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Noémie Hollemechette

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Un nouvel ami

Dunkerque, le 18 septembre.

NOUS quittons le bon sergent Vandenbroucque qui nous a accompagnées à la gare.

Il a acheté une poupée à Barbe pour accompagner Francine; c’est une paysanne habillée en Boulonaise. Il l’a donnée à Barbe, parce qu’il est de Boulogne et que c’était un double souvenir de lui; pour moi, il a choisi un petit livre de contes français.

En allant à la gare, il portait Barbe, et un soldat tenait nos paquets; moi, j’avais Phœbus qui marchait bien lentement.

Nous avons eu beaucoup de peine à trouver des places; enfin, grâce au sergent qui fit ouvrir un compartiment de première classe, nous avons été bien installées. C’est lui qui a pris Phœbus dans ses bras pour l’aider à grimper près de nous. Naturellement nous n’étions pas seules: deux dames assez vieilles, une Anglaise et une dame avec son petit garçon sont montés dans notre wagon.

Au moment où le train partait, le sergent nous embrassa et nous dit de ne pas oublier d’aller voir sa femme à Paris. Il avait écrit son adresse à maman. Il avait l’air d’avoir de la peine et je crois que maman faisait tous ses efforts pour retenir ses larmes. Il avait promis à maman de s’occuper spécialement de papa en allant au bureau des Belges qui correspondait avec le quartier général d’Ostende. Comme nous ne savions pas où nous habiterions, il était décidé avec lui que nous nous informerions auprès de sa femme de tout ce qu’il pourrait savoir.

J’écris cette partie de mon journal dans le train, sur la tablette du compartiment, bien que Barbe me tire tout le temps le bras pour voir le petit garçon qui cherche à exciter Phœbus en lui passant son soulier à rebrousse-poil sur le dos.

Naturellement Phœbus reste tranquille, mais Barbe dit tout à coup:

«Laisse donc mon toutou, c’est un soldat réformé.

– Un soldat réformé? Mais c’est un chien!

– Eh bien! puisqu’il a eu sa patte cassée par une balle.

– Sa patte cassée par une balle! Et où ça donc?

– Mais à Diehl, avec Louis Gersen.

– Qu’est-ce que Louis Gersen?

– C’est le conducteur de Phœbus.

– Oh! Où est-il maintenant?

– Il est avec le Roi.

– Avec le Roi, où ça?

– A Furnes. Mais il ne sait rien, ce petit garçon-là, Noémie!

– Voyons Barbe, tais-toi.

– Je ne sais rien, moi… Et savez-vous où sont les Allemands? Ils sont sur la Marne, car ils veulent brûler Paris, comme ils ont brûlé Louvain.

– Non, non pas comme Louvain, ai-je répondu.

– Si, moi, je vous dis que si.»

Ce petit garçon avait l’air très méchant; Barbe se mit à crier; alors Phœbus se leva et tristement lécha ses mains, et moi, j’avais envie de faire comme elle.

Une des vieilles dames qui avait un chapeau de deuil parla au garçon français:

«Mon enfant, pourquoi taquinez-vous ces petites filles qui ont l’air bien gentil et qui viennent de Belgique? Vous ne pouvez pas savoir si les Allemands iront à Paris, et ce n’est ni courageux ni d’un bon Français de dire des choses pareilles.»

Le garçon devint très rouge et s’écria:

«Je suis un bon Français et mon papa se bat actuellement en Alsace, mais je sais comme les Boches sont méchants et cherchent à détruire tout en France!

– Eh bien! continua la vieille dame, quand on a un papa qui se bat, on ne parle pas comme vous le faites à des petites Belges et vous devriez montrer que vous êtes un bon Français en leur demandant pardon de ce que vous leur avez dit.

– Eh bien oui, c’est vrai, j’ai eu tort, j’avais envie de taquiner des filles.»

Il me tendit la main fermement.

«Oh! it is very good, dit la dame anglaise; vous agissez comme un véritable gentleman.»

Alors je dis à Phœbus de lécher la main du jeune garçon, car le pauvre toutou ne pouvait pas donner sa patte comme il le faisait autrefois.

Maman causait avec la mère du petit garçon pendant ce temps-là; j’entendis qu’elle avait peur que son mari n’ait été pris par les Allemands; une des vieilles dames dit que son fils avait été tué, et puis elles parlèrent à voix basse. Maman nous conseilla de nous amuser entre nous, et le petit garçon tira d’un sac une boîte de soldats et il les aligna sur la tablette du compartiment. Barbe voulut que sa nouvelle fille Francine pût s’asseoir pour passer la revue, et en l’installant, toute une rangée de soldats tomba:

«Aïe! aïe, mes artilleurs! cria le petit Pierre – car le jeune garçon s’appelait Pierre.

– Ce ne sont pas des artilleurs, dit Barbe.

– Si, ce sont des artilleurs.

– Non, n’est-ce pas, Noémie, ce ne sont pas des artilleurs? Ils n’ont pas de chiens.

– Ce sont des artilleurs français, tu ne connais que les artilleurs belges qui ont des chiens pour traîner les mitrailleuses, mais en France on ne se sert pas de chiens.

– Oui, c’est ça. Mais je vais vous montrer tous nos soldats français. On va passer la revue. Voilà d’abord l’infanterie. Les soldats avaient des pantalons rouges avant la guerre, mais notre général Joffre n’en veut plus.

– Qui est-ce Joffre?

– C’est celui qui commande toute l’armée française. Voilà, je continue. L’infanterie défile en pantalon bleu horizon. Les fantassins marchent bien, quoiqu’ils aient un gros sac sur le dos. Vient ensuite l’artillerie avec ses canons. Voyez comme ils sont jolis ces petits 75.

– C’est un canon? dit Barbe.

– Oui, nous les appelons en France des 75, et c’est grâce à eux que les «Boches» sortiront de Belgique.

«Maintenant c’est la cavalerie qui défile. Les chasseurs avec leur dolman bleu ciel, les cuirassiers avec leur belle cuirasse et les dragons avec leur casque brillant. Et les chasseurs à pied qui suivent, ils vont comme le vent et grimpent sur les montagnes comme des chèvres. Les turcos, les spahis, les zouaves terminent le défilé. Les Allemands en ont une terrible peur: ils les appellent «les diables».

«Maintenant que tout le monde est en place, salut aux drapeaux et vive la France!

– Et vive la Belgique, dis-je aussitôt.

– Oui, vive la Belgique!»

Barbe se mit à battre des mains en riant; alors je vis que maman ainsi que celle de Pierre, et les deux vieilles dames nous regardaient sans dire un mot et que leurs yeux brillaient beaucoup.

Le train s’était arrêté. Un voyageur dit à maman qu’on allait rester là un grand moment, car il y avait un encombrement.

Une des vieilles dames décida qu’il fallait manger quelque chose, surtout à cause des enfants. Après, je me suis mise à écrire mon journal

Paris, le 20 septembre.

Je suis assise à une petite table, dans une chambre très étroite du séminaire de Saint-Sulpice à Paris. Maman est à côté de moi, Barbe dort et j’entends le petit Pierre, dans la chambre à côté, qui parle à sa maman.

Nous sommes abritées, mais maman n’a plus du tout d’argent; nous n’avons pas de nouvelles de papa ni de Madeleine, ni de Tantine Berthe, et maman se demande ce que nous allons faire.

Je reprends mon récit au moment où j’ai achevé d’écrire quelques pages de mon journal dans le train qui nous conduisait à Paris. Après beaucoup d’arrêts dans des gares ou même en pleine campagne, nous sommes arrivées à Paris à sept heures du soir.

Le petit Pierre m’avait raconté son histoire. Ses parents habitaient dans une ville du nord de la France, à Maubeuge. Son papa était directeur d’une usine de machines. Il était officier de réserve et avait quitté sa maison le jour où la guerre avait été déclarée avec la France. Pierre était resté seul dans la maison avec sa maman. Alors ils avaient appris toutes les mauvaises nouvelles, et un jour ils entendirent le canon qui ne cessait pas de gronder.

«Tu sais, me dit le petit Pierre, c’était terrible et très excitant; je voulais toujours sortir, parce que j’aime surtout les artilleurs: mon papa est artilleur. Mais maman me le défendait.»

Un soir, le commandant vint dire que toutes les femmes et les enfants devaient quitter la ville dans les deux heures.

Alors le petit Pierre et sa maman prirent quelques vêtements, de l’argent et un peu de pain et ils partirent.

Beaucoup de gens annonçaient que les Allemands entraient par un côté de la ville pendant qu’on fuyait de l’autre. Mais personne ne criait, et l’on ne pensait pas à son malheur, on ne pleurait pas de laisser sa maison, on ne parlait que de son pays qui était envahi par l’ennemi et des hommes tués dans les batailles.

Comme le petit Pierre avait dix ans, il ne voulut pas monter dans une voiture, car il pouvait bien marcher à côté de sa maman, et le premier jour ils firent beaucoup, beaucoup de kilomètres, au moins trente.

Tantôt, couchant dans une ferme, tantôt, dans une gare, ils arrivèrent à Amiens où on leur dit qu’il fallait aller à Calais, pour gagner de là l’Angleterre. Car les Allemands s’avançaient sur Paris et tout le monde partait pour Bordeaux.

Mais on leur apprit un jour que les Allemands avaient été repoussés sur la Marne.

«Tu comprends, me dit Pierre, cette retraite c’était une tactique du général Joffre!»

Je ne comprenais pas ce que c’était qu’une tactique, je le demandai à maman qui me dit que c’était une manœuvre préparée à l’avance.

Quand elle sut que l’on pouvait se rendre à Paris, la maman du petit Pierre pensa que là elle pourrait avoir des nouvelles de son mari au ministère de la Guerre, et aussi qu’elle connaissait des personnes qui pourraient lui être utiles. C’est ainsi que nous nous sommes rencontrés dans le train et que Pierre est devenu mon ami.

Paris, le 24 septembre.

Je crois que maman est très malheureuse d’être au séminaire de Saint-Sulpice où nous avons seulement une chambre; mais elle m’a dit que cela n’était rien à côté de tous les grands malheurs qui nous arrivent à nous et à notre pays, et elle aide toutes les femmes qui sont là à soigner leurs enfants, à les laver, à les faire manger. Quelquefois c’est amusant, mais il y en a aussi qui crient tout le temps.

 

Il y a des dames qui viennent chaque jour au séminaire pour faire du bien aux plus malheureux réfugiés. Une jeune fille très gentille nous a fait une visite dans notre chambre et a parlé très longtemps avec maman. Elle s’appelle Suzanne; elle est très jolie et a des cheveux blonds comme Madeleine. C’est elle qui nous a menées au jardin du Luxembourg pour nous le montrer et pour que nous y allions jouer le plus souvent possible.

Oh! Il est magnifique, plein d’arbres, de fleurs, avec un bassin et un immense jet d’eau au milieu. Je n’ai jamais vu un si beau jardin!

Du reste Paris est une ville superbe. Naturellement j’aime mieux Louvain; c’est là où je suis née, et puis, c’est là que nous étions avec mon papa, et quand j’y pense j’ai toujours le cœur très gros.

Mais Paris n’est pas seulement beau, il est bon. Tout le monde est parfait, même les agents de police. Oh! ça, c’est une bonne histoire qui nous est arrivée avec Phœbus!

Lorsque nous nous sommes trouvées, le premier soir, à la gare du Nord, nous ne savions où aller. La maman du petit Pierre se rendit chez des amis; une dame nous dit d’aller au séminaire de Saint-Sulpice où l’on nous donnerait des chambres.

«Prenez l’automobile qui est là, il emmène beaucoup de femmes et d’enfants qui viennent de Belgique et du Nord et vous pourrez coucher vos petites filles au moins pour cette nuit.»

Mais devant la grande automobile, il y avait un agent de police qui, en voyant Phœbus, s’écria:

«Pensez-vous que nous abritions les chiens, non… mais…»

Maman lui expliqua que Phœbus avait eu la jambe emportée par un boulet à la guerre.

«Oh! moi, je ne vous dis pas le contraire, mais je ne peux pas laisser monter votre chien dans l’auto.»

Barbe commença à pleurer en prenant le cou de Phœbus qui, lui, s’était assis tranquillement et nous regardait avec ses bons yeux qui semblaient dire: «Toutes ces conversations me sont égales, car je sais bien que je resterai toujours avec mes petites maîtresses; je les ai retrouvées après des aventures autrement terribles qu’un voyage en auto et la rencontre d’un méchant agent de police».

La dame qui avait parlé à maman, s’approcha de l’agent et lui dit:

«Prenez ce chien et parlez à M. Le Peltier de ma part; il arrangera cela sûrement.

– Bien, bien», dit l’agent, et il aida Phœbus à s’installer près du conducteur.

Phœbus semblait très content. Il regardait Paris qui lui paraissait sûrement très beau comme à nous, mais il n’en était pas étonné: il avait entendu papa nous dire que c’était la plus belle ville du monde.

Quand nous sommes arrivées au séminaire, quelle histoire!

Les agents se mirent à rire d’abord et entourèrent Phœbus pour savoir son histoire, puis on appela M. Le Peltier: c’est celui qui reçoit les réfugiés. Il a l’air très gentil et il demande à chaque enfant son nom et son âge.

Il parut s’intéresser beaucoup à ce que maman lui raconta, et il nous regardait avec attention.

Barbe lui dit:

«Monsieur, nous allons bien garder Phœbus, n’est-ce pas?

– Mais, ma petite fille, il n’y a pas de chiens dans le séminaire.

– Eh bien, il y aura Phœbus. C’est mon toutou et celui de papa.

– Où est-il, ton papa?

– Il est à Louvain, et il viendra bientôt ici.

– Oui, il faut l’espérer. Pour l’instant, je ne sais pas où mettre ton toutou. Veux-tu me le donner?

– Non, je ne veux pas te le donner; tu es méchant.»

Je tirai Barbe par le bras en lui disant de se taire; M. le commissaire se mit à rire et il réfléchit. Maman s’était assise, elle avait l’air si fatigué!

«Écoutez, dit M. Le Peltier; je vais vous donner une chambre un peu éloignée des autres; elle est très grande et vous prendrez votre chien avec vous. Seulement il faudra le sortir souvent et prendre garde qu’il ne gêne personne.»

Il nous conduisit lui-même à travers les beaux couloirs du séminaire; il marchait en avant avec maman; moi, je donnais la main à Barbe et Phœbus nous suivait très heureux.

Ce soir-là nous nous sommes couchées bien vite; nous avons fait une bonne prière pour remercier le bon Dieu et lui demander de préserver papa, Madeleine, Tantine Berthe et la Belgique!

26 septembre.

Le petit Pierre Mase – notre nouvel ami que nous avons rencontré en venant de Dunkerque – et sa maman sont venus nous rejoindre au séminaire. Ses amis qui auraient pu les recevoir ne sont pas à Paris, ils ont été chez d’autres amis; ils n’ont trouvé personne nulle part! Moi je suis bien contente, parce que nous allons dans la journée au Luxembourg; nous nous asseyons sur un banc dans une allée devant une pelouse, et nous jouons tous les trois. Maman et la mère de Pierre viennent avec nous ainsi que Phœbus, que tout le monde connaît maintenant.

La mère de Pierre est allée au ministère de la Guerre pour avoir des nouvelles. Le papa du petit Pierre a écrit une longue lettre où il raconte la belle bataille de la Marne, comme il dit. Alors Pierre nous a tout expliqué.

«Tu vois, Joffre a dit: «Il faut chasser les Allemands, cesser de reculer maintenant et leur courir dessus». Alors tous les soldats sont tombés à la fois sur les Boches, et ils ont tellement tapé dessus, qu’ils ont été obligés de fuir et de s’en aller.

– Alors nous pouvons retourner à Louvain? demande Barbe.

– Non, pas encore; mais on les a empêchés d’entrer dans Paris, et c’est une magnifique victoire, et les Français l’appellent la victoire de la Marne.»

Je demandai à Pierre où était son papa.

«Oh! il s’est battu sur la Marne; un obus a éclaté près de lui, il a été couvert de poussière et de boue, mais il n’a pas été blessé. Il a perdu beaucoup d’hommes après Charleroi, mais, maintenant, il est content de cette bataille.»

J’aime beaucoup à causer avec Pierre, parce qu’il m’apprend toutes sortes de choses sur les Français, et moi je lui parle de la Belgique et surtout de Louvain.

Maman est allée à la légation de Belgique pour donner son nom et pour s’informer de Désiré. Nous avons été aussi à Sceaux, chez la femme du sergent Vandenbroucque, mais elle est aussi partie avec sa fille. Nous ne connaissons personne ici!

Oh! je ne veux pas dire que nous sommes abandonnées: je serais bien ingrate et je n’oublie pas que Mlle Suzanne nous fait toujours une visite quand elle vient au séminaire.

Elle arrive tous les matins à huit heures; elle lave et peigne les enfants, elle emmaillotte et promène les bébés, nettoie des biberons, sert la soupe; ensuite elle fait la classe aux plus grands et raccommode leur linge et leurs vêtements. J’aime beaucoup à rester auprès d’elle.

Il y a une grande pièce avec des armoires tout autour; dans la journée, il y a plusieurs dames qui y viennent pour travailler. On a demandé à maman d’aider, et naturellement maman a bien voulu, elle parle avec ces dames et je vois bien que tout le monde l’aime.

Je m’assois toujours à côté de Mlle Suzanne qui m’apprend à coudre, à faire des ourlets.

Barbe joue avec Pierre et naturellement Phœbus est couché sur la robe de maman.

J’ai dit à Mlle Suzanne que j’écrivais mon journal; elle aurait voulu lire ce que j’ai dit sur Paris. Mais ce journal n’est pas pour les autres, il est pour mon papa quand il reviendra.

23 septembre.

Hier, maman a reçu une «convocation» de la légation de Belgique.

Quand M. Le Peltier a remis cette lettre à maman, elle est devenue toute pâle, et moi j’ai pensé que c’était peut-être une mauvaise nouvelle de papa ou de Désiré. Je n’ai pas osé le dire à maman, mais je l’ai suppliée de m’emmener avec elle.

«Je t’en prie, ma petite maman, prends-moi avec toi, je veux savoir et, s’il le faut, je te donnerai du courage…

– Ma petite Noémie, tu es une bonne fille et tu m’aimes bien, mais il vaut mieux que tu restes avec Barbe.

– Moi je la garderai, dit Pierre, avec Phœbus, et vous verrez, nous serons très sages.»

Je partis donc avec maman. A la légation un jeune homme très gentil nous reçut en disant:

«C’est vous madame Hollemechette? Le bureau de Furnes, où se trouve le Roi, a fait parvenir au bureau belge de Dunkerque un pli pour vous, que nous a envoyé le sergent Vandenbroucque. Votre fils, Désiré Hollemechette, après s’être battu courageusement près de Malines, et avoir été blessé, a été décoré par le roi Albert de la Croix de Léopold. Nous pouvons ajouter qu’il est en voie de guérison.»

Maman était très émue; le monsieur toussa un peu fort et murmura:

«Ces enfants! ils sont tous comme cela en Belgique, ils se battent comme des lions!»

Moi, j’étais très fière et j’embrassai maman en lui disant que, puisque nous recevions cette bonne nouvelle de Désiré, sûrement nous allions en avoir bientôt de papa.

Première lettre de papa

Paris, 30 septembre.

PAPA, Madeleine et Tantine Berthe sont à Anvers. Nous avons eu une lettre de papa, je vais la copier dans mon journal. Nous l’avons reçue par la légation où nous allons très souvent pour avoir des nouvelles. Le jour où l’on nous a remis cette lettre, il y avait dans la salle du bas des soldats blessés en convalescence qui venaient demander à repartir. Comme toujours nous leur parlions et ils nous racontaient des histoires de la Belgique que nous leur faisions redire plusieurs fois.

Voilà la lettre de papa:

«Ma chère femme et mes chères petites filles,

«Ma lettre vous arrivera-t-elle et surtout vous trouvera-t-elle en bonne santé? Je vous dirai d’abord que nous allons bien et que nous sommes sauvés, grâce à Dieu!.. et aussi au brave Poppen qui a été tué.

«Avez-vous su que notre pauvre et beau Louvain a été brûlé? Ce n’est pas sans avoir le cœur brisé que j’écris ces mots, mais il faut penser à notre chère Belgique et à ses enfants qui la défendent si bien contre de barbares ennemis. Les Allemands entrèrent dans la ville, et les premiers jours ne furent pas trop pénibles. M. van Tieren, M. Boonen me dirent qu’il ne fallait pas rester à Louvain à cause de Madeleine. Ah! si Madeleine n’avait pas été avec moi, je ne serais pas parti. Il se passait des choses très tristes, les Allemands commettaient de véritables atrocités. Madeleine eut un courage merveilleux; aidé par elle, un soir, je parcourus la rue de Namur pour faire ouvrir toutes les portes des habitations, conformément aux prescriptions du chef allemand. C’est cette nuit-là que les incendies de maison ont commencé; le lendemain, nous avons été voir la maison de Tantine Berthe entièrement brûlée!

«Tantine ne pleura pas; elle tenait dans sa main un petit sac contenant quelques souvenirs, de l’argent et des papiers. C’est tout ce qui lui restait.

«Notre maison n’a pas été détruite, mais le matin Poppen, le pauvre vieux, est venu me dire que l’Université était en flammes, que le feu était à la bibliothèque et qu’il fallait fuir, que, pendant la nuit, des soldats ivres, capables de tout, avaient parcouru les rues. Je lui dis: «Vous viendrez avec nous?

« – Moi, monsieur, je suis seul au monde; ma famille, c’était l’Université et la Bibliothèque: si elle est détruite, eh bien, je mourrai sur ses cendres.»

«Vous connaissez l’entêtement de cet honnête Poppen; j’ai su depuis qu’en voulant rechercher un vieux et précieux manuscrit dans une partie du bâtiment non consumée, il n’avait pu en ressortir et qu’il était mort là, enseveli sous les décombres de sa chère bibliothèque!»

En entendant ce récit de la mort de Poppen, j’ai eu un grand chagrin; je me souvenais du jour de notre départ, quand il avait apporté à maman un petit bouquet de fleurs en lui promettant de bien veiller sur Madeleine.

«Je me suis alors décidé à partir, continuait papa. Les généraux allemands qui avaient fait mettre le feu aux quatre coins de la ville ne demandaient qu’à se débarrasser de ses habitants. J’ai eu beaucoup de peine à convaincre Tantine Berthe qu’il fallait nous suivre; pourtant, en voyant que les Allemands détruisaient et pillaient tout, elle s’y résolut. Madeleine prit dans un paquet quelques vêtements; je mis dans mes poches tout l’argent qui nous restait et, prenant le bras de Tantine Berthe, nous avons quitté Louvain sans jeter un regard en arrière, tant notre douleur était grande.

 

«M. Boonen nous avait précédés le matin dans une carriole, sur l’ordre de notre bourgmestre qui lui avait confié des papiers pour le roi. Il avait voulu emmener Tantine avec lui, mais elle ne voulut pas se séparer de nous deux. Je ne vous dis qu’une chose sur ce terrible voyage, c’est qu’il a été dur et horrible, encore plus pour d’autres, pour de pauvres femmes qui portaient des petits enfants sur les bras! Enfin nous sommes à Anvers pour le moment, car, dès que nous ne sommes plus à Louvain, je vais tâcher de vous rejoindre, mais Dieu sait où vous êtes, mes chéries?»

Après, il y avait dans la lettre des choses que je ne copie pas, parce que c’est pour nous seules.

Maman était bien contente de ces nouvelles, et nous étions bien sûres alors de revoir papa, puisque sa lettre avait pu nous parvenir en passant par des endroits où l’on avait notre adresse.

Barbe voulut absolument faire sentir la lettre de papa à Phœbus, en lui disant que papa allait arriver. Notre brave toutou a très bien compris et s’est mis à aboyer, mais maman le fit taire parce que nous étions au séminaire.

Justement Mlle Suzanne vint nous voir ce jour-là pour dire à maman qu’elle avait des amis qui étaient absents pour plusieurs mois et que leur maison rue Bonaparte était à sa disposition, que nous pourrions nous y installer avec Pierre et sa maman; une femme belge pourrait nous aider et, avec l’argent que nous avait donné la légation et aussi Mlle Suzanne, nous pourrions toujours vivre. Cela, ce sont les paroles de maman.

Alors nous avons déménagé, au grand bonheur de Barbe, de Phœbus et de Pierre.

Nous allons habiter rue Bonaparte, dans une espèce d’hôtel qui a un petit jardin, tout petit. Il n’a pas de fleurs comme le jardin de Tantine, mais il est très joli avec du lierre tout autour sur les murs et un beau treillage au fond. Nous nous asseyons dessous avec Pierre et Barbe, et nous jouons là toute la journée; Phœbus se met au soleil et il semble très heureux.

J’ai trouvé dans un coin du jardin, sur un peu d’herbe, une pauvre poupée étendue, les bras ouverts, et toute mouillée. Elle avait l’air tout à fait pitoyable. Elle avait dû être laissée là par une petite fille qui avait quitté Paris subitement; aussi je l’ai ramassée et je l’ai mise avec soin sur la cheminée d’un grand salon.

Maman, en quittant le séminaire, avait promis à Mlle Suzanne de venir chaque jour pour raccommoder du linge. Elle me dit:

«Écoute, ma petite Noémie, je veux aller là-bas pour aider ces pauvres femmes à soigner leurs enfants; seulement, cela m’ennuie de vous laisser ainsi sans rien faire. Occupe-toi un peu de ta sœur. Ne pourrais-tu pas commencer à lui apprendre à lire?

– Oh! madame, interrompit Pierre, laissez-moi lui apprendre à lire, cela m’amuserait tant, et je serai très sérieux, je vous promets!»

Maman se mit à rire; elle riait maintenant, depuis qu’elle avait eu des nouvelles de papa!

Alors c’est entendu, nous prenons une table, trois chaises, et Pierre commence.

Barbe est vraiment difficile. D’abord, elle ne voulait pas rester avec nous et criait que c’était maman qui devait lui donner des leçons et non pas Pierre; mais maman lui expliqua qu’elle devait être sage pour lui faire plaisir et aussi qu’elle lui donnerait un beau livre d’images.

Après, elle écouta Pierre. Il lui montra d’abord les images: c’était un alphabet avec des animaux; Barbe voulait tout de suite aller à la fin du livre et elle ne répétait pas ce que lui disait Pierre. Et puis, elle répétait la leçon à ses filles Francine et France, comme s’appelait la poupée que lui avait donnée le sergent Vandenbroucque. Comme c’était une poupée de France et que c’était le premier jour de notre arrivée dans ce pays qu’on lui fit ce cadeau, j’avais eu l’idée de lui donner ce nom, et maman avait trouvé que c’était très bien ainsi.

Pierre a été vraiment bien gentil, mais Barbe a été insupportable.

30 septembre.

Hier dimanche, nous avons visité les Invalides avec Pierre. Maman était avec nous. Les Invalides sont un magnifique monument où sont reçus les soldats blessés pendant la guerre, quand ils ne peuvent plus faire de service. Il y a aussi le tombeau de l’empereur des Français, Napoléon Ier, dont Pierre m’a raconté l’histoire. Mais ce qui nous a surtout intéressés, ce sont les canons que les Français ont pris aux Allemands. Pierre ne cessait de les regarder, et il m’expliquait chaque détail des canons, des avions, des lance-bombes, et pourquoi ils étaient différents des nôtres, etc.

Un soldat en uniforme d’invalide, couvert de décorations, ayant une jambe de bois, gardait les canons; Pierre lui parla en disant que son papa était artilleur, à la guerre, et que nous étions deux petites Belges dont le frère s’était battu et qui venait d’être décoré de la médaille de Léopold, et il n’oublia pas l’histoire de Phœbus.

L’invalide se mit à rire et dit que lui avait eu sa jambe emportée par un obus à la bataille de Gravelotte en 1870.

«Ah! ah! c’est heureux qu’ils en reçoivent une tripotée ces… d’Allemands.» Il a dit le même mot très laid qu’avait crié notre servante Jeanne à Louvain quand on lui avait dit que les Allemands entraient en Belgique.

Il nous demanda de lui amener Phœbus, un jour de semaine où il ne serait pas de garde. Il nous promit de nous faire visiter tout le musée de l’armée. Pierre était ravi, moi aussi, parce que j’aime beaucoup la France et tout ce qui est de ce pays.

Paris, le 1er octobre.

Nous venons d’avoir une grande dispute avec Pierre. Dans le petit jardin de la maison où nous habitons, il y a dans le milieu une pelouse qui est bordée d’un rang de buis et d’une allée de gravier et au milieu du gazon on voit des corbeilles de pierre vides pour l’instant, mais qui devaient contenir des fleurs autrefois. Naturellement Pierre a aligné ces corbeilles pour représenter la ligne de front et les tranchées. Ce matin il était, je pense, de très mauvaise humeur parce que maman n’avait pas voulu que nous allions au musée de l’Armée; elle était appelée à la légation de Belgique et ne voulait pas que nous sortions tous les trois seuls. La maman de Pierre avait été dans un hôpital voir un camarade de son mari blessé.

Tout à coup Pierre dit:

«Avec ça ce n’est pas la peine de faire des tranchées, ce seront les villes de Belgique au moment où les Boches sont entrés. Voilà Louvain, Liége, Namur, Bruxelles, Anvers.

– Pourquoi cela? C’est bien plus amusant de représenter la bataille de la Marne.

– Non, avec ces corbeilles on va faire le siège des villes.

– Je ne veux pas que tu fasses le siège des villes de Belgique; d’abord Anvers n’est pas assiégé.

– Si, cela commence.

– Ce n’est pas bien ce que tu dis là, et tu n’es pas un bon petit Français.» Et j’étais tout à fait fâchée.

Pierre est devenu tout rouge, il est parti et il est monté dans sa chambre. Phœbus, comme s’il me comprenait, s’est approché de moi, j’ai pris son cou dans mes bras et je l’ai embrassé pour me consoler. Barbe commençait à crier que Pierre était un méchant garçon et que maman le saurait quand elle rentrerait.

Je lui ai dit de se taire, et alors j’ai préparé le goûter. Mais je ne voulais pas comme à l’ordinaire appeler Pierre, j’étais trop en colère contre lui.

J’étais descendue à la cuisine qui se trouve dans le sous-sol, et en remontant j’ai trouvé au beau milieu de la table, une lettre de Pierre. La voici:

«Ma chère Noémie, je te demande pardon! Je suis un très méchant garçon, je t’aime bien et je ne veux pas te faire de la peine. Oublie ce que je t’ai dit tout à l’heure et montre, au méchant Français, que tu es une petite Belge épatante. Pierre.»

Pauvre Pierre! c’est un bon ami, au fond.

Je dis à Barbe:

«Va chercher Pierre, dis-lui de venir goûter.»

Pierre est descendu, et lorsqu’il est entré dans la salle à manger, je l’ai embrassé et notre dispute s’est terminée ainsi.

Pendant que nous mangions nos tartines beurrées, on a sonné. Nous étions seuls à la maison, et maman nous défend d’ouvrir la porte. Mais Pierre, qui trouve qu’il est grand garçon, ne prend pas la défense pour lui.

C’était Mlle Suzanne. Elle nous dit que justement elle ne venait pas voir maman, mais moi, Noémie, et qu’elle avait quelque chose de très sérieux à me dire, à moi seule. J’étais très étonnée. Naturellement Barbe n’était pas contente du tout d’aller dans le jardin, et Pierre était plein de curiosité. Mlle Suzanne, malgré son air doux, a beaucoup d’autorité, elle conduisit elle-même Barbe dans le jardin, Phœbus la suivit et Pierre, forcément. Nous sommes allées dans le grand salon jaune, et tandis que Mlle Suzanne me parlait, je voyais ma petite sœur assise sur la pelouse à côté de Phœbus posé en faction sur son derrière, tandis que Pierre essayait de montrer à Barbe les lettres dans l’alphabet rempli de soldats français.