge sérieux de trente ans par lequel il venait d'être atteint.

Pour lui faire entendre raison, le bon marquis avait été obligé de revêtir par deux fois son costume le plus sévère. Encore avait-il par deux fois échoué, car ses jambes courtes, son corps obèse et sa grosse tête, ornée d'une bouche fortement lippue et de deux larges yeux gourmands, n'étaient pas précisément faits pour convertir son neveu. La marquise avait dû s'en mêler.

La marquise demeurait fort belle, et, sous ses cheveux argentés, ses traits, un peu las, étaient encore nobles et gracieux. Elle confessa maternellement Luca, l'enjôla par une exquise indulgence, lui montra la fiancée qu'on lui destinait, et le rendit amoureux de la jeune fille.

La veille du mariage, il voulut pourtant revoir une dernière fois sa maîtresse. La marquise le rencontra, devina où il allait et le dissuada de continuer son chemin. Mais elle dut promettre qu'elle ferait parvenir à cette pauvre Strettina plusieurs milliers d'écus d'or et une lettre d'adieu.

Les noces célébrées et les nouveaux époux partis pour leur villa suburbaine, la marquise, avec sa bonne foi accoutumée, songea à s'acquitter de la mission dont Luca l'avait chargée pour la Vénitienne. Elle ne pouvait évidemment ni aller chez la courtisane, ni faire venir cette fille dans sa maison. D'autre part, elle répugnait à envoyer simplement de l'argent par un valet. Elle songea au marquis, lui expliqua la chose et le pria de faire pour le mieux.

II

Le marquis Michel était un galant homme. Jadis, dans l'effervescence de ses jeunes années, il avait eu, ou avait cru avoir, ou avait fait croire qu'il avait, d'assez fréquentes aventures. Il était resté quelque peu mondain, soignait sa mise, se poudrait minutieusement, portait des nuances presque claires, offrait des bonbons aux dames dans une boîte d'or, et, malgré la gravité officielle que lui conférait son titre de surintendant de l'impôt foncier des Deux-Siciles, ne dédaignait pas de faire, en secouant son jabot et en se dandinant sur la pointe des pieds, des plaisanteries anodines, dans lesquelles il mettait juste autant de sel que les petits enfants sur la queue des oiseaux qu'ils veulent attraper.

Le marquis, ayant charge de consoler la belle fille, se gratta la perruque, et délibéra. Sa première idée, la plus simple et la meilleure, celle à laquelle il ne se tint naturellement point, fut d'envoyer le cadeau d'adieu par Gerolamo, son majordome. Il fit quatre pas, se regarda complaisamment dans un miroir, se trouva bien, introduisit entre les poils noirs qui encombraient ses larges narines quelques grains de tabac parfumé, tapota sur sa tabatière avec ses doigts gras et blancs, et délibéra derechef.

La Strettina était une fille piquante, disait-on. Elle avait fait jaser, elle avait fait sourire, elle avait fait crier. On s'était ruiné, tué pour elle. Elle avait rendu des gens fous. Il devait être intéressant de voir comment cette créature était faite. Eh! eh! il y avait longtemps que le marquis n'avait été chez les filles. Comment vivait ce monde-là à présent? Ce monde-là vit toujours autrement que l'autre; il est toujours drôle à étudier.

Après mûre délibération, le marquis crut ne devoir point perdre une si belle occasion de faire des observations curieuses. N'était-il pas au-dessus de la médisance? Au crépuscule, il se parfuma, s'habilla de frais, s'éplucha longuement devant le miroir, prit sa canne et, suivi du petit page Enrico, se dirigea dans l'ombre vers le logis de la Strettina.

III

Il se fit mystérieusement annoncer. La courtisane était visible. Il traversa plusieurs salles riches et gracieuses, et fut introduit dans un petit salon, discret, coquet, mignon, où tout fleurait la galanterie.

Resté seul, il examina non sans intérêt les tentures et les tableaux. Les tableaux et les tentures représentaient des badinages d'amour. Le marquis Michel se sentit tout ragaillardi dans ce milieu gaillard. Il prit des poses plastiques, se balança le torse, frappa sur sa cuisse du revers de sa main droite, et mit sa main gauche devant ses lèvres pour tousser légèrement.

Une petite porte dissimulée dans la boiserie s'ouvrit, et la Strettina parut. Elle semblait sortir d'une fête de Véronèse. Elle était belle, somptueuse et nonchalamment provocante, comme une sultane d'Orient. Tout respirait en elle l'orgueil de la beauté et l'habitude des plaisirs voluptueux. Le marquis regarda, fut ébloui, baissa les yeux, baissa la tête, salua profondément, resalua plus profondément encore, puis chercha sans succès une formule de compliment.

Elle lui indiqua un siège et s'étendit languissamment sur des coussins de soie rose. Le marquis, un peu encouragé, la contempla, voulut parler, mais resta muet.

«A quelle heureuse fortune dois-je l'honneur d'être visitée ce soir par monsieur le marquis?» soupira-t-elle.

Le bon gentilhomme toussa et s'agita sur son siège; enfin une voix rauque, quasi étranglée, réussit à sortir de son gosier:

«Mon neveu…» bégaya-t-il, et il ne put continuer.

«Ah! j'entends, reprit-elle. Le méchant nous quitte, nous délaisse; il va conquérir la Toison d'Or, comme un autre Jason, et envoie son bon oncle pour consoler l'inconsolable Ariane.»

Un éclair brilla dans les yeux du visiteur, et, sa vieille galanterie lui revenant au coeur et sur les lèvres, il répondit en minaudant de tout son être: «Oh! belle dame, le véritable trésor fabuleux est votre chevelure, et quiconque a un souffle de vie devrait le consacrer à tenter cette conquête. Heureux celui qui vous consolera!»

La Strettina sourit. Le marquis plaisanta plus galamment, plus familièrement, et rapprocha petit à petit son siège et sa personne de l'attrayante créature. L'esprit de ce gros Céladon musqué se mit à voltiger autour d'elle, comme un lourd papillon de nuit autour de la flamme qui le fascine.

Un quart d'heure après, il avait dit à la Strettina que Luca était un débauché, un ingrat, un vaurien, tandis que lui, marquis Michel, était un marquis fou d'amour, un marquis trop gros et trop gras pour être un muguet de ruelle, mais fort bien en point pour être un ami sûr, constant, éternellement dévoué. Il lui offrit des monceaux de perles, des rivières de diamants, des pyramides d'or, un palais d'été, un palais d'hiver, puis se laissa tomber pesamment aux petits pieds de la courtisane, qui ne cessait de rire.

Elle le renvoya sans lui permettre ni lui ôter l'espoir, et alla s'accouder à son balcon, dans la nuit bleue. Là elle s'abandonna aux souvenirs. Elle pensa aux folles parties de plaisir, aux nuits d'ivresse où Luca avait été son joyeux compagnon; elle pensa aux douces rêveries qui succédaient à leurs ardents baisers, comme le clair des étoiles aux incendies du soleil; elle revit ce cavalier fringant, svelte, brave, irascible, insouciant, beau joueur, plein de sève et de jeunesse. Puis l'oncle grotesque lui traversa la mémoire, avec son costume ridicule, ses manières surannées, ses joues tombantes, et ses yeux de crapaud-volant. Une amertume, un dégoût suprême lui vint, à elle qui si rarement était songeuse; sa paupière se mouilla, elle versa presque une larme.

IV

C'est dans ces dispositions que la trouva le page Enrico, qui lui apportait une missive du marquis. Aussitôt rentré chez lui, le vieillard avait voulu, dans sa folie sénile, renouveler par lettre ses offres et ses demandes. Elle lut du bout des cils les lignes tremblées du galant Michel, laissa tomber son front dans ses mains et réfléchit.

«La marquise est une belle et noble dame? dit-elle au page qui attendait.

– Oh! elle est la plus noble et la meilleure des maîtresses, répondit-il, les yeux baissés.

– Et toi, le plus gracieux et le plus fin des pages!» ajouta la courtisane en considérant la jolie figure du jeune garçon.

Puis elle écrivit ces mots:

«Madame la marquise,

«L'oncle de l'ingrat qui m'a quittée, vient de m'offrir son coeur et son coffre. J'en rougis pour lui et pour moi; je voudrais pour vous que cette scène ne se fût jamais jouée. Je suis quelque peu triste et méchante aujourd'hui. Je vous envoie sous ce pli la lettre du marquis, pour que vous puissiez apprécier le style qu'il prend en semblable occasion. Punissez-le comme bon vous semblera; de mon côté, je le châtierai d'importance, si vous pouvez faire en sorte qu'il se trouve dans trois jours à la représentation de San-Carlino.

«Je suis très humblement

«Votre indigne servante.

«STRETTINA.»

Elle donna le pli cacheté à Enrico.

«Page, dit-elle, jure-moi que tu remettras ce pli à la marquise elle-même? Embrasse-moi, et si tu veux revenir, je te prends à mon service. Tu me plais.»

Le page rougit. La Strettina l'embrassa sur les lèvres. Il s'enfuit, et revint bientôt dire qu'il s'était fidèlement acquitté de sa mission.