Za darmo

A quoi tient l'amour?

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Soeur Sainte-Ursule

Comment donc, demandai-je, cette charmante jeune femme a-t-elle été amenée à quitter le monde pour se faire soeur de charité?

Voici ce qui me fut répondu:

L'histoire de soeur Sainte-Ursule est aussi simple que triste.

Sa mère, autrefois demoiselle de magasin chez un mercier du faubourg Saint-Germain, avait, pendant dix ans, dix ans de travail et de privations, économisé quelques milliers de francs. Un garçon épicier flaira l'argent et fit la cour à la petite mercière. Il la promena tous les dimanches dans la campagne en fleur, la rendit folle de lui, et, rencontrant en elle une pudeur et une économie attrayantes, l'épousa.

Il prit un fonds de commerce dans une commune de la banlieue, et y mangea en deux ans la dot de sa femme. Ils furent forcés de vendre.

Elle se remit en place; elle venait d'accoucher et il lui restait à peine de quoi payer la nourrice de sa fille. Elle travailla avec acharnement; elle travailla pour deux, car son mari faisait semblant de chercher de l'occupation, mais ne pouvait rester dans aucune maison. Il passait le temps à se plaindre de la mauvaise chance. Ayant été négociant, il eût cru déroger en s'abaissant à reprendre un emploi. Il se laissait donc nourrir par sa femme. Il se mit à boire et devint brutal. La frêle et chère fillette était la seule consolation de la pauvre mère.

Survint un héritage. Que de plans, que de projets!.. Ils s'établirent dans une autre commune suburbaine de meilleure exploitation. Le rêve de l'homme avait longtemps été de se revoir patron.

«Quand j'aurai une boutique à moi, disait-il, je ne boirai plus.»

Quand il eut une boutique à lui, il continua de boire. Il rentrait régulièrement gris, passé minuit. Il se levait tard, lisait les journaux, déjeunait, filait avec un client qui lui plaisait, et laissait toute la besogne à un garçon et à un apprenti.

Il s'enfonça de plus en plus dans cette vie de paresse, d'égoïsme, de dépravation et d'abrutissement. Il fut jaloux d'un de ses employés. Il s'imagina que ce jeune homme faisait la cour à sa femme. La patronne n'était, hélas! ni jolie ni coquette. Mais ce fut pour le bourgeois un prétexte à persécutions. Il mit le garçon à la porte, et la pauvre mère eut toutes les peines du monde à faire marcher l'établissement.

Son mari n'avait guère le droit, cependant, d'être rigide. Car, en devenant ivrogne, il était devenu coureur de filles. Et il lui fallait de l'argent, toujours de l'argent!..

Un jour, il faillit tuer sa pâle et courageuse victime. Elle en vint à lui faire une espèce de rente; et, par des prodiges de diplomatie, elle obtint que ce pilier de mauvais lieux restât le moins possible à la maison.

La petite fille grandissait. La mère la croyait belle. Elle voulut lui donner de l'éducation. Elle la mit dans un pensionnat. Elle cachait l'argent pour payer les maîtres. Elle vivait pour et par son enfant; elle rêvait de la marier avec un employé de ministère.

Quand sa chérie eut douze ans, elle trouva moyen de la mettre dans un couvent, à quatre ou cinq lieues de Paris; elle lui fit apprendre le piano et l'anglais. Le père ne demandait jamais de nouvelles de sa fille; il la voyait à peine chez eux, de loin en loin; et elle passait les vacances au couvent. Mais un jour, un client qui avait sa demoiselle au même établissement, s'avisa de le féliciter sur l'éducation que recevait la petite camarade.

«Eh! eh! elle prend des leçons particulières, dit-il; les affaires vont bien, monsieur Vidal. Vous lui donnerez probablement une grosse dot.»

Le père, furieux, fit le soir même une scène épouvantable à sa femme, alla le lendemain arracher lui-même sa fille du couvent, et la ramena avec une ironie hargneuse à la boutique.

Elle avait alors quinze ans; elle était grande, point très belle, mais fraîche, décente et assez gracieuse. Elle avait l'air d'une étrangère; elle était dépaysée, effarouchée. Son père la regardait parfois curieusement. Il fut d'abord un peu gêné par sa présence, mais il se remit bientôt à injurier et même à frapper sa mère devant elle. Elle se jeta tout en pleurs entre eux deux, et fut battue, elle aussi. Les pauvres femmes ne savaient comment faire; il les surveillait avec une tyrannie diabolique et les obsédait de stupides menaces.

La situation devenait chaque jour plus intolérable. Il rouait de coups la mère et la fille; il tenait à celle-ci des propos grossiers, quand il rentrait pris de vin. Un vieux gredin, qui faisait la noce avec lui, lui souffla un jour dans l'oreille cette insinuation:

«Ta femme est embêtante, Vidal, mais ta petite n'est pas mal; elle se fait, elle se forme. Elle est fraîchotte, c'est la beauté du diable. A ta place, je laisserais la vieille se tuer au travail, et je lancerais la petite dans le monde.»

Une mauvaise pensée n'est jamais perdue pour un pareil homme. Un soir, il rentra terriblement ivre et voulut témoigner à sa fille une terrible tendresse. La pauvre enfant, épouvantée, lutta avec l'énergie du désespoir. La mère accourut à ses cris; elles réussirent à se sauver toutes les deux…

Ni l'une ni l'autre ne revinrent à la maison. Mme Vidal mourut de douleur dans l'asile où elle s'était réfugiée; on eut toutes les peines du monde à soustraire Mlle Vidal à la tutelle du père. Enfin, on fit une si belle peur au misérable qu'il ne reparut pas. On l'avait menacé de la justice.

Voilà comment soeur Sainte-Ursule est devenue religieuse. Très bien élevée, très pauvre, ne se sentant pas capable d'être heureuse avec un ouvrier, ni de le rendre heureux, elle s'est retirée au couvent.

Elle avait la vocation!

La Foire de Ménilmontant

I

Avez-vous été à la foire de Ménilmontant? Non, je suppose. Paris est si grand, Ménilmontant est si loin, et tout le monde a tant de choses à faire tous les jours. Eh bien! vraiment, le spectacle vaut le voyage, et si vous n'avez pas été là-bas, ou plutôt là-haut, dépêchez-vous d'y courir.

Jamais je n'ai vu foire aussi vivante, aussi mouvante, aussi grouillante, aussi étourdissante. Qu'on s'imagine les anciens boulevards extérieurs couverts, sur un parcours de plus d'un kilomètre, de baraques, de boutiques et de curieux!

Il tombait une pluie fine, pénétrante et tiède, quand le hasard, sinon la Providence, m'a gracieusement offert la vue de cette kermesse parisienne. Sur les trottoirs, sur la chaussée, on pataugeait dans une boue brune et grasse, particulière aux rues et boulevards de notre chère capitale. Mais le brave peuple de Paris n'avait pas été arrêté par si peu de chose. La foule était compacte, et l'on pouvait à peine avancer. Nous barbotions à qui mieux mieux. Les gens hardis se laissaient mouiller avec vaillance. Les délicats manoeuvraient avec dextérité le pépin bourgeois, et, à perte de vue, c'était une mer houleuse de parapluies de toutes les couleurs. Un rimeur de tragédies eût cru voir une armée antique monter à l'assaut en faisant la tortue.

L'eau tombait donc sans fin. Mais, bah! cela n'empêchait point la parade, et de tous les côtés c'étaient des cris, des fanfares, des roulements de tambours, des carillons de cloches, des sifflements de machines à vapeur. Le public riait de tout; à défaut du soleil, le rire éclairait la fête; et la fête se déroulait gaîment entre les maisons hautes et sombres, sous un ciel gris et bas qui semblait fondre en larmes.

De tous les côtés on se sentait sollicité, attiré, provoqué, accaparé. Par qui, par quoi commencer? Où entrer d'abord? Que de choses pittoresques, que de paillettes dans la boue, que d'oeillades, que de boniments! Des hommes, des bêtes, des femmes, des masques, des enfants, des inventeurs et des automates, des pierrots et des colombines, des forçats et des gendarmes, Marion Delorme et Hernani d'après Hugo et Devéria, des mannequins, des lutteurs, des queues-rouges, des talons-rouges, des peaux-rouges, du blanc, de la poudre et des mouches, des assassinats, des tableaux vivants, des toiles peintes, des charlatans, des marchands de gaufres et de chaussons aux pommes, des Arabes à burnous, des Indiens à plumes, Nana Sahib et Guillaume Tell, Jeanne d'Arc et la Pompadour, des orgues de Barbarie à la vapeur ou à l'électricité, des dompteurs et des flibustiers, les Pirates de la Savane et Rocambole, des chevaux, des chiens, des singes, tous savants! et au milieu de tout cela, sous des banderolles flottantes, entre Hoche et Marceau, non loin du président Lincoln, parmi les enseignes rouges, bleues, vertes, jaunes, violettes, tricolores, multicolores, telle qu'une reine entourée de son cortège, la Fille de Madame Angot, l'éternelle Fille de Madame Angot, avec sa suite de forts de la halle à tresses blanches et de poissardes le poing sur la hanche! Puis, plus loin, ô miracle! une autre Fille de Madame Angot, et une autre encore. Madame Angot fait tous les jours des enfants. Napoléon 1er l'eût décorée. Mais au fait, non; car tous ses enfants sont des filles.

II

Ma foi! je me décide. Me voilà sous une tente où on lutte à main plate. J'entre. A moi les lutteurs! Je fouille dans ma poche. On refuse mon argent. Les spectateurs ne paient qu'en sortant, s'ils sont contents du spectacle. A la bonne heure! Sous la toile basse, à double pente, couvrant un assez vaste parallélogramme, sont assis des curieux, sur les épaules desquels d'autres curieux se penchent. Des blouses bleues partout. Beaucoup de gamins, croquant des choses crues, ricanant, se trémoussant, criant, glapissant. Au milieu, une espèce de rond-point sablé. C'est là qu'a lieu la lutte.

Mais, diable! il pleut encore sous cette tente. Oui, le sol est détrempé; on voit luire vaguement des flaques d'eau boueuse. La toile humide, lourde, saturée d'eau comme une éponge, laisse filtrer sur tous les chapeaux et sur toutes les casquettes de grosses gouttes. A des endroits, on dirait une gouttière. Et pas moyen d'ouvrir le plus petit en-tout-cas! Ce serait d'un mauvais goût suprême. On serait honni, hué, chassé peut-être. Résigne-toi, mon couvre-chef! O mon paletot, résigne-toi! Vous sécherez plus tard.

 

Un Hercule, en caleçon pailleté et en maillot blanc, interpelle la galerie et crie:

«Qui veut lutter, qui veut lutter contre Marc-Antoine Triceps? La lice est ouverte, engageons les paris.»

Un homme en blouse s'avance et se propose. Affaire entendue. En un clin d'oeil, il ôte blouse et chemise, et le voici qui se produit, nu jusqu'à la ceinture. Un hourra s'élève: «C'est Bibi! Vive Bibi! Bibi vaincra!»

On parie pour ou contre Bibi. Bibi tend la main à Marc-Antoine Triceps. Ils font un tour sans se perdre des yeux. Chacun se campe dans l'attitude du combat. Ils se joignent, ils se tâtent, ils se frottent. Ils se pétrissent les mains et les bras, en guise de prélude. Ils se saisissent, ils s'empoignent à bras-le-corps. Ils se soulèvent l'un l'autre. Ils se prennent à la tête, au cou, à la ceinture. Ils tombent à genoux, ils se relèvent. Ils sautent sur leurs jambes et se remettent en position. L'attaque recommence, plus vive, plus pressante. Les corps en sueur se tordent, se massent sous les étreintes. Ce sont des feintes, des parades, des fausses chutes, des reprises. Bibi tient Marc-Antoine sous lui, par les épaules. Marc-Antoine se retourne et Bibi le repince. La chair glisse, luit, se ramasse, s'étale, se tend.

Bibi recule jusqu'à la galerie. Puis il fait reculer Triceps. Grands cris! Bibi tient Marc-Antoine à la renverse, la tête et les jambes pendantes, la poitrine saillante, sur son genou. Il n'a qu'à retirer le genou, et Triceps est vaincu. Mais il a beau essayer, il ne peut, et Triceps lui glisse entre les bras, comme une couleuvre. Oh! ils y mettent de l'acharnement, à présent. Ils sont plus las, plus lourds, mais plus terribles. Hardi, Triceps! Bravo, Bibi! Hip! hop! Triceps est sur le sable.

Tumulte effroyable, clameurs universelles: «Il a touché! il a touché!»

Bibi se rhabille en deux temps, touche, lui, ses dix francs de mise ou de pari, et file victorieusement. Avale quelque chose de chaud, Bibi! Tu l'as bien mérité.

La lutte est finie; le défilé de la sortie commence; on monte de l'intérieur sur les planches des tréteaux, et on redescend à l'extérieur les marches de bois glissantes.

III

Où aller maintenant? Regardons. Les trois filles Angot se font concurrence. Toute la troupe s'exhibe sur le balcon de chacun des trois théâtres. Ange Pitou, en pèlerine et en bottes à revers, pose pour le torse et le jabot, à côté d'un Jocrisse soufflant dans un petit fifre noir aux sifflements suraigus, qui vous piquent le tympan comme des coups d'aiguille. Les Muscadins en cravate haute, en frac vert-pomme à longues basques tombantes et effilées, s'avancent, la grosse canne torse au poing, le grand chapeau en arcade sur les yeux, et des cheveux plein le visage. Près d'eux caracolent, sans monture, les hussards d'Augereau, coiffés sur l'oreille de leur petit tonneau. Choeur des conspirateurs, valse à l'orchestre. Passons. Entre les trois filles Angot, mon coeur balance. Je ne veux pas faire de jalouses.

Musée d'anatomie!.. Passons encore. Je n'aime pas les squelettes; vive la crémation!

Cosmorama historique!.. O Joseph II, ô Henri IV, ô tzar Alexandre! Je vous connais trop bien. Pas d'histoire! des histoires, s'il vous plaît.

Ékonoscope moderne! Fi donc, monsieur l'ékonoscope! Pourquoi n'avez-vous qu'un seul K? Faites-vous si peu de cas de vous-même? Vous et vos vues à travers un carreau rond, vous avez l'air trop sages; je cours aux Bayadères d'en face.

Bon! c'est encore une fille Angot. Encore des incroyables et des hussards à tresses et à petit tonneau. Une fille rousse, environnée d'une toison de gazes blanches, chiffonnées, déchirées par-ci par-là, voltige sur la galerie. Elle fait des ronds de jambe, des pointes, tourne, tourbillonne, et se livre à une foule d'exercices gracieux avec une visible satisfaction. En avant, la musique! Le tambour bat, le fifre pique, la trompette sonne; une autre déesse, brune celle-ci, en jupe très courte et très évasée, son maillot rose dessinant une jambe bien cambrée et une cuisse bien arrondie, agite gravement, à toute volée, une cloche aux clairs tintements, et, ce faisant, mord de tout son clavier dentaire dans un large morceau de flan. Je vous envoie un baiser, déesse.

Pénétrons-nous dans la grande ménagerie lozérienne, où règne et gouverne «l'illustre et intrépide dompteur»? Il est un peu tard. Allons plus loin.

Mais qu'est-ce qui siffle comme ça? Sur les planches se lit en grosses lettres cette inscription: «Histoire des bagnes.» Une machine à vapeur est installée sur les tréteaux. Un homme à larges côtelettes noires surveille la vapeur et la foule. La foule regarde et admire. La machine marche, siffle, siffle, siffle, et met en mouvement toute la boutique: l'orgue qui joue la Marche des Contrebandiers de Carmen, les petits forçats vêtus de rouge qui se courbent et se redressent entre les roues gigantesques, tels que des singes travestis, et l'homme à côtelettes noires, sévère comme le gouvernement. La vue du bagne moralise les populations. On l'espère du moins. De grands tableaux représentent des évasions maritimes, des condamnés suspendus à des échelles de corde, ramant dans une barque, nageant au sein des flots, et des soldats les traquant, les tenant en joue, les exterminant. Aimables visions, poétiques idées!

IV

Voilà qui est bien plus joli. Ce n'était que le bagne, c'est l'enfer maintenant. Oh! le beau Diable à sceptre en fourche, à couronne dentée, à large manteau de pourpre brodé de noir! Et comme il porte au front majestueusement, mais avec amabilité, ses petites cornes dorées! La musique des parades fait rage; le tumulte de la cohue augmente. Le Diable ne peut plus se faire entendre. Il se penche, rouge comme une forge, bouche énorme, voix enrouée, sur le public incrédule, étend le bras, ouvre sa main toute grande, replie le pouce dans la paume, et montrant, secouant, promenant en tous sens ses quatre gros doigts velus, avertit les passants que l'entrée en enfer ne coûte que quatre sous, quatre sous, quatre sous, quatre sous!!!!

Après l'enfer, le ciel. Voici la grotte de Lourdes, transformée en tir aux macarons. Quand on tape dans le noir, la boîte du fond s'ouvre, et une petite fille en costume pastoral apparaît. Au fond de la cabane est inscrite cette légende, dont les lettres forment un gracieux arc-en-paradis:

«Ouvrez-moi la porte des macarons, des fleurs et des mirlitons; la bergère vous les apporte.»

Des mirlitons au ciel! je croyais qu'on y était condamné à la harpe à perpétuité.

Mais il pleut de plus en plus fort, comme chez Nicolet! Nous voilà tous trempés. Entrons boire, au premier gîte venu, un bon verre de punch, entre ce Lusignan tout flambant, descendu d'une pendule dorée pour jouer Zaïre, et ce pauvre Pierrot tout blême, qui exprime d'une façon si expressive sa soif immense.

Allons, mes petits enfants, laissez-moi passer. Quittez, jeunes baladins en sevrage, quittez le joli ruisseau où vous vous êtes assis sans façon sur votre derrière pailleté. Voici un sou pour acheter de la consolation. Et dirigeons-nous vers l'odeur du dîner.

Adieu, filles Angot, forçats, héros, femmes rousses qui faites des pointes, femmes brunes qui sonnez la cloche en croquant du flan! Adieu, Hoche; adieu, ékonoscope humanitaire; adieu, ciel et enfer! J'ai hâte de suspendre mon paletot ruisselant à la patère familiale.

Mais vous êtes pittoresques, même et surtout sous la pluie, dans la boue; et je vous aime, ô saltimbanques du boulevard, ô les plus naïfs et les meilleurs des saltimbanques!

La Messe des Anges

I

La Messe des Anges se dit, comme on le sait, devant le cercueil des petits enfants.

Qui de nous n'y a assisté une fois au moins? Quand on est jeune, on y vient d'un coeur distrait; on pense à bien autre chose, en vérité. On s'étonne de ces cérémonies, de ces douleurs, de ces pleurs, de ces sanglots. Tout cela pour un petit être, né d'hier, qui savait à peine parler, et dont le chétif cadavre tient dans une bière à peine plus large qu'une boîte à violon!

Quand on a soi-même un enfant, l'impression est toute différente.

Voici. On rentre chez soi, on trouve une lettre bordée de noir, on lit ces mots si étrangement douloureux: «Vous êtes prié d'assister aux Convoi, Service et Enterrement de mademoiselle Blanche-Marie, décédée dans sa troisième année, chez ses parents. Laudate, pueri, Dominum!» Et ces simples lignes vous émeuvent jusqu'au fond du coeur. Subitement assombri, vous embrassez la chère et tendre fillette qui vous reste, à vous, qui vous sourit, un peu gênée par votre tristesse, et que la mort peut aussi, tout d'un coup, sans motif, irréparablement, arracher de vos bras.

Puis, vous allez à la Messe des Anges.

II

Au milieu du choeur apparaît le cercueil, tout petit sur de larges supports, et drapé de blanc. La flamme pâle des grands cierges tremble aux quatre coins.

A l'autel, le prêtre va et vient, se tourne et se retourne, joint les mains et s'agenouille, psalmodie un latin nasal et se recueille en des silences mesurés.

Sous les cierges, sept ou huit enfants de choeur, la calotte rouge sur le sommet de la tête, les cheveux plaqués au front, chantent, en faisant chacun leur mouvement machinal, autour d'un grand jeune homme barbu qui marque les temps en levant et en abaissant la main, et qui gourmande ses élèves à voix basse. Des diacres et des sous-diacres, enchâssés dans de grands sacs dorés d'étoffe droite et métallique, suivent de l'oeil et copient les mouvements du prêtre.

Un ténor à figure ronde et rasée enfle sa bouche d'harmonie; les deux autres musiciens, près de lui, regardent avec la plus parfaite indifférence, tantôt les notes noires et blanches perchées çà et là dans les cinq fils des cahiers à musique, tantôt les statues de marbre jauni ou les fresques un peu passées, que semble animer un rayon de soleil irisé par les vitraux.

Dans les stalles de bois luisant, qui encadrent le choeur de leurs deux rangées symétriques, s'échelonnent les proches parents de ce petit cercueil. Là, point de dames; deux doubles rangs d'habits noirs. Les dames sont dans la nef, un côté leur en est réservé; elles sont en grand deuil, courbent la tête, et quelques-unes pleurent. De l'autre côté sont les amis.

Par moment, du fond de l'église, une ombre triste et lente vient se joindre à l'assistance. Les nouveaux venus serrent silencieusement la main des premiers arrivés.

On se murmure un mot à l'oreille:

«De quoi est-elle donc morte?

– Oh! ne m'en parles pas. Les médecins n'ont rien pu faire; la maladie a été subite, cruelle. Un coup de vent qui souffle une flamme. Il y a huit jours, j'ai vu la chère petite en parfaite santé. Et comme elle était mignonne dans sa robe blanche brodée, avec ses fins cheveux blonds noués d'un ruban bleu! Sa gaîté rieuse et chantante était pleine d'aurore. Elle disait les mots avec un accent si simple et une si fraîche intensité d'expression, qu'il semblait qu'on les entendît pour la première fois. Les phrases les plus banales, les plus fanées, avaient l'air de refleurir sur ses lèvres; et quand on jasait avec elle, on se sentait au printemps.

– C'était un charme. Quel bon naturel! La dernière fois que je l'ai embrassée, elle m'a dit: Monsieur, vous avez un petit garçon. Amenez-le, je l'aimerai bien et nous jouerons ensemble! Je serai sa maman!

– Regardez le père! Il a l'air brisé!»