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Noémie Hollemechette

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Nous avons pris le train à la gare de Lyon à huit heures du soir. Dans l’après-midi nous avons dit adieu à M. Le Peltier et à toutes les personnes qui ont été si bonnes pour nous. Les employés du chemin de fer remarquaient Phœbus et voulaient savoir pourquoi et comment il avait été blessé. Naturellement Pierre, qui aime à parler aux soldats et aux employés, leur racontait l’histoire de Phœbus, et même dans une gare, je crois que c’était à Nevers, il a été tout à coup entouré de quatre militaires – c’étaient, paraît-il, des artilleurs – qui écoutaient le récit de la bataille où le pauvre Phœbus a perdu sa patte.

«Eh bien, mon vieux, disait un des soldats, tu penses si les chiens belges sont épatants; ils se font casser la jambe tout comme nous autres!

– Nous n’avons pas de chiens comme cela en France!

– T’es bête, toi. Et les chiens sanitaires, donc? On peut dire aussi qu’ils sont braves! Tu sais, à la Marne…»

A ce moment-là, notre train se mit en marche lentement, alors que nous ne nous doutions pas qu’il allait partir. Pierre et Phœbus étaient sur le quai, car on l’avait descendu pour le faire boire dans un baquet plein d’eau. Pierre voulut courir, mais comme Phœbus, lui, ne pouvait pas le suivre, il resta sur le quai en levant les bras au ciel et en nous criant qu’il nous rejoindrait par le train suivant.

Quel émoi dans notre wagon! Barbe était désolée parce que Phœbus était resté sur le quai et que nous partions sans lui; la maman de Pierre eut une crise de larmes, et ce fut Tantine avec ses paroles douces et de l’eau de mélisse qui la calma.

«Mais Pierre n’a pas d’argent et j’ai son billet!

– Si, si, madame, il a un peu d’argent; il a, je crois, trois francs.

– Trois francs! Mais que voulez-vous qu’il fasse avec trois francs?»

Je pensais en moi-même à l’argent qu’il avait dépensé l’autre jour chez le pâtissier.

«Il faudrait savoir si nous ne nous arrêterons pas à une autre station d’où nous pourrions téléphoner, dit Madeleine. Peut-être pourrait-on trouver le contrôleur?»

Comme tout le monde avait vu que Phœbus restait sur le quai, sur la demande de maman un monsieur suivit tous les couloirs et, au bout de quelques minutes, revint avec le contrôleur.

Cet employé commença par se fâcher en disant que les petits garçons devraient rester avec leur maman, et puis, qu’est-ce que c’était que ce chien qui voyageait avec une jambe de bois? Alors le monsieur qui était allé le chercher se fâcha aussi – car il connaissait l’histoire de Phœbus.

«Il ne faut pas parler ainsi; ces dames et ces petites demoiselles – il nous montrait en prononçant ces mots – viennent de Belgique, de Louvain, et ce brave chien qui est resté à Nevers a eu la patte emportée par un obus sur le champ de bataille – oui, parfaitement, tout comme nos fils, monsieur.

– Oh! monsieur, répondit le contrôleur, moi, je dis cela à cause du service qui est déjà assez compliqué. Mais voilà ce que je vais faire. Le train va s’arrêter à Saint-Germain-des-Fossés où nous prenons de l’eau. Là, je téléphonerai au chef de gare de Nevers.»

Alors la maman de Pierre se calma un peu, mais Barbe ne cessait de demander ce qu’allait devenir Phœbus et s’il saurait trouver son chemin.

Madeleine et moi, nous lui disions tout bas de se taire, que Pierre n’abandonnerait pas Phœbus et qu’ils nous rejoindraient bientôt. En nous écoutant, elle finit par s’endormir dans les bras de Tantine. Moi, je savais que Pierre était très débrouillard et qu’il se tirerait très bien d’affaire tout seul. Vers six heures du soir, il y eut un arrêt; le conducteur alla tout de suite avec maman et Mme Mase chez le chef de gare pour téléphoner à Nevers. Tantine ne voulut pas que nous descendions de crainte de nouvelles aventures.

Je regardais par la portière et je vis que maman souriait; c’était sûr que nous allions revoir Pierre.

«Le chef de gare téléphone que Pierre est parti avec un convoi de blessés, qu’il sera à Lyon en même temps que nous, et que nous allions au Terminus près de la gare où descendront les blessés.

– Et Phœbus?

– Phœbus est avec lui, très bien soigné, a-t-on ajouté.

– C’est bien Pierre! Il sait toujours s’arranger pour tout voir et se faire de bons amis. S’il était là, il dirait certainement qu’il est un véritable artilleur.»

Nous ne sommes arrivées à Lyon que le soir très tard. Nous étions bien fatiguées. Heureusement l’hôtel Terminus où nous devions retrouver Pierre était à quelques pas de la gare, et au milieu de l’entrée nous avons aperçu Pierre avec trois officiers français (il paraît que c’étaient des médecins) et plusieurs blessés assis sur des fauteuils. Derrière Pierre était couché Phœbus. Quand il nous vit, il se mit à bondir et à sauter sur nous en nous léchant la figure les unes après les autres.

Le docteur qui avait l’air le plus âgé dit à la maman de Pierre:

«Madame, il ne faut pas reprocher à votre fils d’être resté sur le quai de Nevers. Il nous a beaucoup aidés pour transporter nos blessés; c’est un jeune garçon intelligent et plein de cœur. Aussi, pour le récompenser, je ferai remettre une vraie patte à son chien.

– Mais, m’écriai-je, ce chien n’est pas à Pierre, il est à papa.

– Oui, ton petit ami Pierre m’a dit que c’était un brave chien belge qui s’était conduit en héros à Anvers. C’est pourquoi je veux le guérir. Demain nous le soignerons.»

Ce soir-là, maman ne voulut pas nous expliquer comment on allait remettre une patte à Phœbus et on nous coucha dans des chambres de l’hôtel Terminus qui servaient, à côté de l’ambulance, à loger des familles qui venaient de Suisse ou, comme nous, de Paris. Le lendemain, très tôt, maman nous réveilla et nous sommes parties sans revoir le docteur, ni Phœbus. Pierre est venu nous embrasser; il reste à Lyon avec notre bon toutou pour son opération.

«Je te promets de t’écrire tout de suite et je ne le quitterai pas; car tu sais bien qu’il est aussi un peu à moi, ton chien, puisque tu es ma sœur.»

Comme ce voyage a été triste jusqu’à Montbrison! Maman ne souriait même plus. Tantine avait l’air si fatiguée, bien qu’elle se redressât tout le temps! Madeleine racontait des histoires à Barbe qui ne cessait de demander Phœbus et de dire que l’on avait pour sûr volé le chien de papa!

Montbrison, 12 octobre.

Je viens de recevoir une lettre de Pierre:

«Ma chère Noémie, Phœbus va très bien, et tandis que je t’écris, il est étendu sur un coussin à côté de moi et dort d’un très profond sommeil. Je lui ai dit que j’écrivais à Noémie.

«En entendant prononcer ce nom, il a dressé ses oreilles et remué sa queue. Il en est de même quand je dis Barbe ou Madeleine et même, l’autre jour, je lui ai demandé s’il voulait retourner à Louvain, il a pris l’air triste en voyant qu’il ne pouvait pas remuer sa patte plâtrée. Ce pauvre Phœbus a la patte dans un appareil de plâtre qu’il va garder pendant vingt jours, après quoi il pourra courir comme autrefois. Figure-toi que c’est un docteur français nommé Alexis Carrel qui, après avoir fait ses études à la Faculté de médecine de Lyon, a découvert ce qu’on appelle la «greffe humaine»: cela veut dire que, par exemple, si vous avez un nez coupé, on peut le remplacer par un morceau de chair pris sur votre bras ou sur votre jambe. Il a appliqué ou plutôt expérimenté sa découverte sur des chiens et des chats. Pour Phœbus, il s’est servi de la patte d’un chien que l’on venait d’abattre, et l’a placée sur Phœbus; les os doivent se souder aux os, les muscles aux muscles, à l’aide de fils d’argent; la plaie se cicatrise sous l’appareil de plâtre qui maintient en place la nouvelle patte. Le pauvre chien n’a pas souffert, car on l’a endormi, et dans vingt jours, nous enlèverons son appareil et alors je vous conduirai votre cher toutou.

«Je ne t’écris pas une longue lettre, car je suis obligé d’aller faire une course pour le docteur. Je travaille tellement que le soir je me couche à huit heures et m’endors tout de suite.

«Adieu, ma chère Noémie, à bientôt.

«Pierre Mase.»

A Montbrison nous sommes toutes allées chez les amis de Mme Mase qui ont une grande maison quai des Eaux-Minérales. C’est là que nous allons demeurer jusqu’au retour de papa.

Cette dame a deux petites filles et un garçon de l’âge de Pierre qui est en pension à Lyon. Leur papa est à la guerre et ils sont venus habiter chez leur grand’mère parce que, c’est moins cher de vivre là que dans la ville où ils étaient.

Maman va donner des leçons aux petites filles et Tantine avec Madeleine s’occuperont de la maison, car Mme Moreau est toujours malade. Les petites filles, qui s’appellent Marie et Louise, ont été très gentilles quand nous sommes arrivées; elles nous ont menées dans une grande chambre d’étude, où nous restons toute la journée quand nous ne sortons pas. Nous avons déjà vu la ville qui n’a pas l’air gaie. Oh! ce n’est pas Louvain! J’écris cela dans mon journal parce que je veux y inscrire tout ce que je pense; je ne voudrais pas le dire et faire de la peine à Mme Mase ni à Mme Moreau, qui sont si gentilles pour nous, mais c’est la vérité. Du reste, Pierre me l’avait bien dit.

La maison a deux étages: en bas il y a deux grands salons, la salle à manger, la cuisine et une bibliothèque; au premier, il y a un tas de chambres. Nous couchons avec Madeleine dans une grande pièce qui donne sur le jardin. Maman et Tantine Berthe couchent à côté de nous. Les lits sont garnis de vieux rideaux à l’ancienne mode française.

L’autre soir avant le dîner j’étais assise près du fauteuil de Tantine et je lui ai dit tout bas, bien qu’il n’y eût personne dans la chambre:

«Tantine, ne trouves tu pas que Montbrison est une ville très triste?

 

– Oui, ma petite Noémie, je suis de ton avis; mais je pense que tous les endroits où nous pourrions être maintenant nous paraîtraient tristes; c’est surtout d’après nos pensées que nous jugeons les choses. Si ton papa était avec nous et si nous n’avions pas quitté notre pays dans d’aussi terribles circonstances, nous ne verrions que le côté riant et riche de ces belles campagnes françaises. Il ne faut pas nous laisser aller à notre découragement, il faut attendre sans murmurer et avoir confiance.»

Pauvre Tantine! elle dit cela et elle s’efforce de garder un visage tranquille, c’est pour maman et pour nous! Je vois bien qu’elle et maman ont souvent les yeux rouges. Nous n’avons pas de nouvelles de papa. Le sergent Vandenbroucque et la légation de Belgique ne nous ont encore rien écrit pour nous apprendre si papa est avec le Roi ou s’il est resté à Anvers. Rien de Désiré non plus!

La patte noire de Phœbus

Montbrison, octobre 1915.

PIERRE nous a envoyé une dépêche pour nous annoncer son arrivée à Montbrison avec Phœbus. Maman nous a conduites à la gare toutes les trois et nos petites amies Marie et Louise Moreau naturellement. Quand nous sommes ensemble, maman ne peut pas faire autrement que de s’occuper de nous, alors elle parle et elle sourit quelquefois. Mais, c’est bien sûr, tant que nous ne saurons pas où est papa, elle ne sera pas heureuse – nous non plus. Je remarque surtout comme Madeleine est changée. Elle se fait beaucoup de remords de ne pas être restée avec papa. Ceci, c’est Tantine Berthe qui l’a dit l’autre jour à Mme Moreau.

Pierre devait arriver à onze heures du matin. Nous étions à dix heures et demie à la gare. Pendant que nous attendions, Barbe me questionnait sans s’arrêter.

«Dis, Noémie, tu es sûre que Pierre va ramener Phœbus? Tu ne crois pas qu’il aura manqué le train?

– Mais non, tu sais bien que Pierre sait très bien se débrouiller.

– Qu’est-ce que cela veut dire se débrouiller?

– C’est décider rapidement ce qu’on doit faire, ne pas perdre de temps, et si l’on se trouve dans une situation difficile, savoir s’en tirer, comme Pierre l’a fait l’autre jour lorsqu’il est resté sur le quai à Nevers.»

C’est Madeleine qui a répondu cela à Barbe.

A ce moment, le train entra en gare, mais ce n’était pas un convoi de voyageurs, les wagons étaient remplis de blessés. Pierre descendit d’un compartiment où se trouvait un médecin et plusieurs officiers français et, derrière lui, Phœbus sauta sur le quai en poussant des aboiements joyeux.

Quand il nous vit il se jeta sur nous.

Alors, Barbe et toutes, nous avons crié en même temps:

«Mais il a une patte noire!»

En effet, ce bon Phœbus, dont les poils sont gris avec quelques taches blanches çà et là, avait sa quatrième patte, celle qu’on lui a remplacée, toute noire avec un poil beaucoup plus luisant que ceux de son corps. Barbe cria à Pierre:

«Tu es bête, Pierre, regarde sa patte, elle est noire, tu ne pouvais donc pas lui faire mettre une patte grise, pareille aux autres?»

Pierre répondit aussitôt.

«Oh! nous avons fait comme nous avons pu. Pour pouvoir remplacer une patte à un chien, il faut que la patte soit encore vivante, je veux dire qu’elle appartienne à un chien qui vient de mourir; le jour où l’on a opéré Phœbus, il n’y avait là qu’un chien, et il était noir. Mais tu ne vois pas, petite bécasse, que c’est très original et que Phœbus est tout à fait épatant ainsi?»

Moi, je trouvais que Phœbus était superbe! Il bondissait et sautait sur nous tout à fait comme dans l’ancien temps. Il se mettait à côté de Madeleine en frottant sa grosse tête contre sa main. Ses bons yeux semblaient dire: Je suis joliment content de vous retrouver toutes, mais je voudrais bien savoir où est mon maître. Et nous donc!

Les blessés que l’on descendait du train le caressaient en passant; Phœbus les connaissait tous. Maman alla causer avec un officier français qui venait de Belgique, comme nous le dit Pierre, et qui avait reçu une «marmite» près de Poperinghe. C’était un dragon. Il avait l’air très malade, mais comme Pierre lui avait rendu quelques services pendant le voyage, il causa avec maman, pendant qu’il attendait la voiture qui devait le mener à son ambulance.

«Ah! madame, quel Roi vous avez, et quels soldats héroïques dans cette armée belge! Mais ils ne pouvaient résister à la force écrasante des Allemands. C’est déjà merveilleux la manière dont on s’est défendu contre eux. On vient de m’apprendre qu’ils sont entrés dans Ostende. Que restera-t-il de cette pauvre Belgique?»

Maman lui parla de Louvain, de papa qui était soit à Anvers, soit ailleurs, nous ne savions pas. Ce dragon nous demanda d’aller le voir lorsqu’il serait à l’hôpital. Pierre devait s’y rendre chaque jour après le lycée pour aider dans le service des médecins. Je dis tout bas à Pierre:

«Est-ce que je pourrai aussi t’accompagner? Je voudrais bien faire quelque chose pour les soldats français.

– Oui, tu viendras avec moi, il y a toujours des commissions, des objets à chercher; mais n’en parle pas devant Barbe qui voudrait nous suivre et qui nous embarrasserait.»

Dans l’après-midi, comme c’était dimanche, Pierre partit vers trois heures pour le pensionnat Saint-Charles où une ambulance de la Croix-Rouge avait été installée et où l’on avait conduit le lieutenant de dragons que nous avions vu le matin à la gare. Maman était venue avec nous; elle voulait passer ses après-midi de dimanche auprès des blessés pour seconder les infirmières. Phœbus nous suivait.

Pour nous rendre au pensionnat Saint-Charles, il fallait d’abord prendre une allée de platanes qui fait le tour de la ville et suit une petite rivière qui s’appelle le Vizézy; puis on tourne dans une rue étroite pavée de cailloux très pointus qui monte et longe l’église Saint-Pierre: c’est là le beau quartier de la ville. En haut, il y a une place assez grande bordée d’hôtels anciens. A droite, c’est le palais de justice avec une terrasse donnant sur la campagne. Avant d’arriver au palais de justice, tandis que nous montions la rue, Pierre me dit:

«Tu vois, en haut de la rue, il y a une sentinelle française: c’est un soldat d’infanterie qui garde les prisonniers allemands!

– Comment, mais ils ne sont pas dans une prison?

– Non, ils sont dans le palais de justice, mais il y a des sentinelles dans toutes les rues qui l’entourent. Nous allons peut-être en voir sur la terrasse.

– Comment sais-tu cela, tu ne fais que d’arriver?

– Oh! après le déjeuner j’ai déjà fait un tour dans toute la ville: ce n’est pas long quand on connaît le pays.»

En effet, sur la terrasse, il y avait un certain nombre de prisonniers allemands qui étaient assis ou qui se promenaient de long en large. Dans le fond, on en voyait qui lavaient du linge dans des baquets. Ils étaient vêtus tous de la capote gris jaune et de la casquette plate que je connaissais pour l’avoir vue dans des photographies à Paris. Il y en avait un plus grand que les autres qui regardait au loin, avec un air arrogant et fier.

«Tu vois, ce grand-là? Eh bien, c’est un officier. Même prisonnier, il garde cette figure à claques de sale Prussien. Les autres, les soldats, ils sont plats dès qu’ils sont pris; mais cet animal-là!..»

Pendant que nous parlions, la sentinelle s’était approchée de nous et, s’adressant à Pierre, elle lui dit:

«Il est défendu de s’arrêter ici, allez plus loin.

– Bien, bien, répondit Pierre, nous avons déjà vu tout ce que nous voulions. Mais regardez notre chien, il veut vous dire bonjour, parce que c’est un soldat comme vous, il s’est battu à Liége, il a eu la patte emportée par un éclat d’obus et il a été médaillé.»

Pierre lui avait dit cela tout d’une traite, afin que le soldat puisse tout entendre, car il leur est défendu de parler pendant qu’ils montent la garde. Mais je vis bien qu’il considérait Phœbus avec intérêt. Après, nous avons continué notre chemin et nous avons vu, au pensionnat Saint-Charles, les blessés français. Il y en a beaucoup qui se sont battus en Belgique et aussi à la bataille de la Marne.

Pierre ne cesse de leur demander des détails sur ces belles journées, comme il dit. Il a vu un artilleur qui fait partie du 20e corps comme son papa et du 60e régiment d’artillerie! Alors il était dans une folle joie! Il a couru chez un marchand de tabac et il a acheté pour deux francs de cigares et de cigarettes – c’est tout ce qui lui restait d’argent – et il les a donnés à l’artilleur, qui a aussitôt partagé avec ses camarades.

«Vous savez, monsieur Pierre, les Allemands ne se sont jamais attaqués au 20e corps, car il ne recule jamais! Oh! nous en avons tué des Boches; tenez, par exemple…» et il commence une histoire que je mettrai la prochaine fois dans mon Journal, car il est tard et on va bientôt servir le dîner.

Jeudi.

Ce matin, tandis que nous commencions à apprendre nos leçons avec nos petites amies Marie et Louise, Mme Moreau est entrée.

«Voici une lettre pour Noémie!

– Comment! pour moi?

– Oui, et quel joli papier à lettre!»

Je pris l’enveloppe. Elle était adressée au Directeur du Journal des Enfants, Paris. Et le Journal des Enfants me l’envoyait ici à Montbrison.

Je l’ouvris avec soin. Elle contenait une lettre écrite sur du papier bordé de rose avec, dans le coin, une petite image représentant deux gentils enfants assis sur un banc sous une fenêtre, sur laquelle étaient posés deux rosiers en fleurs.

Je lus la lettre à haute voix:

«Monsieur,

«Je me suis tellement intéressée à l’histoire de Mlle Noémie Hollemechette, que je voudrais bien savoir si elle existe réellement. Voudriez-vous être assez obligeant pour me le dire, car, avec la permission de ma mère, je désirerais beaucoup apporter quelque adoucissement à ses peines. Si déjà une autre personne ne s’intéresse pas à elle, voudriez-vous vous charger de lui demander de venir à la maison un jour de cette semaine (sauf jeudi) après quatre heures. Je vous prie de m’excuser du dérangement que je vous occasionne.

Recevez, Monsieur, avec tous mes remerciements, mes meilleures salutations.

«Nicole Trèves.»

Quand je cessai de lire ma lettre, tout le monde garda le silence. Alors, je me retournai et je vis que Tantine Berthe, maman et Mme Moreau souriaient. C’est pourquoi les autres ne disaient rien. Moi aussi, j’étais émue; alors je me jetai dans les bras de maman.

«Oh! ces petites Françaises, quel cœur elles ont! Tout comme leurs papas et leurs grands frères! s’écria tantine Berthe en me rendant la lettre de Nicole Trèves.

– Tu vas vite lui répondre, n’est-ce pas? dirent alors Marie et Jeanne.

– Oui, bien sûr, et quand je retournerai à Paris, je voudrais aller la voir, cette petite Nicole Trèves.

– Oui, dit maman, c’est une petite fille très bonne qui a écrit cette lettre, parce qu’elle a pensé que les Belges sont bien malheureux, et elle a fait une chose meilleure que tous les biens que l’on peut offrir: celle d’adoucir les chagrins et d’apaiser la peine par un témoignage sympathique.»

Je pensais justement ce que maman disait; j’aurais voulu tout de suite voir et embrasser Nicole Trèves.

Mais ce fut bien autre chose quand Pierre revint de l’école. Nous l’attendions à la porte et nous voulions toutes à la fois lui parler.

«Taisez-vous, et dites posément ce qu’il y a de nouveau.

– Oh! oh! posément, s’écria Marie, qui taquine toujours Pierre quand il veut parler comme un homme, on dirait que tu es un Poilu.

– Eh bien, oui, je dis posément, car si je ne suis pas encore un vrai Poilu, je ne suis pas comme les petites filles qui ont la déplorable habitude de parler toutes à la fois; on ne comprend pas un mot de ce qu’elles disent.

– Eh bien! une lettre de… avons-nous commencé toutes ensemble.

– De ton père…» interrompit Pierre d’une voix émue.

Comme c’était gentil à lui de penser que toute cette agitation ne pouvait venir que d’avoir reçu des nouvelles de papa!

«Non, mais d’une petite Parisienne qui écrit à Noémie Hollemechette pour lui proposer de l’aider dans son malheur. Tiens, voilà la lettre, lis-la.

– Je trouve que c’est très bien, cette lettre, et c’est tout à fait une lettre de Parisienne. Les provinciales comme vous n’auraient jamais eu l’idée de l’écrire.

– Les provinciales comme nous! Mais, tu sais… et toi, d’où es-tu donc? – Moi, je ne suis ni Parisien ni provincial, je suis militaire, et encore mieux, artilleur, c’est-à-dire épatant

 

Là-dessus Mme Moreau est entrée en nous annonçant que dans l’après-midi nous devions tous aller chercher des légumes et des fruits à Champdieu, pour les blessés.

Montbrison, Dimanche.

Maman vient de recevoir une lettre de la légation de Belgique de Paris. Papa est resté à Anvers. Il n’a pas voulut quitter l’Hôtel de Ville où il était installé avec les autorités, pour organiser la défense. La lettre se termine ainsi:

«M. Hollemechette, qui, dès son arrivée à Anvers s’est conduit d’une façon très remarquable, a passé ses nuits et ses jours sans vouloir prendre le moindre repos, à organiser les services pour faire évacuer une partie de la population civile, pour accueillir les blessés, et pour ravitailler l’armée belge qui s’est retirée d’Anvers à Ostende avec le Roi. Lorsque la ville a pris la cruelle résolution de laisser entrer l’ennemi, M. Hollemechette, en voyant le désespoir, la crainte sur les visages de ceux qui restaient, a simplement répondu, quand on lui conseillait de s’éloigner: «Non, je resterai; si je puis encore relever le courage de mes malheureux compatriotes, c’est mon devoir tout tracé pendant ces tristes jours. Mes enfants et ma femme sont en sûreté dans la France si généreuse et si charitable; mon fils se bat: eh bien, moi, je ferai comme un civil, je remplirai ma tâche, m’efforçant d’empêcher les brutalités et les cruautés des Allemands lorsqu’ils seront ici à Anvers.» Il s’est donc installé à l’Hôtel de Ville, avec le bourgmestre et différents notables de la ville. Nous vous adressons, madame, nos félicitations pour la belle et si honorable conduite de votre mari et nos souhaits pour la prochaine délivrance de notre pays.»

Cette lettre, dont je suis fière, causa au premier moment un grand chagrin à nous tous et maman eut un désespoir affreux. Elle s’enferma avec Tantine Berthe et resta très longtemps dans sa chambre. Mme Moreau nous avait fait sortir pour aller au marché. Mme Moreau s’est bien aperçue de mon chagrin, car elle m’a pris par la main et, pendant la promenade, elle m’a parlé de papa, me demandant beaucoup de choses sur lui. Oh! je l’ai très bien comprise, aussi je l’aime tendrement et je voudrais le lui prouver. Marie et Louise, de même que Pierre ne se sont pas querellés tout l’après-midi, et Pierre est venu faire ses devoirs à côté de moi. Il les a, paraît-il, très bien faits. Madeleine devient de plus en plus pâle. Avec Mme Moreau, maman a décidé, pour distraire ma sœur de sa tristesse, de la faire travailler pour être infirmière de la Croix-Rouge française; elle pourra ainsi aller au pensionnat Saint-Charles, aider ces dames qui ont beaucoup à faire.

Comme c’était dimanche, Mme Moreau a pensé qu’il fallait aller à Champdieu chercher des légumes pour les blessés de l’ambulance. Mme Mase, qui est revenue de Lyon, nous y a conduits. Phœbus était de la partie. Et il courait à gauche et à droite, vraiment on ne dirait pas qu’il a une quatrième patte d’un autre chien!

Pour se rendre à Champdieu, qui est situé à quatre kilomètres on suit une belle route qui va jusqu’à Boën et Clermont; de beaux peupliers la bordent et une rivière coule non loin de là, au milieu des prés.

A Champdieu, Mme Mase est d’abord allée chez une dame qui vend des légumes et des fruits. Elle était dans un grand potager plein de poiriers surchargés de grosses poires. Au milieu des arbres, il y avait une petite fille brune, de neuf ans environ.

«C’est Odette, me dit Pierre, c’est la nièce de la propriétaire du jardin.»

Je regardais la petite fille, elle était un peu plus petite que moi, très brune de peau, avec de grands yeux gris bleu, des cheveux châtain foncé pas frisés du tout et qui tombaient tout droit, retenus sur le front avec un ruban mauve. Elle était, comme Barbe, très potelée. Elle portait une robe rose et blanche avec une guimpe blanche qui laissait voir ses petits bras bruns. Elle semblait très vive et se précipita vers Marie et Louise.

«Bonjour, bonjour, vous allez à la promenade?»

Elle ne parlait pas de la même manière que mes amies ni que Pierre.

«Ne t’étonne pas, me souffla-t-il, c’est une Bordelaise, elle a l’accent du midi.»

Cela m’amusait beaucoup de l’écouter, et puis je la trouvais tout à fait gentille.

«Est-ce que nous ne pourrions pas l’emmener goûter avec nous?

– Oh! oui, elle ne demandera pas mieux. Veux-tu venir goûter avec nous?

– Té, pardine, mais j’emporterai mon filet à papillons.

– Oui, seulement Phœbus courra plus vite que toi et te les attrapera tous.

– Non, non, tu n’as qu’à tenir ton chien.

– Mon chien ne se laisse pas tenir, c’est un ancien soldat.

– C’est pas vrai, un chien c’est pas un soldat.»

Alors Pierre lui raconta l’histoire de Phœbus. Aussitôt elle se mit à battre des mains et à dire qu’elle voudrait bien voir Phœbus attelé à une petite voiture.

«Si nous l’attelions, il pourrait nous traîner.

– Non, mes enfants, cria Pierre d’un air de grand chef, un chien qui a traîné des mitrailleuses, ne peut traîner des enfants!

– Des enfants! Nous ne sommes pas des enfants!

– Non, vous êtes des bébés, de tout petits bébés.

– Oh! oh! oh!»

Nous avons toutes couru sur lui, mais Phœbus est allé plus vite que nous et il a sauté sur Pierre en lui mettant ses deux pattes sur les épaules. Pierre est tombé et toutes nous avons applaudi.

Alors Mme Mase a donné le signal du départ pour aller goûter non loin de là dans une prairie que le soleil chauffait; les légumes et les fruits devaient être portés le lendemain à Montbrison par une voiture.

Nous sommes partis avec la petite Odette et son filet à papillons. Le long des haies elle courait tout le temps pour attraper les jolies bêtes aux merveilleuses couleurs qui volaient. Dès que son filet s’abaissait, Phœbus courait dessus, alors le papillon s’échappait. La petite Odette riait tout le temps, elle se fâchait contre Phœbus, lui tirait la queue, mais, lui, marchait un peu plus vite et c’était tout.

Nous nous sommes tous assis par terre sur l’herbe. Il avait fait une journée magnifique, assez chaude, de sorte que les prairies n’étaient pas humides, au contraire, et l’on voyait mille insectes dans les rayons du soleil.

Phœbus courait après les grenouilles dans le ruisseau, mais quand il vit que nous allions manger de bonnes choses, il vint immédiatement s’asseoir entre moi et Pierre qui se met, lui, toujours à côté de moi.

Nous avions une bonne galette, des fruits, et de l’eau et du vin pour boire.

«Je vous ai fait cette galette, dit Mme Mase, parce que c’est dimanche, mais dans la semaine, il faut se contenter de pain pour goûter. Du reste, le pain est aussi bon que la galette!

– Non, dit Barbe, j’aime mieux la galette.

– Naturellement, parce que tu es une petite gourmande; mais il y a des petits enfants qui seraient bien contents d’avoir tous les jours un gros morceau de pain blanc pour leur goûter.

– Oui, par exemple, les pauvres petits Belges ou les pauvres petits Français qui s’enfuirent à l’arrivée des Allemands et qui errent sur les routes.

– Et nos pauvres soldats qui se battent; ils n’ont quelquefois pas même le temps de manger ni de boire.

– Oui. Pendant la bataille de la Marne, quand il s’agissait d’arrêter coûte que coûte les Allemands, papa a dit qu’il y avait des artilleurs qui n’avaient pas mangé pendant trois jours.

– Et tu crois que mon pauvre papa, qui est à Anvers avec les Allemands, peut manger à sa faim?

– Et les prisonniers qui sont chez les Boches, tu crois qu’ils leur donnent de la nourriture suffisamment?»

Tout à coup, il me vint une idée, je me tus pendant que nous goûtions: mais j’attirai Pierre vers moi, après que nous eûmes rangé les restes du repas et repris le chemin du retour.

«Dis-moi, Pierre, réponds-moi sérieusement, comme à une grande fille: tu ne penses pas que les Allemands emmènent papa en Allemagne?

– Pourquoi emmèneraient-ils ton papa en Allemagne?

– Mais tu sais bien que dans les villes comme Louvain ou Aerschot, après les avoir brûlées ils ont envoyé en Allemagne des otages, comme a dit maman – je me souviens très bien de son mot, des civils. Vois-tu s’ils prenaient papa?

– Non, je vais te dire; ils choisissent comme otages des gens célèbres dans une ville, des gens qui ont par exemple une belle situation, des curés, des banquiers, des notaires, des professeurs. Et ton père, à Anvers, n’a pas en réalité de situation officielle. Il n’est pas connu dans la ville. Tu comprends bien ce que je veux te dire. Il peut s’être fait une notoriété par les services qu’il vient de rendre à Anvers, mais il n’est pas ce qu’on appelle connu.