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Noémie Hollemechette

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«Voilà, ma petite Noémie, me dit Mlle Suzanne, pourquoi je suis venue vous voir. Un jour, pendant votre séjour à Saint-Sulpice, vous m’avez dit que vous écriviez chaque jour le récit de votre vie et que vous avez commencé votre journal la veille de la déclaration de la guerre. Vous m’en aviez même lu quelques pages qui m’ont semblé très intéressantes. J’en ai parlé à un ami à moi, directeur d’une revue d’enfants, le Journal des Enfants, qui voudrait beaucoup le publier, car sûrement ce sera nouveau et attachant pour les jeunes lecteurs et les jeunes lectrices.»

En entendant ces mots, j’étais très étonnée, je ne saisissais pas ce qu’elle voulait dire.

«Comment! mon journal, vous le donner, pourquoi?

– Mais oui, si vous me le donnez je le ferai imprimer et vous le verrez dans le Journal des Enfants.

– Ce carnet est seulement écrit pour moi, pour papa et maman; c’est notre histoire, ce n’est qu’à nous qu’elle peut plaire et non aux autres.

– C’est le journal d’une petite Réfugiée belge, et c’est pourquoi les Français s’intéresseront à son histoire. Il est écrit au jour le jour, simplement, tout ce qu’il raconte est vrai et c’est pourquoi je vous le demande.»

J’étais tellement saisie que je ne pouvais comprendre.

«Mais il faut que je le dise à maman; je vous le donnerai si maman le permet.

– Naturellement, Noémie; seulement c’était à vous que je voulais en parler, car il vous appartient.»

Et, en disant c’est mots, Mlle Suzanne m’a embrassée très fort.

Après son départ, je suis allée vers Pierre pour lui dire la raison de la visite de Mlle Suzanne. Pierre n’en pouvait croire ses oreilles, il s’est mis à gambader en criant:

«Bravo, bravo! Vive Noémie, le célèbre auteur belge!»

J’avais beau lui recommander de se taire, il continuait encore davantage, et Phœbus aboyait en voulant sauter sur moi, malgré sa jambe de bois.

A ce moment maman est arrivée. Nous voulions tous parler à la fois et Pierre riait plus fort que moi; enfin maman nous fit taire, car elle voulait nous apprendre aussi une chose très importante.

«Quoi donc, dis vite, petite maman!

– Une lettre de Désiré.

– Oh! lis-la cette lettre!»

Pendant que nous entourions maman, Phœbus en avait profité pour s’étendre sur un grand canapé de velours vert sur lequel maman lui défend toujours de grimper. Je suis bien sûre que Pierre l’avait un peu aidé, car avec sa jambe de bois, il ne pouvait pas le faire tout seul.

Alors j’ai raconté la visite de Mlle Suzanne et maman paraissait bien surprise et émue, cela j’en suis sûre.

«Mais, ma petite Noémie, ce journal était pour nous seuls, il ne peut pas intéresser des Français.

– Oh! bien sûr que si, madame, répondit Pierre, c’est justement parce que c’est supérieurement intéressant pour des petits Français qu’on a demandé le journal de Noémie. Elle raconte toutes les aventures qui lui sont arrivées depuis l’entrée des Allemands en Belgique et comment vous avez fui. Je vous assure, donnez-le.

– Et bien! j’irai voir le directeur du Journal des Enfants et nous verrons. Maintenant je vais vous lire la lettre de Désiré qui, après avoir été blessé, est retourné se battre et a assisté à la bataille d’Aerschot.»

Maman nous la lut, cette lettre, à haute voix, et moi je la copie.

«Mes chers parents, mes chères petites sœurs,

«Je vous dis d’abord que je suis en bonne santé et c’est bien étonnant, car, vous savez, c’est quelque chose d’infernal, d’affreux et d’incroyable qu’une bataille! Du reste on ne se rend compte de rien si ce n’est de vouloir tirer le plus de coups possible sur l’ennemi et de se protéger autant qu’on peut. Vous savez que je suis caporal et que j’ai reçu la médaille de Léopold. Mais je vais vous dire ce qu’a fait mon régiment qui s’est déjà distingué à Liége.

«C’était autour d’Aerschot où l’on se battait depuis quatre jours. L’ennemi avait été repoussé; mais, de nouveaux renforts étant arrivés, et deux avions ennemis volant très bas ayant pu repérer nos positions, il reprit l’offensive. Mon régiment et un autre qui était déjà à Liége, ont tenu pendant deux heures en échec des forces allemandes dix fois supérieures et leur ont infligé des pertes colossales, comme ils disent.

«A sept heures du soir pourtant, le commandant Gilson, qui commandait ma troupe, donna l’ordre de la retraite. Ah! je vous assure que c’est dur de n’y pas rester. En opérant cette retraite, le commandant Gilson eut le nez brisé par une balle. On le pansa sommairement et il resta avec nous, maintenant l’ennemi en respect et lui prouvant ce que peuvent faire des Belges. Mais avec de tels chefs, où n’irait-on pas? Nous nous sommes repliés sur Gand, où nous sommes pour l’instant et d’où je vous écris. Je suis bien anxieux en songeant à vous tous, je voudrais savoir où vous êtes, car je ne doute pas que vous ne soyez partis de Louvain.

«Pauvre papa! comment aura-t-il quitté sa maison et sa bibliothèque? Les bruits les plus contraires circulent: on dit que les Allemands ont brûlé Louvain et qu’ils marchent sur Paris, et, d’un autre côté, on assure que les Allemands commencent à mourir de faim et que les soldats ne désirent que se rendre. J’ai appris que le fils de M. Boonen a eu un bras emporté et que son père l’a vu à Anvers où il est soigné. Où est Phœbus? Il a peut-être été tué! Je termine ma lettre, mes chers parents, en vous embrassant bien tendrement comme je vous aime. – Désiré.»

Paris, le 3 octobre.

Malgré le joli petit jardin de la maison, maman veut que nous sortions un peu. Pierre nous accompagne et il nous fait ainsi visiter «son beau Paris» comme il dit. C’est vrai, Paris est superbe et rien ne nous amuse autant que de suivre les quais le long de la Seine. Ce qui est le plus drôle, c’est de regarder des chiens qui se jettent dans l’eau pour rapporter un morceau de bois que leur lance leur maître. Ce pauvre Phœbus, c’est ça qui l’amuserait! Mais maintenant, avec sa jambe de bois, il ne pourrait plus nager. Heureusement nous le laissons à la maison pour qu’il n’ait pas de chagrin en voyant les distractions de ses camarades.

Les Champs-Élysées sont aussi magnifiques. Pierre dit que lorsque la guerre sera finie, les soldats passeront sous l’Arc de triomphe, descendront toute l’avenue, avec le général Joffre en tête.

«Tu verras comme ce sera beau, me dit Pierre.

– Mais je ne le verrai pas, je serai à Louvain.»

Pierre se tut un moment.

«Si, tu seras ici, parce que tous les généraux alliés viendront avec Joffre à Paris, pour célébrer la grande victoire; alors les Belges comme toi seront ici.

– Pourquoi les Belges comme moi?

– Parce que c’est vous qui avez le plus souffert, et qu’il est donc naturel que vous soyez ici au moment des réjouissances.»

Je pensais que Pierre avait une bien gentille idée et que les Français sont tout à fait bons. Mais pourquoi disent-ils, quelquefois, des choses qu’ils ne pensent pas, comme fait Pierre lorsque nous nous querellons et qu’il me taquine?

Maman voulait aller au Journal des Enfants aujourd’hui, mais nous avons reçu une carte du sergent Vandenbroucque qui nous a terriblement étonnées et inquiétées. Il dit à maman: «J’ai eu des nouvelles de votre fille Madeleine et de votre mari. Ce dernier vous envoie sa fille et «tante Berthe», car il compte rester en Belgique. C’est tout ce que je sais.» Maman s’est mise à pleurer en disant: «Votre papa! s’il reste, c’est horrible». Mais je lui ai dit:

«Tu sais bien, petite maman, que si papa reste, c’est qu’il pense que c’est son devoir.

– Oui, oui, tu as raison et j’ai tort de pleurer; mais au premier moment, c’est dur de penser qu’on va être séparé encore! Ma petite Noémie, tu es la plus sage. Attendons de savoir. En tout cas, nous allons revoir tante Berthe et Madeleine.»

4 octobre.

Ce matin, nous avons reçu une lettre de papa datée d’Anvers.

Je la copie ici.

«Ma chère femme, mes chères enfants, je suis bien heureux d’avoir enfin de vos nouvelles et de savoir que vous êtes sauvées et en bonne santé. Nous aussi, nous sommes hors du péril. Mais que de choses terribles se passent dans notre malheureux pays! Malines est bombardé par les Allemands qui, dit-on, vont lui faire subir le même sort que Louvain; Alost a dû faire évacuer sa population qui se réfugie à Anvers; il en est de même de Lierre. Tous les pauvres habitants fuient, on ne sait où les loger! Le Roi fait l’admiration de tous par son courage, son énergie. Hier, son armée a culbuté une avant-garde ennemie, mais elle s’est heurtée aux principales forces allemandes qui se trouvaient devant Termonde. Le Roi était si fatigué après cette bataille qu’il s’est endormi dans une cabane où se trouvaient réunis quelques officiers belges et anglais.

«Il nous dicte à tous notre devoir et il n’est pas de Belge qui n’ait à cœur de suivre un si bel exemple. Aussi, je me suis rendu à l’hôtel de ville pour me mettre à la disposition du gouvernement. Il y avait un assez grand désordre dans tous les services. On me plaça immédiatement dans celui des évacués, et je me suis occupé des réfugiés que l’on fait partir pour l’Angleterre.

«En parlant avec tous ces pauvres gens dont les fils étaient aux armées et qui n’avaient plus de toit, comme nous, je pensais à vous, mes chéries, qui avez eu tant de peine à gagner Paris. Je me suis décidé à faire partir Tantine Berthe et Madeleine, car je ne veux pas qu’elles restent ici. Dès que le jour de leur départ sera fixé, je vous enverrai un mot. Elles se rendront à Paris pour se réunir à vous.

«Quant à moi, je resterai à Anvers où demeure le Roi; je suivrai le gouvernement.

«Je vous embrasse, mes chéries, en vous recommandant le courage et la bonne humeur…»

 

Aussitôt que maman eût fini de lire elle s’écria:

«Mon Dieu, mon Dieu, il sera là-bas, tout seul. Je n’ai jamais eu tant d’inquiétude! Si les Allemands prennent Anvers, que ferons-nous, que saurons-nous de lui?

– Ma petite maman, tu devrais aller à la légation de Belgique pour savoir si Anvers peut se défendre et ce que papa deviendra si la ville était prise.

– Oui, tu as raison, allons-y vite.»

Alors nous sommes parties avec Barbe. Nous avons été à pied. Nous connaissons bien le chemin, qui est très joli; nous suivons les quais le long de la Seine, la place de la Concorde et les Champs-Élysées. Naturellement la course est trop longue pour que Phœbus vienne avec nous. Nous l’avons laissé dans le jardin où il y a du soleil. Il s’est couché sur le perron de pierre, la tête appuyée sur un coussin. Pierre est allé pendant ce temps au ministère de la Guerre avec sa maman.

A la légation, le jeune homme très grand qui parle toujours avec maman quand elle vient, lui a dit que les forts d’Anvers étaient bombardés, ainsi que Malines, mais que si papa s’était mis à la disposition du gouvernement, il le suivrait de toutes façons, et qu’il ne fallait pas avoir de crainte. En tout cas, il espérait bien qu’Anvers ne serait pas pris par les Allemands.

Maman était un peu rassurée, du moins elle s’efforçait de le paraître.

Comme il était très tôt, nous avons été voir Mlle Suzanne, qui a voulu nous mener chez le directeur du Journal des Enfants. Maman aurait désiré avoir l’avis de papa, mais Mlle Suzanne a dit que le temps manquait pour le consulter, que la chose n’avait pas tellement d’importance, et qu’il fallait vite imprimer mon carnet.

Elle nous a conduites dans une grande librairie; nous avons monté beaucoup d’escaliers, nous sommes arrivées dans le bureau d’un monsieur qui avait l’air tellement bon et aimable que Barbe a osé demander tout de suite des livres d’images. Il avait des yeux bleus et des cheveux blancs et, en nous parlant, il semblait nous connaître depuis longtemps. Il avait été à Louvain et se rappelait bien notre rue. Il causa avec maman et cela lui faisait plaisir, je le voyais bien.

Barbe lui dit tout à coup:

«Tu sais, monsieur, que Noémie a aussi écrit l’histoire de Phœbus?

– Qui est Phœbus? demanda le directeur du Journal des Enfants.

– C’est le chien de mon papa, mais il est venu avec nous à Paris.

– Il est venu à pied de Louvain, ton chien?

– Oh! il est venu avec nous en voiture, en bateau, en chemin de fer et dans l’auto de M. Le Peltier. Il a été à la guerre et il a eu sa patte coupée par un obus.

– Mais alors, s’il a vu tant de choses ton chien, il pourrait, lui aussi, raconter ses aventures.»

Barbe regarda le directeur avec un air étonné et elle répondit:

«Mon toutou est un chien et tu sais bien, monsieur, que les toutous ne parlent pas!»

Pour rassurer Barbe, M. Ray, c’est ainsi que ce monsieur s’appelle, lui donna un album très amusant de découpages de tous les guerriers français. Barbe était très contente et vraiment elle le remercia gentiment. A moi, il me donna un joli livre de la Bibliothèque Rose: les Petites filles modèles.

Il dit à maman qui semblait très touchée:

«Tout ce que nous pourrons faire ici, en France, pour vous ne sera rien en comparaison de ce que votre pays et votre roi ont accompli pour nous. Si le peuple belge n’avait pas combattu avec tant d’héroïsme et de courage, malgré la valeur de nos soldats français, nous aurions beaucoup souffert de l’invasion de ce cruel ennemi. C’est pourquoi, ayant su que votre petite fille avait écrit son journal, il m’est venu à l’idée de le publier ici dans une revue d’enfants pour bien faire connaître à mes jeunes compatriotes ce que sont et ce que pensent les petits Belges. Elle va me donner le commencement, et continuera à l’écrire jusqu’à ce que vous soyez de nouveau rentrés dans votre bonne ville de Louvain.»

Après nous sommes parties, je me sentais très heureuse, non pas de ce que mon Journal allait être imprimé, mais des paroles que M. Ray avait dites à maman, car je savais qu’elles avaient rendu maman moins triste.

Je me disais en moi-même qu’il n’y avait pas seulement papa et maman de bons sur la terre.

En rentrant, Pierre a couru vers nous en nous tendant une dépêche, c’était l’annonce de l’arrivée de Tantine Berthe et de Madeleine à la gare du Nord.

Vite nous sommes reparties, en laissant Pierre avec Phœbus; maman s’est décidée à prendre un taxi-auto de peur d’être en retard. A la gare, il y avait beaucoup de femmes et d’enfants que des agents empêchaient de pénétrer sur le quai. C’était effrayant. Maman nous tenait chacune par une main et elle ne tremblait pas, tant elle serrait ses doigts. Au bout d’une demi-heure, le train était devant nous.

Le premier mot de Tantine a été celui-ci:

«Tu sais, si ton mari ne m’avait pas fait un devoir de partir avec Madeleine, je serais restée à Anvers, je n’aurais jamais quitté mon pays.»

Et alors, elle prit maman dans ses bras pour l’embrasser. Madeleine nous a dit que c’était la seconde fois qu’elle pleurait depuis qu’elle avait quitté la Belgique.

Madeleine me parut plus grave qu’à Louvain. Elle avait un certain air triste que je ne lui avais jamais vu. Elle nous prenait par les mains, Barbe et moi, et nous demandait des détails sur tout ce que nous faisions et sur Paris, comment était notre nouvel ami Pierre, et comment Phœbus marchait avec sa jambe de bois.

Pendant ce temps, Tantine Berthe parlait à maman de la Belgique.

«Le lendemain on entendit la canonnade des Allemands contre les forts de Liége; toute la population d’Anvers sortit dans les rues et commença à montrer de l’inquiétude. Aussitôt notre roi Albert se rendit sur la place de Meir et se mit à nous parler d’abord en français, ensuite en flamand.

«Mon peuple, dit-il, je vous supplie de rester calme. J’attends de chacun de vous qu’il fasse son devoir. J’espère vous en donner moi-même l’exemple. Vive la Belgique et sa juste cause! Vivent nos alliés!» Alors ma fille – Tantine Berthe appelle toujours maman «ma fille». – Alors, ma fille, si tu avais vu l’ovation qu’on a faite au Roi et comment fut chantée la Brabançonne! Oh! j’en tremble encore!»

Pour nous rendre rue Bonaparte, nous sommes montées dans une des grandes automobiles de Saint-Sulpice qui, avec la permission de M. Le Peltier, s’arrêta chez nous en passant. Tantine n’aime pas les automobiles, mais elle ne se plaint plus comme autrefois. Elle nous caresse les joues de temps en temps avec un sourire triste.

«Si vous saviez, mes petites, comme Madeleine a été courageuse et dévouée!

– Oh! dit maman, Noémie est une vraie petite femme, elle a été si attentionnée pour moi. Elle s’est montrée une sœur aînée parfaite pour Barbe. Elle ressemble à son papa, elle a le même cœur.»

Maman ne pouvait pas dire une chose qui me rendît plus fière, car partout on parlait du cœur de papa.

Aussi, quand nous sommes arrivées rue Bonaparte, en entrant dans le grand salon, au lieu de se réjouir, personne ne parlait, malgré Phœbus qui voulait à toute force sauter sur Madeleine et lui lécher la figure. Il remuait tellement que sa patte en bois faisait sur le parquet un bruit assourdissant.

Barbe est allée vers maman, a grimpé sur ses genoux et l’a embrassée; moi je suis allée vers Tantine Berthe et je lui ai dit: «Ma chère petite Tantine, papa a dit qu’il fallait être de bonne humeur; ne sois pas triste et consolons maman.

– Oui, tu as raison, Noémie, mais tu comprends qu’au premier moment, quand on a tout perdu et qu’on retrouve ceux qu’on aime, on est bien ému.»

A ce moment, Pierre et sa maman sont entrés.

J’ai pris Pierre par la main et je l’ai mené vers Tantine en lui disant:

«Tantine Berthe, voici Pierre Mase, que nous avons rencontré à Dunkerque en chemin de fer. Son papa est artilleur, il se bat comme Désiré depuis le commencement de la guerre. Lui-même, quand il sera grand, sera artilleur aussi. Il a habité aussi avec nous au séminaire de Saint-Sulpice et maintenant, il est ici. Il nous a fait connaître Paris et les petits Français qui sont aussi courageux que les petits Belges.»

Pierre avait l’air très intimidé par Tantine Berthe. Mais elle l’attira à lui et l’embrassa:

«Si vous avez été complaisant pour les infortunés enfants belges, vous êtes un brave Français comme ils le sont tous.

– Tu sais, dit Barbe, il est aussi très taquin, il veut toujours tirer les poils de Phœbus. Il m’apprend à lire dans un alphabet plein de soldats.

– Bien, dit Tantine, tu me montreras demain ce que tu sais, car il est temps d’aller manger quelque chose et ensuite de nous coucher.»

Dans une des pièces du bas, maman et Tantine Berthe se sont fait des lits; dans l’autre nous couchons toutes les trois avec Phœbus.

C’est dans les chambres du haut que se sont installés Pierre et sa maman.

La porte de nos chambres reste ouverte. Ce soir-là je ne pouvais pas m’endormir, parce que j’entendais maman et Tantine Berthe qui parlaient tout bas, et j’ai même aperçu Madeleine qui traversait la chambre pieds nus pour aller avec elles dans leur chambre.

Tristes nouvelles de Belgique

Paris, le 6 octobre.

CE matin, la femme belge qui aide maman à faire le ménage est venue très tôt, en sanglotant, nous annoncer qu’Anvers était pris par les Allemands. Au premier moment, cela a été affreux; maman désespérée s’est jetée dans les bras de Madeleine; moi, je me suis approchée de Tantine qui était assise dans un grand fauteuil, pour l’embrasser. Elle m’a serrée contre elle, elle a appelé Barbe et elle a passé sa main sur nos têtes en disant:

«Mes pauvres enfants, mes pauvres enfants! Ma chère Belgique!»

Mais elle parlait tout bas, comme à elle-même, et elle avait une figure toute changée.

Je lui demandai à l’oreille:

«Et papa, Tantine, crois-tu qu’il soit resté à Anvers avec les Allemands?

– Je ne le pense pas, mais soyons sûres qu’il aura agi pour le mieux! Il faudrait savoir où est notre Roi.»

Maman entendit ces mots; alors elle se redressa et, en s’essuyant les yeux, elle dit:

«Je veux aller immédiatement à la légation de Belgique m’informer de ce qu’il en est exactement et comment je pourrai savoir ce que sera devenu votre père.»

Madeleine partit avec maman. Tantine resta dans la chambre où elle couche avec maman et nous dit de jouer dans le jardin afin de la laisser seule un moment, de faire bien attention à ce que Barbe restât tranquille.

J’ai pris ma petite sœur par la main et j’ai trouvé Pierre dans le grand salon avec Phœbus. Il s’est écrié tout de suite:

«Voilà, j’ai été acheter un journal! Le Roi est parti d’Anvers avec son armée. Beaucoup de Belges se sont réfugiés en Hollande et en Angleterre. Peut-être que ton papa est en Angleterre. Et puis, ce n’est rien qu’Anvers soit aux Allemands, nous le reprendrons, et alors qu’est-ce qu’ils recevront, les Boches! Ne soyez pas découragées, il ne faut jamais l’être; c’est papa qui me l’a recommandé en partant.

– Oui, tu as raison, mais c’est bien triste pour maman et Tantine Berthe. Elle nous a dit de la laisser seule, je crois qu’elle pleure, elle ne veut pas que nous la voyions.

– Écoute, je voudrais faire quelque chose pour lui montrer comme je comprends sa peine, parce que, tu sais, quand Paris a failli être pris à la fin d’août, je rageais, il fallait voir cela! Alors je vais sortir et lui rapporter un petit bouquet de violettes de deux sous; c’est pas beaucoup, mais elle serait fâchée si je dépensais mon argent, et…

– Oui, c’est l’intention! Va vite et ferme tout doucement la porte d’entrée pour qu’elle ne t’entende pas.»

Pendant qu’il était sorti, nous nous sommes assises, Barbe et moi, sur les marches du perron et j’ai essayé de lui raconter une histoire, mais elle voulait tout le temps se mettre derrière la porte de la chambre pour écouter si c’était vrai que Tantine pleurait.

Enfin Pierre est rentré; nous avons attendu jusqu’à ce que Tantine revienne dans le jardin; alors Pierre s’est avancé vers elle et lui a offert ses violettes, sans dire un mot. Tantine a eu les yeux pleins de larmes et elle a seulement embrassé Pierre sur le front en disant:

«C’est un véritable petit Français!»

Maman est revenue vers midi. Elle était très pâle.

A la légation, on n’avait pu que lui répéter que l’armée avec le Roi avait quitté Anvers jeudi après un bombardement terrible qui avait endommagé beaucoup d’édifices et que les Allemands étaient entrés à Anvers le vendredi, par le faubourg de Berchem. On lui avait conseillé d’écrire au Havre, où s’établissait le gouvernement belge, et à Amsterdam où un nombre très grand de réfugiés avaient pu parvenir.

 

«Mais tu vas écrire au sergent Vandenbroucque, à Dunkerque: il tâchera de savoir des nouvelles de papa.»

Pierre alla à la poste porter une dépêche de maman; nous espérions bien avoir une réponse le soir même.

Nous sommes anxieuses, nous attendons des nouvelles du Havre, de la légation et aussi de la maman de Pierre, qui est au ministère de la Guerre; c’est tout ce que je peux écrire dans mon Journal.

Il faut que je m’occupe de Barbe qui, comme toutes les fois où nous sommes dans l’inquiétude, devient terriblement capricieuse.

8 octobre.

Nous passons de bien tristes heures: nous n’avons pas de nouvelles de papa, nous ignorons où il est. Seulement hier, nous avons reçu une carte de Désiré avec ces mots: «Je vais bien, suis à Heyst. J’ai vu Jean Boonen avec le bras coupé et qui a été évacué sur la Hollande, son père est resté à Anvers. J’espère que vous êtes tous réunis. – Désiré.»

Il est décidé que nous allons quitter Paris. Madeleine vient de me le dire d’un air navré. Elle m’a prise à côté d’elle et m’a annoncé que nous n’avions plus d’argent du tout et qu’il fallait faire quelque chose. Ceci, je ne comprends pas trop ce que cela veut dire, mais je devine qu’elle me parle à moi parce qu’elle ne veut pas manquer de courage devant maman qui a déjà assez de peine.

«Oh! ma chérie! j’aurais dû rester avec papa. Du moment que vous étiez en sûreté, j’aurais forcé papa à quitter Anvers. Car pense donc, si les Allemands l’ont emmené en Allemagne!»

En songeant que mon pauvre papa pouvait être prisonnier, je me suis mise à sangloter; alors Madeleine s’est arrêtée tout de suite et elle m’a embrassée.

«Tais-toi, je t’en prie; je dis cela, mais il est certain que papa sera resté avec le Roi et qu’il est au Havre. Nous allons être bientôt tranquillisées.»

La maman de Pierre a des parents dans une petite ville de France, à Montbrison. Elle va partir pour demeurer chez eux, car elle aussi n’est pas très riche et il faut que Pierre aille en classe. Là, elle a des amis qui ont besoin d’une dame pour soigner et surveiller des enfants; alors maman a pensé qu’elle pourrait s’occuper d’eux, de sorte que nous irons tous avec nos amis à Montbrison.

«Mais, alors, maman travaillera?

– Oui, mais moi aussi, me répondit Madeleine, je donnerai des leçons ou trouverai un emploi afin d’avoir un peu d’argent pour aider maman.

– Et moi, alors, je ne ferai rien?

– Mais, ma petite Noémie, tu es trop jeune; du reste, tu t’occuperas de Barbe, et tu l’empêcheras d’être désobéissante dans la maison où nous serons; je crois que cela sera déjà beaucoup.»

Tout ce que me raconte Madeleine me tourne un peu la tête. Je vois que maman, Tantine et Mme Mase, la maman de Pierre, parlent beaucoup ensemble dans la chambre jaune, et j’ai une tristesse affreuse en pensant aux jours d’autrefois où nous étions si heureux tous à Louvain.

Pierre m’a demandé si nous pouvions aller faire une promenade dans Paris pour revoir quelques-uns des beaux monuments et surtout le jardin du Luxembourg où nous nous sommes si souvent amusés. Maman a bien voulu que nous sortions tous les trois avec Madeleine, Pierre ayant déclaré qu’il était assez grand garçon pour nous protéger.

Nous sommes partis, en laissant Phœbus malgré son air suppliant. Nous avons été d’abord à Saint-Sulpice voir M. Le Peltier. Il était dans la grande salle du bas au séminaire où l’on donne les repas. Mlle Suzanne était là, entourée de tous les enfants. Elle trouve que maman a raison de quitter Paris où la vie est trop «dure» pour les Belges. Elle m’a fait promettre de continuer à écrire mon Journal et elle doit m’envoyer des nouvelles de Paris. De là, nous avons traversé le Jardin du Luxembourg. Comme nous passions devant les chevaux de bois, Barbe voulait absolument monter dessus. Pierre s’écria:

«Non, non! tu es trop petite!»

Barbe se jeta sur Pierre comme pour lui donner des coups de pied dans les jambes, alors Pierre se mit derrière Madeleine. Moi j’arrêtai Barbe qui était rouge. Les gens nous regardaient; ils ne riaient pas, mais semblaient trouver ma petite sœur très drôle; Madeleine prit la main de Barbe et lui dit très fermement en la regardant sévèrement:

«Tais-toi et viens tout de suite.»

Barbe cessa de crier et elle se mit à marcher avec Madeleine sans résistance, tandis que nous suivions, Pierre et moi, tout étonnés que cette colère fût si vite terminée.

Ce qui est curieux, c’est que si nous avions été à Louvain, Madeleine aurait cédé à Barbe; maintenant elle fait comme maman. Voilà: autrefois, on était heureux et, aujourd’hui, c’est la guerre; il faut que tout le monde soit sage et sache qu’il faut obéir. Au bout d’un moment, nous étions dans la partie du Luxembourg qui entoure le bassin, en face du grand palais; alors Madeleine commença à parler doucement à Barbe:

«Ma petite Barbe, tu ne dois pas être toujours un bébé et avoir des caprices. Tu ne comprends pas encore tous les malheurs que nous traversons, mais tu vois bien que maman a de la peine et que papa est loin de nous; alors il faut que tu sois obéissante, bonne et gentille pour que, lorsqu’il reviendra, il retrouve une petite fille très douce et presque parfaite.

– Oui, mais je ne veux pas obéir à Pierre, il n’est pas mon frère.

– Ce que tu dis est très mal, Barbe; tu sais bien que Pierre a été comme un vrai fils pour maman et Tantine Berthe et un très bon ami pour Noémie. Il t’aime beaucoup, bien qu’il te taquine quelquefois. Alors, ne sois plus méchante et demande pardon à Pierre: sans cela, j’aurai du chagrin et lui aussi.

– Eh bien, oui!»

Barbe alla vers Pierre et l’embrassa. Alors Pierre, qui avait eu l’air ennuyé de cette conversation, se mit à rire et s’écria:

«Eh bien, moi, j’offre à goûter à mes petites amies, sur mes économies!

– Non, dit Madeleine, garde ton argent.

– Non, non, cela me fait tant de plaisir de le dépenser avec vous. Il faut trouver un bon pâtissier. Oh! j’en connais un fameux, place Médicis, où je suis allé souvent avec papa en sortant du lycée. Venez, c’est par ici.»

Barbe avait l’air ravi. Pierre lui dit:

«Tu n’aimes pas mieux les gâteaux que les chevaux de bois?

– Oh! si, j’aime mieux les gâteaux.»

Chez le pâtissier, Pierre a voulu que nous nous assoyions autour d’une table; on nous a donné à chacune une petite assiette avec une fourchette. Nous avons choisi nos gâteaux. Barbe ne savait comment se décider. Enfin elle a pris un éclair et une petite tarte aux fraises. C’était très bon. Mais le plus drôle, ç’a été de voir Pierre, après que nous avons eu fini, s’approcher de la caisse, tirer son porte-monnaie et payer. Je ne sais pas combien cela lui a coûté, il n’a jamais voulu nous le dire. Je suis sûre qu’il a donné beaucoup d’argent.

Pour revenir nous avons suivi le boulevard Saint-Michel où il y avait beaucoup de monde. Quelques soldats blessés aux jambes marchaient lentement en s’appuyant sur des cannes. Pierre ne s’arrêtait pas pour causer avec eux comme il a l’habitude de le faire, parce qu’il nous accompagnait, a-t-il dit, et qu’il ne voulait pas nous laisser seules, mais on voyait qu’il faisait dans ce cas un grand effort.

«Tu comprends, m’expliquait-il, quand on parle avec les soldats, ils racontent ce qu’ils ont vu, et comme cela on finit par savoir quelque chose de la guerre, bien que chaque soldat ne voie qu’un coin du champ de bataille.»

En rentrant, il a encore acheté un petit bouquet de violettes pour Tantine Berthe, il en a pris un second pour maman, il les a mis sur leurs assiettes à table, et elles ont deviné tout de suite que ces fleurs venaient de lui.

Maman a décidé de partir mardi matin pour Montbrison. Elle ira encore à la légation pour donner notre nouvelle adresse; mais ignorer où est papa est bien dur et il nous semble que nous le perdons une seconde fois, en laissant Paris où nous avons été si bien reçues.

Lyon, le 10 octobre.

Nous avons quitté Paris mardi soir. Nous avons encore eu tous en partant un nouveau chagrin: maman parce qu’elle s’éloignait davantage de papa, et nous parce que nous aimions bien notre maison et le petit jardin.